vendredi 7 novembre 2014

Paul Biya, 32 ans de pouvoir

07/11/2014



Les ministères et les directions générales des entreprises publiques et parapubliques sont presque tous vides. Les rues de la capitale camerounaise sont parés aux couleurs du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, RDPC, parti du président Paul Biya. 

Yaoundé, ce 6 novembre a le visage d'un jour férié. Toutes les activités sont presque paralysées. Pour cause, Paul Biya célèbre ses 32 ans de règne.

Pour cette année, le thème des festivités organisées par le parti au pouvoir est, « tous derrière le président Paul Biya dans la bataille contre l'insécurité pour la sauvegarde de l'intégrité territoriale, la préservation de la paix et la consolidation de l'unité nationale». 

Les festivités organisées ce jeudi, ne concernent que les militants du RDPC et les partis de la majorité présidentielle. Ils sont venus pour lui témoigner leur reconnaissance « pour ces 32 années de paix ».

Unité, renouveau, rigueur et moralisation, voilà le slogan qui se chantait à tue-tête en 1982. Le crédo de ce nouveau président était « à bas le népotisme, la corruption et le favoritisme, bienvenue à l'égalité des chances ». 

32 ans après, Paul Biya est toujours là, pimpant et triomphant. Toujours « chaud gars » (beau gosse en langage camerounais) comme le dit la chanson populaire. C'est le temps des grandes réalisations après les grandes ambitions dans l'attente de l'émergence en 2035.
Répression

Paul Biya fête sa troisième décennie au pouvoir. Il aura connu trois grands moments. Ses huits premières années, le peuple, plein d'espoir, avançait plein d'illusions. Ces années où le slogan rigueur et moralisation avait tout son sens.

Ensuite, sont arrivées à grands pas, les années 90, dite années de crises. La rigueur s'en était retournée dans les chaumières. Le peuple connaissait les privations et la faim. Licenciements, baisses de salaires, les habitudes étaient chamboulées. 

Les parents ne gardaient plus que le souvenir des huit années passées. Le slogan était devenu « répression ».

1992 fut l'année de la révolte et de l'avènement du multipartisme. Malgré la montée du Social Democratic Front, SDF, principal parti d'opposition et celle de bien d'autres tels l'UNDP, l'UDC, l'UPC ou encore le MDR, Paul Biya a réussi à se maintenir au pouvoir. 

L'Assemblée nationale en 1992, comptait quatre partis, le RDPC ne détenait pas la majorité. Pour cela, il a fallu le concours du MDR, pour que le parti présidentiel retrouve la majorité au Parlement.

Cette même année, Paul Biya perdait sa première épouse, Jeanne Irène Biya que le peuple surnommait « dame de cœur » pour ses œuvres humanitaires. 

En l'enterrant le peuple camerounais, enterrait quelque peu ses illusions. S'en était fini des années de sobriété et de discrétion de la présidence de la République.

Triomphe

La 3e décennie de Paul Biya est caractérisée par un règne sans partage. Paul Biya et son parti le RDPC sont majoritaires à l'Assemblée nationale, au Sénat et au gouvernement. Le pays tout entier acclame le « beau gosse » qu'il surnomme le « Père de la Nation ».

Ceux qui se souviennent du début de règne de Paul Biya, pensent surtout à ses tournées triomphales dans les dix régions du Cameroun. Cette même popularité et ce même triomphe, le chef de l'Etat camerounais, les a retrouvés à nouveau. Ses déplacements soulèvent les foules. 

Paul Biya 32 ans après, reste un demi Dieu au Cameroun. Tout le monde l'idolâtre, par dépit, ou par résignation. Cela se justifie par la situation ambiante.

Paul Biya aura gagné la guerre de Bakassi. Il se bat contre Boko Haram et par-dessus tout, il a su garder la paix dans le pays. Ses manquements, le peuple les attribue à son entourage. 

« Le président est un homme bien, réfléchi. C'est son entourage qui dérange. Nous, nous ne sommes pas comme au Burkina Faso. Nous aimons notre « père » qu'il reste même là jusqu'à sa mort, il nous garantit la paix... ».

Il est clair au Cameroun, qu'après 32 ans, Paul Biya continue d'inspirer le respect et suscite un sentiment de quiétude. « C'est l'homme qui rassure » raconte un pompiste d'une station à essence. 

Seulement, ce sentiment qui anime les Camerounais, ne les empêche pas d'être lucides quant à la situation de leur pays. Ils sont conscients qu'ici, c'est le retour du népotisme. Pire, c'est l'avènement de la grande corruption et du favoritisme. L'égalité de chance a foutu le camp.

La déconvenue

« Nombre de Camerounais ne connaissent que lui, le président Paul Biya, 82 ans, fête 32 ans à la tête du Cameroun. A son arrivée au pouvoir en 1982, le Cameroun comptait parmi les pays les plus riches du continent. 

Aujourd'hui, ce pays ne ressemble plus à rien à tel point que beaucoup de ses habitants n'aspirent qu'à le quitter. Beaucoup de mes camarades sont d'ailleurs partis. 

C'est incroyable, mais il existe très peu de pays en Afrique où les habitants ont une aussi mauvaise idée de leur pays ou d'eux-mêmes, » explique Guillaume Bertrand Mpélé, chauffeur de taxi à Yaoundé, licencié en géographie économique, né en 1981.

Il n'est pas le seul qui fait un bilan assez mitigé du président Biya. Tous ceux qui comme lui n'ont connu que ce président n'ont pas d'autres repères. 

« Quelle déception ! Paul Biya restera le président à vie qui aura fabriqué le recul de l'esprit d'entreprise de ses habitants, » déplore Hyacinthe Etoundi, expatrié camerounais depuis 10 ans.

Ils reconnaissent quand même qu'avec Paul Biya, le Cameroun a gagné la liberté de pensée de parler, la liberté de la presse et même celle d'agir. En retour cette liberté a laissé place à l'insécurité. Le vandalisme et l'alcoolisme ont pris leurs quartiers. 

Les sociétés brassicoles du Cameroun font de meilleurs chiffres d'affaires que certaines entreprises. « La bière c'est combien ici, 500 ? 1000 ? On va toujours boire » chante Maalhox, le rappeur camerounais qui met en exergue le penchant des Camerounais pour les débits de boisson.

« La réalité est telle que contrairement à certaines idées largement répandues, il est difficile d'inverser les choses. Le président a flatté les bas instincts de ses compatriotes, en laissant prospérer la corruption qu'il disait vouloir combattre. Le népotisme ne s'est jamais aussi bien porté, » déplore Eric Amougou Essouma, sociologue camerounais.

Dans ce pays, certains citoyens de plus de 50 ans n'ont jamais rédigé ni un CV, ni une lettre de motivation. Très peu de Camerounais sont capables de se soigner dignement. Ils ont perdu leurs rêves. C'est la place à l'inertie. Les jeunes ont du mal à se frayer un chemin vers la réussite.

Ce 6 novembre, le pays est divisé en deux parties. Il y'a d'un côté ceux qui font la fête et de l'autre côté, des citoyens qui regardent avec détachement et indifférence, tout ce tralala.
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Sylvie Mbia
Cameroonvoice

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