Dans sa réaction à l’article « Démocratie: l’éternel blocage psychologique de l’intelligence », Kolomabele revient sur un argument qui mériterait d’être examiné en profondeur. Pour lui, « la démocratie dans sa forme occidentale n’est pas la source de nos malheurs. C’est plutôt le fait que nous y sommes réfractaires. Nous refusons, par notre comportement, de nous approprier la démocratie, source de réussite des pays occidentaux que les jeunes africains envient ». Pourquoi en est-il ainsi? C’est parce que « nous sommes habitués à être dirigés par des chefs coutumiers à vie ». Par voie de conséquence, poursuit Kolomabele, « le Chef de l’État est perçu par la population comme le chef coutumier suprême. Tout le monde trouve normal qu’il s’éternise à la tête du pays. Même s’il a un bilan catastrophique comme Kabila ».
L’argument ci-dessus semble avoir la peau dure. En effet, on le retrouve, par exemple, dans la livraison du quotidien français Le Monde du 4-5 septembre 1966, qui donne la parole à l’opinion publique belge expliquant l’échec de la jeune démocratie congolaise de l’époque du fait que les Congolais auraient des coutumes tribales. En 1997, un gendre du despote prédateur congolais à la toque de léopard, le Belge Janssens, a eu recours au même argument pour expliquer, dans son livre « A la cour de Mobutu », la chaotique démocratisation de notre pays.
Négation de l’esprit démocratique africain
D’emblée, il convient de souligner que l’argument ci-dessus constitue une négation flagrante de la maturité politique pré-coloniale des Africains ou de l’esprit démocratique africain. Les despotes étaient certes légion en Afrique avant l’arrivée des Européens. Mais les Africains avaient également mis en place des systèmes politiques démocratiques dans lesquels les freins à l’exercice du pouvoir autant que les mécanismes de déposition des chefs abusifs fonctionnaient à merveille. Il serait donc faux de prétendre que l’Afrique pré-coloniale n’avait connu que des chefs qui s’éternisaient au pouvoir en dépit de leurs bilans catastrophiques. Il ne s’agit là que de la propagande coloniale. Par ailleurs, on notera que pendant que la succession dans les royaumes européens se pratiquait suivant un ordre bien établi au sein de la progéniture du monarque, dans le Royaume Kongo, par exemple, le successeur, qui devait également être issu de la famille du souverain, était par contre élu par un conseil des notables. A cet égard, le Royaume Kongo était en avance sur les royaumes européens. Mais comme l’histoire enseigné aux écoliers congolais reste encore celle écrite par les ex-colonisateurs, les élites congolaises, qui devraient éclairer leurs masses, continuent à ressasser les inepties de la propagande coloniale.
Soutenir que le vécu social ou culturel africain s’oppose à l’émergence de la démocratie constitue également une négation de la culture démocratique pourtant bien visible dans tous les villages africains. Pour narguer ses détracteurs, Mobutu se plaisait à dire: « Je suis le chef. Citez-moi un seul village où il y a deux chefs, dont l’un de l’opposition. Il n’en existe pas. Chez les Zaïrois, deux têtes sur un seul corps, cela constitue un monstre ». Il avait mille et une fois raison. Mais on aurait pu lui rétorquer de citer un seul village zaïrois où le chef avait son comportement de dictateur sanguinaire et prédateur. En effet, il n’existe aucun village congolais où le chef peut se conduire en despote et cela en toute impunité. Partout au Congo et ailleurs en Afrique, il n’est pas interdit de remettre en cause l’autorité du chef ou son efficacité dans la gestion de la chose publique. Contrairement à ce qui se passe dans les espaces publics nationaux, la liberté d’expression et le droit de contester l’autorité du chef sont bien réels et ne donnent nullement lieu aux calvaires des opposants sur le plan national. Partout au Congo et ailleurs en Afrique, la culture démocratique reste vivante sauf dans la politique nationale. Le despotisme à ce niveau est plus un legs de la colonisation que des coutumes congolaises ou africaines. Les dictateurs africains ont toujours été plus à l’école du despotisme colonial qu’à celle de leurs pouvoirs traditionnels.
Même s’il était scientifiquement établi que les coutumes africaines avaient un impact négatif sur les processus de démocratisation du continent, quand on affirme péremptoirement que « nous sommes habitués à être dirigés par des chefs coutumiers à vie », il convient de se demander qui se reconnaît dans ce « nous ». Étudiant à l’Université de Lubumbashi, j’avais participé à l’Opération Agri Shaba 80, conjointement organisée par les autorités provinciales et universitaires. Pendant les grandes vacances, les étudiants étaient invités à travailler volontairement aux champs en compagnie des paysannes de certaines communautés. J’étais affecté à Musumba, capitale de l’Empire Lunda. Originaire du Kwilu, où les grands pouvoirs traditionnels avaient été facilement balayés par le pouvoir colonial, j’étais plus qu’étonné de voir un chef traditionnel, le Mwant Yav, au rayonnement réel et immense non seulement sur tous les Lunda du Congo, mais également sur ceux d’Angola et de la Zambie. Combien de Congolais vivent de nos jours sous l’influence d’un chef coutumier pour que l’on s’autorise à justifier l’absence de démocratie dans notre pays par notre « habitude à être dirigés par des chefs coutumiers à vie »?
De mars 2006 à juin 2011, j’ai travaillé comme « Bula Matadi », une espèce de Gouverneur International d’une province ouest-africaine au sein d’une organisation internationale qui n’aime pas que son nom soit mêlé aux écrits personnels de ses employés. Chargé de la restauration et consolidation de l’autorité de l’État, j’ai constaté que les pouvoirs coutumiers étaient de plus en plus sollicités et valorisés par des ONG occidentales spécialisées dans la gouvernance et la gestion des conflits. Des financements étaient généreusement octroyés en vue de structurer les pouvoirs traditionnels aux niveaux provincial et national. Les ONG y voyaient une alternative face à l’incurie des pouvoirs africains. Pourtant, instrumentalisés à souhait par ces derniers, les chefs coutumiers africains ne sont nullement meilleurs dans le contexte actuel. Ils sont facilement corruptibles. Et les populations, surtout les jeunes, le savent très bien. Ce serait donc surestimer leur influence (néfaste) sur le comportement des Africains dans la construction des systèmes politiques démocratiques.
Révisions constitutionnelles sur les mandats présidentiels
Kolomabele estime que les révisions constitutionnelles si fréquentes en Afrique concernant les mandats présidentiels ne sont ni plus ni moins qu’une conséquence de cette même « habitude à être dirigés par des chefs coutumiers à vie ». Soulignons d’abord que ces révisions n’ont pas lieu dans la rue, mais au sein des parlements. Qu’est-ce qui les rend si aisées? Deux facteurs principaux. Le premier est la nature de la relation entre le président de la république et le président du parlement. Contrairement à la pratique politique occidentale, le président du parlement en Afrique est souvent un simple client du président de la république. Son élection par ses pairs n’est qu’une simple formalité. Ce qui compte avant tout, c’est son choix par le chef de l’Exécutif national. Quand celui-ci ambitionne de succéder à lui-même au delà des mandats prévus par la constitution, il compte sur le président du parlement pour revoir la loi fondamentale. On ne scie pas la branche sur laquelle on est assis. Les Congolais sont bien placés pour le savoir, eux qui ont vu avec quelle facilité leur président de la république s’est débarrassé du président de l’assemblée nationale pour le remplacer par un autre client. Deuxième facteur, le rapport entre le président de la république et les chefs ou propriétaires des partis politiques. Les idéologies politiques étant suspendues en l’air en Afrique, puisque n’ayant aucun rapport avec les conflits majeurs des États et les aspirations des peuples, il est facile à tout président de la république de se constituer une majorité dite présidentielle. Il suffit d’inviter un chef de parti et l’un ou l’autre de ses fidèles lieutenants au festin du pouvoir. Une fois de plus, le rapport clientéliste devient patent et apporte de l’eau au moulin du détenteur de l’imperium dans sa volonté de tailler la constitution à la mesure de ses ambitions gloutonnes.
Au lieu d’incriminer un mirage, notre « habitude à être dirigés par des chefs coutumiers à vie », et au lieu de recommander par voie de conséquence que le Congo et l’Afrique « se mettent à l’école de la démocratie occidentale », sans d’ailleurs préciser les programmes et le fonctionnement d’une telle école, on devrait plutôt s’attaquer aux racines du mal, à savoir l’existence des rapports clientélistes entre le chef et les autres hauts commis de l’État. Dépouillé de sa grande capacité de patronage et partant de nuisance, à travers par exemple une formule démocratique basée sur ce qui mobilise réellement les Africains, l’appartenance ethnique ou régionale, aucun chef d’État africain n’aurait non pas le désir, mais la possibilité de concrétiser son rêve de réviser la constitution afin de s’éterniser au pouvoir. Qu’on ne se trompe pas. Même dans les démocraties occidentales, les présidents sortant aimeraient bien s’éterniser au pouvoir. Mais ils n’ont pas la possibilité de modifier les constitutions de leurs pays à leur guise.
Conclusion
« Le jour où nous mettrons en pratique les principes de la démocratie occidentale: alternance pacifique au pouvoir, respect des droits humains, primauté de l’intérêt général, attention particulière aux personnes vulnérables (femmes, enfants, handicapés, personnes âgées), respect de lois, justice sociale, lutte acharnée et constante contre les antivaleurs qui nous paralysent... le Congo et l’Afrique vont décoller ». Dans cette conclusion, qui revient souvent dans la bouche des intellectuels congolais et africains, Kolomabele ne dit rien qui vaut la peine d’être entendu. Il prie au lieu d’inventer des idées-outils qui permettraient au Congo et à l’Afrique de se relever un jour. En effet, face au désenchantement démocratique généralisé, ce qui mérite d’être exploré et dit, c’est comment arriver un jour à avoir une alternance pacifique au pouvoir; que faire pour que les droits de l’homme soient respectés; comment parvenir à la primauté de l’intérêt général, etc. Il n’y a pas mille et une façons d’atteindre ces nobles objectifs. C’est par la loi et des mécanismes appropriés pour que personne ne soit au dessus d’elle qu’on y parviendra. La crainte du gendarme est le début de la sagesse, dit un adage. Ceci est valable partout au monde, à commencer par les démocraties occidentales que les Africains admirent tant.
Comme l’immense majorité de Congolais et Africains, Kolomabele ne se rend pas compte que dès l’instant où l’on ajoute un qualificatif au mot démocratie, à l’instar de l’expression « démocratie occidentale », cela signifie que d’autres formes de démocratie sont possibles et imaginables. Puisque les chefs d’État africains élus démocratiquement demeurent intouchables, placés qu’ils sont au dessus des lois par des institutions dites démocratiques, puisqu’ils distribuent des parcelles de leur impunité à qui ils veulent et quand ils veulent, prenant ainsi les États en otage, les Africains sont obligés d’inventer d’autres mécanismes de gouverne qui feraient enfin descendre tout chef d’État de son piédestal. « La démocratie n’est pas une culture hors sol, ni une usine fournie clefs en mains », disait Jacques Godfrain, ancien ministre français à la coopération. Ce en quoi les scientifiques lui répondent unanimement en écho aujourd’hui, à l’instar de Filip Reyntjens, professeur de droit et de politique africaine à l’Université d’Anvers: « Le souci de démocratisation a déstabilisé de nombreux pays d’Afrique. Il ne faut pas chercher à imposer le modèle occidental de démocratie. Le problème de l’Afrique, c’est de découvrir quel autre modèle serait opérant ». Malheureusement, se prenant pour de grands enfants, ce que la colonisation leur aura appris, les Africains attendent certainement qu’un Blanc découvre un tel modèle à leur place, de la même manière qu’un Blanc, Diego Cao, avait découvert l’embouchure du fleuve Congo pour eux.
L’argument ci-dessus semble avoir la peau dure. En effet, on le retrouve, par exemple, dans la livraison du quotidien français Le Monde du 4-5 septembre 1966, qui donne la parole à l’opinion publique belge expliquant l’échec de la jeune démocratie congolaise de l’époque du fait que les Congolais auraient des coutumes tribales. En 1997, un gendre du despote prédateur congolais à la toque de léopard, le Belge Janssens, a eu recours au même argument pour expliquer, dans son livre « A la cour de Mobutu », la chaotique démocratisation de notre pays.
Négation de l’esprit démocratique africain
D’emblée, il convient de souligner que l’argument ci-dessus constitue une négation flagrante de la maturité politique pré-coloniale des Africains ou de l’esprit démocratique africain. Les despotes étaient certes légion en Afrique avant l’arrivée des Européens. Mais les Africains avaient également mis en place des systèmes politiques démocratiques dans lesquels les freins à l’exercice du pouvoir autant que les mécanismes de déposition des chefs abusifs fonctionnaient à merveille. Il serait donc faux de prétendre que l’Afrique pré-coloniale n’avait connu que des chefs qui s’éternisaient au pouvoir en dépit de leurs bilans catastrophiques. Il ne s’agit là que de la propagande coloniale. Par ailleurs, on notera que pendant que la succession dans les royaumes européens se pratiquait suivant un ordre bien établi au sein de la progéniture du monarque, dans le Royaume Kongo, par exemple, le successeur, qui devait également être issu de la famille du souverain, était par contre élu par un conseil des notables. A cet égard, le Royaume Kongo était en avance sur les royaumes européens. Mais comme l’histoire enseigné aux écoliers congolais reste encore celle écrite par les ex-colonisateurs, les élites congolaises, qui devraient éclairer leurs masses, continuent à ressasser les inepties de la propagande coloniale.
Soutenir que le vécu social ou culturel africain s’oppose à l’émergence de la démocratie constitue également une négation de la culture démocratique pourtant bien visible dans tous les villages africains. Pour narguer ses détracteurs, Mobutu se plaisait à dire: « Je suis le chef. Citez-moi un seul village où il y a deux chefs, dont l’un de l’opposition. Il n’en existe pas. Chez les Zaïrois, deux têtes sur un seul corps, cela constitue un monstre ». Il avait mille et une fois raison. Mais on aurait pu lui rétorquer de citer un seul village zaïrois où le chef avait son comportement de dictateur sanguinaire et prédateur. En effet, il n’existe aucun village congolais où le chef peut se conduire en despote et cela en toute impunité. Partout au Congo et ailleurs en Afrique, il n’est pas interdit de remettre en cause l’autorité du chef ou son efficacité dans la gestion de la chose publique. Contrairement à ce qui se passe dans les espaces publics nationaux, la liberté d’expression et le droit de contester l’autorité du chef sont bien réels et ne donnent nullement lieu aux calvaires des opposants sur le plan national. Partout au Congo et ailleurs en Afrique, la culture démocratique reste vivante sauf dans la politique nationale. Le despotisme à ce niveau est plus un legs de la colonisation que des coutumes congolaises ou africaines. Les dictateurs africains ont toujours été plus à l’école du despotisme colonial qu’à celle de leurs pouvoirs traditionnels.
Même s’il était scientifiquement établi que les coutumes africaines avaient un impact négatif sur les processus de démocratisation du continent, quand on affirme péremptoirement que « nous sommes habitués à être dirigés par des chefs coutumiers à vie », il convient de se demander qui se reconnaît dans ce « nous ». Étudiant à l’Université de Lubumbashi, j’avais participé à l’Opération Agri Shaba 80, conjointement organisée par les autorités provinciales et universitaires. Pendant les grandes vacances, les étudiants étaient invités à travailler volontairement aux champs en compagnie des paysannes de certaines communautés. J’étais affecté à Musumba, capitale de l’Empire Lunda. Originaire du Kwilu, où les grands pouvoirs traditionnels avaient été facilement balayés par le pouvoir colonial, j’étais plus qu’étonné de voir un chef traditionnel, le Mwant Yav, au rayonnement réel et immense non seulement sur tous les Lunda du Congo, mais également sur ceux d’Angola et de la Zambie. Combien de Congolais vivent de nos jours sous l’influence d’un chef coutumier pour que l’on s’autorise à justifier l’absence de démocratie dans notre pays par notre « habitude à être dirigés par des chefs coutumiers à vie »?
De mars 2006 à juin 2011, j’ai travaillé comme « Bula Matadi », une espèce de Gouverneur International d’une province ouest-africaine au sein d’une organisation internationale qui n’aime pas que son nom soit mêlé aux écrits personnels de ses employés. Chargé de la restauration et consolidation de l’autorité de l’État, j’ai constaté que les pouvoirs coutumiers étaient de plus en plus sollicités et valorisés par des ONG occidentales spécialisées dans la gouvernance et la gestion des conflits. Des financements étaient généreusement octroyés en vue de structurer les pouvoirs traditionnels aux niveaux provincial et national. Les ONG y voyaient une alternative face à l’incurie des pouvoirs africains. Pourtant, instrumentalisés à souhait par ces derniers, les chefs coutumiers africains ne sont nullement meilleurs dans le contexte actuel. Ils sont facilement corruptibles. Et les populations, surtout les jeunes, le savent très bien. Ce serait donc surestimer leur influence (néfaste) sur le comportement des Africains dans la construction des systèmes politiques démocratiques.
Révisions constitutionnelles sur les mandats présidentiels
Kolomabele estime que les révisions constitutionnelles si fréquentes en Afrique concernant les mandats présidentiels ne sont ni plus ni moins qu’une conséquence de cette même « habitude à être dirigés par des chefs coutumiers à vie ». Soulignons d’abord que ces révisions n’ont pas lieu dans la rue, mais au sein des parlements. Qu’est-ce qui les rend si aisées? Deux facteurs principaux. Le premier est la nature de la relation entre le président de la république et le président du parlement. Contrairement à la pratique politique occidentale, le président du parlement en Afrique est souvent un simple client du président de la république. Son élection par ses pairs n’est qu’une simple formalité. Ce qui compte avant tout, c’est son choix par le chef de l’Exécutif national. Quand celui-ci ambitionne de succéder à lui-même au delà des mandats prévus par la constitution, il compte sur le président du parlement pour revoir la loi fondamentale. On ne scie pas la branche sur laquelle on est assis. Les Congolais sont bien placés pour le savoir, eux qui ont vu avec quelle facilité leur président de la république s’est débarrassé du président de l’assemblée nationale pour le remplacer par un autre client. Deuxième facteur, le rapport entre le président de la république et les chefs ou propriétaires des partis politiques. Les idéologies politiques étant suspendues en l’air en Afrique, puisque n’ayant aucun rapport avec les conflits majeurs des États et les aspirations des peuples, il est facile à tout président de la république de se constituer une majorité dite présidentielle. Il suffit d’inviter un chef de parti et l’un ou l’autre de ses fidèles lieutenants au festin du pouvoir. Une fois de plus, le rapport clientéliste devient patent et apporte de l’eau au moulin du détenteur de l’imperium dans sa volonté de tailler la constitution à la mesure de ses ambitions gloutonnes.
Au lieu d’incriminer un mirage, notre « habitude à être dirigés par des chefs coutumiers à vie », et au lieu de recommander par voie de conséquence que le Congo et l’Afrique « se mettent à l’école de la démocratie occidentale », sans d’ailleurs préciser les programmes et le fonctionnement d’une telle école, on devrait plutôt s’attaquer aux racines du mal, à savoir l’existence des rapports clientélistes entre le chef et les autres hauts commis de l’État. Dépouillé de sa grande capacité de patronage et partant de nuisance, à travers par exemple une formule démocratique basée sur ce qui mobilise réellement les Africains, l’appartenance ethnique ou régionale, aucun chef d’État africain n’aurait non pas le désir, mais la possibilité de concrétiser son rêve de réviser la constitution afin de s’éterniser au pouvoir. Qu’on ne se trompe pas. Même dans les démocraties occidentales, les présidents sortant aimeraient bien s’éterniser au pouvoir. Mais ils n’ont pas la possibilité de modifier les constitutions de leurs pays à leur guise.
Conclusion
« Le jour où nous mettrons en pratique les principes de la démocratie occidentale: alternance pacifique au pouvoir, respect des droits humains, primauté de l’intérêt général, attention particulière aux personnes vulnérables (femmes, enfants, handicapés, personnes âgées), respect de lois, justice sociale, lutte acharnée et constante contre les antivaleurs qui nous paralysent... le Congo et l’Afrique vont décoller ». Dans cette conclusion, qui revient souvent dans la bouche des intellectuels congolais et africains, Kolomabele ne dit rien qui vaut la peine d’être entendu. Il prie au lieu d’inventer des idées-outils qui permettraient au Congo et à l’Afrique de se relever un jour. En effet, face au désenchantement démocratique généralisé, ce qui mérite d’être exploré et dit, c’est comment arriver un jour à avoir une alternance pacifique au pouvoir; que faire pour que les droits de l’homme soient respectés; comment parvenir à la primauté de l’intérêt général, etc. Il n’y a pas mille et une façons d’atteindre ces nobles objectifs. C’est par la loi et des mécanismes appropriés pour que personne ne soit au dessus d’elle qu’on y parviendra. La crainte du gendarme est le début de la sagesse, dit un adage. Ceci est valable partout au monde, à commencer par les démocraties occidentales que les Africains admirent tant.
Comme l’immense majorité de Congolais et Africains, Kolomabele ne se rend pas compte que dès l’instant où l’on ajoute un qualificatif au mot démocratie, à l’instar de l’expression « démocratie occidentale », cela signifie que d’autres formes de démocratie sont possibles et imaginables. Puisque les chefs d’État africains élus démocratiquement demeurent intouchables, placés qu’ils sont au dessus des lois par des institutions dites démocratiques, puisqu’ils distribuent des parcelles de leur impunité à qui ils veulent et quand ils veulent, prenant ainsi les États en otage, les Africains sont obligés d’inventer d’autres mécanismes de gouverne qui feraient enfin descendre tout chef d’État de son piédestal. « La démocratie n’est pas une culture hors sol, ni une usine fournie clefs en mains », disait Jacques Godfrain, ancien ministre français à la coopération. Ce en quoi les scientifiques lui répondent unanimement en écho aujourd’hui, à l’instar de Filip Reyntjens, professeur de droit et de politique africaine à l’Université d’Anvers: « Le souci de démocratisation a déstabilisé de nombreux pays d’Afrique. Il ne faut pas chercher à imposer le modèle occidental de démocratie. Le problème de l’Afrique, c’est de découvrir quel autre modèle serait opérant ». Malheureusement, se prenant pour de grands enfants, ce que la colonisation leur aura appris, les Africains attendent certainement qu’un Blanc découvre un tel modèle à leur place, de la même manière qu’un Blanc, Diego Cao, avait découvert l’embouchure du fleuve Congo pour eux.
Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
© Congoindépendant 2003-2011
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