lundi 15 décembre 2014

Katanga: le cadeau de la lumière

8 décembre 2014


Les habitants du quartier de Katuba II, à l’orée de Lubumbashi, ne sont pas loin de croire au miracle depuis que Kapia, s’invitant dans l’église luthérienne, a pris la parole avec autant d’éloquence que le pasteur.

Le jeune homme, responsable des relais communautaires et agent de l’ONG belge « Lumière pour le monde », a demandé à l’assistance de lui signaler tous les cas de personnes aveugles ou mal voyantes.

Maman Louise Bijvena a été la première à se porter volontaire pour un examen des yeux et une opération éventuelle. « A 82 ans, explique-t-elle, qu’avais je encore à perdre ? »

En réalité, vivant avec sa fille, Maman Louise était le pilier de la famille, la seule à s’occuper de ses deux petits enfants, à les nourrir et les élever et depuis 2002, à mesure que sa vue baissait, elle se sentait inutile et impuissante.

La harangue de Kapia a changé son existence : la vieille dame s’est rendue à l’hôpital ophtalmologique Sainte Yvonne, installé sur une parcelle de la paroisse Saint Joseph, où une cataracte bilatérale a été diagnostiquée.

Depuis que l’intervention a eu lieu voici onze mois, Maman Louise a retrouvé à la fois la vue et le goût de vivre et son aide permet à sa fille de travailler à l’extérieur.

A deux rues de là, Jean-Luc Kahanga, onze ans, ose à peine avouer qu’en jouant avec ses frères, il a cassé ses lunettes. Kapia le rassure, on va remplacer le verre, gratuitement, afin de ne pas mettre en péril les bénéfices d’une opération réussie : les deux yeux atteints de cataracte nucléaire, Jean-Luc a été opéré en février puis en mars 2014.

Le succès de l’intervention n’était pas évident : si, du point de vue technique, il est relativement facile de retirer la cataracte, passé l’âge de huit ans, le cerveau risque de ne pas suivre, incapable d’établir les connections nécessaires.

Aujourd’hui encore, Jean-Luc souffre d’amblyopie, sa vision est basse et les exercices de thérapie visuelle demeurent indispensables. Mais même si sa mère l’élève seule, si son père a disparu après avoir constaté le handicap de son fils, Jean-Luc nous fixe d’un regard bien droit et assure qu’il veut devenir ingénieur !

Dans le quartier de Kapanga, qui se compose lui aussi de maisons de brique plantées au milieu de parcelles de terre rouge, Quertus Mbuyi est lui aussi élevé par ses grands parents, dont un grand père qui a été mineur en Zambie et ne parle qu’anglais.

Le vieil homme raconte qu’au lendemain de la naissance de l’enfant, le père de Quertus, accusant son épouse d’être responsable de la cataracte qui affectait les deux yeux de l’enfant, a préféré disparaître.

Le gamin n’avait que onze mois lorsqu’il a été opéré avec succès et depuis lors, sa grand-mère veille jalousement sur ses précieuses lunettes rondes et poursuit à domicile les exercices de stimulation visuelle afin de reconquérir une vision complète.

Quant à Bernadette Ngalula, 5 ans, du quartier Gécamines, opérée, de la cataracte toujours, en août 2013, elle oscille encore.

La petite, attirée par les points lumineux, qui sont comme des tâches blanches dans l’obscurité, pleure dès qu’elle se trouve dans un endroit sombre. Mais sa maman a bon espoir : poursuivant à domicile la stimulation visuelle commencée à l’hôpital elle constate que, de mois en mois, la vision de sa fille s’améliore, jusqu’à atteindre déjà 80%.

C’est après avoir travaillé en Tanzanie, dans le plus grand hôpital ophtalmologique d’Afrique, où il avait déjà été envoyé par « Lumière pour le Monde », que le Dr Geert Vanneste, spécialiste en gestion hospitalière, a été envoyé à Lubumbashi.

Il y a découvert qu’au Congo, après l’obstétrique et la gynécologie, les problèmes de vision représentaient la deuxième urgence en matière de santé : le pays compte 5% de mal voyants dont 800.000 aveugles et parmi ces derniers, 60% sont victimes de la cataracte, y compris de nombreux enfants atteints de la cataracte congénitale.

«Pour les familles pauvres », explique le Dr Geert, « cette affection est un drame : les parents, croyant leur enfant définitivement aveugle, handicapé à vie, ont tendance à le négliger, à privilégier frères et sœurs en bonne santé qui, eux, sont mieux nourris et envoyés à l’école. Et cela alors que la cataracte est opérable ! »

C’est en 2008 que le gouvernement congolais a demandé à « Lumière pour le Monde » de travailler dans le sud du pays et plus particulièrement au Kasaï et au Katanga, la zone de Kinshasa étant confiée à une ONG allemande, CBM, partenaire de l’association belge.

LPLM a pour objectif d’établir, d’ici 2015, cinq cliniques ophtalmologiques au Congo, un pays qui ne compte au total que 50 ophtalmologistes dont 35 sont établis dans la capitale.

« Notre idée, c’est de franchiser les établissements » explique Geert Vanneste : « Lubumbashi est le projet pilote, mais nous allons poursuivre à Mbuji Mayi, à Likasi et surtout à Kolwezi, au cœur de la zone minière où notre hôpital représentera un investissement de 500.000 euros. Un projet lourd, car les 25.000 donateurs que nous comptons en Belgique nous assurent un budget de 2,8 millions d’euros. »

La « franchise » telle que l’a conçue Geert Vanneste, consiste à doter chaque établissement d’un même protocole, d’une marche à suivre qui doit être suivie à la lettre. Ce qui permet de limiter l’intervention des expatriés et de former rapidement le personnel congolais à ce « mode d’emploi » standardisé.

C’est pour cela que le médecin britannique Marc Wood vient quatre fois par an à Lubumbashi. Spécialiste réputé, opérant surtout à Dar el Salaam, et anobli par la reine d’Angleterre pour une vie consacrée à l’Afrique, ce septuagénaire au regard perçant, aux gestes vifs, passe un mois entier à opérer les cas sélectionnés au préalable.

Travaillant dans une salle d’opération dotée de deux lits et d’un matériel impeccable, le Dr Wood, secondé par des adjoints congolais qui devinent ses besoins, opère une vingtaine de patients par jour. A ses côtés, un médecin de la place travaille lui aussi au même rythme.

A Lubumbashi comme à Likasi ou Mbuji Mayi, le principe est le même : les patients doivent tous, d’office, se présenter devant le service social. Ici, à la clinique Sainte Yvonne, l’œil expert de Sœur Marie évalue la situation matérielle, les capacités de paiement éventuel et la pauvreté de la plupart des patients.

Geert Vanneste insiste : «je suis opposé à la gratuité des soins, cette pratique n’est pas soutenable. Chacun doit payer quelque chose, en fonction de ses moyens et in fine, les plus riches contribuent aux soins donnés, presque gratuitement, aux plus pauvres. Cependant, les prix demeurent très modestes. Le tarif normal d’une opération de la cataracte ne dépasse pas les 100 dollars, mais pour la plupart des patients c’est encore trop…».

Nous présentant la lunetterie, où des centaines de montures neuves sont épinglées devant de grands miroirs, Geert fulmine : « en Belgique, lorsqu’on nous amène des sacs entiers de montures usagées, je ne sais pas quoi dire.

Comment expliquer aux gens de bonne volonté qu’extraire les verres, nettoyer les vieilles montures, les remettre en état revient plus cher qu’acheter des montures neuves : ces dernières nous reviennent à cinq dollars, une paire de lunettes pour vision éloignée ne coûte pas plus que 50 dollars….

Comme les gens viennent de loin pour nous consulter et que le voyage coûte cher, nous veillons à ce que les patients, le jour même, puissent sortir avec une paire de lunettes neuves. Il est très important que riches et pauvres puissent être placés sur le même pied, avoir accès aux mêmes services, c’est un gage de qualité qui rassure tout le monde… »

L’ONG belge ne se contente pas d’envoyer des « relais communautaires » dans les quartiers les plus pauvres de Lubumbashi afin d’y repérer tous les mal voyants et de leur conseiller une consultation à la clinique Sainte Yvonne, elle assure également le suivi des opérations : dans un local minuscule, envahi par les lampes, les jouets lumineux, les boules de couleur vive, le petit Benoît et les autres, fraîchement opérés, réapprennent à jouer.

Ils fixent les points de lumière, et de jour en jour, la stimulation oculaire, ravivant les connections du cerveau, parachève les effets de l’intervention chirurgicale. Quelle émotion lorsque Benoît, battant des mains, arrive même à se reconnaître sur l’écran de notre appareil photo !

Mais le suivi ne s’arrête pas aux portes de la clinique : sitôt les opérés rentrés dans leurs quartiers, une autre équipe prend le relais. « Notre philosophie » explique le Dr Vanneste, « c’est que les enfants auxquels on a rendu la vue, même imparfaite, doivent être réintégrés dans le circuit scolaire normal, l’Institut Nuru, tenu par les sœurs de la Charité devant, lui, être réservé aux aveugles complets qui apprennent le Braille. »

C’est pour cela que Frédéric Ilunga, coordinateur du projet « éducation inclusive », se rend si souvent à l’école maternelle du quartier Balou : il veut suivre les progrès de deux petites opérées, Prisca et Generose. Intégrées dans une classe normale, les deux petites déchiffrent comme les autres les lettres inscrites sur le tableau noir et tentent, maladroitement encore, de les reproduire dans leur cahier neuf.

Une soixantaine d’enfants sont ainsi suivis dans les différentes écoles de Lubumbashi, Frédéric et ses collègues expliquant aux instituteurs les besoins particuliers des enfants mal voyants : « ils doivent être installés au premier rang, face au tableau noir et pas sur le côté, et suivis avec une attention particulière… »

Bien souvent, lorsqu’il s’agît d’enfants issus de milieux pauvres, LDLM intervient dans les frais scolaires, fournit un peu de matériel et veille, si nécessaire, à ce que les petits « miraculés » bénéficient de quelques cours de rattrapage…

«Ces enfants reviennent de loin » conclut Frédéric, « mais ils ont une telle rage d’apprendre, ils sont tellement heureux de se retrouver en classe avec les autres, qu’ils s’accrochent et le plus souvent réussissent à récupérer leur retard… »
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Le carnet de Colette Braeckman

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