lundi 23 mai 2011

L’état de la démocratie en Afrique

vingt ans après la chute du mur de Berlin

Le 9 novembre 1989, à 23 heures, le monde entier assiste stupéfait à la chute du mur de Berlin. Ce fameux mur de 155 km long et de 3,6 mètre de haut, bâti 28 ans plus tôt pour stopper l’immigration des Allemands de l’est vers l’ouest [1], séparait physiquement la ville de Berlin en deux (Berlin-est et Berlin-ouest). Mais loin d’un simple mur, le mur de Berlin était un symbole. Le symbole de la division du monde en deux blocs à savoir le bloc capitaliste et le bloc communiste, tous deux inscrits dans une guerre froide depuis 1947. La chute du mur de Berlin a donc été un évènement majeur dans l’histoire de l’Allemagne. Cet événement, les Allemands l’on appelé Die Wende "le tournant".
La destruction du mur de Berlin a également été un tournant dans l’histoire du monde. Elle a été le signe prémonitoire de la dislocation du bloc communiste et du déferlement de la démocratisation dans le monde et surtout en Afrique. En effet, depuis leur accession à l’indépendance, jusqu’à la chute du mur de Berlin, les États africains, n’ont connu que des systèmes dictatoriaux et totalitaires. Le contexte mondial marqué par la guerre froide le justifiait. Mais dès la fin de cette guerre dont la destruction du mur de Berlin en était le signe avant coureur, le vent de l’Est a soufflé sur le continent africain et les régimes dictatoriaux se sont effondrés pour laisser la place à la démocratie. Ce bouleversement dans l’establishment politique des États africains était d’autant plus obligatoire que le discours de la Baule de François Mitterrand l’exigeait. Une manière pour l’occident de convaincre les dictateurs africains que le monde avait changé et que seul les régimes qui se démocratiseront auront le soutien des puissances occidentales. C’est ainsi que les constitutions ont été révisées, les conférences nationales organisées et la transition démocratique mise en marche dans la grande majorité des États africains. Mais alors, quel bilan peut ont faire des vingt ans de démocratie en Afrique ? Autrement dit, quel est l’état actuel de la démocratie deux décennies après sa mise en œuvre sur le continent noir ? C’est à cette question que nous tenterons de répondre dans ce modeste travail.

1. Les causes de la démocratisation des pays africains
Pour mieux dresser le bilan de deux décennies de démocratie en Afrique, il importe d’abord de voir pourquoi et comment le vent de démocratie a soufflé sur l’Afrique.
1.1. La guerre froide
La guerre froide est incontestablement la cause lointaine mais fondamentale du déferlement du système démocratique sur le contient noir. Comment cela ? La seconde guerre mondiale qui s’achève en 1945 laisse paraître sur la scène politique mondiale deux grandes puissances, les Etats-Unis et l’URSS. Leur hégémonie se fonde sur le fait qu’ils avaient joué un rôle majeur et fondamental dans la défaite de l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler et des ses rêves de domination mondiale. Autrement dit, sans ces deux grands, l’Allemagne aurait très certainement remporté la guerre.
Ainsi, ces deux puissances, plus l’Angleterre, se retrouvent à Yalta en Crimée en février 1945 pour établir des plans afin de sauvegarder la paix après la guerre qui tendait à sa fin. Mais lorsque Franklin D. Roosevelt, Joseph Staline et Winston Churchill se réunissent à Yalta, "le sort de l’Europe est déjà scellé ." [2] Car affaibli sur tous les plans par six années de guerre, l’Europe est devenu une proie facile pour la conquête des deux super puissances. Staline réclame la moitié de l’Europe; c’est-à-dire l’ensemble des pays d’Europe de l’est que l’armée soviétique a libérée du nazisme à savoir la RDA, la Pologne, la tchécoslovaque, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Yougoslavie, et l’Albanie. Après la guerre, il y maintient ses troupes. Cela lui est accordé en échange de quelques ouvertures démocratiques. Mais il va plutôt imposer dans tous ces pays le système communiste avec des États totalitaires à partis uniques. Le pacte de Varsovie allie tous ces pays à l’URSS et les places sous sa sphère d’influence. Devant cette politique expansionniste et dictatoriale de Staline, Churchill prononce un discours à Fulton dans le Missouri en 1946. Il dit ceci : "De Stettin dans la Baltique jusqu'à Trieste dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États de l'Europe centrale et orientale. […] Des gouvernements policiers dominent dans presque tous les cas et, jusqu'à présent, à l'exception de la Tchécoslovaquie, il n'y a pas de vraie démocratie ." [3]
De leur côté, les États-unis, pour conquérir l’Europe et endiguer le communisme, accorde à tous ses pays en, 1947, un plan de reconstruction connu sous le nom de Plan Marshall [4]. Staline et l’ensemble des pays de l’Europe de l’est refusent cette offre dans lequel ils voient une visée impérialiste. Mais seize pays d’Europe (la France, l’Angleterre, la RFA, l’Autriche, le Benelux, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, les pays scandinaves, le Portugal, la Suisse et la Turquie) accepteront l’offre américaine et se s’inscriront de fait dans le bloc occidental caractérisé par la démocratie et le capitalisme.
Cependant, la dictature qui règne le bloc oriental soviétique pousse ses habitants, principalement ceux de la RDA, à fuir vers la RFA [5]. Ce qui aboutira à la construction du mur de Berlin en 1961 pour stopper cette migration qui prive le pays de main-d'œuvre et montre à la face du monde leur faible adhésion des Allemands au régime communiste. Avec ce mur, la division de l’Europe en deux est désormais matérialisée.
La guerre froide qui sévissait en Europe depuis 1947 va se répandre dans le reste du monde. L’URSS et les États-unis entrent alors dans une guerre idéologique et politique en vue de la conquête du monde. Le premier veut rependre le communisme et la dictature du prolétariat dans le monde tandis que le second veut rependre le capitalisme et la démocratie libérale. Ils s’affrontent par pays interposés de part le monde. Les théâtres des opérations se dérouleront principalement dans les pays en lutte pour l’indépendance afin que, une fois indépendant, le pays s’allie au bloc qui l’a aidé à acquérir son indépendance [6]. C’est ainsi que l’Afrique devient le nouveau champ de bataille de la guerre froide [7].
1.2. La généralisation des dictatures en Afrique
La quasi-totalité des pays africains, une fois indépendants, s’allient dans le bloc occidental puisque la grande majorité d’entre eux sont des ex-colonies des pays issus du bloc occidental, la France et l’Angleterre notamment. Cela étant, suite à l’expulsion des conseillers militaires soviétiques en Egypte par Anouar El-Sadate le en juillet 1972 et le basculement de ce pays dans le clan occidental, l’URSS va étendre guerre en Afrique en raison de la perte de son seul allié en Afrique. Elle décide de soutenir militairement, financièrement et diplomatiquement tous les mouvements révolutionnaires en lutte contre les nouveaux régimes pro capitaliste dont les indépendances sont factices. Elle va aussi ouvrir ses portes à tout gouvernement qui sollicitera son aide.
Ainsi, jusqu’à la fin de la guerre froide, de nombreux pays en Afrique sont officiellement procommunistes et adoptent le marxisme-léninisme comme politique. Il s’agit de l’Angola, de la Guinée-Bissau, du Mozambique, de l’Ethiopie, du Bénin, qui s’inscrivent de fait dans le bloc communiste. Dans ces pays, règnera, comme dans les régimes communistes d’Europe de l’est et de l’URSS, des dictatures totalitaires à parti unique. Les opposants seront écrasés, et la liberté d’expression quasi inexistante.
Mais paradoxalement, dans pays alliés du bloc capitaliste comme le Zaïre, il y règnera également des dictatures totalitaire à parti unique. Or le bloc capitaliste à la tête de laquelle se trouve les États-unis se veut démocratique. Comment comprendre alors que tous les pays proaméricains et pro occidental d’Afrique comme le Zaïre, le Cameroun ou la Côte d’Ivoire, pratiquaient des dictatures totalitaires et non la démocratie qui était pratiquée dans les pays d’Europe de l’ouest qui étaient eux aussi proaméricains et pro-occidental ?
La raison est liée au principe de la guerre froide qui était une lutte entre les États-unis et l’URSS pour la conquête géopolitique, économique et idéologique des pays du monde. Ainsi, reste que ce rapport de force favorisera un statut quo dans la mesure où il fallait tout faire pour qu’un pays tombé sous l’influence d’une sphère ne bascule pas l’autre. Ce qui va maintenir à la tête des États des régimes forts, quand bien même il s’agira des États sous la sphère d’influence américaine. Car les Américains, par essence démocrates, vont soutenir des régimes dictatoriaux dans le monde non seulement pour des intérêts économiques, mais aussi pour que ces pays ne tombent sous l’influence soviétique.
Le Congo ex-Zaïre est l’exemple le plus édifiant en Afrique de cette situation paradoxale. Le leader de son indépendance, Patrice Lumumba, a simplement été suspecté d’être un communiste par la CIA et a été assassiné le 17 janvier 1961. Quatre ans plus tard, Mobutu s’est emparé du pouvoir par un coup d’état avec la bénédiction des Américains et des Belges. Le pays s’est dès lors classé officiellement du côté du bloc occidental. Sa fidélité aux Américains, aux Belges et aux Français lui fera passé trente deux ans de règne sans partage à la tête du Zaïre. Il instaurera une des dictatures les plus sanglantes du continent noir tout au long de son règne. Mais malgré la brutalité, la sauvagerie, la gabegie, la corruption et l’absolutisme de son régime, ses alliés occidentaux ne lui en tiendront pas rigueur, du moins, durant toute la période de la guerre froide. Pire, ils le soutiendront politiquement et militairement au cours des multiples tentatives de renversement que son régime subira. Le principe était simple : éviter que le Zaïre ne tombe entre les mains des soviétiques.
Comme le Zaïre, presque tous les pays africains sont restés fidèles au bloc occidental parce qu’étant en majorité des ex colonies françaises et anglaises. Ainsi, pendant toute la période de la guerre froide, "dans la plupart des États décolonisés règne la dictature de militaires ou des bourgeoisies compradores."[8] C’est le règne du parti unique et de l’anéantissement de toute forme d’opposition. Partout, les libertés et les droits de l’homme sont bafoués. L’État peut tout faire, à condition de rester fidèle à l’un ou l’autre bloc en guerre.
En 1989, la guerre froide tant à s’achever avec la chute du mur de Berlin. La RDA revendique plus d’ouvertures démocratiques après tant de décennies de dictature, tout comme l’ensemble des pays d’Europe de l’Est sous l’emprise soviétique : c’est le vent de l’Est. Ces revendications sont d’autant plus opportunes que Gorbatchev, nouveau maître de l’URSS depuis 1985, est pour les changements démocratiques en Europe de l’Est et en URSS Il sera favorable à l’autodétermination des pays satellites de l’URSS ainsi qu’à l’octroie des libertés individuelles au sein même de la Russie. Il en a fait son cheval de bataille avec sa fameuse Perestroïka (restructuration) et sa Glasnost (transparence). Mais ce vent de l’Est s’étendra aussi en Afrique dont les populations souffrent depuis des décennies de l’oppression des régimes dictatoriaux et tyranniques sous le couvert de la guerre froide. Il sera donc demandé aux pays africains d’adopter la démocratie.
1.3. Le discours de la Baule
Le 20 juin 1990, à la Baule, François Mitterrand fait une allocution a l'occasion de la séance solennelle d'ouverture de la 16ème conférence des chefs d'État de France et d'Afrique. Il s’adresse aux chefs d’États africains en rappelant d’abord les grands chambardements révolutionnaires ayant émaillé la vie politique en Europe centrale et oriental à partir de 1989, et ayant balayé les dictatures qui y sévissaient depuis les lendemains de la seconde guerre mondiale. Il affirme aussi que ces bouleversements sont irréversibles et vont continuer en se répandant dans le monde entier au nom de la démocratie.
"Il nous faut parler de démocratie. C'est un principe universel qui vient d'apparaître aux peuples de l'Europe centrale comme une évidence absolue au point qu'en l'espace de quelques semaines, les régimes, considérés comme les plus forts, ont été bouleversés. Le peuple était dans les rues, sur les places et le pouvoir ancien sentant sa fragilité, cessait toute résistance comme s'il était déjà, et depuis longtemps, vidé de substance et qu'il le savait. Et cette révolution des peuples, la plus importante que l'on eut connue depuis la Révolution française de 1789, va continuer. […] Il faut bien se dire que ce souffle fera le tour de la planète" [9], affirme-t-il.
Par la suite, il parle de la nécessité de la démocratie pour le développement des pays africains et exhorte ses chefs d’États à se mettre sur le chemin de ce système de gouvernance qui s’impose désormais à tous. "Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c'est la seule façon de parvenir à un état d'équilibre au moment où apparaît la nécessité d'une plus grande liberté, j'ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons. Nous en avons discuté plusieurs fois et hier soir encore en particulier. Et, si je me sentais plus facilement d'accord avec ceux d'entre vous qui définissaient un statut politique proche de celui auquel je suis habitué, je comprenais bien les raisons de ceux qui estimaient que leurs pays ou que leurs peuples n'étaient pas prêts. Alors qui tranchera ? Je crois qu'on pourra trancher en disant que de toute façon, c'est la direction qu'il faut prendre. Puis-je me permettre de vous dire que c'est la direction qu'il faut suivre. Je vous parle comme un citoyen du monde à d'autres citoyens du monde : c'est le chemin de la liberté sur lequel vous avancerez en même temps que vous avancerez sur le chemin du développement", [10] ajoute-il sans nuance aucune.

Ce discours est donc à coup sûr un appel à tous les chefs d’États africains encore austère aux réformes démocratiques à changer d’avis et de politique. Si cet appel leur vient de la France qui leur a toujours soutenu dans leur dictature pendant la période de la guerre froide, il faut comprendre que le monde avait changé et que le vent de démocratisation s’imposait à tous, et à la France elle-même. Aussi, avec la dislocation de l’URSS en décembre 1991, le monde entier comprendra que c’est la fin définitive de la guerre froide. Les États-unis vont rester désormais la seule grande puissance et on sera désormais en présence d’un monde unipolaire et non plus bipolaire. Ils vont imposer la démocratie et le capitalisme au reste du monde. L’Afrique n’échappera pas à cette logique. Pour tout dire, à la faveur de la guerre froide, les États africains, qu’ils ai été du bloc capitaliste ou communiste, adoptèrent des régimes autoritaires au mépris des droits de l’Homme. Avec la chute du mur de Berlin et le vent de l’est, ces régimes vont être contrains de se démocratiser.

2. La démocratisation des États africains
Au début de l’année 1990, le vent de l’Est qui souffle en Europe et le discours de La Baule de François Mitterrand donnent aux peuples africains l’espoir de l’avènement sur le continent noir d’une société plus juste et plus démocratique. Cela dit, "l’année 1990 marque le début de la démocratisation en Afrique, avec la tenue de conférences nationales censées consacrer la rupture avec un passé politique dominé par des régimes de parti unique , fait de violence et de sang ." [11]
2.1. Pressions et répressions
Comme pour leur indépendance, les peuples africains vont être obligés de lutter pour la démocratie. En effet, "le processus de démocratisation a été en effet émaillé de violences inouïes." [12] C’est dire que les populations ont usé de toutes les formes traditionnelles et inédites de contestation populaire de l'autorité politique pour se faire entendre : grèves, actes de vandalisme, villes mortes et même rebellions armées. C’est le cas des villes mortes au Cameroun, du génocide au Rwanda, de la rébellion armée R.D.C., des guerres civiles au Burundi et dans les deux Congo, des coups d’Etat en Centrafrique et à Sao Tomé et Principe. Les victimes seront nombreux : plus de 700 000 morts au Rwanda, plus de 300 000 en Angola, 106 morts et 708 blessés au Mali, au moins 500 mort au Zaïre (actuelle R.D.C., des dizaines de millier de mort au Burundi, près d’une cinquantaine au Cameroun, pour ne citer que ceux-là.
C’est dont au prix de longues luttes et de dures sacrifices que les ouvertures démocratiques ont été acquises. Pour cause, la démocratisation n’était pas du goût des dirigeants africains à l’époque. Car elle signifiait élections libres et transparences, et donc leur départ du pouvoir. De plus, se lancer dans un système libéral signifiait l’ouverture de la société contrairement à celle fermée de la période dictatoriale. Une ouverture qui devait mettre au grand jour toutes les dérives des chefs d’État et de leurs régimes. A titre d’exemple, Francine Bitee explique qu’au Cameroun, "cette transition démocratique a été assez violente et difficile du fait de l'existence d'un régime monolithique basé sur le patriarcat, le clientélisme, la corruption et l'impunité ." [13]
Mais malgré le refus des régimes en place, malgré les répressions sanglantes, les chefs d’Etat d’Afrique seront obligés d’accepter les reformes constitutionnelles démocratiques et le multipartisme. Au Cameroun, la loi instaurant le multipartisme est promulgué le 5 décembre 1990 et le 19 du même mois, sont promulguées une trentaine de lois relatives à la liberté de communication sociale, d’association, de réunion et de manifestations publiques.
Toutefois, si les chefs d’État finissent par céder, c’est non seulement en raison des pressions internes, mais aussi et surtout des pressions externes. L’Occident, à la tête de la quelles se trouvait les Etats-Unis, imposait la démocratie à tous les pays et ne devait plus accorder d’aide à un seul pays qui ne s’était pas démocratisé. Il en sera de même pour l’ensemble des pays riches et des institutions financières internationales qui accorderont des prêts à la condition des bonnes conduites démocratiques. Cela étant, Mobutu, qui avait été le protégé des Etats-Unis pendant toute la guerre froide, sera lâché par son allié d’hier. Pire, suite à son refus de démocratiser son pays et de négocier avec la rébellion de Laurent Désiré Kabila, Bill Clinton enverra son envoyé spécial, Bill Richardson, lui donner l’ultimatum suivant : "vous quittez le pouvoir ou bien vous allez mourir… votre cadavre sera traîné dans les rues de Kinshasa…" [14]
Le principe de la démocratisation étant acquis, place aux conférences nationales.
2.1. Les conférences nationales
Il s’agissait des débats de société devant poser les bases de la transition démocratique. Ainsi, de l’avis de Fabien Eboussi Boulaga, "l’exigence de la percée que représente la conférence nationale est double : elle déconstruit et reconstruit tout à la fois."[15] Elle déconstruit l’ordre despotique qui existait et reconstruit un nouvelle ordre qui se veut démocratique.
Mais les conférences nationales n’auront pas lieu dans tous les pays. En effet, "pour s’adapter au nouvel environnement politique international et créer un espace politique national désormais ouvert à tous, les Africains du Centre ont emprunté trois itinéraires différents."[16] On aura la lutte armée (Rwanda, Tchad), le passage au multipartisme de fait par l’application de la Constitution ou d’une loi spécifique (Cameroun, Burundi), l’organisation de référendums (Guinée Equatoriale, Ghana, Madagascar, Mauritanie).
Pour ce qui est des conférences nationales, elles seront acceptées dans certains pays et refusées dans d’autres. Elles seront effectives au Bénin, en Ethiopie, au Gabon, au Mali, au Niger, au Zaïre (actuelle R.D.C.), au Tchad, au Togo... Par contre, Lansana Conté les refusera en Guinée Conakry, ainsi que Blaise Compaoré au Burkina, et Paul Biya au Cameroun. Au Cameroun, à la place de la conférence nationale refusée, on assistera à une conférence tripartites regroupant le gouvernement, l’opposition et la société civile. Comme on le sait, la montagne accouchera d’une sourie.
Pour les pays où elles été organisées, les conférences nationales ont donné lieu à des débats de société où les régimes en place étaient jugés. Bref, ces régimes étaient face à des sortes de tribunaux populaires où ils devaient rendre compte de leur gestion calamiteuses de la chose publique. C’est très probablement pour cette raison que beaucoup de chefs d’Etat les ont refusée ou esquivées. Mobutu avait accepté la tenue de ce débat de société au Zaïre mais a mis un terme peu après à son déroulement au vue des critiques sévères et des jugements négatifs qu’il subissait.
Pour tout dire, c’est au prix de luttes parfois sanglantes que les peuples africains ont acquis des ouvertures démocratiques aux débuts des années 1990. Quel bilan peut-on faire de cela vingt ans plus tard ?

3. Le bilan de vingt ans de démocratie
Globalement, on peut dire que malgré les conférences nationales et les autres moyens qui ont permis aux africains d’accéder à la démocratie, celle-ci reste purement formelle deux décennies plus tard.
3.1. L’alternance dans la continuité
L’alternance qui est un des principes fondeurs de la démocratie est de plus en plus effective sur le continent noir. Sur 53 États, 38 ont des chefs d’États ayant passé au maximum dix ans à la magistrature suprême, soit 71%. Cela signifie que 71% des chefs d’États actuellement au pouvoir en Afrique n’y étaient pas il y a vingt ans, au moment où le vent de démocratie soufflait sur le continent. De même, ils n’étaient pas également là il y a dix ans. Les 15 autres chefs d’États en fonction actuellement ont plus de dix ans de mandature, soit 29 %. Le record est détenu par le Colonel Mouammar Kadhafi (40 ans). Il suivit de Téodoro Obiang Nguema Mbazogo (30 ans), et de Paul Biya (27 ans).
Mais les alternances qui s’observent sur le continent sont-elles des alternances démocratiques et est-ce qu’elles assurent le progrès et le changement ? Pas toujours. Des coup d’État continuent a sévir sur le continent. Depuis 1952, environ 66 coup d’État ont été perpétrés en Afrique, soit plus d’un par an [17]. En 1999, dix ans après l’avènement de la démocratie, l’OUA a proscrit les coups d’État. "Cette même année, les militaires ont renversé les gouvernements au Niger, en Sierra Leone, au Comores et en Côte d’Ivoire."[18] Aussi, toujours en Côte d’Ivoire, l’année suivante, en 2000, un autre coup d’État tentera de renverser Laurent Gbagbo, démocratiquement élu pourtant. En 2003, c’est également un coup de force qui portera François Bozizé au pouvoir en Centrafrique. En 2008, un putsch portera une junte au pouvoir en Mauritanie ainsi qu’en Guinée Conakry en 2009. En tout, depuis 1989, environ 20 coups d’État ont eu lieu sur le continent, soit environ un tous les ans. C’est dire que beaucoup des chefs d’États actuellement en poste ne le sont pas toujours de façon démocratique. En outre, quand ce ne sont pas des chefs d’États qui sont déchus, on assiste à des coups d’État constitutionnels. Les constitutions sont modifiées pour permettre aux dirigeants de s’éterniser au pouvoir (Cameroun, Algérie, Niger,…)
D’autre part, malgré les multiples alternances, le progrès et le changement ne suivent pas véritablement. L’avènement d’Abdoulaye Wade à la tête du Sénégal par les urnes en 2000 avait suscité beaucoup d’espoir et de fierté pour la démocratie africaine. Mais depuis lors, il est de plus en plus critiqué pour les nombreuses dérives qu’il a commet, notamment celle de vouloir préparer son fils, Karim Wade, pour sa succession. Donc, quand on quitte d’un chef d’État à un autre, il n’y a, ni dans le mode de gestion de la nation, ni dans les conditions de vie des populations, un changement fondamental. Le nouveau président use des techniques employées par son prédécesseur et l’ordre établi se poursuit. Un ordre où règnent et perdurent la corruption généralisée, le pillage des biens publics, le tribalisme, la violence, l’impunité, etc.
3.2. Des élections frauduleuses
"On n’organise pas des élections pour les perdre" [19], disait le président Denis Sassou Nguessou. Tel est le principe qui guide l’organisation des élections en Afrique. En effet, depuis le retour de la démocratie au début des années 1990, les élections multipartites ont cours sur le continent noir. C’est généralement par la voie des urnes que les chefs d’État sont au pouvoir. Quand bien même ils ils prennent le pouvoir par des putschs, ils sont contrains d’organiser de élections pour se donner une certaine légitimité au plan international. Ce qui est un point positif pour ces vingt années de démocratie en Afrique.
Mais les chefs d’État ont trouvé une solution pour continuer se maintenir au pouvoir même par les élections et malgré leur impopularité : la fraude. Elle émaille pratiquement toutes les élections en Afrique et rare sont celles qui ne sont pas contestées du fait de la fraude. Plusieurs pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Togo ou Madagascar ont été secoués par de violentes émeutes post-électorales ces deux derniers décennies.
Les élections sont donc de véritables mascarades savamment orchestrées. Le Cameroun est un exemple. La dernière élection présidentielle de 2004 a laissé voir des cas de fraude : des charters d’électeurs organisés à l’ouest, des retentions de résultats, des encres délébiles, des électeurs corrompus, etc.[20] De même, les élections législatives et municipales de 2007 n’ont pas échappé à la fraude devenue institutionnelle. Cette situation de fraude permanente a pu faire dire à Boubakar Barry que "le Cameroun souffre de n’avoir jamais pu se donner librement les institutions et les dirigeants de son choix. Les lois et les pratiques électorales sont pleines d’incohérences…"[21] Cette lecture propre au Cameroun est le reflet de l’ensemble des pays africains comme l’explique Achille Mbembé : "dans la plupart des cas, les Africains ne sont toujours pas à même de choisir librement leurs dirigeants. Trop de pays sont toujours à la merci de satrapes dont l’objectif unique est de rester au pouvoir à vie. Du coup, la plupart des élections sont truquées ."[22]
A ces fraudes, il faut ajouter le fait que des présidents au pouvoir sont très souvent élus non pas suite à la présentation de programmes politiques solides et fiables, mais suite au népotisme et au clientélisme politique. De l’argent et autre biens matériels sont distribués aux citoyens pour solliciter leurs voix. Au Cameroun, des gens votent même pour le prix de 1000 f CFA. Ainsi les populations appauvries s’en remettent à leurs bourreaux comme des moutons à leur berger.
Bref, malgré les alternances électorales, il faut dire que beaucoup de chefs d’État qui y sont issus le sont au prix de la fraude électorale, bien qu’on observe ça et là des cas d’élection sans trucage ou du moins sans contestation post-électorales (Afrique du Sud, Ghana, Bénin etc…)
3.3. Les violations des droits de l’Homme
Le fait majeur qui ternit l’image de la démocratie en Afrique est la violation des droits de l’Homme.  Toutefois, il faut d’abord reconnaître sur plan du respect des droits de l’Homme que l’Afrique a connu beaucoup de progrès au regard de ce qui se déroulait avant l’avènement de la démocratie. Au Cameroun par exemple, la liberté d’expression a fait beaucoup de progrès. Les gens parlent librement bien que de temps en temps cette liberté est confisquée [23]. Elle est confisquée parfois, pour ce qui est des médias, grâce à un stratagème bien ficelé. En effet, au Cameroun, le gouvernement autorise les médias de l’audiovisuel à émettre même sans avoir reçu de licence. Une fois qu’un média fait ce n’est pas du goût du gouvernement, il est scellé sous le prétexte d’exercice illégal [24].
Par ailleurs, à ce jour, on assiste encore en Afrique à des tueries sommaires. le cas le plus récent est celui des massacres ayant eu lieu en Guinée Conakry avec près de 150 morts. Une boucherie orchestrée par l’armée contre des populations qui manifestaient contre la candidature de Moussa Dadis Camara à la prochaine élection présidentielle.
En fait, en Afrique, on a l’impression que le rôle véritable de l’armée est de réprimer les révoltes sociales. Tout comme l’administration pendant la période coloniale, les gouvernements africains se servent de l’armée "pour réprimer les manifestations ou les grévistes…" [25] cela dit, voici quelques missions officieuses de l’armée en Afrique :
  • "La conservation du pouvoir au profit des puissances étrangères, des multinationales (Elf, Bolloré, Shell, etc.) ou des groupes maffieux et de leurs suppôts locaux, les clans ethnicisés qui s’accaparent des richesses nationales.
     
  • La confiscation des prérogatives de l’État au profit d’un groupe clientélisé, y compris par l’usage des méthodes frisant le terrorisme.
     
  • Les intimidations diverses, qu’il s’agisse de la presse muselée, des écoutes téléphoniques, des menaces verbales et tracasseries administratives, des entraves à la libre circulation des personnes et des biens, d’établissement des "bouchons" pour rançonner les populations, comme on l’observe au Congo Brazzaville depuis 1994 sur les 77 km qui séparent Brazzaville de Kinkala et sur les 60 km de Brazzaville à Gamboma.
     
  • Le bouclage militaire des régions entières au mépris du bien-être des populations qui se trouvent privées de tout : nourriture, logement, santé, éducation, emploi, liberté d’aller et venir,etc." . [26]

La raison est que l’État en Afrique est resté essentiellement répressif envers ses contestataires. En conséquence, "tout opposant au pouvoir, même respectueux de la légalité, devient un danger à neutraliser et à réprimer, sous le prétexte, abusif mais largement invoqué, de la défense de la nation, s’il n’est pas taxé d’”ennemi intérieur à la solde d’une puissance étrangère“[27] ." Ainsi, d’après le rapport Fidh de novembre 2005, "les exemples de violations des droits de l’Homme dans le cadre ou au nom de la lutte contre le terrorisme sont en effet nombreux sur le continent africain." [28] Le 22 juin 2003, 5 personnes suspectées d’être membres d’al-Qa’ida ont été arrêtées par des agents des services secrets malawites et détenues au secret sans possibilité d’accès à un avocat.
De même, les émeutes de la faim en 2008 ont causé des centaines de morts en Afrique. En effet, à ce sujet, le rapport Amnesty 2009 pose le constat suivant :
"La crise alimentaire qui a marqué l’année 2008 en Afrique a eu un impact disproportionné sur les populations vulnérables, surtout celles qui souffraient déjà de la pauvreté. À travers tout le continent, les citoyens ont manifesté contre une situation socioéconomique insupportable et la flambée du coût de la vie. Certaines manifestations ont dégénéré et des biens privés et publics ont été détruits ; de leur côté, les autorités ont souvent fait usage d’une force excessive pour les réprimer. Un grand nombre de personnes qui affirmaient leur droit à un niveau de vie décent et, notamment, leur droit à l’alimentation ont été blessées ou tuées par les forces de sécurité. Des manifestants ont été arbitrairement arrêtés et placés en détention, et certains ont été maltraités ou condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables. Dans la plupart des cas, aucune enquête n’a été menée pour identifier les membres des forces de sécurité qui avaient porté atteinte aux droits humains pendant les opérations de maintien de l’ordre liées aux manifestations ." [29]

Toutes ces violations des droits de l’Homme se basent sur le prétexte du maintien de l’ordre. Mais n’est-ce- qu’en tuant des gens que l’on peut contenir une révolte ?
Bref, les droits de l’Homme en Afrique restent encore globalement du domaine du rêve. Leur violation qui se faisait autrefois de manière ostentatoire et dans un sentiment total d’impunité se font de nos jours, avec l’avènement de démocratie, sur la base de prétextes.

3.4. L’exception ghanéenne
Un pays en Afrique noire sert aujourd’hui de model dans la bonne marche de la démocratie, le Ghana.
En effet, l’élection de John Atta-Mills en janvier 2009 à la tête du Ghana à la place de John Kufuor a définitivement confirmé la bonne marche de la démocratie dans ce pays. Il n’y a pas eu là bas de traficotage de la constitution comme dans d’autres sur le continent pour rester au pouvoir. Les urnes n’ont pas été déplacées par des militaires zélés comme dans le Togo voisin. De plus, on n’y a pas observé des intimidations diverses des partis d’opposition. Les recomptages et des re-votes ont eu lieu avant la proclamation définitive des résultats. Le ministère de l’intérieur n’a pas unilatéralement déclaré la victoire du parti au pouvoir tout en intimidant le comité électoral indépendant comme c’est souvent le cas au Cameroun. Aussi, les listes électorales ont été préparées à temps et sous le contrôle des partis en compétition. En outre, il n’a pas fallut qu’un chef d’État occidental dise aux Ghanéens s’ils sont mûrs pour la démocratie, ou que les résultats officiels soient annoncés par un chef d’État occidental avant les autorités locales. Aussi, il n’a pas fallut "que certains pays fassent pression avec l’aide bilatérale sur les candidats pour qu’ils se désistent ou encore que les corrupteurs s’attirent les faveurs des réseaux des chefs d’État pour que ces derniers fassent main basse sur les élections en Afrique."[30] Bref, les Ghanéens, peuple pacifique, ont fait honneur à Kwame N’Krumah, père de l’indépendance Ghanéenne, à Jerry Rawlings, père de la démocratie Ghanéenne, et à l’Afrique, berceau de l’Humanité de et de la civilisation.
Naturellement, le succès de la démocratie Ghanéenne a des effets sur son économie. En effet, pendant les huit années passées sous la présidence de John Kufuor, le PIB par habitant du Ghana a augmenté et est passé de 269 $US en moyenne entre 1997-2002 à 328 $ US en 2007, avec des estimations autour de 341 pour 2008 et 352 $ US en 2009. Avec un taux de croissance économique estimé autour de 6,5 % pour 2008 et 5,8 % en 2009, il ne baissera vraisemblablement que d’un point au maximum malgré la crise économique. Ainsi, "le Ghana de John Kufuor sort la tête haute grâce à la discipline des Ghanéens et leur sens aigu et légendaire de la paix et de l’unité ."[31]
Pour tout dire, en vingt ans, de manière générale, la démocratie en Afrique n’a pas comblé les attentes des peuples africains qui aspiraient depuis très longtemps à la liberté et au changement. Elle est plus théorique que pratique. Alors comment expliquer cet échec et comment y remédier ?

4. Perspective d’avenir
Si l’Afrique échoue dans sa lutte pour la démocratie, il faut dire que c’est d’abord la faute de l’occident. Autrement dit, ne voir dans l’échec de la démocratie en Afrique la seule responsabilité de ses dirigeants serait faire preuve d’une myopie politique.
4.1. La complicité de l’Occident
L’Occident ne saurait admettre une démocratisation véritable de l’Afrique car une telle situation lui fera perdre sa main mise sur les richesses du continent noir qu’il ne cesse de convoiter et d’exploiter depuis des siècles. En effet, "Il n’est pas exagéré de dire, dans ces conditions, que les peuples [d’Afrique] sont empêtrés, partout, dans les engrenages d’un complot très ancien et très subtil, dont le dessein est de les maintenir dans un état éternel d’infériorité, de dépendance et servitude ."[32]
En fait, une démocratie réelle amènerait à la tête des États africains des présidents légitimes dont la mission serait d’assurer le bien-être des populations africaines qui leurs ont donné mandat en fonction des programmes politiques qu’elles ont acceptées. Or si les chefs d’Etat luttent pour la défense des intérêts des masses, ils se confronteront forcement aux intérêts de l’occident sur le continent noir. Les retombées des richesses du sol et du sous-sol africain profiteront à son peuple et non plus aux puissances étrangères comme c’est le cas depuis des siècles. Voilà pourquoi, depuis toujours, l’Occident ne cesse de fomenter l’assassinat des leaders africains qui se soucient du progrès de leurs pays, quand bien même ceux-ci sont démocratiquement élus ou soutenus par les masses : Ruben Um Nyobé en 1958, Félix Roland Moumié en 1960, Patrice Emery Lumumba en 1961, Kwamé Nkruma en 1972, Thomas Sankara en 1987, Laurent Désiré Kabila en 2001,… Par contre, ils ne cessent d’apporter leur soutien aux régimes dictatoriaux et corrompus du continent parce que ceux-ci sont plus soumis à leur volonté. Ainsi, "dans leur proclamation en faveur de la démocratisation, les bailleurs de fonds omettent leur propre responsabilité dans le maintien de pouvoirs autoritaires en Afrique ."[33]
Pour de nombreux intellectuels à l’instar d’Achille Mbembé, la France est l’un de ces pays de l’Occident qui voient d’un mauvais œil la démocratisation réelle du continent africain. Dans une interview en 2008, il explique : "elle (la France) ne l’accepte (la démocratie en Afrique) que du bout des lèvres. Dans son pré carré, elle s’y oppose farouchement et avec ténacité depuis 1960, n’hésitant pas, le cas échéant, à recourir à l’assassinat et à la corruption" [34]. Cela parce que, "depuis leur indépendance, la France continue d’être attachée au destin de ses anciennes colonies d’Afrique."[35] En fait, "le but recherché est non seulement de poursuivre l’exploitation du continent"[36], mais aussi de perpétuer l’hégémonie de la France en Afrique.
La complicité de l’Occident dans la débâcle de la démocratie en Afrique est donc avéré et n’est pas à négligée dans la recherche des solutions.
4.2. La démocratie qu’il nous faut
Si vingt ans plus tard la démocratie n’arrive pas à se mettre en marche effectivement en Afrique, ce n’est pas parce que les africains ne sont pas murs pour elle comme l’avait dit Jacques Chirac. C’est parce qu’il est des forces internes et externes qui agissent contre la démocratisation du continent noir.
Cependant, ce n’est pas le model occidental de la démocratie qu’il nous faut. Car si nous échouons, c’est aussi quelque part parce que nous voulons imiter à la lettre la démocratie occidentale que nous plaçons comme idéal alors que les contextes ne sont pas les mêmes. Car avant que la démocratie ne se pose et ne progresse, les bases économiques de son développement étaient déjà posées. Or les bases économiques du développement de l’Afrique ne sont pas encore posées à l’exception de quelques pays.
L’Occident impose à l’Afrique une démocratie libérale pourtant inadaptée à ses réalités. En effet, la démocratie libérale est une démocratie capitaliste qui demande, pour être mieux réalisée, un niveau relativement élevé de moyen économique. Nos économies sont pourtant faibles. La grande majorité des populations africaines sont pauvres de même que les États.
Ce qu’il nous faut c’est donc une démocratie populaire inspiré du model chinois. Car la chine a prouvé au monde qu’on n’a pas nécessairement besoin de copier la démocratie occidentale pour se développer. Cela dit, il s’agit donc d’une démocratie des masses laborieuses où les intérêts des pauvres seront pris en compte avant les intérêts des particuliers. Car comme le disait Laurent Gbagbo, l’Afrique est le continent qui a le plus besoin de socialisme.
A la tête de ces démocraties, devrait exister une dictature éclairée et non sanguinaire et autocratique comme c’est le cas sur le continent africain. Pourquoi une dictature éclairée ? Parce que le taux d’analphabétisme est très élevé en Afrique et donc, les masses ne sont pas instruites. Les populations ne peuvent donc pas facilement savoir où est leur bien. Seuls des individus éclairés, cultivés et nationalistes peuvent mieux savoir comment orienter les peuples vers leur bien-être. Aussi, les chefs d’État africains ont prouvé jusqu’ici qu’ils sont très souvent des ignorants, voire des incultes, au regard des décisions calamiteuses qu’ils prennent parfois. Incapables de penser par eux-mêmes, ils s’entourent de conseillers spéciaux occidentaux qui les dupent. Ils consultent des experts étrangers qui leurs proposent des solution inadaptées aux réalités africaines.
Les dirigeants éclairés dont nous parlons ici auront donc pour mission de prendre de bonnes décisions et de les imposer aux masses. De même, ils devront poser les bases de notre développement économique à savoir l’industrialisation massive, l’éducation obligatoire et gratuite des populations, la nationalisation des entreprises stratégiques, la constitution d’une armée forte, la réalisation de grands travaux de développement devant employer les jeunes, le protectionnisme sélectif, la subvention des initiatives privées, etc.
Par ailleurs, cette démocratie populaire devra éliminer le multipartisme. Car jusqu’ici, le multipartisme n’a apporté que le désordre en Afrique et a été instrumentalisé par les chefs d’État pour diviser les oppositions. A quoi servent plus de 200 partis politiques dans un petit pays comme le Cameroun alors qu’un grand pays comme les États-unis n’en compte que deux ? Il faut donc supprimer le multipartisme, ou au plus n’admettre que deux partis sur l’échiquier politique. Nos multipartismes n’entraînent que le désordre. Sous le prétexte de la diversité des points de vue, chacun vogue à tout propos, et le résultat c’est le chao. Sous le prétexte de la liberté de créer des partis politiques, des gens sans conviction ni idéologie solide créent des partis politiques qui contribuent à égarer les masses. Les régimes en place se fondent aussi sur ce prétexte pour créer des partis politiques fantoches dans le dessein de diviser l’opposition pour mieux régner.
Si chaque parti politique prétend œuvrer pour la satisfaction des intérêts des masses, pourquoi doit-il exister plusieurs ? Autant mieux en créer un seul dans lequel se déroulera le débat d’idée ; et à côté, permettre une véritable la liberté d’expression à la presse où les citoyens pourront donner leur point de vue sur la gestion de la nation.
Bref, les économies africaines sont des économies faibles et extraverties. La démocratie libérale ne convient donc pas à ses pays car elle est au dessus de leurs moyens. Seule une démocratie populaire peut unir les économies africaines et les fortes. Celle-ci a fait ses preuves en Asie du sud-est et en Amérique du sud.

Conclusion
Sous le couvert de la guerre froide, régnait en Afrique des dictatures totalitaires à partis uniques et totalement insouciantes des droits de l’Homme. Avec la chute du mur de Berlin, les États d’Europe de l’Est se démocratisent. Cette démocratisation va s’imposer aux États africains à la suite des pressions internes et surtout externes. Deux décennies plus tard, cette démocratisation n’a pas satisfait les attentes des populations. Bien que des avancées signifiantes ait été opérées en matière de liberté, la dictature continue sous le voile de la démocratie. Les régimes sont restés autoritaires mais cette fois-ci en se fondant sur des prétextes pour mater les populations et légitimer la violence. Lorsqu’un acte ne porte pas atteinte au régime en place, il est autorisé ; mais lorsqu’il s’attaque au régime, même si cela se fait dans le respect du droit, des prétextes sont trouvés pour le réprimer. La tradition de longévité au pouvoir se poursuit par le moyen de la fraude. Bref, la démocratie est instrumentalisée pour soigner l’image du pays aux yeux de la communauté internationale. Cet échec de la démocratie en Afrique est lié aux forces internes et externes. Les chefs d’État veulent s’éterniser au pouvoir et les puissances occidentales leur apportent subtilement leur soutien. Autrement dit, comme les indépendances factices qui ont été octroyées aux pays africains, c’est un semblant de démocratie qui a été instauré en Afrique.
Ainsi, l’Afrique ne saura se développer ni démocratiquement, ni économiquement si l’Occident ne lui laisse pas les mains libres pour le faire ou si les leader et les masses africaines ne le contraignent pas à le faire. Si ce n’est pas le cas, seule une démocratie adaptée à la réalité des sociétés africaines pourra donner des résultats. Et cette démocratie, c’est une démocratie populaire inspiré non plus de la démocratie libérale occidentale, mais de celle de la chine et des pays d’Amérique latine qui font leur preuve aujourd’hui.


Par Siéwé SEGNOU
Masterant en science politique au Cameroun
Email : senou.africa@gmail.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire