mercredi 10 août 2011

Qui soutient Nafissatou Diallo?

Alors que l’incertitude plane sur les suites du procès intenté par le procureur de New York contre DSK, Kenneth Thompson, l’avocat de Nafissatou Diallo, poursuit son offensive et attaque au civil. L’objectif: obtenir des indemnités mais aussi maintenir la pression de l’opinion, en mobilisant les communautés africaines et africaine-américaine de New York.


Conférence de presse de Nafissatou Diallo au Centre culturel chrétien de Brooklyn, le 28 juillet 2011. REUTERS/Shannon Stapleton

Les batailles judiciaires, aux Etats-Unis, dépendent largement de l’opinion. Du coup, tout tend à devenir affaire de communication, avec des enjeux qui se superposent: l’affaire en elle-même, mais aussi les carrières respectives du procureur et des avocats des deux parties adverses.

Kenneth Thompson, ancien procureur africain-américain devenu avocat, tient une affaire extrêmement médiatique avec la défense de Nafissatou Diallo, femme de chambre accusant Dominique Strauss-Kahn (DSK) de l’avoir agressée sexuellement le 14 mai dans une suite de l’hôtel Sofitel de New York.
Décrédibiliser la victime

Opérant sur un terrain où tous les coups sont permis, ce professionnel de la justice connu pour son mordant s’est d’abord indigné des fuites orchestrées dans la presse par le bureau de Cyrus Vance, le procureur, début juillet.

Les fuites ont mis en doute la crédibilité de la victime, abondant dans le sens des avocats de DSK, alors que le procureur a pour mandat de protéger les victimes. Thompson a dénoncé ces fuites dans la forme comme dans le fond, puisqu’elle reposaient sur des bases apparemment branlantes: le premier jet d’une traduction d’une conversation tenue le 15 mai par Nafissatou Diallo avec un détenu ouest-africain, incarcéré pour trafic de cannabis. Un simple brouillon fait par un traducteur maîtrisant la langue peule du Sénégal (et non celle de Guinée, un peu différente). De la conversation, une phrase a été sortie de son contexte, faisant dire à Nafissatou Diallo: «Je sais ce que je fais, ce type a plein d’argent».

L’incertitude plane encore sur un éventuel non-lieu en faveur de DSK à l’issue de la prochaine audience de la procédure pénale, deux fois reportée et fixée au 23 août.

En attendant, Kenneth Thompson poursuit sa stratégie offensive. Il a d’abord organisé, le 25 juillet, le coming out médiatique de sa cliente après deux mois de silence. Dans une interview à Newsweek et sur la chaîne américaine ABC News, elle a enfin raconté son histoire avec ses mots et ses gestes, avant de faire une apparition ratée dans une église de Brooklyn, récitant un couplet manifestement dicté.

Kenneth Thompson a ensuite appelé toutes les victimes potentielles de DSK à venir témoigner. David Koubbi, l’avocat de la romancière française Tristane Banon, qui a décidé le 3 juillet deporter plainte en France pour tentative de viol contre DSK, s’est rendu à New York le 19 juillet, dans cette perspective.
Une plainte au civil qui brouille les pistes

Aujourd’hui, Thompson attaque au civil, avant même que le dénouement du procès pénal soit connu —fait très inhabituel aux Etats-Unis. Pour mémoire, Nafissatou Diallo n’a qu’un rôle de témoin devant la justice américaine. Elle n’a pas eu à porter plainte, puisque le procureur s’en est chargé pour elle, dans un premier procès qui oppose «le peuple de New York» à Dominique Strauss-Kahn.

En se portant cette fois partie civile, elle prend le risque de semer encore plus le doute sur ses intentions. Nafissatou a déjà été dénoncée par les avocats de DSK comme motivée par l’argent. Aussi, dans la plainte déposée le 8 août au civil, Kenneth Thompson prend-il soin de dénoncer une fois de plus les fuites organisées par le bureau du procureur:

«Elles ont eu pour résultat que certains croient maintenant, bien que ce ne soit pas exact, que Mme Diallo a monté l’agression sexuelle afin de soutirer de l’argent au défendant Strauss-Kahn».

Un procès en bonne et due forme contre DSK au pénal n’aura sans doute jamais lieu. Du coup, Thompson attaque au civil auprès d’un tribunal du Bronx pour «agression violente et sadique», avec réparation pour blessures physiques et psychologiques —ainsi que pour les frais d’avocat. Ces indemnités, dont le montant est laissé à l’appréciation du tribunal, seront basées sur«prépondérance de preuves», un niveau d’exigence moins élevé qu’au pénal. Dans cette partie, l’avocat joue ses propres honoraires, mais aussi sa crédibilité.
La mobilisation communautaire pèse lourd

Le fait a son importance aux Etats-Unis, même s’il est sous-estimé —voire critiqué— en France: le dossier a pris une dimension communautaire et politique depuis que Nafissatou Diallo a le soutien de poids lourds de la communauté africaine-américaine et africaine de New York. Les jurys du tribunal du Bronx, un quartier multiracial de 1,4 million d’habitants et qui compte 36% de noirs et 48% d’hispaniques, seront sensibles à cette mobilisation qui transcende les clivages habituels entres immigrés Africains et noirs américains.

D’autant que ce front commun, peu ordinaire, fait bloc pour défendre une femme noire agressée par un blanc, qui plus est un homme de pouvoir —l’un de ces role models dont la société américaine, puritaine, attend un comportement irréprochable, et dont elle se réjouit de la chute au premier écart.

Parmi ses alliés, Nafissatou Diallo peut compter sur un pasteur chrétien influent, le révérend Alfonso Bernard, un proche de Kenneth Thompson dont la paroisse revendique 33.000 fidèles. Elle est aussi soutenue par Bill Perkins, sénateur démocrate de New York, représentant les quartiers de Harlem, Upper West Side et Washington Heights à Manhattan.

Grâce au travail de lobbying de son avocat, elle est aussi défendue depuis le début du mois de juillet par des notables de la communauté africaine de New York. Parmi eux figure Souleymane Konaté, un imam ivoirien de Harlem, Miss Guinée-USA, des membres de l’influente Association des Sénégalais d’Amérique et de l’African United Congress (UAC). Cet organe de tutelle chapeaute de multiples associations représentant les communautés immigrées venues d’Afrique, à New York et dans le New Jersey. Son directeur exécutif, Spencer Chiimbwe, est un ressortissant zambien, fondateur en 2007 du New York Center for Conflict Dialogue, qui prône la résolution des conflits par la voie diplomatique.

Selon nos informations, Kenneth Thompson a reçu le 7 juillet dans son bureau sept personnalités africaines de New York, parmi lesquelles des membres de l’UAC, pour leur demander de se mobiliser. Leur soutien n’était pas acquis d’avance, dans la mesure où les communautés qu’ils représentent se sont montrées pour le moins perplexes sur l’affaire DSK. Parmi les Guinéens du Bronx notamment, les uns ont soupçonné Nafissatou Diallo d’être manipulée, les autres ont vu en elle une simple victime, et la plupart s’en sont remis à la justice américaine.

Par ailleurs, une certaine méfiance se fait parfois ressentir dans les rapports entre noirs américains et immigrés africains. Parmi les Africains qui soutiennent Nafissatou Diallo, certains redoutent, en aparté, d’être récupérés par les Africains-Américains, formatés par le racisme qu’ils ont subi et le discours antiraciste qu’ils ont construit.

Alors qu’en Afrique on ne se mobilise guère en faveur de Nafissatou Diallo, en France, plusieurs comités de soutien se sont formés sur Facebook, regroupant entre 500 et 2.000 sympathisants. Une pétition a notamment été lancée en ligne par l’écrivain et réalisateur Claude Ribbe, métis guadeloupéen. Un comité plus récent, Justice pour Nafissatou Diallo, a été fondé par des féministes françaises, dont Sanaba Coné Camara, cuisinière en collectivité d’origine guinéenne.

Sabine Cessou
SlateAfrique

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