mercredi 8 mai 2013

La responsabilité personnelle de Deogratias Bugera dans les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par l’APR au Congo-Zaïre.


Déogratias Bugera, président de l’Alliance démocratique des peuples (ADP)

Notice préliminaire

Dans deux jours, le Front patriotique rwandais va commémorer le déclenchement du génocide au Rwanda. Les discours officiels vont présenter les dirigeants actuels au pouvoir au Rwanda comme les Sauveurs des Tutsi. Si ce qui se passe au Rwanda nous intéresse, c’est parce que l’actualité politique a mis en lumière le rôle que les dirigeants du FPR ont joué dans la déstabilisation de la République démocratique du Congo. 
 
Le texte que nous publions ici apporte des preuves irréfragable sur l’implication du Rwanda dans l’invasion du Congo et sur la complicité de certains «compatriotes» congolais. Puisse ce texte amener les Parlementaires congolais à proposer un projet de Loi à l’effet de rendre inéligible tout Congolais ayant pris les armes contre la RDC et le Procureur général de la République à initier une information judiciaire contre Bugera s’il n’est pas encore rentré au Rwanda afin de le déchoir de la citoyenneté congolaise acquise aux termes de l’article 15 de la Loi dite Bisengimana. 
 
Puisse le tribunal international pour le Rwanda dont la compétence temporelle couvre les faits commis entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 au Rwanda et dans les pays voisins s’appuyer sur ce texte pour inculper les principaux dirigeants du FPR pour les actes susceptibles de rentrer dans son mandat. 
 
Mais par-dessus tout, le texte met en exergue le rôle des chercheurs et des scientifiques congolais dans la lutte contre l’impunité. Le Rapport Mapping a ouvert pour eux un champ de recherche encore inexploré. Chercheurs congolais, allez-y : ce texte est pour vous un paradigme....

Introduction

L’histoire de la République démocratique du Congo est émaillée par des crimes graves. Malheureusement, bien qu’ils soient identifiés et connus, les auteurs présumés desdits crimes n’ont été déférés devant aucune juridiction, nationale ou internationale. 
 
Au contraire, à la faveur des lois successives d’amnistie qui ont paralysé toute action judiciaire à leur encontre, ils se sont vu confier de grandes responsabilités au sein de l’appareil de l’État congolais et des instances décisionnelles qui participent à la gestion de l’État.

Ainsi, en dépit de la volonté politique exprimée dans le préambule de la Constitution congolaise du 18 février 2006, la lutte contre l’impunité en République démocratique du Congo demeure une véritable gageure et un horizon sans cesse lointain. 
 
Elle ne deviendra effective que si les auteurs présumés des crimes graves sont non seulement exclus de toute charge publique mais aussi cités devant les instances judiciaires compétentes pour répondre de leurs actes. Le respect du principe de la primauté du droit est à ce prix.

Combat de longue haleine, la lutte contre l’impunité en République démocratique du Congo devrait devenir global et bénéficier des apports de tous : chercheurs de divers domaines scientifiques (histoire, sociologie, anthropologie, philosophie, etc.), écrivains, artistes, professeurs des universités, acteurs de la société civile, opérateurs judiciaires, hommes et femmes d’église, simples citoyens, etc. 
 
Il faudrait que toute la collectivité se mobilise pour que soit enrayée l’impunité qui protège tous ceux qui violent nos mères sous nos yeux, assassinent les paisibles citoyens, volent l’État, détournent les deniers publics, corrompent les fonctionnaires, prennent le pouvoir par la violence et tirent à bout portant sur les manifestants qui réclament la vérité des urnes, etc. 
 
Quel avenir une société peut-elle avoir si des hommes honnêtes doivent être dirigés par des truands et des criminels ? Quelle société sommes-nous devenus si des incultes doivent être promus au titre de «Général» pendant que les citoyens formés aux frais de l’État congolais dans les grandes académies sont humiliés parce qu’ils ont refusé de prendre les armes pour changer l’ordre constitutionnel du pays ?

Le combat contre l’impunité doit devenir global. Les chercheurs peuvent y contribuer, notamment, en mettant à la disposition des organes de la loi des informations documentées, vérifiées, fiables et crédibles issues de leurs travaux de recherche. 
 
Les associations de défense des droits de l’homme peuvent y contribuer en publiant des rapports fouillés sur les actes commis au cours de telle ou telle période de l’histoire de la République démocratique du Congo. 
 
Le Rapport Mapping a démontré que de telles contributions ne finissent jamais leur vie dans la poubelle de l’histoire nationale. Mais au contraire, elles offrent des indices fiables et précieux dont peuvent se serviront, demain, les tribunaux pour engager des poursuites, notamment contre ceux qui ont pris les armes contre la République démocratique du Congo et fauché la vie de milliers de Congolais[1] : les dirigeants de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, du Front Patriotique Rwandais, du Rassemblement Congolais pour la démocratie, du Mouvement du 23 mars, du Congrès national pour la défense du peuple, du Mouvement national pour la libération du Congo et des autres milices armées actives à l’Est de la République démocratique du Congo.

D’autant plus que les crimes de guerre et crimes contre l’humanité demeurent imprescriptibles. L’action publique ne sera jamais frappée de forclusion du fait de l’écoulement du temps. À tout moment, des poursuites contre les présumés auteurs de ces crimes pourront toujours être enclenchées. 
 
Surtout, lorsque des personnes attachées à la primauté du droit se verront confier la direction de l’État en République démocratique du Congo. Parce qu’on ne peut faire de la guerre un moyen licite de régler les dissensions dans une société des hommes. Ni de changer l’ordre constitutionnel comme on l’a fait en mai 1997. Il faut que ceux qui tuent répondent absolument de leurs crimes.

Mais encore faut-il qu’il y ait des preuves : « Idem est non esse aut non probari » (Une absence de preuve équivaut à une absence de droit. Il revient au demandeur d’apporter contre le défendeur les preuves de ses allégations comme le suggère un autre adage : « actori incubit probatio »[2].

Tiré de notre réflexion sur La responsabilité de Paul Kagamé dans les crimes commis au Congo : le devoir de déconstruire le discours de mensonge des lobbyistes proches du Front Patriotique Rwandais, le présent texte sur la responsabilité de Bugera dans les crimes graves commis en RDC s’inscrit dans ce contexte et participe de cet effort collectif de lutte contre l’impunité en République démocratique du Congo en mettant à la disposition du public des informations documentées sur le rôle qu’il a joué dans les actes commis par l’Armée patriotique rwandaise lors de l’invasion du Congo par le Rwanda, appuyé par l’Ouganda, le Burundi, les États-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne.

En effet, le 16 février dernier, un groupe d’intellectuels qui se décrivent comme des «chercheurs, des écrivains, des artistes et professeurs des universités» et que nous considérons comme proches du lobby des dirigeants du Front Patriotique Rwandais au pouvoir à Kigali a, sous l’égide du Congolais Kä Mana, Président du Pole Institute, adressé une lettre au Secrétaire général des Nations Unies en rapport avec la crise créée par l’agression de la République démocratique du Congo par le Rwanda, à travers sa milice armée dénommée le M 23.

Dans cette lettre, les auteurs parlent de l’hostilité et de discrimination dont seraient victimes les populations d’expression kinyarwandophone. Dans le texte que nous avons préparé pour déconstruire l’argumentaire que Kä Mana[3], nous nous sommes posé la question que Kä Mana et ses collègues chercheurs auraient dû en principe se poser avant d’écrire au Secrétaire général des Nations Unies pour accuser les Congolais d’être hostiles aux populations d’expression kinyarwandophone. 
 
Nous avons voulu d’abord comprendre pourquoi les Congolais qui sont mondialement connus comme un peuple hospitalier et qui ont toujours accueilli sur leur territoire les ressortissants de tous les pays limitrophes de la République démocratique du Congo ne seraient hostiles que vis-à-vis des populations d’expression kinyarwandophone. Sans prendre parti pour les uns ou pour les autres, nous devons avouer que l’accusation ou, à tout le moins, le procès d’intention nous avait tout de même intrigués.

Nos recherches qui nous ont permis de mieux comprendre le contexte historique de la décision du HCR-PT du 28 avril 1995 et d’émettre quelques hypothèses sur la cause et l’origine possibles de cette hostilité, ont ouvert une véritable boîte de pandore. L’hostilité dont parle Kä Mana pourrait trouver son origine non pas dans la méchanceté ou l’intolérance des Congolais comme d’aucuns le prétendent, mais dans des gestes de «manque de loyauté» (Charles ONANA, Ces tueurs tutsi au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p. 107-108) dont certains membres de cette communauté se sont rendus coupables vis-à vis de la République démocratique du Congo, leur pays de citoyenneté par choix. Le cas de Bugera dont nous reproduisons ici les aveux n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Dénicher les autres est un travail de titan. Qui requiert l’apport de tous. La paix en RDC en dépend.

L’intérêt de ce texte est paradigmatique : le texte indique une démarche scientifique. Il ne peut être interprété comme une attaque contre qui que ce soit. Toute réplique devrait se situer sur le même palier : celui de l’argument et de la preuve. C’est sur ce ring que s’affrontent des universitaires…

En 1996, le Rwanda, par l’AFDL interposée, envahissait le Zaïre. Par naïveté, les Congolais ont fait de cette guerre leur propre guerre. Ils l’ont appelée la «guerre de libération». Tels les chrétiens catholiques le dimanche de rameaux, tous les Congolais criaient «Hosanna, Hosanna» lorsque les Rwandais qui enrôlaient et faisaient tuer leurs enfants arrivaient dans leurs villes ou villages. Ils ne pouvaient pas imaginer que l’invasion de leur pays procédait d’une planification et que cette invasion devait intervenir après la chute du pouvoir hutu du Rwanda, chute à laquelle certaines communautés de l’Est du Congo avaient apporté leur concours actif comme nous allons le démontrer dans les lignes qui suivent. Preuves à l’appui.

Jason K. Stearns raconte, par exemple, comment, dès 1990, alors qu’ils vivaient paisiblement dans leur patrie d’adoption, des Congolais d’origine rwandaise ont librement rejoint le Front Patriotique Rwandais de Paul Kagamé pour reconquérir ce qu’ils appelaient «leur pays». 
 
Ils disaient : «Il faut tupate adresse, il faut que nous ayons notre adresse» (Jason K. STEARNS, Dancing in the Glory of Monsters. The collapse of the Congo and the Great War of Africa, Public Affairs, New York, 2012, p. 75) alors qu’ils étaient bien intégrés dans leur pays d’adoption et n’y étaient confrontés à aucune discrimination, de quelque nature que ce soit. Ntaganda faisait justement partie de ce groupe de jeunes. Voyez où cela l’a conduit.

Selon Stearns, en effet, les relations entre les membres des communautés d’expression kinyarwanda entre elles se sont dégradées davantage lorsque le FPR de Paul Kagamé est entré dans le décor : «Relations between the Hutu and Tutsi only started to sour with the eruption of civil war in Rwanda in 1990. The hysteria there contaminated the Kivus, driving a wedge between the communities in North Kivu. Hutu youngsters, in particular those close to the border, rallied to Habyarimana’s side, while the Tutsi joined up with the RPF» (Stearns, 75).

Ce n’est que beaucoup plus tard, en juillet 1998 que les Congolais se réveilleront de leur coma dogmatique pour comprendre que le Front Patriotique Rwandais avait un autre agenda et que l’AFDL n’était qu’un simple Cheval de Troie. Trop tard, le mal était déjà fait : nos institutions sanitaires, culturelles et sanitaires étaient délibérément détruites par les troupes de l’Armée patriotique rwandaise. Les réserves en or du pays étaient vidées pour être déposées dans les banques rwandaises. Limousines et autres voitures de luxe prenaient l’avion pour atterrir à Kigali. Un pillage en règle du pays.

En effet, le FPR avait mis en place le plan d’envahir le Congo dès le jour de sa création. Les fondateurs du FPR avaient assigné trois objectifs à leur mouvement : éliminer le plus grand nombre des Hutus du Rwanda, semer la terreur au Congo afin de piller les ressources minières et autres de ce pays pour reconstruire le Rwanda[4].

Conscient qu’un tel acte est une violation du droit international et soulèverait un tollé général, Museveni a proposé à Kagamé de recruter quelques hommes de paille congolais qui devraient maquiller le Rwanda : «Go look for Congolese rebels (…) who could act as a fig leaf for Rwandan involvemnt. He (Museveni) introduced him to a veteran Congolese rebel leader based out of Dar es Salaam, Tanzania’s business capital on the Indian Ocean, whom he had met in the 1980s, a talkative and corpulent man called Laurent Kabila» (Stearns, 53). Museveni l’avait convaincu de «not to act brashly» (Stearns, 53) et surtout de prendre des précautions nécessaires et surtout d’avoir des appuis des États puissants comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou l’Afrique du Sud avant de porter atteinte à la souveraineté du Congo-Zaïre. Il s’agit en fait de trois États qui sont parmi ceux qui ont apporté le soutien le plus actif au projet de l’invasion du Congo-Zaïre par l’Armée tutsi de Paul Kagamé et qui s’étaient opposés aux poursuites que Carla del Ponté avait voulues intenter contre Kagamé et les autres principaux dirigeants du FPR.

Au début de 1993, par exemple, le Docteur Sondji avait été contacté par un émissaire de Museveni, M. Kahinda Otafire, pour qu’il prenne part au projet de l’invasion du Congo par une insurrection armée. La rencontre avait eu lieu à Bruxelles (Stearns, 346, note 11). Monsieur Etienne Tshisekedi était approché mais il avait réservé une fin de non recevoir catégorique à tout projet de recourir à l’insurrection armée pour changer l’ordre constitutionnel en République démocratique du Congo.

Quant à Laurent-Désiré Kabila, il a accepté avec enthousiasme le projet que lui proposait le Rwanda. Il fut invité à se rendre à Kigali pour créer l’AFDL. Accompagné de Joseph Kabila, actuel chef de l’État de la République démocratique du Congo, Laurent-Désiré Kabila rencontre à Remera (Lemera), une banlieue de Kigali, Masasu Nindaga, Déogratias Bugera et Ngandu Kisase. Ils procèdent à la rédaction des textes constitutifs de l’Afdl que corrige James Kabarebe avant d’être signés par les quatre fondateurs : Kabila, Masasu, Bugera et Ngandu Kisase. Plus tard, Bizima Kahara signera lesdits statuts.

«After several days, they finally came up with the one-page founding document the Rwandans had asked them to draft. They shared it with colonel Kabarebe, the Commander of the Rwandan presidential guard who was preparing the Congo mission. He Helped them polish it and added a Congolese dateline to mask Rwanda’s involvement in their movement» (Stearns, 86). Et selon le responsable des services secrets rwandais, Patrick Karegeya aujourd’hui en exil et que Laurent-Désiré Kabila n’aurait pas convaincu, «weren’t looking for a rebel leader. We just needed someone to make the whole operation look Congolese» (Stearns, 87).

Cependant, il convient de savoir que bien avant la rencontre au Rwanda pour créer l’AFDL, Bugera recrutait déjà sur le territoire du Zaïre des jeunes Tutsi pour appuyer le Front Patriotique Rwandais qui préparait l’agression du Rwanda. À ce sujet, Stearns écrit : «Bugera had his first contact with the RPF through an affluent friend, whose family had helped fund the rebels since their creation. In 1993, Bugera sent the first batch of 172 recruits across the border along with enough money to pay for uniforms and weapons. He traveled with the convoy to the border, where he bribed the Zairian soldiers with $ 11,000 to allow the recruits through» (Stearns, 73-74).

Les jeunes partaient de Nyangezi, Masisi, Bukavu ou de Beni pour rejoindre le Front Patriotique Rwandais qui préparait le renversement par la violence du régime hutu d’Habyarimana. En cours de route, ils chantaient : «Humura Rwanda nziza, humura ngabo ndaje, Isoko y’ubumwe na mahoro (N’aie pas peur, Beau Rwanda, n’aie pas peur, je suis en train de venir (vers toi) source d’unité et de paix) et expliquaient à ceux qui leur demandaient pourquoi ils rejoignaient un mouvement considéré comme étranger : «il fallait to pate adresse, il faut que nous ayons notre propre adresse» (Stearns, 75).

En avril 1994, l’objectif est atteint. Kigali tombe entre les mains du Front Patriotique Rwandais. Bugera et les jeunes qu’il avait recrutés pour chasser Habyarimana du pouvoir apporteront, à nouveau, leur concours au projet du Front Patriotique Rwandais d’envahir le Zaïre. Bugera a recruté à cet effet une armée de jeunes Tutsi qu’il a infiltrés dans les camps de réfugiés rwandais, dans les écoles, dans les institutions nationales, etc., pour recueillir au profit du FPR toutes les informations sur les Interahamwe, les positions des troupes gouvernementales congolaises, les politiciens hutus en exil, les interahamwe, etc. Informations qui étaient relayées à Kigali et avaient permis à l’Armée patriotique rwandaise de mettre la dernière main sur le plan de l’invasion du Zaïre.

Bugera a fait cette confidence au chercheur américain : «Overnights, he (Bugera) replaced thirty of his bricklayers with Hutu RPF soldiers. Other RPF officers took up jobs as motorcycle taxi drivers, ferrying ex-FAR officers and exiled politicians around the province and collecting intelligence, or worked in the markets in the refugee camps»(Stearns, 79). 
 
Il se confie à Stearns et se jette des fleurs à cause du travail d’infiltration qu’il avait abattu au service des agresseurs du Congo en ces termes : « ‘The RPF could tell you with topographical precision where all of their enemy’s troops were located», he said with admiration. It was like having GPS» (Stearns, 77).

Ainsi, « By 1995, young Tutsi soldiers had started infiltrating Goma, armed with maps on whic they drw ex-FAR positions and strategic targets. It was like MOSSAD», Bugera said, smiling proudly. These guys were good» (Stearns, 77).

Le chercheur américain précise: «Three years later, Bugera and the young Congolese Tutsi he mobilized would become the vanguard in a second rebellion, the Alliance of Democratic Forces for the Liberation of Congo (AFDL). After liberating Rwanda, they now wanted to do the same with their homeland, with the strong backing of their Rwandan Allies » (Stearns, 69).

Bugera raconte comment il participait à des réunions nocturnes à la résidence du Général Yangandawele Tembele, «Mobutu’s regional military commander, where he would receive information regarding troop movements and political developments» (Stearns, 77). 
 
En mettant à la disposition de Bugera un officier de l’armée congolaise pour servir de liaison entre Bugera et lui, le Commandant de Mobutu institutionnalisait ainsi la trahison qui avait permis au Rwanda d’envahir le Zaïre en 1996 : «Tembele, whom a UN official remembered as ‘famous for being afraid of his own soldiers’ and stealing cars from refugees, had been bribed by the Rwandans and even provided Bugera with one of his lieutenants as a liaison officer, institutionalizing his treason» (Stearns, 77)

C’est le chercheur américain qui parle de « l’institutionnalisation de la trahison». La corruption d’un officier congolais a permis à Bugera de faire passer comme un colis destiné au Général Tembele les armes qu’il achetait à Kinshasa pour les amasser au Nord Kivu afin de faciliter l’invasion du Zaïre par l’armée tutsi du Rwanda. 
 
Le chercheur américain révèle justement comment, en 1996 déjà, «with Tembele’s help, Bugera boarded a plane for Kinshasa, where he bought weapons and ammunition from corrupt officers. He packed the goods into a chest freezer, put dinner plates on top to conceal them and wrote «Gen. Tembele, Goma», on the lid. The porters a the airport groaned under the weight, complaining: «What is in here, boss Rocks», Bugera laughed» (Stearns, 77).

Ce travail que Bugera abattait au Nord Kivu au profit du Rwanda était accompli au Sud Kivu par d’autres traitres qui devaient préparer l’étincelle que recherchaient les agresseurs avant de déclencher la guerre dite de Banyamulenge quand ils ont fini d’entreposer les armes dans plusieurs endroits dans les Provinces du Nord et du Sud Kivu.

Monseigneur Munzihirwa d’heureuse mémoire avait témoignait que les agresseurs rwandais déterraient les armes dans les champs des paysans. Ce que les médias étrangers avaient naïvement qualifié comme la «guerre de Banyamulenge» n’était à vrai dire qu’une guerre d’invasion du Rwanda qui avait bénéficié de la complicité d’un bon nombre de traitres dont certains comme Bugera, Bizima Kahara, Ruberwa, etc. seraient aujourd’hui dans les institutions nationales. 
 
Sans que cela ne provoque un séisme au sein du Parlement congolais. «Finally, in October 1996, the Rwandan army invaded in force under the guise of a homegrown Congolese rebellion in order to stave off criticism. Journalists and aid workers deployed in the refugee camps along the eastern Congo border began to report attacks by «Banyamulenge rebels», Congolese Tutsi who had been in conflit with Mobutu’s government» (Stearns, 86).

Si les parlementaires sont tétanisés par la peur qui les empêche de chasser de l’hémicycle des hors-la-loi qui ont trahi le Congo, il faudrait que les chercheurs invoquent leur indépendance académique pour mettre à la disposition des Procureurs, nationaux ou internationaux, des associations de juristes engagés dans la lutte contre l’impunité en République démocratique du Congo informations pertinentes et fiables qui leur permettent d’ouvrir une information judiciaire.

En apportant sa contribution à l’invasion du Rwanda, d’abord et, du Congo-Zaïre, ensuite, Deogratias Bugera est susceptible d’être inculpé des crimes de guerre et crimes contre l’humanité non seulement par les tribunaux nationaux congolais mais aussi par les tribunaux internationaux, permanents ou ad hoc. 
 
Si le tribunal pénal international pour le Rwanda a été créé pour poursuivre les auteurs des actes qui ont été commis entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 au Rwanda et dans les pays voisins, nous pensons que Bugera est tout à fait justiciable de cette juridiction pour certains actes auxquels il a participé pour apporter son concours à la rafle par l’Armée patriotique rwandaise des réfugiés hutus qui avaient fui les persécutions du FPR après la chute du régime d’Habyarimana. Pourvu que ces actes aient été commis avant janvier 1995. 
 
Et Bugera est loin d’être le seul. Les différentes colonnes au service de Kigali dont parle Hege dans son rapport sur le M 23 confirme cette assertion. Ne pas réagir, c’est livrer le pays aux cycles de violences sans fin.

S’il est vrai que les États-Unis et la Grande-Bretagne s’opposent, comme l’a démontré Carla del Ponté, contre toutes poursuites judiciaires contre les membres du Front Patriotique Rwandais impliqués dans le génocide au Rwanda, il faudrait tout simplement savoir que ces crimes étant imprescriptibles, les auteurs de crimes commis en République démocratique du Congo répondront un jour de leurs actes. À condition que les acteurs de la société civile congolaise documentent, patiemment et soigneusement, les crimes en question.

L’imprescriptible, dit le philosophe Jacques Derrida « fait signe vers l’ordre transcendant de l’inconditionnel, du pardon et de l’impardonnable, vers une sorte d’anhistoricité, voire d’éternité et de jugement dernier qui déborde l’histoire et le temps fini du droit : à jamais, « éternellement », partout et toujours, un crime contre l’humanité sera passible d’un jugement, et on n’effacera jamais l’archive judiciaire » (Jacques Derrida, « Le siècle et le pardon », Le Monde des débats, n 19, décembre 1999, p. 16).

En d’autres termes, l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité « fige le temps, l’empêche d’oublier » (Antoine Garapon, Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner. Pour une justice internationale, Paris, Éditions Odile Jacob, 2002, p. 56). 
 
Elle permet aux juges d’enclencher les poursuites contre les auteurs des crimes contre l’humanité où qu’ils se cachent : « L’action en justice ne doit pouvoir être entravée par aucune forclusion, les criminels ne doivent trouver refuge nulle part dans le monde ni se croire protégés par aucune amnistie » (Antoine Garapon, Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner. Pour une justice internationale, Paris, Éditions Odile Jacob, 2002, p. 56).

Jean Bosco Ntaganda a nargué tout le monde. Mais il a fini par se rendre à La Haye. L’indépendance de la CPI face aux États puissants étant sujette à caution, il est important que les acteurs de la société civile demeurent vigilants et poursuivent leur combat en mettant à la disposition des Procureurs des informations inattaquables, fiables et hors de doute raisonnable. De la nature de celles que nous pensons fournir ici.

Conclusion

La loi sur la nationalité n° 04-024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise définit les conditions et les exigences auxquelles un étranger doit répondre pour obtenir la nationalité congolaise. Dans tous les pays du monde, la reconnaissance à un étranger de la qualité de national n’est pas un droit mais un privilège. 
 
Les États accordent de manière discrétionnaire ce privilège aux étrangers idoines qui répondent aux conditions légales et administratives y relatives qu’ils ont préalablement définies. «Chaque État, écrit Robert Pinto, détermine en principe librement les conditions d’attribution de sa nationalité. Il ne peut toutefois pas imposer arbitrairement ce lien d’allégeance» (Robert Pinto, «Les problèmes de nationalité devant le juge international. À propos de l’affaire Flegenheimer», (1963) 9-9 AFDI, p. 361).

Un étranger qui devient le national d’un État jouit de tous les droits et avantages rattachés à cette qualité. La naturalisation ne fait pas d’un étranger un citoyen de seconde zone. Ainsi, tous les étrangers qui ont obtenu la nationalité congolaise par voie de naturalisation jouissent de tous les droits et avantages dus aux nationaux de la République démocratique du Congo sous réserves de dispositions légales applicables. 
 
Les ressortissants de la République démocratique du Congo qui ont obtenu la nationalité américaine, belge, et autre, jouissent, sous réserves de dispositions législatives particulières, des mêmes droits et privilèges que les nationaux de naissance des États dans lesquels ils ont obtenu la naturalisation.

Cependant, à tout moment, un État peut, dans les conditions légales bien déterminées, déchoir un étranger de la qualité de national qu’il lui a accordée s’il se rend coupable de certains actes incompatibles avec cette qualité.

Il est important de voir ce qui se passe ailleurs pour limiter les réactions irrationnelles face aux propositions des chercheurs de déchoir certains naturalisés congolais du privilège exceptionnel que leur a accordé la République démocratique du Congo. Nous citerons l’actualité canadienne, d’abord et française, ensuite.

Devinder Shory, député canadien de la circonscription fédérale de Calagry Northeast, est l’initiateur du projet de loi privé, le projet de loi C 425 relatif au renforcement de la valeur de la citoyenneté canadienne, actuellement en discussion au Parlement[5]. Le 29 janvier 2013, il a déclaré que «Canadian citizenship is an honour and a privilege. Those who put themselves on the front lines for Canada deserve to be acknowledged, while those who repudiate their citizenship by committing violent acts against Canada’s armed forces should not be able to retain it».

Le projet de Loi privé C 425 propose d’octroyer plus rapidement la citoyenneté canadienne aux résidents permanents s’ils ont rendu de loyaux services aux Forces Armées canadiennes. Mais, « at the same time, poursuit le député Shory, it would trigger the renunciation of Canadian citizenship for those who engage in acts of war against the Canadian Forces. This bill would put Canada in line with other countries such as Australia and the United States who already have similar policies in place».

Le projet de Loi privé C 425 s’appuie sur les résultats d’un sondage qu’invoque le député Shory : «A poll last autumn found that 8 out of 10 Canadians agreed that \"Canadian citizens who are found guilty of committing acts of treason against Canada - such as an act of war against Canadian troops - should be stripped of their citizenship.\" The poll found strong support in every part of Canada , among a wide demographic range. Immigrants for Canada has expressed support for Bill C-425 stating, \"This bill that proposes to reenforce and encourage the value of Canadian citizenship and loyalty to Canada, is a welcomed one».

Et le député de conclure: «I look forward to the opportunity to debate this important piece of legislation,\" MP Shory said. «I hope that all Members of Parliament will support strengthening the value of Canadian citizenship and pass this legislation on to committee stage for further review and improvement».

L’intérêt des propos du député canadien est triple. Le député confirme l’idée que la nationalité est un privilège, que ce privilège est révocable à tout moment pour raison d’indignité et la valeur de la nationalité doit être préservée.

Par ailleurs, la réglementation nationalité relève des pouvoirs régaliens d’un État. Chaque État peut changer comme il l’entend les règles en matière de citoyenneté. En avril 2009, le Canada a apporté des changements à sa loi sur la Citoyenneté pour mieux «protéger la valeur de la citoyenneté canadienne pour les années avenir», en empêchant les Canadiens à l’étranger de transmettre à un nombre infini de génération d’enfants nés à l’extérieur du Canada. 
 
Voici ce que les éclaircissements que le site du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada donne sur la modification apportée le 17 avril 2009 à la Loi sur la citoyenneté. «Selon les anciennes règles, il était possible pour les Canadiens de transmettre leur citoyenneté à un nombre infini de générations d’enfants nés à l’extérieur du Canada. 
 
Afin de protéger la valeur de la citoyenneté canadienne pour les années à venir, la loi de 2009 limite, dans la plupart des cas, l’attribution de la citoyenneté canadienne par filiation à une génération d’enfants nés à l’extérieur du Canada» (CIC, Changements aux règles en matière de citoyenneté en date d’avril 2009, affiché à http://www.cic.gc/français/citoyenneté/règles-2/).

Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de l’amendement du 17 avril 2009 apporté à la Loi sur la Citoyenneté canadienne, «les parents canadiens ne peuvent transmettre leur citoyenneté à leurs enfants nés à l’étranger que si un des parents est né au Canada ou a été naturalisé au Canada. 
 
Ces restrictions peuvent également toucher les enfants adoptés par des parents canadiens à l’étranger, selon la façon dont ces enfants ont obtenu ou obtiendront leur citoyenneté canadienne» (CIC, Changements aux règles en matière de citoyenneté en date d’avril 2009, affiché à http://www.cic.gc/français/citoyenneté/règles-2/).

En raison des impératifs nationaux, un État peut, dans le respect des conventions internationales qu’il a reçues dans son ordonnancement juridique, soit durcir soit adoucir les conditions d’octroi et de déchéance de la nationalité devant être aux étrangers. Un étranger naturalisé ne reste national d’un État qu’en autant qu’il n’est pas impliqué dans des actes graves. Le fait de prendre des armes contre l’État qui vous a accordé la citoyenneté figure parmi les motifs de déchéance de la nationalité accordée èa un étranger.

Ainsi, la Loi Pasqua du 24-29 août 1993 a soumis l’obtention de la nationalité française pour un mineur né en France de parents étrangers dotés d’une carte de séjour, à sa majorité, à une déclaration préalable (dite « manifestation de volonté ») faite entre 16 et 21 ans. Bien qu’elle ait supprimée en par la Loi Guigou du 16 mars 1998, l’obtention de la nationalité à la majorité n’était plus automatique, une première depuis 1889[….

Par ailleurs, la loi Pasqua de 1993 a introduit deux dispositions (art. 15bis et art. 30) à l’effet d’empêcher un « ressortissant étranger qui vit en état de polygamie d’obtenir une carte de résidence de dix ans et de faire bénéficier plus d’un conjoint du regroupement familial. 
 
La loi modifie aussi les règles du mariage, y compris à l’étranger, en requérant la présence du marié (art. 31 qui crée l’art. 146-1 du Code civil). Enfin, la Loi Pasqua de 1993 interdit toute naturalisation d’une personne ayant été préalablement condamnée à six mois de prison (art. 32 de la loi modifiant l’art. 21-27 du Code civil).

Bugera est citoyen de la République démocratique du Congo en vertu de l’article 15 de la Loi dite Bisengimana qui stipulait que «les personnes originaires du Ruanda-Urundi qui étaient établies dans la province du Kivu avant le 1 janvier 1950 et qui ont continué à résider depuis lors dans la République du Zaïre jusqu’à l’entrée en vigueur de la présente loi ont acquis la nationalité zaïroise à la date du 30 juin 1960».

L’exposé des motifs de cette loi qui rappelle la décision pertinente du bureau politique du Mouvement Populaire de la Révolution, précise que la population visée par l’attribution collective de la nationalité serait constituée uniquement des « originaires de Rwanda-Urundi établis dans la province du Kivu avant le premier janvier 1950, à la suite d’une décision de l’autorité coloniale». 
 
Cette clause semble donc exclure des bénéficiaires visés, les ressortissant du Ruanda-Urundi établis dans les autres Provinces du Congo, les réfugiés et les immigrés clandestins soit parce qu’ils relèvent d’un droit particulier soit parce qu’ils ne sont pas enregistrés par l’État et que leur nombre serait inconnu.

À cet égard, l’interprétation qu’en donne le professeur Yav de l’université de Lubumbashi me parait contestable lorsqu’il affirme (si je l’ai bien compris) que la mesure « concerne aussi bien les Banyarwanda transplantés dans le cadre d’un programme colonial de migration des Rwandais au Congo pour la main d’œuvre dans les plantations, des migrants clandestins que des réfugiés ayant fui la révolution sociale hutu » (Joseph Yav Katshung, « La question de nationalité en RDC : une politique en dents de scie ? », http ://www.congoforum.be/fr/congodetail-asp?sul).

Nous ne partageons pas cette interprétation. Pour nous, cette loi ne visait pas les ressortissants du Rwanda établis en dehors de la Province du Kivu. Par ailleurs, l’article 15 de la Loi Bisengimana semble viser expressis verbis, les ressortissants du Ruanda-Urundi qui ont été établis avant 1950 en vertu d’une décision coloniale[6]. Il ne vise donc pas les réfugiés rwandais qui, eux, relèvent d’un droit particulier, à savoir la Convention de Genève du 28 juillet 1951 dont le Congo était signataire. Il ne vise pas non plus les immigrés clandestins qui se sont installés au Kivu ou ailleurs comme en territoire conquis, profitant du laisser-aller de la police des étrangers et de l’administration congolaises.

Comme nous le démontrons plus loin, l’intégration des jeunes dans l’armée du FPR pour chasser les Hutus du pouvoir et pour leur permettre de reconquérir leur pays et d’avoir « une adresse » constitue un indice qui démontre le défaut du lien d’allégeance qui est nécessaire pour qu’un étranger se réclame de la nationalité d’un État. 
 
Ce que Bugera a fait démontre comment le Rwanda a utilisé ses nationaux établis de longue date en République démocratique du Congo pour atteindre ses objectifs politiques, militaires et fonciers à l’Est de la République démocratique du Congo. Il continue à le faire en imposant, par diverses astuces, leur intégration dans l’armée, la police et les services secrets congolais.

Bugera a contribué au recrutement des jeunes Congolais au profit du Front Patriotique Rwandais afin d’aider ce mouvement politico-miltaire de reconquérir le pays qu’ils considéraient comme le leur. On peut donc penser qu’il s’agit de jeunes dont les parents sont de descendance rwandaise. Bugera, Nkunda Batware, Bizima Kahara, Ruberwa, Thomas Lubanga, Kazarama, Sultani Makenga, Rucokoza, Ruhimbika Müller, ou Ntaganda font partie de cette catégorie de «jeunes» visés qui ont fait coulé un fleuve de sang non seulement au Rwanda mais aussi en République démocratique du Congo.

Il y a lieu d’être à 99% sûr qu’ils soient de descendance tutsi dans la mesure où le Front Patriotique Rwandais est un mouvement essentiellement tutsi qui pratique l’exclusion fondée sur l’ethnie : le Hutu y est regardé comme un génocidaire. Les Sendashonga, les Bizimungu, etc., n’ont eu qu’un avenir éphémère au sein d’un mouvement monoethnique.

Ce mouvement visait le renversement du régime hutu que dirigeait Habyarimana et que les Tutsi accusaient de les discriminer. L’on ne peut s’en cacher. Les jeunes hutus ne s’identifiaient donc pas à la cause du Front Patriotique Rwandais. C’est ce qui explique les tensions relevées plus haut observées à l’Est de la République démocratique du Congo entre les jeunes de descendance rwandaise appartenant à l’ethnie hutu et ceux appartenant à ethnie tutsi. 
 
Les premiers soutenaient Habyarimana et les second, Paul Kagame. «Relations between the Hutu and Tutsi only started to sour with the eruption of civil war in Rwanda in 1990. The hysteria there contaminated the Kivus, driving a wedge between the communities in North Kivu . Hutu youngsters, in particular those close to the border, rallied to Habyarimana’s side, while the Tutsi joined up with the RPF» (Stearns, 75). Il n’avait aucun hutu parmi les 562 éléments armés que Malick avait rassemblés, le 2 août 1998, au Camp Tshatshi pour résister à l’ordre que le Président Laurent-Désiré Kabila avait intimé, le 2 août 1998, aux Rwandais pour les enjoindre de quitter le territoire congolais (Stearns, 380 p.).

Par ailleurs, il ne serait pas exagéré de dire que les deux groupes ethniques se détestent de manière cordiale. Dans la décision rendue le 22 mai 2009 dans l’affaire R. c. Munyaneza, 2009 QCCS-2201, l’honorable Juge André Denis de la Cour du Québec a posé la question à un des témoins qui comparaissait devant lui pour comprendre comment et pourquoi les événements de 1994 survenus au Rwanda ont été rendus possibles. 
 
Sans ambages, le témoin a répondu : « ‘Parce qu’on ne s’aime pas’. Auparavant, les Rwandais s’aimaient, puis les Belges sont venus, ont mesuré les nez, la taille des Rwandais et ont classé les gens en Hutu et Tutsi. À partir de ce moment, les gens se sont comparés, se sont enviés et ont cessé de s’aimer» (R. c. Munyaneza, 2009 QCCS-2201, paragraphe [1102] ).

Les termes que les uns utilisent pour désignent les autres sont d’une méchanceté inimaginable : «cochons», «saleté», «cancrelat», «vermine», etc. Au paragraphe [705] de la même décision, un témoin rapporte les propos du Président intérimaire hutu du MRND, Sindikubwabo qui «vient à l’hôpital et dit en voyant les réfugiés : ‘Vous n’avez pas encore nettoyé cette saleté, ailleurs, tout cela a été fait’». Le paragraphe [683] reprend des propos de la ministre hutu Pauline Nyiramasuhuko qui, accompagnée du Préfet du lieu a, voyant les réfugiés, dit : «Pourquoi ne pas se débarrasser de toute cette vermine».

Le Rapport du projet Mapping publié par les Nations Unies en octobre 2010 montre comment les Tutsi de l’APR ont poursuivi les Hutus qui se sont réfugiés en République démocratique du Congo pour les exterminer. «Si à certains moments, les agresseurs (notons en passant que les Nations Unies parlent ‘d’agresseurs’) disaient rechercher les criminels responsables du génocide commis à l’égard des Tutsi au Rwanda en 1994, la majorité des incidents rapportés indiquent que les Hutus étaient visés comme tels, sans procéder à aucune discrimination entre eux. 
 
Les crimes commis notamment à Rutshuru (30 octobre 1996) et Mugogo (18 novembre 1996), dans le Nord-Kivu, mettent en lumière le ciblage spécifique des Hutu, puisque des personnes ayant pu convaincre les agresseurs de leur appartenance à un autre groupe ethnique ont été libérées juste avant ces massacres» (Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, République démocratique du Congo : Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, Genève , octobre 2010, paragraphe 513).

Enfin, au terme de leur mission dans l’Est de la République démocratique du Congo, les parlementaires congolais membres de la Commission Vangu « s’aperçoivent que certains Tutsi, en particulier ceux qui étaient déjà considérés comme citoyens congolais, retournent au Rwanda pour y vivre et prendre la place des Hutu désormais en exil. 
 
Ils apprennent aussi que l’Armée Patriotique Rwandaise composée essentiellement des Tutsi promet d’éliminer les populations civiles Hutu si elles décident de rentrer au Rwanda. (…). Les parlementaires réalisent avec effroi que la préoccupation majeure des réfugié Tutsi de 1959-1960 a toujours été, non pas de devenir Congolais, mais plutôt de préparer leur retour au Rwanda par le renversement du pouvoir hutu du président Juvénal Habyarimana» (Charles ONANA, Ces tueurs tutsi au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p. 107). 
 
Enfin, « les parlementaires réalisent avec effroi que la préoccupation majeure des réfugiés Tutsi de 1959-1960 a toujours été, non pas de devenir Congolais, mais plutôt de préparer leur retour au Rwanda par le renversement du pouvoir hutu du président Juvénal Habyarimana» (Charles ONANA, Ces tueurs tutsi au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p. 108).

Dans un tel contexte, l’intégration à partir du territoire congolais des jeunes d’origine rwandaise au sein de l’armée du Front Patriotique Rwandais peut à juste titre être interprétée comme une déclaration non seulement de leur appartenance au Rwanda mais aussi de leur adhésion sans réserve à la cause défendue par les Tutsi et à l’idéologie militariste et hégémoniste qui la sous-tend.

Mais l’on ne doit pas perdre de vue que les raisons pour lesquelles Deogratias Bugera et compagnies ont pris les armes ont évolué avec le temps. Dans un premier temps, ils ont rejoint le Front Patriotique Rwandais vers 1990 parce qu’«il fallait to pate adresse, il fallait que nous ayons notre propre pays») comme nous l’avions vu plus haut. Par la suite, ils ont apporté leur soutien à l’invasion du Congo qui était planifié le jour même où le FPR était fondé.

Logiquement, la décision du HCR-PT du 28 avril 1995 qui est présentée comme la véritable raison de la guerre ne tient pas. D’abord, parce que la guerre dite de Banyamulenge n’était en réalité que la guerre du Front Patriotique Rwandais qui ne représentait pas les intérêts de tous les Rwandais, Hutus, Tutsi et Twa, mais ceux de l’infime minorité de la population rwandaise. Ensuite, cette guerre du FPR était planifiée bien avant la décision du HCR-PT du 28 avril 1995.

Les raisons pour lesquelles Bugera avait pris les armes contre la République démocratique du Congo sont loin d’être licites au regard non seulement du droit congolais mais aussi du droit international. La nationalité ne se conquiert pas par les armes. 
 
Ce qui est dit pour Bugera vaut pour tous ses congénères : les Nkunda, les Ntaganda, les Ruberwa, etc. Cela vaut aussi pour tous les membres de l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo ainsi que la myriade des mouvements rebelles qui pullulent l’Est de la République démocratique du Congo. La violence ne figure pas parmi les moyens licites de changement de l’ordre constitutionnel.

A la lumière de ce qui précède, nous proposons que des accusations puissent être portées contre Deogratias Bugera pour le soutien actif qu’il a apporté au Front Patriotique Rwandais dans l’invasion de la République démocratique du Congo. Je propose également qu’il puisse être relevé de toutes charges publiques au cas où il serait avéré qu’il siège au parlement congolais comme sénateur. 
 
Nous proposons en outre que Bugera puisse être déchu de la nationalité congolaise pour acte de trahison contre le Congo au cas où serait bénéficiaire du privilège accordé en vertu de l’article 15 de la Loi n 72-002 du 5 janvier 1972 sur la nationalité congolaise[7].

Par ailleurs, nous proposons à la diaspora congolaise de saisir les gouvernements des pays où sont établis les ressortissants de la République démocratique du Congo pour qu’aucun visa ne puisse plus jamais être octroyé à Bugera. 
 
Nous invitons enfin les autres chercheurs congolais de nous emboîter le pas et d’apporter à la justice congolaise des résultats de recherches susceptibles d’aider nos Procureurs de la République à ouvrir une information judiciaire sur certaines personnalités qui sont aux commandes de l’État congolais, du Président de la République jusqu’au simple élu d’une entité administrative territoriale. 
 
Ce champ de recherche qui demeure encore inexploré est particulièrement fécond. S’atteler à une telle tâche est une entreprise passionnante et gratifiante au plus haut point. Le rôle de l’universitaire est d’œuvrer pour que brille la vérité dans le firmament des États. La restauration de la paix dans la Région des Grands Lacs, en général et en République démocratique du Congo, en particulier, est à ce prix.

En mettant des informations crédibles sur la place publique, nous contribuons, par ricochet, à rogner à petits feux les ficelles américaines et britanniques qui protègent Kagamé et les autres membres du Front Patriotique Rwandais. Ainsi que leurs complices qui sont en République démocratique du Congo.

Ce texte est un extrait tiré de la section de notre réplique à Kä Mana où nous démontrons comment les membres de certaines communautés se sont eux-mêmes, par leur conduite déloyale vis-à-vis de leur pays de citoyenneté par choix, attiré le courroux des autres Congolais. «Nemo auditur propriam turpitudinem suam allegans», serait la réponse appropriée.

Tiré de Alfred M. Lukhanda, La responsabilité de Paul Kagamé dans les crimes commis au Congo : le devoir de déconstruire le discours de mensonge des lobbyistes proches du Front Patriotique Rwandais, 96 pages

Alfred M. Lukhanda
_________________

[1] HAUT COMMISSARIAT AUX DROITS DE L’HOMME, République démocratique du Congo. Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, 2010, par. 1,

[2]Pendant des années, l’on a invoqué tous nos ancêtres morts pour que Ntaganda puisse être transféré devant la CPI. Mais il est regrettable de constater qu’aucune association des ressortissants du Congo n’est en mesure de soumettre au Procureur de la CPI des preuves documentées pour le mettre devant un fait accompli et l’empêcher de l’acquitter. Lorsque les États-Unis qui ne sont pas parties au traité de Rome et s’empressent d’offrir ses services pour amener Ntaganda devant la CPI, un deuil geste préfigure son acquittement par un tribunal dont l’indépendance est sujette à caution. C’est ce pays qui protège Kagamé contre toute poursuite. La société civile congolaise devrait agir en amont en amassant des preuves contre les criminels.

[3] Alfred M. Lukhanda, La responsabilité de Paul Kagamé dans les crimes commis au Congo : le devoir de déconstruire le discours de mensonge des lobbyistes proches du Front Patriotique Rwandais, 96 pages.

[4] Il suffit de lire le texte de l’ordonnance par laquelle la justice espagnole lance les mandats d’arrêt internationaux contre les principaux dirigeants du FPR pour s’en convaincre.

[5] Le projet de Loi introduit trois motifs clés pour accélérer ou révoquer en vertu de la Loi sur la citoyenneté en fonction des relations d’une personne avec les Forces canadiennes. Le projet propose de conférer au ministre un nouveau pouvoir discrétionnaire qui lui permettrait de réduire les exigences en matière de résidence au profit des membres des Forces canadiennes sollicitant la citoyenneté. La deuxième mesure concerne la révocation de la citoyenneté pour les personnes qui se rendraient coupables d’un acte de guerre contre les Forces canadiennes. Enfin, la dernière mesure prévoit qu’un étranger qui a introduit une demande de citoyenneté est réputé l’avoir retirée s’il commet un acte de guerre contre les Forces canadiennes.

[6] Diangituka FWELEY, «La problématique de la nationalité en République démocratique du Congo»,http://fweley.wordpress.com/2011/2011/06/13/problematique-de-la-nationalité-en-rd-congo, p. 8-11.

[7] Aux termes de cet article, «les personnes originaires du Ruanda-Urundi qui étaient établies dans la province du Kivu avant le 1 janvier 1950 et qui ont continué à résider depuis lors dans la République du Zaïre jusqu’à l’entrée en vigueur de la présente loi ont acquis la nationalité zaïroise à la date du 30 juin 1960». L’exposé des motifs de cette loi qui rappelle la décision pertinente du bureau politique du Mouvement Populaire de la Révolution, précise que la population visée par l’attribution collective de la nationalité serait constituée uniquement des « originaires de Rwanda-Urundi établis dans la province du Kivu avant le premier janvier 1950, à la suite d’une décision de l’autorité coloniale». Cette clause semble exclure les réfugiés et les immigrés clandestins des bénéficiaires visés, soit parce qu’ils relèvent d’un droit particulier soit parce qu’ils ne sont pas enregistrés par l’État et que leur nombre serait inconnu.

© Congoindépendant

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