mercredi 29 décembre 2010

Le sens caché des déclarations de Cardinal Monsengwo


Par  Le Potentiel
1. Les dernières déclarations de l’Archevêque de Kinshasa continuent à susciter l’étonnement de bien des observateurs de la scène politique congolaise.
• Le 13 octobre dernier, à Yamoussoukro, dans une interview à un journal burkinabè, le prélat déclarait ceci : « La Conférence nationale souveraine a fait un très beau travail. Nous avons 916 axes de la conférence portant sur tous les aspects de la vie nationale. C’est une mine de renseignements et on a eu tort de ne pas continuer sur sa lancée, mais je reste convaincu que c’est une mine qui pourra inspirer le pays plus tard et l’aider davantage. Il y en a qui n’étaient pas prêts à suivre la Conférence sur sa lancée et on a eu tort de faire continuer le pays dans une ligne contraire à celle de la Conférence nationale qui demandait que personne ne prenne jamais le pouvoir par les armes ; on l’a fait, et c’est un peu pour ça qu’on est en train de tourner en rond ». • Dernièrement, lors de sa messe des prémices (Kinshasa, 5 décembre 2010), l’Archevêque avait pontifié en ce sens : « En me conviant à servir dans la modestie, la simplicité et l’humilité, le peuple qui m’est confié, le Pape invite tous ceux et celles qui sont investis de l’autorité dans le pays au même souci du peuple. Il leur rappelle que l’autorité est au service du bien commun. Une autorité ou un pouvoir qui ne s’occupe pas en priorité du bien commun du peuple, mais de ses propres intérêts, est un pouvoir sans objet.»
• Aujourd’hui, à l’occasion de la fête de la Nativité (24-25 décembre 2010), il embraye sur la pédale et affirme, sans sourciller, que : « plutôt qu’une culture de la paix, c’est une culture de la guerre et de la violence qui est en vigueur dans notre pays. Toutes les dispositions sont prises et mises en place pour perpétuer la guerre, étant donné que celle-ci est favorisée par des intérêts partisans ». 2. Ces déclarations particulièrement graves, faites dans une période d’à peine douze semaines avec des dates synchronisées comme dans un calendrier liturgique, nous donnent davantage d’indications sur l’état d’esprit de leur auteur et sur la réalité des faits. 3. Qu’en est-il au juste ? Primo : Est-ce vrai que la RDC tourne en rond depuis la clôture en queue de poisson de la CNS ?
Il n’est pas honnête d’affirmer une telle chose. Tout le monde sait que la CNS n’a pas réussi à réconcilier les Congolais entre eux. Si son objectif était de poser les bases pour la Troisième République, dans un esprit de dialogue et de réconciliation, personne ne peut dire aujourd’hui que cela avait été atteint. Contrairement à que ce l’on dit, le Prélat, alors président de la CNS, porte une lourde responsabilité de cet échec, car c’est lui qui a protégé les intérêts des anciens dignitaires et empêché que le déballage se fasse. Il reconnaît lui-même l’échec de la réconciliation quand il déclare ce qui suit à la clôture de la CNS : « le rite de réconciliation prévu à l’occasion de la clôture ne pourra avoir lieu sans ce repentir et cette demande de pardon. (…) Nous n’avons rien vu venir »
Même les deux grandes décisions prises à l’unanimité, dans un semblant de réconciliation, à savoir, l’Acte constitutionnel de la transition et la Constitution de la Troisième République, sont restées lettres mortes. Aucune transition n’a été gérée par un acte de la CNS. Et la Constitution de la République Fédérale du Zaïre est classée, depuis son adoption, sur les rayons de la politique fiction.
Le Cardinal Laurent Monsengwo blâme la voie qui avait permis de renverser les logiques qui géraient le pouvoir d’Etat depuis plus de trente ans. Il oublie que c’est l’échec cuisant de la logique du Cirque de la CNS qui a fait le lit de la guerre de libération. Et cela en conformité avec le principe de la CNS selon lequel les citoyens ont le droit de s’opposer à tout régime despotique.
Il n’est pas honnête que ceux qui nous ont fait tourner en rond de 1990 à 1997 ne puissent pas voir que, grâce à la révolution-pardon, on a réussi à réconcilier le peuple et que grâce à la Constitution de 2006, on a réussi à organiser des élections démocratiques et à mettre ainsi fin à la crise de légitimité qui remontait à 1960. Ceux qui se prévalent des supposés succès et acquis de la CNS devraient aussi en assumer les échecs.
Secundo : Est-ce vrai que l’autorité ne se préoccupe pas du bien commun de la population congolaise ?
Nous aimerions bien savoir si l’affirmation du Cardinal, en rapport avec le souci du bien commun se limite à rappeler ou à évoquer un principe d’ordre général ou s’il s’agit d’une interpellation visant à dénoncer un comportement observé. Il n’est point besoin de longues démonstrations pour voir que l’intention de l’auteur est une dénonciation. Dans ce cas, il n’est pas honnête, d’une part, d’ignorer les efforts déployés par les autorités en vue d’assurer le bien commun au peuple : remboursement d’une dette odieuse dont sa génération fut parmi les meilleurs consommateurs, d’autre part, de fermer les yeux pour ne pas voir le lancement de l’ambitieux programme de Cinq Chantiers, le seul qui soit à même de faire briller la ville-poubelle de Kinshasa (Kinshasa, teleme ongenge !) ou de ne pas admettre la capacité, aujourd’hui avérée, de neutraliser tout nouveau foyer de trouble. Tertio : Est-ce vrai d’affirmer que la guerre et la violence sont devenues notre culture à nous les Congolais aujourd’hui ?
Si nous définissons la culture comme un « ensemble d’usages, de coutumes, de convictions partagées, de manières de voir et de faire qui caractérisent une société ou un groupe », en toute modestie, simplicité et humilité, il n’est pas honnête d’affirmer aujourd’hui que le peuple congolais cultive la guerre et la violence. Les Congolais sont réputés pour leur hospitalité. On ne peut se limiter au fait que certains acteurs politiques et religieux, notoirement connus, aient instrumentalisé des partisans à leur solde en vue de semer la haine et la violence dans tel ou tel coin de la République pour en inférer abusivement qu’une culture de la violence et de la haine se serait installée chez nous. Les trouble-fête sont connus et souvent bien accueillis, même en dehors du confessionnal, après avoir semé la désolation qui à Kinshasa, qui à Luozi, qui à Dongo, à Kikwit, à Walikale, à Makobola, à Nyunzu, à Kiwandja, Bunia, Kasika, Tshikapa, Nyunzu, Uvira, Kabeya Kamwanga, etc. Ceux qui ont abîmé le boulevard Lumumba en brûlant des pneus au niveau de la 10e et de la 12e rues sont célébrés avec fastes, au nom du dieu des armées !
S’agissant du mensonge, de la corruption, de l’injustice ou de la haine, faut-il honnêtement désigner le coupable dans un camp, alors que la charge de la transformation de la société incombe à toutes ses institutions. La persistance de ces anti-valeurs atteste que les Eglises, toutes tendances et dénominations confondues, se sont révélées incapables de réaliser une véritable conversion des cœurs. Ce qui rend plus difficile la tâche des autorités publiques qui se limitent au for extérieur, alors que le for intérieur est abandonné par ceux qui ont la prétention de prêcher les valeurs ?
Les historiens s’interrogent désormais sur le bilan de 100 ans d’évangélisation. A-t-on vraiment transformé le cœur de l’homme ? 4. La face cachée de ces déclarations
1. Connaître et comprendre le Cardinal Monsengwo
Incontestablement, l’Archevêque métropolitain de Kinshasa est un brillant théologien et un éminent exégète. Nous aurions eu une brillante école d’Exégètes africains s’il s’était attelé à former la relève. Ayant préféré la carrière des honneurs, il vient d’être couronné par son élévation au cardinalat. Il est au top. Cependant, son destin clanique ne le vouait pas au sacerdoce. En tant que «Modju», son terrain naturel c’est la politique. Malheureusement, la politique lui aura toujours joué de mauvais tours, alors qu’il déclarait en avoir plusieurs dans ses manches. A la CNS, il fut élu président grâce aux voix d’une société civile qu’il traita lui-même de corrompue, le 21 mai 1992. Le projet de société dont il avait rêvé a tourné court. Le HCR-PT, parlement gigantesque, dont il était le président ne nous a pas légué un corps de lois dont on se souvienne. Depuis la dernière transition issue des Accords de Sun City, son activité politique a été illustrée entre autres par : • l’organisation sans succès de la fronde scolaire en septembre de chaque année ; • la tentative de création d’une superstructure chargée de contrôler la CEI, à partir de la CENCO ; • la déclaration pour empêcher l’organisation des élections de juillet 2006 . • la tentative d’accréditation de faux résultats électoraux communiqués par Honoré Ngbanda.
2. Connaitre ses motivations
Quand on se réfère à ses différentes déclarations, on ne peut s’empêcher de constater que le Cardinal est constant et cohérent avec lui-même. Le mois de décembre 2010 étant celui de la rentrée politique générale, son accueil triomphal après l’investiture à Rome a constitué le moment liminal de lancement de ses activités politiques. C’est le moment que Tshisekedi avait choisi pour son Congrès et que Vital Kamerhe retiendra pour annoncer son reniement et la création de son parti. Le Cardinal est ainsi entré dans la danse qui transformera le « Triangle nucléaire » en « Carré magique ». La scène politique congolaise s’est enrichie d’un nouveau ténor. Mais il est bon de se rappeler que lors de dernières élections, l’Eglise de Kinshasa dont il avait galvanisé les zouaves n’avait pas réussi à faire élire des candidats des partis chrétiens.
Le prétexte qui a servi au Cardinal de faire le pont entre le spirituel et le temporel c’est le chant du psalmiste : « Amour et Vérité se rencontrent Justice et Paix s’embrassent Vérité germera de la terre Et des cieux se penchera la justice » (Ps 85, 11).
Mais, si vous n’avez pas les pieds sur terre, vous ne connaitrez pas la Vérité. Si vous ne connaissez pas la Vérité, les Cieux ne s’ouvriront pas pour vous. C’est en vain que vous convoquerez la Justice.
C’est à se demander si les trois récentes déclarations du Prélat kinois sont empreintes de simplicité, de modestie, d’humilité. C’est cela qui nous révèlera s’il s’agit d’une démarche prophétique ou simplement d’une rentrée politique. « Je ne vais pas me lancer dans la politique. La politique, c’est l’affaire des laïcs ». Le peuple n’est pas dupe !

JEAN-FRANÇOIS E. MUPOMPA Analyste politique

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire