Une nuit sans électricité à Kinshasa est la norme. Cela n’émeut que timidement. La situation est pire qu’il y a quelques mois seulement. Kinshasa est plongée dans le noir le plus total. Curieusement, tous assistent impuissants à cette catastrophe dans un pays qui regorge d’un potentiel de plus de 100.000 mégawatts, capable de desservir l’ensemble du continent africain. L’opérateur public, la SNEL, est au banc des accusés.
Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, vit dans le noir depuis un temps. Sur les 24 communes de la capitale, pas une seule n’échappe à la loi imposée par la Société nationale d’électricité (Snel), seul opérateur dans le secteur.
A son siège de l’avenue de la Justice, le silence est de marbre. Pas un mot à ses abonnés de la ville de Kinshasa. Apparemment, la situation n’est pas inscrite dans les priorités de la Snel. La population kinoise n’a donc plus que ses yeux pour pleurer, désabusée devant un opérateur public incapable de répondre à ses attentes.
Or, les compétences, la Snel en compte en nombre suffisant. Des Congolais formés dans des écoles de grande renommée se trouvent dans l’incapacité de réaliser des exploits. La réalité du terrain met en mal la réputation des cadres de la Snel. La desserte en électricité dans la ville de Kinshasa est au bas de ses performances. C’est même faire injure que d’évoquer des performances à des consommateurs qui alignent des mois, des années sans courant électrique. A Kinshasa, les poches d’obscurité n’étonnent plus. Pire, elles ont augmenté de manière exponentielle.
Signes de faiblesse
A la Snel, plusieurs raisons sont évoquées. Comme toujours, l’on revient sur la vieille rhétorique : vétusté de l’outil d’exploitation et de distribution, etc.Des sources internes de la Snel rapportent que les pannes, à répétition au niveau des stations de Liminga et de Lingwala seraient la cause du sinistre vécu actuellement par les Kinois. Mais, en réalité, la Snel s’est embourbée dans une bureaucratie qui finalement l’empêche de rendre un service de qualité à ses qualités.
Actuellement, avec le G23 réhabilité grâce au partenariat conclu avec MagEnergy, la production à Inga ne souffre donc pas d’un déficit pouvant impacter négativement sur les besoins de Kinshasa. Théoriquement ! Malheureusement, la ligne de transport en activité de 220 kilovolts ne peut tout transporter.
Quant aux besoins de la capitale congolaise, les estimations crédibles les situent à 400 ou 600 mégawatts. En effet, la demande a connu une progression géométrique. L’implosion sociale dans la ville avec près de 8 millions d’habitants ainsi que «la floraison de petites unités de production, la demande devient de plus en plus forte».
Pendant ce temps, les capacités de production et de transport tout comme le réseau ont subi les revers de l’usure et de l’absence d’une politique cohérente d’entretien et de maintenance.
Comme si tout cela ne suffisait pas, la Snel est transformée depuis des lustres en une caisse noire où les politiques puisent à pleines mains.
Des illustrations ne manquent pas. Loin s’en faut ! Personne ne se préoccupe de la nécessité de prévoir des révisions des turboalternateurs ou des câbles sur le réseau. C’est l’origine du sinistre qui s’abat sur la ville de Kinshasa.
La construction de la deuxième ligne, dont le financement est attendu du côté de la Banque mondiale, traîne en longueur. Le projet, annoncé depuis 2007, avance à pas de tortue. Qui pis est, il piétine. Des chiffres sont régulièrement avancés par l’institution financière internationale sans que l’on franchisse le seuil du virtuel.
«La construction de la 2ème ligne Inga-Kinshasa, cependant, se fera sur financement de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). De l’ordre de 140 millions USD, ce financement est déjà alloué et la durée des travaux est estimée à 3 ans». Ce n’est donc pas de sitôt que des améliorations seront observées sur ce plan.
Le potentiel énergétique de la RDC étant encore «en quasi-hibernation du fait des équipements mal entretenus», les 9% de desserte avancés par le ministre de l’Energie doivent être révisés à la baisse. «En effet, la Société nationale d'électricité ne peut plus assurer la maintenance de ses machines selon les normes», note un rapport de la Banque mondiale.
« Délestage zéro » s’est transformé en délestage intégral à Kinshasa. Les réunions ayant regroupé les responsables de la ville, de la Snel et de la Regideso n’ont rien produit de positif. Aucun coin de Kinshasa n’est épargné par la soupe noire, sauf quelques quartiers privilégiés. Le centre des affaires à Gombe est régulièrement soumis à cette triste réalité.
Des sanctions
Assisterait-on à une complicité à tous les échelons de la République au point que la soupe noire servie à Kinshasa ne constituerait qu’un sujet parmi tant d’autres ? Rien n’est moins sûr.Il se remarque malheureusement, qu’à aucun niveau des responsabilités des sanctions aient été prises. C’est comme si desservir en électricité, les Kinois en particulier, et les Congolais en général, ne mérite pas une attention spéciale du gouvernement. Et pourtant, les conséquences sur le vécu quotidien des Kinois se déclinent de plusieurs manières.
La poule aux œufs d’or qu’est la Snel mérite toute l’attention des décideurs.
L’incidence de l’électricité sur l’économie et sur le social ne peut plus être rappelée. «Si tout Congolais arrive à s’acquitter de sa facture d’électricité, cela relèvera de 3% le PIB du Congo», affirme un expert de la Snel, cité dans un rapport de la Banque mondiale.
Malgré son alignement au plan de réforme des entreprises publiques, la Snel est encore loin de sortir de l’auberge. L’entreprise publique qui, depuis janvier 2011, a revêtu le statut d’une société commerciale vit le pire moment de son histoire. En effet, l’entreprise se porte très mal qu’il y a quelques années. Son état, stationnaire il y a quelques années, ne fait que péricliter. La cause, c’est évidemment, la mauvaise gestion, la navigation à vue d’une entreprise aussi stratégique qu’est la Snel.
Les problèmes de gouvernance se posent avec acuité à la Snel. Un expert de l’entreprise, qui a préféré garder l’anonymat, a noté, avec indignation, qu’«il est criminel de vendre 3.152 GWH à 62,96 millions USD et impossible de réaliser le bénéfice de 45,22 millions USD en vendant 3.152 GWH à 0,022 USD/KWH même si tous les points d’alimentation des abonnés Basse Tension étaient pourvus des compteurs à prépaiement».
La commercialisation du produit de la Snel est ainsi à la base des difficultés que traverse cette société en transformation.
Mort préméditée
Un spécialiste des questions de la privatisation est d’avis que «tout est fait pour mettre la Snel à genoux afin de justifier sa privatisation». Une hypothèse à ne pas balayer d’un revers de la main.Mais, la question est celle de savoir ce que gagne la République en condamnant à mort une entreprise dont l’avenir était prospère avec la construction dans les années 1970 du complexe hydroélectrique d’Inga.
Une fois de plus, comme dans d’autres secteurs de la vie nationale, à la Snel, la déconfiture a atteint le paroxysme. La réforme soutenue par la Banque mondiale a montré ses limites. Finalement, seule une volonté politique affirmée devait permettre à la Snel de récupérer ses marques.
Brazzaville l’a prouvé en s’affranchissant de la tutelle énergétique de la RDC avec la mise en service de son barrage d’Imboulou, à plus de 250 kilomètres de la capitale.
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