PROPOS RECUEILLIS PAR FREDDY MULUMBA ET JOACHIM DIANA GIKUPA
10 Janvier 2011
interview
Le Potentiel s'est entretenu, une fois de plus, avec l'écrivain belge Ludo De Witte qui a publié aux Editions Karthala l'ouvrage « L'assassinat de Lumumba ». Ludo De Witte, un Flamand, qui a sillonné le monde. Il a eu accès aux archives. Pour le moment, de passage à Kinshasa, le Potentiel et L'Avenir se sont intéressés à lui.
Qu'est-ce qui justifie la présence, en ce moment, de Ludo De Witte à Kinshasa ? (F. Mulumba)
Je suis en RDC essentiellement pour préparer un nouveau livre. Je suis en train de préparer le complément de l'ouvrage sur l'assassinat de Lumumba. Un livre sur l'ascension de Mobutu (1964-1965) et le rôle de l'Occident dans la mise en scène de Mobutu. Pour cela, je réalise des interviews ici au pays avec des acteurs politiques qui étaient actifs à l'époque. Je suis aussi en train de tisser des liens avec le monde académique pour réfléchir à l'établissement d'un centre de recherche et de documentation sur le nationalisme congolais et africain. Auquel j'aimerais bien participer en mettant des archives à la disposition des chercheurs congolais. J'ai eu des difficultés pour chercher l'endroit où Lumumba a été exécuté. Mais, finalement, j'ai retrouvé cet endroit. Il faudrait quand même une contre-expertise avec des conclusions à la disposition des autorités congolaises.
Quand avez-vous commencé à mener ces démarches ? Et pourquoi Lumumba vous intéresse-t-il tant ? En outre, aujourd'hui, vous voulez participer à l'éclosion du nationalisme congolais au moment où, au Congo, des politiciens pensent que le nationalisme est dépassé car nous sommes dans la mondialisation. Qu'en pensez-vous ? (J. Diana)
J'ai commencé les recherches il y a 16 ans. A ce moment-là, j'avais plus d'attachement, d'intérêt pour le Congo et l'Afrique. J'ai eu la curiosité de lire un livre sur les événements de l'époque écrit par Jules Tchombé, un avocat belge, qui défendait la cause lumumbiste. Dans cet ouvrage, il essayait d'expliquer ce qui s'était passé ici. Et, à mon grand étonnement, j'ai pu constater que cet assassinat de Lumumba - un assassinat le plus important du 20ème siècle - n'était pas élucidé. Il y avait des trous énormes dans l'explication. C'est ainsi que j'ai commencé à étudier l'affaire en rassemblant les archives, surtout celles du fond bibliothécaire privé. Notamment aux Nations unies à New York pour examiner l'affaire. Et, finalement, j'ai pu avoir accès aux archives des Affaires étrangères. Ce qui m'a amené à élucider l'affaire en réfutant le fait que l'assassinat de Lumumba est une affaire des Bantous. Donc, c'est une affaire des Occidentaux qui, en collaboration avec certains Congolais, ont pu renverser le gouvernement congolais et organiser l'assassinat du Premier ministre lui-même.
Quant au nationalisme, je ne pense pas qu'il soit incompatible avec une approche avec le monde extérieur. Je crois que le nationalisme conçu par Lumumba était une tentative de mobiliser la population, d'avoir une autre organisation d'un peuple, d'inculquer et de stimuler la fierté, le dynamisme, la confiance en soi dans ce peuple. Et sur base de tout ceci, prendre en mains son propre sort. C'est l'essentiel du nationalisme de Lumumba. Il s'agit de développer le pays pour en faire un Etat-Nation intégré. Il n'est pas question seulement de construire des routes, comme à l'époque coloniale, qui servaient à transporter les richesses du pays vers le marché mondial mais développer vraiment le pays, intégrer les différentes régions et développer une sorte d'économie nationale. Cela implique, à mon avis, une certaine forme de nationalisme pour relever cette économie nationale. Mais il est clair que c'est avec des échanges avec le monde extérieur qu'il faut développer ce nationalisme. Je ne crois pas qu'il y ait contradiction. Mais si on ne développe pas ce nationalisme, si on n'a pas ce rapport des forces à l'intérieur du pays, je crois qu'on est un peu à la merci du capitalisme international. Et cela au détriment du peuple congolais.
A vous entendre parler, c'est comme si vous êtes de gauche. Est-ce que je me trompe ? (F. Mulumba)
Non. J'ai une approche progressiste. Le choix de mes recherches, c'est toujours une tentative pour élucider certaines pages noires dans l'histoire, c'est essayer d'expliquer et de mettre à nu les forces dominantes qui, en général, restent cachées, pas juste derrière les rideaux. Elles réagissent lorsqu'elles sentent que leurs enjeux stratégiques sont réellement en danger. C'est alors qu'on voit ce qu'elles sont prêtes à faire pour défendre leurs intérêts.
Et je crois que la crise congolaise en 1960 est née dès la constitution du gouvernement Lumumba. La Belgique a, alors, cru que toutes les richesses qu'elle avait acquises dans la colonie étaient en danger. Elle s'est battue bec et ongles jusqu'à planifier l'assassinat de Lumumba, un Premier ministre légalement élu.
On l'impression qu'il y a un règlement des comptes entre Francophones et Flamands dans la mesure où les richesses du Congo ont beaucoup plus profité aux premiers qu'aux seconds. Qu'en pensez-vous ? (F. Mulumba)
Je crois que ce n'est pas juste. Moi-même, je n'ai aucune ambition de jouer un rôle dans une politique de nationalisme flamand. D'ailleurs, il n'est pas vrai que ce sont les Wallons qui étaient dans la colonie au détriment des Flamands. Mais c'est l'élite belge, la classe dominante belge (la Société générale et les autres consortiums) qui en a profité. L'oeuvre coloniale n'était pas très populaire au sein de la population en Belgique. On avait une certaine méfiance envers ceux qui venaient exploiter les richesses du Congo. N'oubliez pas que, depuis 1960, le mouvement nationaliste prenait un essor et que le gouvernement belge était en train de se demander s'il devait intervenir militairement pour écraser ce mouvement. Un peu partout, en Belgique, il y avait des écris sur les murs tels que : « Pas un Franc, pas un soldat pour l'Union minière ». Et les syndicats belges avaient clairement dit qu'on ne pouvait pas envoyer des soldats belges intervenir au Congo.
On constate qu'après Lumumba, on a mis Laurent-Désiré Kabila pratiquement dans les mêmes conditions. Pourquoi cette constance dans les médias belges par rapport à ce qui sort du nationalisme congolais, à ceux qui cherchent avant tout le développement du Congo ? (J. Diana) Et on a l'impression que les Belges sont toujours à la base de malheurs du Congo. Vous avez dit dans votre ouvrage que ce sont les Belges qui sont à la base de l'assassinat de Lumumba. Lors de l'assassinat de Laurent-Désiré Kabila, la déclaration la plus fracassante est venue de la Belgique avec Louis Michel qui, semble-t-il, a sablé le champagne. Ne peut-on pas dire que les malheurs qui arrivent au Congo proviennent notamment de l'élite belge ? (F. Mulumba)
Je ne sais pas si on a pris le champagne à l'annonce de l'assassinat de L.-D Kabila. Mais il est vrai qu'au moment où Laurent-Désiré Kabila a été assassiné, la commission d'enquête parlementaire belge sur l'assassinat de Lumumba était en cours. Donc, au même moment qu'on était en train, soi-disant, d'élucider cet assassinat, les politiciens belges accordaient aux médias des interviews dans lesquelles il était tout à fait clair qu'ils cachaient difficilement les raisons pour lesquelles Laurent-Désiré Kabila était assassiné.
Je ne crois que la Belgique soit une exception. Et que les Français ou les Américains soient meilleurs que la Belgique. Il faut se référer à ce qui s'est passé au Rwanda. Et le fait que la France a transféré les milices hutu qui ont commis le génocide au Rwanda et dans l'Est du Congo, où les Américains ont soutenu le Rwanda et au moment où on accepte l'agression contre le Congo, le problème n'est pas caractériel d'un peuple spécifique (les Français, les Américains ou les Belges). Mais il s'agit d'un système de domination qu'il faut qualifier d'impérialiste, c'est-à-dire qu'il est question de contrôler les richesses du pays. Et ça, c'est aussi vrai pour les Américains, les Français que pour les Belges. Je crois que dire que les richesses du Congo sont comme, pour utiliser l'expression lancée par le ministre américains des affaires étrangères, « le pétrole est un produit trop stratégique pour le laisser entre les mains des Arabes ». Les classes dominantes de l'Occident croient que ce sont des produits stratégiques qu'on ne peut pas laisser entre les mains des Congolais, des Africains. Et quand il y a des dirigeants nationalistes qui veulent vraiment prendre en mains leur propre destin et mettre à la disposition des Congolais et des Africains leurs richesses. Alors, ils réagissent. Et c'est ce qu'ils veulent éviter. C'est vrai pour ce qui s'est passé en 1960 et pour ce qui se passe aujourd'hui.
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