mardi 3 juillet 2012

A Tombouctou, c'est la culture africaine que l'on assassine

Tombouctou est la ville symbole de la dignité africaine comme Bamako est celle de notre expérience démocratique.

Tombouctou et sa mosquée du XIIIème siècle. REUTERS/Luc Gnago
 
1er juillet 2012: Des islamistes d'Ansar Dine, un des groupes armés contrôlant le nord du Mali, ont démoli, samedi 30 juin, des mausolées de saints musulmans dans la ville mythique de Tombouctou, classée patrimoine mondial en péril, et Bamako a dénoncé "la furie destructrice" de ces actes assimilables "à des crimes de guerre".
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Il y a quelques jours Tombouctou est retournée au XVIème siècle. Des forces rebelles du mouvement Ansar Dine d’Iyad Ag Ghali se la disputent avec les celles du MNLA, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad, sans parler de dirigants d’Aqmi qu’on y signale.

Centre pulsatif de l’intelligence africaine


Avec cette ville, capitale culturelle de l’Afrique au sud du Sahara, est également tombée Gao, d’égale renommée. Ainsi c’est le centre pulsatif de l’intelligence africaine la plus profonde qui est menacé, ces deux villes n’ayant pas seulement produit des lettrés de renom tel Al Hadj Mahmoud Kati, mais aussi de centaines de milliers de documents de mathématiques, d’astronomie et d’autres sciences qui ont défini de manière inébranlable le savoir africain, et produit des textes influents dont ses Chroniques de Tombouctou, écrites de 1493 à 1599. Depuis ces villes sont comptées dans le mémorial de notre collective humanité, et protégées en tant que telles.

Mais ce qui s’est effondré ici aussi, c’est une expérience démocratique de vingt ans, née avec les années 1990 et la constitution malienne de la démocratie arrachée aux mains de soldats de Moussa Traoré.

Autant que la chute de Tombouctou, le coup d’Etat perpétré à Bamako, à quelques semaines d’une élection au cour de laquelle le président sortant, Amadou Toumani Touré, n’était pas candidat aura donné un coup de couteau dans le dos d’une génération de Maliens qui a vingt ans aujourd’hui, aura grandi dans la démocratie et se préparait à l’utiliser pour définir son futur à sa guise.

Depuis, le Mali, la troisième des rares expériences démocratiques en Afrique francophone a été coupé du monde. Pris en otage par une junte pour qui l’Etat n’est qu’un butin, frappé par un embargo complet des pays membres de la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest), vivant sous la menace d’une intervention militaire étrangère appuyée par la Côte d’ivoire au Sud autant que d’une incursion des forces rebelles au Nord, les populations maliennes ont plus que jamais besoin de se sentir soutenues et aidées.

Tandis que la voix unie de la société civile et des partis politiques maliens nous parvient qui exige le retour immédiat des institutions républicaines et la restitution de l’Etat démocratique, la junte joue avec le temps et miroite l’illusion d’un dialogue avec les populations, en même temps qu’elle recule devant les attaques contre l’Etat malien même, et donc la protection ces populations-là.

Nous ne pouvons rester indifférents à ces cris


Certes des voix discordantes se font entendre ici et là, qui opportunistes lui font allégeance ou alors se disent soulagées par le coup d’Etat qui aurait mis fin à la décrépitude de l’Etat et à une impasse de la démocratie malienne.

En même temps cependant nous parviennent aussi des voix qui dans le chuchotement nous disent craindre que commence bientôt les arrestations de nuit, parce que le fascisme se serait installé au Mali, sous la forme d’une coalition entre les partis radicaux populistes, la junte et les islamistes.

Nous ne pouvons rester indifférents à ces cris. Comme Tombouctou aura été l’une des capitales africaines de la culture, Bamako aura été l’une de celles de la démocratie en Afrique d’expression française. Comme la culture, la démocratie est vulnérable. Comme la culture, la démocratie se défend. Le respect des textes se défend.

Il y va autant des manuscrits centenaires de la cité des sables, que des textes qui légifèrent la république. Il y va autant des universités de l’intelligence africaine, que des institutions du droit qui régissent la vie aujourd’hui au Mali. Il y va d’une défense de l’expérience malienne de l’humanité, de la liberté et de la dignité.

Paris aura été épargnée par les nazis, tout comme Heidelberg par les forces alliées lors de la deuxième guerre mondiale, à cause du capital autant symbolique qu’intellectuel que représentaient ces villes.

De même Tombouctou est aujourd’hui la ville symbole de la dignité africaine comme Bamako est celle de notre expérience démocratique. Sauvons Tombouctou, aidons le Mali!

Patrice Nganang
Ecrivain camerounais

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