Le printemps arabe va-t-il inspirer un été africain?
Des opposants du Forum pour un changement démocratique réprimés à Kampala, le 12 mai 2011. REUTERS/James Akena
Lorsque du centre du Caire on emprunte la route qui file vers le Sud le long de la corniche enserrant la rive est du Nil, on peut contempler un panneau publicitaire géant vantant le dernier jouet de Mercedes-Benz. Une rutilante voiture de sport rouge aux portes papillon —qui flotte ostensiblement au-dessus de la route poussiéreuse, à quelques centaines de mètres de là où mendiants et enfants de rues se mêlent à des vendeurs hagards espérant récolter quelques livres égyptiennes— est surmontée d’un message aussi simple que pénétrant: «Ayez tout, ou rien».
Si aujourd’hui les Égyptiens qui n’ont rien surpassent de loin le nombre de ceux qui ont tout, la situation empire à mesure qu’on remonte le Nil, de l’emblématique cœur du printemps arabe jusqu’au plus profond de l’Afrique.
Les riches encore plus riches, les pauvres encore plus pauvres
Depuis à peu près une décennie, le continent africain connaît une expansion économique considérable, avec unemoyenne de 5% de croissance annuelle au cours des dix ans qui ont précédé la crise économique de 2008. Mais à mesure que la croissance s’accélérait et que les plus fortunés —et souvent, les plus corrompus— amassaient de gigantesques fortunes, l’écart entre ceux qui conduisent de luxueuses voitures de sport et ceux qui doivent marcher derrière n’a fait que se creuser.
En Afrique du Sud, cadre de 111 manifestations l’année dernière, un groupe de recherches indépendant basé à Johannesburg estime que les inégalités sont en fait pires qu’à la fin de l’apartheid. Le coefficient Gini du pays, qui mesure les inégalités, est de 0,65, ce qui en fait ledeuxième pays le plus inégalitaire de la planète.
Révélation qui, sans surprise, n’a pourtant pas empêché les 40 plus grosses entreprises de la place boursière de Johannesburg d’augmenter le salaire médian de leurs dirigeants de 23% l’année dernière, selon une étude de PricewaterhouseCoopers.
Mais une croissance rapide et la consommation ostentatoire qui en découle immanquablement peuvent s’avérer risquées lorsqu’il n’existe que peu de soupapes de sécurité politiques. La conséquence, comme nous avons pu le voir en Égypte et ailleurs, est que les régimes autoritaires qui ont permis à leurs économies de s’ouvrir sont devenus mûrs pour la révolution.
Comme l'explique John Githongo, directeur d’Inuka Kenya Trust, dans le New York Times:
«L’inégalité, contrairement à la pauvreté, est bien plus aisément politisée, ethnicisées et militarisée… Elle est également bien plus incendiaire car elle crée un ennemi identifiable —une classe dont les bénéfices sont disproportionnés grâce à un accès injuste à ceux qui exercent le pouvoir.»
À travers tout le continent africain, cette dynamique, associée à des angoisses plus concrètes comme l’augmentation du prix du carburant et de la nourriture, a poussé les gens à descendre dans la rue dans une dizaine de capitales. Voici un petit tour d’horizon des pays où le printemps arabe est en passe de devenir un long, chaud, et potentiellement incendiaire été africain.
Malawi
Des manifestations secouent ce pays d’Afrique australe sans accès à la mer depuis le mercredi 20 juillet, quand le ressentiment engendré par les problèmes économiques du pays et qui couvait depuis un bon moment a fini par exploser. Des dizaines de milliers de personnes ont investi les rues de Blantyre, la capitale commerciale du pays, ainsi que d’autres grandes villes, pour dénoncer les pénuries de carburant, le manque de devises étrangères et l’augmentation du coût de la vie.
Le président Bingu wa Mutharika, ancien économiste de la Banque mondiale de plus en plus impopulaire à cause de sa mauvaise gestion des finances du pays, a réagi avec toute la subtilité typique d’un homme fort: en ordonnant à l’armée d’écraser les manifestations dans trois principales villes, provoquant la mort d’au moins 18 personnes.
«Les corps présentaient des fractures, des coupures profondes, des côtes cassées et avaient perdu beaucoup de sang», a décrit le porte-parole du ministère de la Santé Henry Chimbali lors d’une interview accordée à l’AFP.
La réaction de Mutharika aux troubles lui a valu d’être condamné par la communauté internationale. Mardi 26 juillet, en réponse à ces violences, la Millenium Challenge Corporation (MCC) a suspendu un financement de 350,7 millions de dollars (247 millions d’euros) destiné à améliorer la fourniture en électricité du pays.
Le porte-parole de la MCC a exprimé la «profonde inquiétude» que lui inspiraient les récents événements, et souligné tout particulièrement les états de service du président —loin d’être brillants— dans les domaines «du pluralisme politique, du respect des droits humains et de l’état de droit», rapporte Bloomberg.
Début juillet, avant que n’éclatent les manifestations, la Grande-Bretagne avait suspendu son aide au Malawi en réaction, entre autres, à des violations persistantes des droits humains et à des tendances «toujours plus autocratiques», à en croire une fuite de câble diplomatique.
Guinée-Bissau
Petite nation d’Afrique de l’Ouest, la Guinée-Bissau, surtout connue pour s’être aventurée dans la cour des grands dans le secteur du narcotrafic mondial, a été secouée les deux dernières semaines de juillet par une vague de manifestations. Selon l’AFP, les protestations qui ont fait descendre plus de 10.000 personnes dans la rue en deux occasions ont été organisées par unecoalition de 13 partis d’opposition. Le Premier ministre Carlos Gomes Jr., largement soupçonné de tremper dans une série d’assassinats politiques datant de 2009, est la principale cible des manifestants qui réclament sa démission.
L’ancien président Joao Bernardo Vieira et le chef des armées, le général Batista Tagme Na Waie, ont été assassinés à moins de 12 heures d’intervalle en mars 2009, et deux autres éminents politiciens ont été tués quelques mois plus tard. Les enquêtes diligentées par le gouvernement actuel n’ont rien donné, faisant naître le soupçon que Gomes lui-même serait derrière les assassinats.
Les négociations qui se sont tenues le mardi 26 juillet entre le président de Guinée-Bissau, Malam Bacai Sanha, et les leaders de l’opposition, ont quelque peu apaisé les tensions —en tout cas pour l’instant. Comme l’a déclaré Braima Sori Djalo, chef du principal parti d’opposition du pays à l’AFP:
«Le président nous a demandé de lui laisser du temps; nous allons faire une pause. Mais si rien n’est fait, nous reprendrons les manifestations.»
Sénégal
Les manifestations n’ont pas cessé à Dakar, la capitale, depuis le 23 juin, date où le président Abdoulaye Wade a proposé des amendements constitutionnels qui lui permettraient d’effectuer facilement un troisième mandat (la Constitution sénégalaise ne permet d’effectuer que deux mandats présidentiels, mais leur durée a été réduite de sept à cinq ans sous Wade, ce qui, pour ses partisans, l’autorise à effectuer un troisième mandat).
Wade a proposé de faire passer le seuil de victoire de 50% à 25% des voix au premier tour et de créer un poste de vice-président —dont on se doute qu’il serait occupé par son fils Karim— qui lui succéderait automatiquement en cas de décès. Les critiques du président protestent que ces amendements garantiraient presque à coup sûr la réélection de Wade tout en ouvrant à son fils la voie de sa succession.
Après une semaine de manifestations qui ont culminé avec l’incendie de plusieurs bâtiments gouvernementaux, notamment de Senelec, la compagnie d’électricité d’État, l’armée a étédéployée pour ramener l’ordre.
Mais les membres de la principale coalition d’opposition sénégalaise, Benno Siggil Senegal, continuent de s’agiter contre le président vieillissant et son fils, tout en donnant à leur mouvement populaire le cadre d’une lutte visant à protéger l’héritage démocratique du pays.
Ouganda
Le mouvement de «marche des travailleurs» a débuté en avril en Ouganda quand une poignée de politiciens —notamment le leader de l’opposition Kizza Besigye— a commencé à se rendre au travail à pied pour protester contre l’augmentation des prix du carburant et de la nourriture. Il n’a pas tardé à attirer des milliers d’Ougandais mécontents dans les rues.
Éperonnés par des conditions économiques désastreuses et endurcis par la réponse brutale du régime, les manifestants ont affronté les forces de sécurité loyales au président Yoweri Museveni pendant la plus grande partie des mois d’avril et de mai. Ils ont brûlé des pneus et jeté des cailloux sur les policiers, qui ont répondu à coup de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc et parfois réelles, causant au moins 10 morts et des centaines de blessés.
En juin, il semblait que la réaction violente de Museveni avait atteint le but recherché. Besigye a été arrêté et accusé d’incitation à la violence pour son rôle dans les marches de travailleurs (accusations qui depuis ont été abandonnées), et le mouvement s’est enlisé.
Aujourd’hui, certains analystes craignent que les troubles aient aggravé les conditions de vie des Ougandais: Museveni, au pouvoir depuis un quart de siècle, a juré de dévorer les manifestants«comme des samossas» et il serre encore un peu plus la vis à l’opposition politique déjà étouffée de ce pays d’Afrique de l’Est.
Mais avec la détérioration continue des conditions économiques —et Museveni qui continue às'enorgueillir obstinément de sa propre gestion de l’économie ougandaise— qui sait ce que le long et chaud été africain a en réserve.
Afrique du Sud
L’Afrique du Sud, où quelque 160.000 mineurs ont fait grève fin juillet, était déjà secouée par des troubles civils intermittents bien avant le début du printemps arabe en janvier.
Criblé de problèmes économiques —notamment un taux de chômage à 24%, des pénuries d’eau et la menace d’une crise du logement— le parti au pouvoir, l’African National Congress se démène pour répondre aux demandes de plus en plus pressantes des habitants.
En février, les tensions ont atteint leur apogée quand la police a tiré à balles réelles sur des manifestants qui brûlaient des pneus, lançaient des pierres et tiraient sur la police anti-émeute dans la province du nord-est de Mpumalanga. L’incident s’est produit juste après le discours sur l’état de la nation du président Jacob Zuma, dans lequel il se félicitait de l’augmentation du nombre d’emplois créés et prétendait que le pays était sur la voie de la reprise économique.
Le calme relatif qui s’est installé en Afrique du Sud depuis la confrontation de Mpumalanga reste mis en péril par la population jeune, mécontente et largement sans emploi du pays. Comme l’a récemment déclaré à CNN Zwelinzima Vavi, secrétaire général du Congress of South African Trade Unions:
«Si nous ne remédions pas de façon urgente à la crise du chômage des jeunes en Afrique du Sud, nous serons très vite en Tunisie et en Égypte».
Les hivers africains
Alarmés à juste titre par l’avalanche de troubles civils qui a déferlé sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord en début d’année, un certain nombre de dirigeants africains ont été prompts à anticiper ou écraser les protestations dans leur pays avant qu’elles n’atteignent leur masse critique.
Au Burkina Faso, les manifestations qui ont explosé en mars, suscitées par l’augmentation des prix de la nourriture et la rapacité des forces de sécurité se sont transformées en avril enmutinerie militaire généralisée. En réaction, le président Blaise Compaoré, qui dirige ce petit pays d’Afrique de l’Ouest depuis 24 ans, a dissous son gouvernement et accordé toute une série de concessions à l’armée. Ce geste a peu contribué à l’apaisement, cependant, car les commerçantsont continué de défiler dans les rues. Compaoré a rapidement changé de ton, réprimé les manifestations et renvoyé 566 soldats qui avaient participé aux protestations.
Le Zimbabwe a lui aussi vu ses rêves de révolution anéantis quand le président Robert Mugabea ordonné l'arrestation de 46 activistes —notamment d’un allié du leader de l’opposition Morgan Tsvangirai— accusés de fomenter un soulèvement semblable à celui de l’Égypte en février. Une campagne Internet appelée FreeZimActivists a échoué à se gagner le soutien contre le dictateur chevronné plusieurs semaines plus tard, et le mouvement de contestation s’est réellement éteint. Mis à part quelques confrontations en avril, le gouvernement férocement autoritaire n’a eu à gérer que très peu de troubles depuis.
Le gouvernement éthiopien a lui aussi eu recours à la stratégie «J’incarcère mes opposants» pour étouffer toute agitation. En mars, au moins 64 membres ou supporters du Mouvement démocratique fédéraliste Oromo et du Congrès national Oromo ont été arrêtés et emprisonnés à Addis Abeba.
En Guinée équatoriale, le président Teodoro Obiang Nguema —dont le règne a commencé lors du coup d’État de 1979 qui renversa son oncle, l’ancien président Macias Nguema— n’a pas perdu une minute pour décréter l’illégalité des manifestations quand des troubles ont commencé à perturber le nord du pays. Il craignait, à juste titre, que la masse des Équato-guinéens désespérément pauvres ne finisse par se dresser contre la corruption vorace de sa famille. Étant donné que le sommet de l’Union africaine était programmé pour le mois de juin à Malabo, la capitale, il ne pouvait se permettre de faire mauvaise figure. Le sommet s’est déroulé sans anicroche, ce qui a sans doute un rapport avec le fait que plus de 100 activistes aient étérassemblés et emprisonnés avant l’événement.
Des mouvements populaires naissants ont également été réprimés au Gabon, à Djibouti et auCameroun, révélant à quel point la dissociation des développements politiques et économiques alimente l’instabilité dans la région. Pour l’instant, des hommes forts maintiennent une paix fragile dans les trois capitales, mais s’il y a une leçon à tirer du printemps arabe, c’est celle ci: ce n’est pas parce que rien ne bouge aujourd’hui que rien ne bougera demain.
Ty McCormick
Traduit par Bérengère Viennot
SlateAfrique
Des opposants du Forum pour un changement démocratique réprimés à Kampala, le 12 mai 2011. REUTERS/James Akena
Lorsque du centre du Caire on emprunte la route qui file vers le Sud le long de la corniche enserrant la rive est du Nil, on peut contempler un panneau publicitaire géant vantant le dernier jouet de Mercedes-Benz. Une rutilante voiture de sport rouge aux portes papillon —qui flotte ostensiblement au-dessus de la route poussiéreuse, à quelques centaines de mètres de là où mendiants et enfants de rues se mêlent à des vendeurs hagards espérant récolter quelques livres égyptiennes— est surmontée d’un message aussi simple que pénétrant: «Ayez tout, ou rien».
Si aujourd’hui les Égyptiens qui n’ont rien surpassent de loin le nombre de ceux qui ont tout, la situation empire à mesure qu’on remonte le Nil, de l’emblématique cœur du printemps arabe jusqu’au plus profond de l’Afrique.
Les riches encore plus riches, les pauvres encore plus pauvres
Depuis à peu près une décennie, le continent africain connaît une expansion économique considérable, avec unemoyenne de 5% de croissance annuelle au cours des dix ans qui ont précédé la crise économique de 2008. Mais à mesure que la croissance s’accélérait et que les plus fortunés —et souvent, les plus corrompus— amassaient de gigantesques fortunes, l’écart entre ceux qui conduisent de luxueuses voitures de sport et ceux qui doivent marcher derrière n’a fait que se creuser.
En Afrique du Sud, cadre de 111 manifestations l’année dernière, un groupe de recherches indépendant basé à Johannesburg estime que les inégalités sont en fait pires qu’à la fin de l’apartheid. Le coefficient Gini du pays, qui mesure les inégalités, est de 0,65, ce qui en fait ledeuxième pays le plus inégalitaire de la planète.
Révélation qui, sans surprise, n’a pourtant pas empêché les 40 plus grosses entreprises de la place boursière de Johannesburg d’augmenter le salaire médian de leurs dirigeants de 23% l’année dernière, selon une étude de PricewaterhouseCoopers.
Mais une croissance rapide et la consommation ostentatoire qui en découle immanquablement peuvent s’avérer risquées lorsqu’il n’existe que peu de soupapes de sécurité politiques. La conséquence, comme nous avons pu le voir en Égypte et ailleurs, est que les régimes autoritaires qui ont permis à leurs économies de s’ouvrir sont devenus mûrs pour la révolution.
Comme l'explique John Githongo, directeur d’Inuka Kenya Trust, dans le New York Times:
«L’inégalité, contrairement à la pauvreté, est bien plus aisément politisée, ethnicisées et militarisée… Elle est également bien plus incendiaire car elle crée un ennemi identifiable —une classe dont les bénéfices sont disproportionnés grâce à un accès injuste à ceux qui exercent le pouvoir.»
À travers tout le continent africain, cette dynamique, associée à des angoisses plus concrètes comme l’augmentation du prix du carburant et de la nourriture, a poussé les gens à descendre dans la rue dans une dizaine de capitales. Voici un petit tour d’horizon des pays où le printemps arabe est en passe de devenir un long, chaud, et potentiellement incendiaire été africain.
Malawi
Des manifestations secouent ce pays d’Afrique australe sans accès à la mer depuis le mercredi 20 juillet, quand le ressentiment engendré par les problèmes économiques du pays et qui couvait depuis un bon moment a fini par exploser. Des dizaines de milliers de personnes ont investi les rues de Blantyre, la capitale commerciale du pays, ainsi que d’autres grandes villes, pour dénoncer les pénuries de carburant, le manque de devises étrangères et l’augmentation du coût de la vie.
Le président Bingu wa Mutharika, ancien économiste de la Banque mondiale de plus en plus impopulaire à cause de sa mauvaise gestion des finances du pays, a réagi avec toute la subtilité typique d’un homme fort: en ordonnant à l’armée d’écraser les manifestations dans trois principales villes, provoquant la mort d’au moins 18 personnes.
«Les corps présentaient des fractures, des coupures profondes, des côtes cassées et avaient perdu beaucoup de sang», a décrit le porte-parole du ministère de la Santé Henry Chimbali lors d’une interview accordée à l’AFP.
La réaction de Mutharika aux troubles lui a valu d’être condamné par la communauté internationale. Mardi 26 juillet, en réponse à ces violences, la Millenium Challenge Corporation (MCC) a suspendu un financement de 350,7 millions de dollars (247 millions d’euros) destiné à améliorer la fourniture en électricité du pays.
Le porte-parole de la MCC a exprimé la «profonde inquiétude» que lui inspiraient les récents événements, et souligné tout particulièrement les états de service du président —loin d’être brillants— dans les domaines «du pluralisme politique, du respect des droits humains et de l’état de droit», rapporte Bloomberg.
Début juillet, avant que n’éclatent les manifestations, la Grande-Bretagne avait suspendu son aide au Malawi en réaction, entre autres, à des violations persistantes des droits humains et à des tendances «toujours plus autocratiques», à en croire une fuite de câble diplomatique.
Guinée-Bissau
Petite nation d’Afrique de l’Ouest, la Guinée-Bissau, surtout connue pour s’être aventurée dans la cour des grands dans le secteur du narcotrafic mondial, a été secouée les deux dernières semaines de juillet par une vague de manifestations. Selon l’AFP, les protestations qui ont fait descendre plus de 10.000 personnes dans la rue en deux occasions ont été organisées par unecoalition de 13 partis d’opposition. Le Premier ministre Carlos Gomes Jr., largement soupçonné de tremper dans une série d’assassinats politiques datant de 2009, est la principale cible des manifestants qui réclament sa démission.
L’ancien président Joao Bernardo Vieira et le chef des armées, le général Batista Tagme Na Waie, ont été assassinés à moins de 12 heures d’intervalle en mars 2009, et deux autres éminents politiciens ont été tués quelques mois plus tard. Les enquêtes diligentées par le gouvernement actuel n’ont rien donné, faisant naître le soupçon que Gomes lui-même serait derrière les assassinats.
Les négociations qui se sont tenues le mardi 26 juillet entre le président de Guinée-Bissau, Malam Bacai Sanha, et les leaders de l’opposition, ont quelque peu apaisé les tensions —en tout cas pour l’instant. Comme l’a déclaré Braima Sori Djalo, chef du principal parti d’opposition du pays à l’AFP:
«Le président nous a demandé de lui laisser du temps; nous allons faire une pause. Mais si rien n’est fait, nous reprendrons les manifestations.»
Sénégal
Les manifestations n’ont pas cessé à Dakar, la capitale, depuis le 23 juin, date où le président Abdoulaye Wade a proposé des amendements constitutionnels qui lui permettraient d’effectuer facilement un troisième mandat (la Constitution sénégalaise ne permet d’effectuer que deux mandats présidentiels, mais leur durée a été réduite de sept à cinq ans sous Wade, ce qui, pour ses partisans, l’autorise à effectuer un troisième mandat).
Wade a proposé de faire passer le seuil de victoire de 50% à 25% des voix au premier tour et de créer un poste de vice-président —dont on se doute qu’il serait occupé par son fils Karim— qui lui succéderait automatiquement en cas de décès. Les critiques du président protestent que ces amendements garantiraient presque à coup sûr la réélection de Wade tout en ouvrant à son fils la voie de sa succession.
Après une semaine de manifestations qui ont culminé avec l’incendie de plusieurs bâtiments gouvernementaux, notamment de Senelec, la compagnie d’électricité d’État, l’armée a étédéployée pour ramener l’ordre.
Mais les membres de la principale coalition d’opposition sénégalaise, Benno Siggil Senegal, continuent de s’agiter contre le président vieillissant et son fils, tout en donnant à leur mouvement populaire le cadre d’une lutte visant à protéger l’héritage démocratique du pays.
Ouganda
Le mouvement de «marche des travailleurs» a débuté en avril en Ouganda quand une poignée de politiciens —notamment le leader de l’opposition Kizza Besigye— a commencé à se rendre au travail à pied pour protester contre l’augmentation des prix du carburant et de la nourriture. Il n’a pas tardé à attirer des milliers d’Ougandais mécontents dans les rues.
Éperonnés par des conditions économiques désastreuses et endurcis par la réponse brutale du régime, les manifestants ont affronté les forces de sécurité loyales au président Yoweri Museveni pendant la plus grande partie des mois d’avril et de mai. Ils ont brûlé des pneus et jeté des cailloux sur les policiers, qui ont répondu à coup de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc et parfois réelles, causant au moins 10 morts et des centaines de blessés.
En juin, il semblait que la réaction violente de Museveni avait atteint le but recherché. Besigye a été arrêté et accusé d’incitation à la violence pour son rôle dans les marches de travailleurs (accusations qui depuis ont été abandonnées), et le mouvement s’est enlisé.
Aujourd’hui, certains analystes craignent que les troubles aient aggravé les conditions de vie des Ougandais: Museveni, au pouvoir depuis un quart de siècle, a juré de dévorer les manifestants«comme des samossas» et il serre encore un peu plus la vis à l’opposition politique déjà étouffée de ce pays d’Afrique de l’Est.
Mais avec la détérioration continue des conditions économiques —et Museveni qui continue às'enorgueillir obstinément de sa propre gestion de l’économie ougandaise— qui sait ce que le long et chaud été africain a en réserve.
Afrique du Sud
L’Afrique du Sud, où quelque 160.000 mineurs ont fait grève fin juillet, était déjà secouée par des troubles civils intermittents bien avant le début du printemps arabe en janvier.
Criblé de problèmes économiques —notamment un taux de chômage à 24%, des pénuries d’eau et la menace d’une crise du logement— le parti au pouvoir, l’African National Congress se démène pour répondre aux demandes de plus en plus pressantes des habitants.
En février, les tensions ont atteint leur apogée quand la police a tiré à balles réelles sur des manifestants qui brûlaient des pneus, lançaient des pierres et tiraient sur la police anti-émeute dans la province du nord-est de Mpumalanga. L’incident s’est produit juste après le discours sur l’état de la nation du président Jacob Zuma, dans lequel il se félicitait de l’augmentation du nombre d’emplois créés et prétendait que le pays était sur la voie de la reprise économique.
Le calme relatif qui s’est installé en Afrique du Sud depuis la confrontation de Mpumalanga reste mis en péril par la population jeune, mécontente et largement sans emploi du pays. Comme l’a récemment déclaré à CNN Zwelinzima Vavi, secrétaire général du Congress of South African Trade Unions:
«Si nous ne remédions pas de façon urgente à la crise du chômage des jeunes en Afrique du Sud, nous serons très vite en Tunisie et en Égypte».
Les hivers africains
Alarmés à juste titre par l’avalanche de troubles civils qui a déferlé sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord en début d’année, un certain nombre de dirigeants africains ont été prompts à anticiper ou écraser les protestations dans leur pays avant qu’elles n’atteignent leur masse critique.
Au Burkina Faso, les manifestations qui ont explosé en mars, suscitées par l’augmentation des prix de la nourriture et la rapacité des forces de sécurité se sont transformées en avril enmutinerie militaire généralisée. En réaction, le président Blaise Compaoré, qui dirige ce petit pays d’Afrique de l’Ouest depuis 24 ans, a dissous son gouvernement et accordé toute une série de concessions à l’armée. Ce geste a peu contribué à l’apaisement, cependant, car les commerçantsont continué de défiler dans les rues. Compaoré a rapidement changé de ton, réprimé les manifestations et renvoyé 566 soldats qui avaient participé aux protestations.
Le Zimbabwe a lui aussi vu ses rêves de révolution anéantis quand le président Robert Mugabea ordonné l'arrestation de 46 activistes —notamment d’un allié du leader de l’opposition Morgan Tsvangirai— accusés de fomenter un soulèvement semblable à celui de l’Égypte en février. Une campagne Internet appelée FreeZimActivists a échoué à se gagner le soutien contre le dictateur chevronné plusieurs semaines plus tard, et le mouvement de contestation s’est réellement éteint. Mis à part quelques confrontations en avril, le gouvernement férocement autoritaire n’a eu à gérer que très peu de troubles depuis.
Le gouvernement éthiopien a lui aussi eu recours à la stratégie «J’incarcère mes opposants» pour étouffer toute agitation. En mars, au moins 64 membres ou supporters du Mouvement démocratique fédéraliste Oromo et du Congrès national Oromo ont été arrêtés et emprisonnés à Addis Abeba.
En Guinée équatoriale, le président Teodoro Obiang Nguema —dont le règne a commencé lors du coup d’État de 1979 qui renversa son oncle, l’ancien président Macias Nguema— n’a pas perdu une minute pour décréter l’illégalité des manifestations quand des troubles ont commencé à perturber le nord du pays. Il craignait, à juste titre, que la masse des Équato-guinéens désespérément pauvres ne finisse par se dresser contre la corruption vorace de sa famille. Étant donné que le sommet de l’Union africaine était programmé pour le mois de juin à Malabo, la capitale, il ne pouvait se permettre de faire mauvaise figure. Le sommet s’est déroulé sans anicroche, ce qui a sans doute un rapport avec le fait que plus de 100 activistes aient étérassemblés et emprisonnés avant l’événement.
Des mouvements populaires naissants ont également été réprimés au Gabon, à Djibouti et auCameroun, révélant à quel point la dissociation des développements politiques et économiques alimente l’instabilité dans la région. Pour l’instant, des hommes forts maintiennent une paix fragile dans les trois capitales, mais s’il y a une leçon à tirer du printemps arabe, c’est celle ci: ce n’est pas parce que rien ne bouge aujourd’hui que rien ne bougera demain.
Ty McCormick
Traduit par Bérengère Viennot
SlateAfrique
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