lundi 3 novembre 2014

Burkina Faso – RD Congo : Le Congo est un cas à part

samedi 1er novembre 2014

La chute du président Blaise Compaoré du Burkina Faso s’est invitée dans le débat en cours en République Démocratique du Congo, où les partisans du président Joseph Kabila tentent d’assurer son maintien au pouvoir en s’affranchissant des limites de la Constitution actuelle. 

A Ouagadougou, la population a tout simplement mis fin au débat en chassant le président Compaoré alors que son mandat courait jusqu’à fin 2015. 

A Kinshasa, la majorité présidentielle a eu de quoi s’angoisser d’autant plus qu’elle avait dépêché au Burkina Faso une délégation qui devait assister au vote des parlementaires burkinabè convoqués pour modifier la Constitution. 

Pour l’anecdote, les délégués congolais sont restés bloqués dans le pays, les nouvelles autorités ayant décrété la fermeture des frontières aériennes. Le message burkinabè ne pouvait pas être plus clair.



Il serait pourtant hasardeux d’envisager un scenario à la burkinabè sur le sol congolais. Même si l’hostilité au maintien de Kabila au pouvoir est bien réelle, le Congo est dans une situation beaucoup plus complexe. 

Elle tient essentiellement au rapport à la violence et à l’importance des enjeux géopolitiques, avec en toile de fond, le contrôle des immenses ressources stratégiques du Congo, et dont les Congolais font les frais.

1. Le rapport à la violence

Contrairement au Burkina Faso, la République Démocratique du Congo est un pays dévoré par des violences armées et une interminable guerre déclenchée en 1996, avec un bilan astronomique de six millions de morts. Les autorités ont moins de scrupule à recourir à la violence contre la population. 

Une manifestation pacifique finit facilement dans un bain de sang, une constante confortée par l’impunité chronique dont bénéficient les auteurs de répressions politiques. 

Les images de Ouagadougou où on voit les manifestants avancer droit sur les forces de l’ordre qui reculent, sont difficiles à ramener des rues de Kinshasa. Ici, on tire dans le tas et on passe à autre chose.

Il est donc possible que Kabila entreprenne de modifier la Constitution. Il est aussi possible que les Congolais protestent contre une telle décision. 

Mais ce qui est certain est que, là où les hommes de Compaoré se sont abstenus de tirer sur leur population, au point de perdre le pouvoir, les hommes de Kabila n’hésiteront pas un seul instant. 

Kabila est d’ailleurs au pouvoir à l’issue des élections chaotiques de 2011 au cours desquels l’armée et la police avaient massacré les opposants, sans état d’âme, dans les rues de Kinshasa. 

Cinq ans auparavant, la répression s’était soldée par un bilan de plus de mille morts. A côté des dirigeants congolais, les dirigeants burkinabè peuvent être considérés comme d’admirables « gentlemen ». 

Rien à voir avec leurs homologues de Kinshasa. Les morgues de Ouagadougou auraient été pleines et les urgences médicales débordées. Et Compaoré serait toujours maintenu au pouvoir.

2. Les enjeux

Le Burkina Faso est un pays de 274.200 km² et 18.365.123 habitants. Le Congo est huit fois plus grand, quatre fois plus peuplé et plus difficile à mobiliser. 

Par ailleurs, l’immensité de ses ressources minières a condamné le Congo, depuis plus d’un siècle, à être la chasse gardée des puissances occidentales qui, tantôt nouent des alliances dans le dos des Congolais, tantôt s’affrontent par Africains interposés pour le contrôle des ressources du pays. 

Ainsi, là où Blaise Compaoré n’a besoin que de l’aval des Français pour prendre et consolider son pouvoir, Joseph Kabila a besoin d’une demi-douzaine de puissances étrangères pour accéder au pouvoir et commencer à régner sur le pays[1], les Américains ayant le dernier mot.

Un président au Congo est ainsi au cœur de trop d’enjeux économiques et géopolitiques pour être renversé par des manifestants, et les Congolais en ont pris conscience. 

Ils savent que si les partisans de Joseph Kabila entreprennent sérieusement de modifier la Constitution, c’est qu’ils auront obtenu l’aval des Américains et des Européens, et que toute forme de résistance sera écrasée dans le sang, les capitales occidentales se limitant aux condamnations du bout des lèvres. 

Il est donc possible qu’on ne puisse jamais voir des manifestants congolais aussi nombreux et déterminés que les Burkinabè. 

L’histoire particulière du Congo, qui devrait se répéter, est que ses trois derniers présidents (Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila) ont tous été imposés de l’extérieur, à chaque fois dans des scénarios où le rapport de force tournait systématiquement en défaveur du peuple congolais[2]

L’assassinat de Patrice Lumumba est resté comme le symbole de la défaite des masses populaires congolaises face à la puissance des oligarchies occidentales qui siphonnent les richesses du pays et décident de qui doit gouverner et pour combien de temps.

3. Les pouvoirs du président

Le président Compaoré, comme quasiment tous les autres présidents africains, était, pour ainsi dire, le seul maître à bord. Il était, dans son pays, la seule autorité suprême, le seul chef des armées, le seul chef des administrations. 

Rien à voir avec le Congo où le président Kabila n’exerce, en réalité, qu’un pouvoir limité sur le pays. 

Le poids de la Mission de l’ONU au Congo (la Monusco) est tel que le Représentant du Secrétaire général de l’ONU au Congo, Martin Kobler[3], apparaît parfois comme le véritable président de la République. 

Pendant ce temps, le Raïs continue d’être l’objet de la méfiance des franges entières des Congolais du fait de ses liens opaques avec le régime rwandais de Paul Kagame, ce qui s’est traduit par une forme d’éloignement des masses populaires congolaises vis-à-vis de sa personne.

Une configuration comme celle-là est telle que la population peine à identifier et à se focaliser sur un responsable de ses malheurs. 

Ainsi, au Congo, on manifeste plus souvent contre l’ONU, accusée d’inefficacité, que contre le président Kabila dont l’influence sur le cours des choses est assez faible comparé à la carrure de ses deux prédécesseurs (Mobutu, Laurent-Désiré Kabila)[4]

Comment donc mobiliser des masses populaires contre un président aussi peu présent et dont on sait qu’il n’est pas la « pièce maîtresse » du système contesté ? 

Car, au final, une révolution n’a de sens que si elle affecte les intérêts des « acteurs majeurs » du système à abattre. Kabila a sa part de responsabilité, mais il est de notoriété publique qu’il n’est pas au centre du « système » qui fait mal aux Congolais.

4. Méfiez-vous des révolutions

Il faudra du temps pour comprendre ce qu’il en est de la révolution burkinabè qui fait déjà face à des dissensions dans les rangs de l’armée

S’il ne s’agit, pour un peuple, que de se débarrasser d’un président dont on ne veut plus, c’est fait à Ouagadougou et ça peut se faire à Kinshasa demain. Mais le plus important dans une révolution est que les révolutionnaires soient en capacité de maîtriser les enjeux et les agendas dont ils vont hériter au lendemain du « grand soir ». 

Bien des révolutions, si pas toutes, ont débouché sur des lendemains qui déchantent. Pour rappel, des quatre pays qui ont été les plus touchés par le printemps arabe, seule la Tunisie semble s’en être bien sortie[5]

Parce que lorsqu’une révolution éclate dans un pays, les dirigeants du reste du monde prennent des précautions. Le mouvement ne sera jamais à l’identique d’un pays à l’autre.

Il serait bien naïf de croire que les faiseurs de rois occidentaux n’ont pas encore anticipé le scénario d’un soulèvement des Congolais contre le pouvoir de Joseph Kabila. 

Et si à l’issue d’un tel soulèvement à Kinshasa, l’armée congolaise prenait le contrôle du pouvoir, à l’instar de ce qui se passe à Ouagadougou, ce sera la marche vers l’inconnu. 

En effet, l’armée congolaise a la particularité d’être une armée noyauté et gangrenée par une multitude d’agents étrangers (essentiellement rwandais et ougandais), conséquence des deux décennies de guerres d’agression, des accords secrets et d’intégrations massive d’individus de toute sorte dans les structures de commandement de l’armée. 

Dans son ouvrage « Les armées au Congo »[6], Jean-Jacques Wondo décrit ce fléau avec beaucoup de gravité. En mai dernier, le colonel Mankesi, parti en exil, avait fait publier des révélations alarmantes sur l’ampleur des infiltrations en masse dans les rangs des FARDC[7] (l’armée nationale congolaise). 

Et dans la perspective de 2016, une force surnommée « Légion rwandophone » devrait prendre position entre l’aéroport de Ndjili et la ferme de Kingakati sous le commandement du général Gabriel Amisi. 

L’unité devrait être constituée de soldats exclusivement rwandophones[8] en mission pour réprimer les opposants. Une armée dans l’armée.

Bref, si au lendemain d’une révolution populaire qui verrait le départ de Joseph Kabila, à l’instar de Blaise Compaoré, une armée comme celle-là prenait le contrôle du pouvoir à Kinshasa, ça ne sera guère le bout du tunnel. 

Il y a un risque bien réel que l’état-major soit composé des haut-gradés rwandais et ougandais, et que le Congo continue d’être piloté de l’extérieur. 

Il y a également un risque de voir le pays sombrer dans des batailles rangées entre unités de l’armée selon les affinités des officiers dont la loyauté à la nation congolaise ne rassure guère. 

Le peuple aura mené sa révolution mais les fondamentaux du système qu’il s’agissait d’abattre seront, soit maintenus en l’état, soit contestés de manière chaotique.

Autrement dit, une révolution pour rien.
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Boniface MUSAVULI





[1] Pierre Péan voit dans l’accession de Joseph Kabila au pouvoir la main des Américains sous la présidence de George Bush, des Français sous la présidence de Jacques Chirac, des Belges et des Rwandais (Paul Kagame). Cf. P. PEAN, Carnages – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éd. Fayard, 2010, p. 418.

[2] Des quatre présidents qui se sont succédé à la tête du Congo, trois ont été placés au pouvoir par les Etats-Unis, usant de moyens détournés (Mobutu grâce au coup d’Etat de 1965 organisé par la CIA, Laurent-Désiré Kabila à l’issue de la guerre de l’Afdl orchestrée par les Américains et les Britanniques et Joseph Kabila). Seul Joseph Kasa-Vubu, le premier président, a accédé au pouvoir à l’issue d’une élection démocratique.

[3] Diplomate allemand.

[4] Quel que soit le jugement qu’on est en droit de porter sur les politiques menées par les deux présidents.

[5] Les Egyptiens se sont retrouvés dans une impasse après que les Frères musulmans ont mis en minorité des révolutionnaires laïcs. L’armée en a profité pour reprendre le contrôle du pays. En Libye, les manifestants ont offert un prétexte à l’Otan pour bombarder le pays et éliminer Kadhafi. Scénario qui aurait pu être identique en Syrie si Vladimir Poutine n’avait pas volé au secours du gouvernement syrien.

[6] JJ. Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa – Radioscopie de la Force Publique aux FARDC, Ed. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Saint-Légier (Suisse), Avril 2013.

[7] « Les révélations du Colonel Mankesi sur l’infiltration des FARDC », desc-wondo.org, 15 mai 2014.

[8] C’est un euphémisme pour désigner la « cinquième colonne » des armées rwandaises et ougandaises au Congo.

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