lundi 15 décembre 2014

Rien de démocratique au Congo-Kinshasa

lundi 15 décembre 2014

 
Très récemment, le député nationale Delly Sesanga a retiré sa proposition de modification de la loi électorale. 

Le président du parti politique Envol a accusé le bureau de l’Assemblée nationale d’avoir apporté des ajouts, sans le consentement de l’auteur de ce texte, qui modifient la substance même de la proposition. 

« La situation est très grave pour notre démocratie », a-t-il déclaré après avoir déposé la lettre par laquelle il retirerait son projet de modification de la loi électorale en vigueur. 

Aux dires le député national Delly Sesanga, ces ajouts concernent les conditions d’éligibilité, le mode de scrutin et le mode de représentativité de certaines catégories de citoyens. 

Ainsi risquent-ils de faire reporter les prochaines élections, car « la supposée proposition, telle qu’elle est distribuée par le bureau [de la chambre basse, ndlr], comporte notamment l’abrogation de l’obligation de pouvoir procéder à l’enrôlement des électeurs avant d’organiser les cycles électoraux, et entraîne de ce fait le glissement du calendrier électoral de 2016 jusqu’à des années où ils auront achevé le recensement des électeurs ». 

Cette pratique, qui plus est très courante en République Démocratique du Congo, renvoie ispo facto aux subterfuges ayant porté atteinte aux processus relatifs à la décentralisation, à la Loi fondamentale, à la séparation des pouvoirs, aux droits fondamentaux, à la cohésion nationale...

La décentralisation

L’article 3 de la Constitution adoptée le 18 février 2006 a opté pour la décentralisation comme mode de gestion de certaines entités territoriales de la République Démocratique du Congo. 

Ainsi la Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l’État et les Provinces a-t-elle stipulé dans l’article 2 du titre 1er relatif aux dispositions générales : « La République Démocratique du Congo est composée de la ville de Kinshasa et de 25 provinces dotées de la personnalité juridique. »

Cette loi organique, promulguée le 1er août 2008 par le président de la République en prévision de la volonté du législateur, a donc confirmé le découpage du territoire congolais en 26 provinces conformément à l’article 2 de la nouvelle Constitution évoquée supra, celle-ci ayant prescrit la mise en place dans les 3 années qui devaient suivre l’installation des institutions issues des élections. 

Aussi, l’élection des honorables sénateurs et celle des députés provinciaux se sont-elles effectuées sur la base des 26 provinces, inexistantes à l’époque mais devant être effectives en 2009. 

Depuis ces élections, en dépit de l’expiration des mandats et de la carence constatée – par le magistrat suprême – dans la matérialisation du passage des 11 provinces actuelles à 26, ces institutions n’ont jamais été renouvelée. 

Le caractère anticonstitutionnel de la chambre haute et des parlements de provinciaux, à l’exception des élus de la ville de Kinshasa et de la province du Bas-Congo, a laissé de marbre les acteurs politiques de la majorité présidentielle et de la l’opposition.

Dans l’absolu, en ayant fait le choix de rester sur la base des 11 provinces, le nombre de sénateurs aurait dû être réduit à 44 en raison de 4 sénateurs par province. Cela aurait eu au moins le mérite de maîtriser l’aspect budgétivore à propos du fonctionnement du sénat et d’introduire la notion d’équité entre les provinces. 

Quant au nombre de députés provinciaux, il aurait aussi dû être revu à la baisse dans les provinces concernées par le découpage territorial. En guise de réponse à cette incohérence, la majorité présidentielle a préféré tripatouiller, avec la complicité de quelques élus de l’opposition, les dispositifs constitutionnels.

La décentralisation doit en principe avoir pour préoccupation majeure le management territorial, le partage des responsabilités politiques, économiques, sociales, culturelles ainsi que du fardeau fiscal entre l’État et les collectivités publiques locales pour mieux servir les citoyens et garantir leur épanouissement individuel et leur essor collectif. 

À cet effet, l’État devra être présent là où vit quotidiennement le citoyen pour lui procurer protection et services publics adéquats.

La révision constitutionnelle

Après avoir ramené le scrutin présidentiel des deux tours à un seul en 2011, l’assemblée nationale congolaise a de nouveau présenté, dans sa session du 15 mars 2014, des propositions en vue de la révision constitutionnelle. Celles-ci ont porté, entre autres, sur le processus de décentralisation. 

En effet, la chambre basse a été saisie par les députés de la majorité présidentielle favorables à la suppression de l’énumération des 26 provinces, figurant dans l’article 2 de la Constitution, et des 40 % de recettes alloués aux provinces conformément à l’alinéa 2 de l’article 147. 

Une autre proposition introduite à cette occasion se rapportaient à la désignation des gouverneurs par le parti politique, ou la coalition, majoritaire aux assemblées provinciales et non plus par les députés provinciaux.

Par ailleurs, on ne peut que constater le caractère anticonstitutionnel du projet de révision constitutionnelle en cours, car elle viole l’article 220 qui stipule : « la forme républicaine de l’État, le principe du suffrage universel, [...] l’indépendance du pouvoir judiciaire ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ». 

Le même article insiste sur le fait qu’« est formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet [...] de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées ». 

En principe, les parlementaires et partis politiques doivent jouer leur rôle s’agissant de la promotion de la bonne gouvernance et le peuple congolais assumer concrètement, d’une manière ou d’une autre, sa souveraineté au cas où les parlementaires bafoueraient les lois fondamentales de la République.

Compte tenue de l’incessante crise politique et de l’illégitimité des institutions étatiques, il est judicieux de réviser la Constitution afin de réintroduire le scrutin présidentiel à deux tours. 

De plus, ce système permettra non seulement aux électeurs de se prononcer en faveur de leur candidat(e) préféré(e) une deuxième fois, ou même de changer d’avis quant à leur préférence entre le premier et le second tour, mais aussi aux partis politiques et à l’électorat de s’ajuster aux éventuels changements de l’environnement politique entre les deux tours de scrutin. 

Cela est aussi nécessaire afin d'harmoniser la Constitution du 18 février 2006, dont quelques dispositifs relèvent soit des lois d’application, soit des lois organiques.

Il faudra en effet approfondir la démocratie politique, consolider les prérogatives étatiques dans certains domaines. Par conséquent, on ne peut faire l’économie de la IVe République pour une réforme profonde du pays. 

De plus, il est indispensable de conforter les acteurs sociaux, de permettre aux citoyens d’être écoutés et actifs, et de doter les élus du peuple d’un véritable statut.

L’indépendance du pouvoir judiciaire

Dans un passé proche, plusieurs autres modifications touchant à divers organes juridiques ont apporté aux dispositifs constitutionnels, notamment celle de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature. 

S’agissant de l’organisation et de l’exercice du pouvoir, la volonté de contrer toute tentative de dérive dictatoriale figurait parmi les préoccupations majeures du législateur. 

Or, en ayant fait présider le Conseil Supérieur de la Magistrature par le chef de l’État, la majorité présidentielle a tout simplement opté pour les incohérences d’un régime autoritaire. 

Pis encore, faire siéger des non magistrats dans cette institution, cela revient à renouer avec le système mobustiste qui avait fait main-basse, grâce au clientélisme, sur le pouvoir judiciaire.

Il faudra plutôt appliquer rigoureusement le principe de séparation des pouvoirs pour libérer le corps judiciaire de l’emprise de l’Exécutif, introduire au Parlement des lois organiques dans le but de renforcer le Conseil Supérieur de la Magistrature ainsi que la Cour constitutionnelle.
Cela nécessitera une sorte d’aggiornamento du système judiciaire afin que ceux qui disent le droit puissent satisfaire les attentes des justiciables. 

Il faudra surtout amender de nouveau la présente Constitution pour réaffirmer l’indépendance du pouvoir judiciaire, dont les membres seront gérés par le Conseil Supérieur de la Magistrature composé des seuls magistrats. 

L’objectif, c’est de rendre la justice indépendante, impartiale et intègre. Dans l’idéal, seuls les magistrats devront siéger au Conseil Supérieur de la Magistrature conformément au modèle de la cour suprême des États-Unis d’Amérique.

Dans le même ordre d’idées, il faudra surtout éviter que le Parlement reste un organe d’État chargé de défendre seulement les intérêts partisans ou corporatistes. 

Au contraire, il doit être transformé en un lieu des débats démocratiques et, surtout, en un pouvoir institutionnel représentant politiquement le peuple et les citoyens. 

La composition et les attributions du nouveau Gouvernement Matata Ponyo doit inciter à ce que les attributions du Parlement soient renforcées dans l’intérêt supérieur de la Nation pour assurer étroitement le contrôle de l’exécutif gouvernemental et de l’État, la bonne gouvernance politique et la transparence administrative dans le cadre de la IVe République.

Les droits fondamentaux

L’emprisonnement de quelques opposants non corrompus, les arrestations arbitraires des journalistes respectueux de la déontologie et des acteurs intègres de la société civile, la partialité de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), les injustices sociales et le clanisme dans la gestion de la chose publique amplifient davantage la crise constitutionnelle et institutionnelle en cours. 

Le non-respect de droits fondamentaux ne cesse donc d’hypothéquer l’avenir du pays. Les violations des droits de l’Homme ainsi que des libertés publiques et démocratiques énoncés par la Constitution du 18 février 2006 et les traités internationaux dûment signés par la République Démocratique du Congo doivent être respectés par le Gouvernement pour sauvegarder la dignité de la personne humaine. 

De nouvelles dispositions doivent être adoptées pour combattre l’esclavage moderne, la traite humaine et l’exploitation sexuelle des plus faibles ou plus vulnérables. 

Un dispositif pénal fortement répressif doit être adopté en urgence dans le but de punir les auteurs des violences sexuelles dont sont cruellement victimes les femmes et les enfants.

Toutefois, après le temps des guerres, il est nécessaire de bâtir la paix des cœurs. 

Malgré les atrocités commises sur le territoire national, le Gouvernement congolais doit saisir le Parlement d’une demande d’abolition de la peine de mort pour tous les crimes et d’une demande d’inscription sur les textes pénaux de la condamnation à perpétuité à l’encontre des criminels.

La cohésion nationale

Pour permettre la réconciliation nationale, il faudra une dimension humaniste. En conséquence, le fait de rendre caduque la loi d’amnistie pour faits de guerre et insurrectionnels permettra, d’une part, aux tribunaux locaux de juger les auteurs de crimes de guerre et crimes contre l’Humanité ayant violé l’article 52 de la Constitution du 18 février 2006 ; d’autre part, de garantir l’indemnisation des victimes. 

Ainsi sera-t-il important d’encourager la justice transitionnelle susceptible de s’atteler aux problèmes des crimes commis pendant et après les différentes guerres, en amont de toutes modalités pour la réconciliation intercommunautaire. 

Dans cette optique, il faudra aussi initier la mise en place d’un organe d’audit indépendant qui aura en charge l’enregistrement des plaintes pour violation des droits humains, dans le cadre de l’élaboration des plans d’action globaux pour la paix dans la partie orientale du pays, en collaboration étroite avec les instances internationales. 

Il faudra enfin instaurer un Tribunal Pénal pour la République Démocratique du Congo (TPRDC) et collaborer avec la Cour Pénale Internationale pour les cas qui relèvent de cette institution.

L’implication effective du souverain primaire

Le peuple congolais, dont les intérêts doivent obligatoirement primer, est condamné, en tant que souverain primaire, à prendre son destin en main. 

Par conséquent, il doit obliger l’autorité compétente à clarifier dans l’urgence la situation actuelle des parlements provinciaux concernés par le découpage territorial et du sénat au regard de la Constitution. 

Dans cette optique, les Congolaises et aux Congolais doivent consolider leur devoir de vigilance par rapport au respect des lois fondamentales de la République et à la non-modification des articles 101 alinéa 6, 104 alinéas 5 et 8, 197 alinéa 4 et 198 alinéa 2 relatifs aux élections des députés provinciaux, sénateurs et gouverneurs de provinces pour éviter l’introduction du suffrage universel indirect. 

De plus, le suffrage universel direct ne pourra que confirmer l’impopularité de la majorité présidentielle à l’issue des élections locales, régionales, provinciales et sénatoriales. Il va falloir assurer, dès maintenant, les chances de la victoire de l’opposition aux élections législatives et présidentielle de 2016.

Le peuple doit aussi obliger le Gouvernement à saisir la Cour Internationale de Justice (CIJ), s’il le faut, s’agissant des États impliqués dans les différentes tentatives de déstabilisation de la République Démocratique du Congo. 

En tout cas, Les Congolaises et les Congolais doivent contraindre les autorités à créer un Haut conseil de l’unité du pays, de la concorde politique et de la réconciliation nationale dans le but de réunifier et de réconcilier les populations.

Enfin, le peuple congolais doit agir « avec force et vigueur » pour que la démocratie soit réellement pratiquée et repose essentiellement sur l’affirmation de la liberté en tant que principe directeur de la société et de la justice comme socle des rapports entre l’État et les citoyens. 

Le Gouvernement devra renforcer le caractère participatif de la démocratie nationale dans le dessein de consolider l’appartenance à la communauté nationale et, par conséquent, de garantir l’harmonie sociale et la paix publique. 

Seuls un patriotisme sans faille et une réelle volonté politique garantiront un État de droit, la stabilité et l’indivisibilité de la République Démocratique du Congo.
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Gaspard-Hubert Lonsi Koko

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