La candidature de Youssou Ndour a été invalidée le 26 janvier, et un recours a été rejeté. Un nouveau cran a été franchi, dans l’antagonisme entre Youssou Ndour et le régime Wade, que le chanteur soutenait autrefois.
Youssou Ndour le 10 juillet 2010. REUTERS/Valentin Flauraud
Du jamais vu à Dakar: Youssou Ndour s’est fait bousculer par des policiers zélés, le 28 janvier, lorsqu’il a rendu visite, comme les autres candidats à la présidentielle, au dirigeant du Mouvement du 23 juin (M23), Alioune Tine, qui a passé la nuit à la Direction des investigations criminelles (Dic).
Youssou Ndour, après avoir fait une sortie virulente contre le régime Wade sur sa chaîne de télévision le 27 janvier, s’est dit «menacé» le 30 janvier par un régime qui n’hésite pas à recourir à la violence.
L’antagonisme n’a jamais été aussi poussé entre Youssou Ndour et Abdoulaye Wade, le candidat du Sopi, le changement, qu’il soutenait pourtant au moment de son accession au pouvoir, en 2000. En invalidant la candidature du chanteur, le pouvoir montre des signes de grande nervosité, à un mois de la présidentielle du 26 février.
Le Conseil constitutionnel a donné au roi du mbalax la stature politique qui lui faisait défaut chez lui. Très remarquée par la presse internationale, sa candidature n’était jusqu’à présent pas prise très au sérieux au Sénégal, faisant l’objet d’une déluge de critiques, d’une certaine perplexité et de soutiens plus rares.
Abdoulaye Wade, le président sortant, âgé de 85 ans, brigue un troisième mandat, alors qu’il en a déjà rempli deux, le nombre maximum de mandats successifs selon la Constitution du Sénégal, qu’il a lui-même fait modifier pour introduire cette limitation.
Sa candidature est très contestée, et c’est surtout sa validation qui a enflammé Dakar le 28 janvier au soir, le temps d’une nuit. Dès le lendemain, le calme était de retour et les grands marchés de Dakar, Sandaga et Colobane, étaient ouverts.
L’argument paraît d’autant plus fallacieux que Youssou Ndour, l’une des personnalités les plus populaires du pays, fait partie des candidats ayant eu le moins de difficultés à rassembler des signatures.
«Très peu de Sénégalais sont convaincus que le Conseil constitutionnel a dit le droit, explique à Slate Afrique le journaliste sénégalais Mame Less Camara. D’ailleurs, les cinq sages du Conseil constitutionnel ont aussitôt été surnommés les cinq calamités».
Selon cet analyste politique, l’invalidation de la candidature de Youssou Ndour n’était guère prévisible et montre à quel point le pouvoir se sent menacé.
«Deux raisons à cela: l’intérêt médiatique suscité par Youssou Ndour va placer le scrutin sous haute surveillance et rendre la fraude plus difficile. D’autre part, le chanteur exerce une nouvelle concurrence sur l’électorat traditionnel du PDS, que vont par ailleurs se disputer trois autres candidats.»
Parmi ces derniers, deux anciens Premier ministres de Wade, Idrissa Seck et Macky Sall, mais aussi Amsatou Sow Sidibé, juriste et militante féministe.
«Avec You qui risque de se servir dans la même assiette, il pourrait ne pas rester suffisamment de voix pour que Wade soit en course au second tour», explique Mame Less Camara.
Et ce, d’autant plus que Youssou Ndour menace Wade sur son propre terrain, l’électorat mouride, la plus grande confrérie musulmane du Sénégal, à laquelle il appartient.
Le marabout Cheikh Béthio Thioune, populaire chez les jeunes de Dakar, a déjà demandé à ses disciples de «prier» pour Youssou Ndour – une consigne interprétée comme un soutien politique.
Il l’a dit et répété: «Nous n’accepterons jamais une élection avec Abdoulaye Wade».En tenant cette ligne dure, de manière plus catégorique que bien d’autres dirigeants de l’opposition, Youssou Ndour devient la figure du proue de la résistance organisée par la société civile, et notamment le Mouvement du 23 juin (M23) ainsi que les jeunes de Y’en a marre.
Les autres dirigeants de l’opposition tentent d’attraper le train en marche: sept d’entre eux (Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Ibrahima Fall, Idrissa Seck, Macky Sall, Cheick Bamba Dièye et Diouma Diakhaté) ont en effet déposé le 28 janvier un dossier au Conseil constitutionnel visant à récuser la candidature d’Abdoulaye Wade.
Qu’est-ce qui fait courir Youssou Ndour? Beaucoup se posent la question, et certains l’accusent d’avoir des intérêts financiers en jeu – il s’agirait pour lui de ne pas payer tout ce qu’il doit au fisc, selon les mauvaises langues. D’autres, au contraire, saluent le courage d’un artiste qui s’engage sincèrement pour son pays.
Il mobilise ses fans, lance une pétition et ne lâche pas prise: il continue d’investir dans sa chaîne, et finit par décrocher la licence en mai 2010, assortie d’une restriction qu’il ne va pas respecter.
La Télévision Futurs Médias (TFM) est censée ne diffuser que des émissions culturelles. Elle va néanmoins aborder des sujets politiques, et sert aujourd’hui de véritable tribune à son propriétaire.
Parmi les quelques soutiens déclarés à Youssou Ndour figure le très populaire lutteur Balla Gaye 2, mais aussi le grand patron Bara Tall, qui a eu maille à partir avec le régime Wade. PDG au Sénégal du groupe de BTP Jean Lefebvre et ancien associé de Youssou Ndour dans le groupe Set Com, Bara Tall a été accusé de sur-facturation dans l’affaire des chantiers de Thiès .
Il a tâté de la prison sous le régime Wade, et soutient Youssou Ndour en tant qu’entrepreneur tenant tête au pouvoir. Symptômatique des méthodes tant reprochées à l’administration Wade: les manoeuvres aussitôt engagées pour entraver les affaires de Youssou Ndour...
Abdoulaye Wade aurait notamment «ordonné» à l’homme d’affaires Cheik Amar de se retirer de ses 35% de capital dans le groupe de presse du chanteur, Futurs médias.
Pour Mame Less Camara, le régime Wade est aux abois: «Un proverbe dit chez nous que celui qui doit mourir à la guerre commet toutes les imprudences ce jour-là. Le pouvoir actuel accumule les gaffes, toujours plus grosses à chaque fois, comme s’il le faisait exprès.»
Sabine Cessou
SlateAfrique
Le Conseil constitutionnel a donné au roi du mbalax la stature politique qui lui faisait défaut chez lui. Très remarquée par la presse internationale, sa candidature n’était jusqu’à présent pas prise très au sérieux au Sénégal, faisant l’objet d’une déluge de critiques, d’une certaine perplexité et de soutiens plus rares.
Abdoulaye Wade, le président sortant, âgé de 85 ans, brigue un troisième mandat, alors qu’il en a déjà rempli deux, le nombre maximum de mandats successifs selon la Constitution du Sénégal, qu’il a lui-même fait modifier pour introduire cette limitation.
Sa candidature est très contestée, et c’est surtout sa validation qui a enflammé Dakar le 28 janvier au soir, le temps d’une nuit. Dès le lendemain, le calme était de retour et les grands marchés de Dakar, Sandaga et Colobane, étaient ouverts.
Colère d’une large partie de l’opinion sénégalaise
L’invalidation de la candidature de Youssou Ndour n’a fait qu’ajouter à la colère d’une large partie de l’opinion sénégalaise. Selon le Conseil constitutionnel, Youssou Ndour a présenté une liste de 12.936 électeurs ayant signé en sa faveur (alors que le seuil minimal est de 10.000), sur lesquelles seulement 8.911 ont pu être vérifiées.L’argument paraît d’autant plus fallacieux que Youssou Ndour, l’une des personnalités les plus populaires du pays, fait partie des candidats ayant eu le moins de difficultés à rassembler des signatures.
«Très peu de Sénégalais sont convaincus que le Conseil constitutionnel a dit le droit, explique à Slate Afrique le journaliste sénégalais Mame Less Camara. D’ailleurs, les cinq sages du Conseil constitutionnel ont aussitôt été surnommés les cinq calamités».
Selon cet analyste politique, l’invalidation de la candidature de Youssou Ndour n’était guère prévisible et montre à quel point le pouvoir se sent menacé.
«Deux raisons à cela: l’intérêt médiatique suscité par Youssou Ndour va placer le scrutin sous haute surveillance et rendre la fraude plus difficile. D’autre part, le chanteur exerce une nouvelle concurrence sur l’électorat traditionnel du PDS, que vont par ailleurs se disputer trois autres candidats.»
Parmi ces derniers, deux anciens Premier ministres de Wade, Idrissa Seck et Macky Sall, mais aussi Amsatou Sow Sidibé, juriste et militante féministe.
«Avec You qui risque de se servir dans la même assiette, il pourrait ne pas rester suffisamment de voix pour que Wade soit en course au second tour», explique Mame Less Camara.
Et ce, d’autant plus que Youssou Ndour menace Wade sur son propre terrain, l’électorat mouride, la plus grande confrérie musulmane du Sénégal, à laquelle il appartient.
Le marabout Cheikh Béthio Thioune, populaire chez les jeunes de Dakar, a déjà demandé à ses disciples de «prier» pour Youssou Ndour – une consigne interprétée comme un soutien politique.
Le chanteur gêne le pouvoir
Youssou Ndour gêne aussi le pouvoir en gardant un cap des plus intransigeants: il conteste depuis le début la candidature d’Abdoulaye Wade et réfute son droit à se présenter pour un troisième mandat. C’est la motivation principale de sa candidature.Il l’a dit et répété: «Nous n’accepterons jamais une élection avec Abdoulaye Wade».En tenant cette ligne dure, de manière plus catégorique que bien d’autres dirigeants de l’opposition, Youssou Ndour devient la figure du proue de la résistance organisée par la société civile, et notamment le Mouvement du 23 juin (M23) ainsi que les jeunes de Y’en a marre.
Les autres dirigeants de l’opposition tentent d’attraper le train en marche: sept d’entre eux (Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Ibrahima Fall, Idrissa Seck, Macky Sall, Cheick Bamba Dièye et Diouma Diakhaté) ont en effet déposé le 28 janvier un dossier au Conseil constitutionnel visant à récuser la candidature d’Abdoulaye Wade.
Qu’est-ce qui fait courir Youssou Ndour? Beaucoup se posent la question, et certains l’accusent d’avoir des intérêts financiers en jeu – il s’agirait pour lui de ne pas payer tout ce qu’il doit au fisc, selon les mauvaises langues. D’autres, au contraire, saluent le courage d’un artiste qui s’engage sincèrement pour son pays.
Le régime Wade est aux abois
Youssou Ndour, que ses fans appellent «président» depuis plusieurs mois, a été poussé dans l’arène politique par le pouvoir. Quand les autorités lui refusent une licence pour lancer sa télévision privée, en 2008, il lance un mouvement relevant de la société civile, Feke Ma Ci Boolé (“Je suis témoin donc je m’engage”).Il mobilise ses fans, lance une pétition et ne lâche pas prise: il continue d’investir dans sa chaîne, et finit par décrocher la licence en mai 2010, assortie d’une restriction qu’il ne va pas respecter.
La Télévision Futurs Médias (TFM) est censée ne diffuser que des émissions culturelles. Elle va néanmoins aborder des sujets politiques, et sert aujourd’hui de véritable tribune à son propriétaire.
Parmi les quelques soutiens déclarés à Youssou Ndour figure le très populaire lutteur Balla Gaye 2, mais aussi le grand patron Bara Tall, qui a eu maille à partir avec le régime Wade. PDG au Sénégal du groupe de BTP Jean Lefebvre et ancien associé de Youssou Ndour dans le groupe Set Com, Bara Tall a été accusé de sur-facturation dans l’affaire des chantiers de Thiès .
Il a tâté de la prison sous le régime Wade, et soutient Youssou Ndour en tant qu’entrepreneur tenant tête au pouvoir. Symptômatique des méthodes tant reprochées à l’administration Wade: les manoeuvres aussitôt engagées pour entraver les affaires de Youssou Ndour...
Abdoulaye Wade aurait notamment «ordonné» à l’homme d’affaires Cheik Amar de se retirer de ses 35% de capital dans le groupe de presse du chanteur, Futurs médias.
Pour Mame Less Camara, le régime Wade est aux abois: «Un proverbe dit chez nous que celui qui doit mourir à la guerre commet toutes les imprudences ce jour-là. Le pouvoir actuel accumule les gaffes, toujours plus grosses à chaque fois, comme s’il le faisait exprès.»
Sabine Cessou
SlateAfrique
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