vendredi 20 avril 2012

Nord-Kivu : ruée sur le Masisi, nouvel eldorado des riches

VENDREDI, 20 AVRIL 2012



(Syfia Grands-Lacs/RD Congo) Les pâturages du Masisi sont l'or vert du Nord-Kivu où se ruent hommes d’affaires, acteurs politiques et officiers de l’armée. 

Sur ces terres, longtemps champs de bataille, ils élèvent des milliers de vaches de plus en plus productives. De petits agriculteurs s'en réjouissent ; d'autres se sentent frustrés.

À 40 km à l’ouest de Goma, commencent les immenses et toujours verts pâturages du territoire de Masisi. Ces derniers temps, des hommes d’affaires, des militaires et des hommes politiques s'y sont taillés de grandes exploitations agropastorales sur des terres qui étaient, il y a trois ans, des champs de bataille comme à Luhonga. 

"Mon patron est devenu acquéreur de 160 hectares. Je supervise le service vétérinaire. Notre rendement s’améliore de jour en jour", témoigne Prophil Mulindwa, un vétérinaire rencontré dans un pâturage à Kobe, à 17 km de Sake. 

Quelques kilomètres séparent cette propriété d’une autre vaste étendue clôturée par des fils barbelés. Il est 7 heures du matin. Des bouviers chargent des cuves en aluminium pleines de lait sur une camionnette ; d’autres vont traire des vaches dans l’autre ferme de la Coopérative des agriculteurs-éleveurs (CAGEL) à Luhonga. 

Le propriétaire de cette concession de 150 ha vient de gagner un procès qui l'opposait aux paysans à qui il avait acheté les terres. "J’ai acheté cette concession en 2009, mais je me suis heurté à un contentieux foncier à la justice. 

Grâce à la médiation d’UN Habitat et du gouvernement, l’affaire s’est terminée à l’amiable. J’ai été obligé de céder 30 ha pour clore l’affaire et vivre en bonne entente avec eux", explique Emmanuel Kamanzi Runigi, propriétaire de cette exploitation.

Les villageois mieux nourris

"Le développement bien quantifié chasse la guerre, poursuit-il, à condition de ne pas pratiquer la politique des riches contre les prolétaires, et de s’occuper des paysans d’abord pour avoir une main-d’œuvre locale. 

Celle-ci, à son tour, s’appropriera la protection de nos patrimoines contre tout esprit belliciste d’où qu'il viendrait." Les riverains bénéficient de ces implantations nouvelles. "Cela fait à peine trois ans que nous vivons du fruit des efforts des nouveaux concessionnaires. 

Je tiens à féliciter ces opérateurs économiques qui ont tourné leur vision vers ce que les autres ont négligé. Grâce à eux nous bénéficions de petits jobs qui nous procurent de l’argent", reconnaît un habitant de Luhonga. 

En plus de l'argent, la sécurité alimentaire est revenue. "Certains ont construit des maisons après avoir fait des travaux manuels dans des fermes. Nous autres en profitons pour nous alimenter. Chaque matin, on se procure du lait pour notre santé et celle de nos enfants", souligne cette femme, bébé au dos et bouteille de lait frais à la main. 

"Les jours des festivités de la Saint-Sylvestre, on se procure aussi de la viande sans beaucoup de gymnastique comme avant, se félicite Adalbert M. qui habite Mushaki. Il suffit d’exécuter de petits travaux communautaires dans une ferme pour qu’en retour on nous donne une vache pour le groupe. Quoi de mieux ?", interroge-t-il.

Des fermes prometteuses

Les nouveaux acquéreurs de terres dans le Masisi ne veulent que la paix. Pour eux, l’heure du développement et de la réconciliation a sonné. Chaque propriétaire met les bouchées doubles pour améliorer la production. "Avant, nous produisions quelques litres de lait, mais grâce à la sélection des bêtes, suivie de traitements systématiques, nous sommes passés de 200 litres à 500, voire 600 par traite, équivalant à 315 $ par jour", précise Prophil Mulindwa. 

La plupart de ces exploitations ne font que démarrer, mais elles sont prometteuses. "Nos fermes sont jeunes : il nous faut beaucoup de travail pour en arriver à exporter nos productions", estime un autre jeune éleveur de Mushaki. 

Depuis 1994, pendant le cycle des guerres, 500 000 bêtes ont été exterminées, mais désormais le nombre de vaches ne cesse d'augmenter. "C’est maintenant ou jamais. 

Tout le monde veut à tout prix devenir éleveur même sans espace. Nous comptons aller de l’avant. Notre objectif est d’atteindre 30 litres de lait par vache et par jour", insiste Emmanuel Kamanzi. 

Aujourd'hui, du président de la République aux généraux, dont Bosco Ntaganda en passant par les opérateurs économiques, tout le monde est dans le Masisi, le nouvel or vert du Nord-Kivu. 

Les éleveurs souhaitent l’implantation d’une laiterie moderne de grande capacité comme celle installée au Sud-Kivu par le gouvernement, ce qui permettrait de conserver leur production, de la gérer, d'exporter et prochainement de transformer le lait frais en poudre. 

Toutes ces prévisions sont encourageantes, mais certains paysans se sentent dépossédés : "C’est sans vergogne que des riches s’arrangent avec des agents de cadastre pour prendre notre terre, dénonce un paysan de Katale. 

On le constate lorsqu’ils viennent mesurer les hectares de la terre de nos ancêtres. Vu que la corruption a gangréné la justice congolaise, nous sommes contraints de céder…"

Alain Wandimoyi

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