29 septembre 2012
En s'attaquant aux mausolées, les salafistes partent en guerre contre des hauts lieux de l'islam sahélien.
Destruction d'un mausolée à Tombouctou le 1er juillet 2012. AFP
Des islamistes armés ont détruit avec des haches le mausolée d'un saint musulman dans une localité du Nord-Mali.
Une richesse historique qui n’est pourtant pas au goût de tous, notamment des combattants salafistes qui ont pris le contrôle de la ville en avril dernier. Profitant de l’avancée des rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad, les combattants de la Jumu'a Ansar al-Din al Salafiyya (le groupe des défenseurs salafistes de la religion), d'Al-Qaïda au Maghreb islamique ( AQMI) et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) ne s’étaient pas fait prier pour prendre place dans les principales villes du Nord Mali. Le 3 avril, le drapeau noir des djihadistes flottait sur Tombouctou.
Début juillet, des combattants salafistes djihadistes, qui se revendiquent d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, détruisent une dizaine de mausolées.
Des lieux considérés comme saint par la majorité des habitants de Tombouctou et «haram» (illicite) par les salafistes.
«On veut que les gens s’attachent à Allah, pas à un symbole», déclarait en mai dernier un combattant d’Ansar al-Din après la profanation des tombes du saint Sidi Mahmoud.
La ville de Tombouctou regorge effectivement de saints, mausolées, mosquées, devant lesquels les salafistes ne se prosternent pas. Les tenants du salafisme prônent une pratique de l’islam fondée sur le Coran, la Sunna (la Tradition du Prophète) et l’imitation des pieux ancêtres (salaf al-salih). Le terme salafiste vient de là. L’avenir est donc dans le passé, celui du prophète de Médine et non pas des saints de Tombouctou!
La population locale a été forcément touchée par la destruction de lieux saints qui incarnent des croyances séculaires dans la région. Les mosquées et les mausolées ne sont pas seulement des monuments historiques, mais des édifices en terre cuite friables régulièrement entretenus, qui gardent une forte charge de sacré pour les musulmans de la ville. «En s’attaquant à la porte de la mosquée Sidi Yahya, les salafistes touchent à des croyances encore vivaces», note André Bourgeot.
En détruisant les mausolées, les salafistes démontrent le rigorisme de la pensée qui les distingue de la majorité des musulmans. Leur monde s’organise en triptyque: les bons musulmans, les mauvais musulmans et les mécréants (non musulmans, non croyants). Les musulmans qui prient pour un prophète ou un saint sont pour eux des mauvais musulmans car ils font appel à un intercesseur pour s’approcher de Dieu.
Pour l’anthropologue André Bourgeot, la présence de ce courant au Mali s’inscrit dans un temps plus long, qui dépasse les derniers évènements qui ont touché le Nord Mali.
Un salafisme djihadiste que le chercheur du Centre d’études des mondes africains Pierre Boilley qualifie de «produits d’importations», en rupture avec «l’islam au Sahel réputé tolérant et ouvert, peu rigoriste ni violent» dans l'ouvrage collectif Islam et sociétés en Afrique subsaharienne à l'épreuve de l'histoire, Karthala, 2012. Une confrontation entre deux visions de l’islam qui a engendré la destruction de nombreux lieux de cultes musulmans.
En Libye, alors que le pays traversait une guerre civile, des miliciens salafistes avaient, non seulement profané des tombes des cimetières militaires de la Seconde guerre mondiale, mais également détruits des mausolées de saints.
Au début du XIXe siècle, lors de la prise de La Mecque et de Médine, les villes saintes de l'islam, les premiers Saoud avaient ordonné la destruction les dômes érigés au-dessus des tombes de Khadija, la première épouse du Prophète, de Hassan et Hussayn, ses petits-fils.
Le scénario se répète et les griefs des salafistes envers leurs coreligionnaires semblent immuables.
Nadéra Bouazza
SlateAfrique
L'Explication remercie André Bourgeot, directeur de recherche émérite au CNRS.
«J'ai vu les islamistes de Goundam (90 km de Tombouctou, Nord-Ouest du Mali) détruire le mausolée de Alfa Mobo, aujourd'hui, à côté du cimetière de la ville», a indiqué à l'AFP un élu municipal de cette localité malienne, Mamadou Cissé.Tombouctou. Un mot magique; une sorte de sésame qui vous transporte dans des contrées et des époques lointaines. La cité des 333 saints, dit-on. Avant les premières explorations au XIX° siècle, les Européens pensaient même que les rues de la ville étaient pavées d’or.
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Une richesse historique qui n’est pourtant pas au goût de tous, notamment des combattants salafistes qui ont pris le contrôle de la ville en avril dernier. Profitant de l’avancée des rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad, les combattants de la Jumu'a Ansar al-Din al Salafiyya (le groupe des défenseurs salafistes de la religion), d'Al-Qaïda au Maghreb islamique ( AQMI) et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) ne s’étaient pas fait prier pour prendre place dans les principales villes du Nord Mali. Le 3 avril, le drapeau noir des djihadistes flottait sur Tombouctou.
«On veut que les gens s'attachent à Allah, pas aux symboles»
Début juillet, des combattants salafistes djihadistes, qui se revendiquent d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, détruisent une dizaine de mausolées.
Des lieux considérés comme saint par la majorité des habitants de Tombouctou et «haram» (illicite) par les salafistes.
«On veut que les gens s’attachent à Allah, pas à un symbole», déclarait en mai dernier un combattant d’Ansar al-Din après la profanation des tombes du saint Sidi Mahmoud.
La ville de Tombouctou regorge effectivement de saints, mausolées, mosquées, devant lesquels les salafistes ne se prosternent pas. Les tenants du salafisme prônent une pratique de l’islam fondée sur le Coran, la Sunna (la Tradition du Prophète) et l’imitation des pieux ancêtres (salaf al-salih). Le terme salafiste vient de là. L’avenir est donc dans le passé, celui du prophète de Médine et non pas des saints de Tombouctou!
«Les salafistes ne s’attaquent pas à des mosquées en soi, ils s’en prennent à des lieux de culte relevant de l’idolâtrie comme la porte de la mosquée Sidi Yahya. Cette porte était considérée comme pouvant protéger tout ce qui se trouvait à l’intérieur. Et si on l’ouvrait c’était la fin du monde. En ouvrant la porte, les salafistes font la démonstration que ce n’est pas la fin du monde et que les seules croyances qui valent sont celle de leur obédience», analyse l’anthropologue André Bourgeot, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’espace saharo-sahélien.
Croyances séculaires
La population locale a été forcément touchée par la destruction de lieux saints qui incarnent des croyances séculaires dans la région. Les mosquées et les mausolées ne sont pas seulement des monuments historiques, mais des édifices en terre cuite friables régulièrement entretenus, qui gardent une forte charge de sacré pour les musulmans de la ville. «En s’attaquant à la porte de la mosquée Sidi Yahya, les salafistes touchent à des croyances encore vivaces», note André Bourgeot.
«J’ai cassé le monument d’al-Farouk de mes propres mains car les habitants m’ont dit que c’était le génie protecteur de la ville. Je l’ai cassé pour leur prouver qu’il ne signifie rien et que seul Dieu peut nous protéger», affirmait un combattant d’Ansar al Din en mai dernier.
En détruisant les mausolées, les salafistes démontrent le rigorisme de la pensée qui les distingue de la majorité des musulmans. Leur monde s’organise en triptyque: les bons musulmans, les mauvais musulmans et les mécréants (non musulmans, non croyants). Les musulmans qui prient pour un prophète ou un saint sont pour eux des mauvais musulmans car ils font appel à un intercesseur pour s’approcher de Dieu.
Pour l’anthropologue André Bourgeot, la présence de ce courant au Mali s’inscrit dans un temps plus long, qui dépasse les derniers évènements qui ont touché le Nord Mali.
«La Da’wa salafiyya est une secte pakistanaise présente au Mali depuis les années 1990, notamment dans la région de Kidal au nord-est. Elle a formé des cadres de l’actuel mouvement Ansar al-din comme Iyad ag Ghali. Auparavant, dans les années 1965-1970, c’est une secte venue tout droit d’Arabie Saoudite qui a commencé à devenir très puissante au Mali: la wahabiyya. Ces courants salafistes existaient depuis des décennies mais il a fallu le contexte créé par le Mouvement national de libération de l’Azawad pour qu’ils s’affirment.»
Guerre contre l'islam
Un salafisme djihadiste que le chercheur du Centre d’études des mondes africains Pierre Boilley qualifie de «produits d’importations», en rupture avec «l’islam au Sahel réputé tolérant et ouvert, peu rigoriste ni violent» dans l'ouvrage collectif Islam et sociétés en Afrique subsaharienne à l'épreuve de l'histoire, Karthala, 2012. Une confrontation entre deux visions de l’islam qui a engendré la destruction de nombreux lieux de cultes musulmans.
En Libye, alors que le pays traversait une guerre civile, des miliciens salafistes avaient, non seulement profané des tombes des cimetières militaires de la Seconde guerre mondiale, mais également détruits des mausolées de saints.
Au début du XIXe siècle, lors de la prise de La Mecque et de Médine, les villes saintes de l'islam, les premiers Saoud avaient ordonné la destruction les dômes érigés au-dessus des tombes de Khadija, la première épouse du Prophète, de Hassan et Hussayn, ses petits-fils.
Le scénario se répète et les griefs des salafistes envers leurs coreligionnaires semblent immuables.
Nadéra Bouazza
SlateAfrique
L'Explication remercie André Bourgeot, directeur de recherche émérite au CNRS.
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