mardi 18 septembre 2012

La guerre du Kivu en sept questions



 
1. Quelles sont les causes lointaines du malaise ?

Mal élu à la suite du scrutin contesté de novembre 2011, le président Kabila, affaibli, a été mis sous pression : les défenseurs des droits de l’homme et les Occidentaux ont exigé l’arrestation immédiate du général Bosco Ntaganda, qui dirigeait les forces armées congolaises à l’Est du pays. Inculpé par la Cour pénale internationale, Ntaganda ne se contentait pas de combattre les FDLR (rebelles hutus hostiles au Rwanda), il garantissait aussi la pérennité de « circuits parallèles », commerciaux et militaires, en liaison avec le Rwanda. Dans un premier temps, Katumba Mwanke, le conseiller spécial de Kabila, négocia avec Kigali la mise hors circuit de Bosco Ntaganda. Mais après la mort accidentelle de Katumba, en février, Kinshasa, soucieux de donner des gages à une opinion publique qui dénonçait la main mise rwandaise sur le Kivu, voulut aller plus loin et muter ailleurs dans le pays les « ex-rebelles », des Tutsis congolais pour la plupart, mais ces derniers refusèrent leur transfert et préparèrent la mutinerie.

2. Quel fut l’enchaînement de la guerre ?

Au lieu de négocier avec les mécontents qui refusaient d’être déplacés dans d’autres provinces et réclamaient de meilleures soldes et la reconnaissance de leurs grades, Kinshasa choisit la manière forte. L’armée concentra à Goma l’essentiel de ses moyens et, dans un premier temps, les rebelles furent mis en échec dans le Masisi, une place forte des Tutsis congolais, qu’ils réussirent à quitter à la faveur d’un cessez le feu ordonné par Kinshasa alors que la victoire était à portée de mains. Quelques centaines d’hommes se replièrent en direction des frontières du Rwanda et de l’Ouganda, dans le parc des Virunga et à Bunagana.

3. Quel fut le rôle du Rwanda et dans quel intérêt ?

« Parrain » de l’accord d’intégration des rebelles au sein de l’armée congolaise en 2009, le Rwanda avait gardé, via Bosco Ntaganda et son successeur potentiel, Sultani Makenga, -qui prit la tête des mutins- des relais militaires, politiques et économiques au Nord Kivu. Via ces anciens rebelles, placés à des postes de commandement, ce « réseau pro Kigali » s’était étendu de l’Ituri (Grand Nord) jusqu’aux limites du Katanga. La volonté affichée par Kinshasa de démanteler ces circuits parallèles, cette « armée dans l’armée », s’ajoutant à la militarisation de Goma ne pouvait pas laisser le Rwanda sans réaction. Malgré les démentis répétés, l’implication de l’armée rwandaise aux côtés des mutins, révélée par un rapport de l’ONU, est une évidence pour de nombreux témoins et services de renseignement.

4. Qui sont les « mutins » du M23 ?

Quelques centaines ’hommes au départ, mus par des revendications corporatistes, se sont transformés en force militaire et politique qui a pris le contrôle de la ville de Rutshuru et d’une large portion du Nord Kivu, l’armée gouvernementale, mis en échec, s’avérant incapable de la déloger. Capitalisant sur l’inquiétude des Tutsis congolais, sur la déception générale à l’encontre de Kinshasa, sur les frustrations des forces armées congolaises mal dirigées et minées par les dissensions et les rivalités, les mutins ont constitué un « bureau politique » et ils exigent des négociations au plus haut niveau, jusqu’à présent refusées par Kinshasa et déconseillées par Didier Reynders, même si elles finiront par apparaître comme inévitables. Quant aux populations du Nord Kivu, -Tutsis congolais mis à part- elles exècrent et fuient ces hommes qui pratiquent des recrutements forcés, sont considérés comme des supplétifs du Rwanda et comptent en leurs rangs de nombreux criminels, assez pour remplir un charter en direction de la Cour pénale internationale…Les mutins comptent aussi sur des relais dans d’autres provinces, le colonel Tshibangu au Kasaï par exemple, des ex-rebelles qui avaient été intégrés dans l’armée congolaise à la faveur des accords déjà conclus en 2002 mais sont aujourd’hui soupçonnés de n’avoir jamais réellement rompu leurs anciennes allégeances.

5. Les mutins sont-ils la seule source de violence ?

Hélas non. La concentration de l’effort militaire sur Goma a dégarni tous les autres fronts du Kivu et permis la résurgence de nombreux groupes armés : les Hutus rwandais FDLR, ennemis de Kigali, ont reconquis des positions, plusieurs groupes Mai Mai hostiles aux Rwandais, comme les Raia Mutomboki se sont lancés dans des massacres d’une violence extrême, d’autres groupes d’origine ougandaise ou burundaise ont repris vigueur ; le désastre humanitaire est total, les déplacés se comptent par centaines de milliers. La reconquête des deux Kivu et leur pacification par Kinshasa s’annonce de plus en plus difficile, d’autant que les Casques bleus onusiens opèrent largement en deça de leur mandat, même s’ils appuient les forces gouvernementales et entendent empêcher la prise de Goma. Le déploiement d’une « force neutre » composés de soldats africains demeure hypothétique .

6. Les sanctions économiques à l’encontre du Rwanda seront-elles efficaces ?

Probablement pas, car elles n’étaient que symboliques, les Britanniques ayant déjà annoncé le rétablissement d’une aide momentanément suspendue. D’autres moyens de pression existent :des mesures ciblées, des blâmes et des exclusions, humiliants pour l’amour propre de l’ancien « enfant chéri » de l’aide internationale. L’offensive diplomatique menée avec succès par Kinshasa pousse Kigali à embarrasser le président Kabila, en révélant que des troupes rwandaises –sous uniforme congolais !- étaient demeurées au Nord Kivu depuis 2009 et viennent d’être spectaculairement retirées.

7. De Kabila ou de Kagame, qui est le plus menacé ?

Malgré ses succès et son prestige, la base de pouvoir de Kagame rétrécit, la répression et le contrôle s’intensifient (même Internet est surveillé), les arrestations d’opposants se multiplient mais la capacité d’organisation du Front patriotique rwandais demeure intacte et, en réponse aux sanctions, un fonds national de solidarité a été lancé. Au Congo par contre, en plus des élections contestées, les échecs essuyés au Kivu par une armée minée par les trahisons internes et la désorganisation ont éclaboussé la personne du président Kabila. Il est désormais accusé de « haute trahison » par une opposition qui n’a pas réussi à faire échec au prochain sommet de la francophonie et le Premier Ministre Matata Mponyo qui veut créer une nouvelle armée et lutter contre la corruption est le dernier à pouvoir sauver la mise. La seule « chance » de ces deux présidents qui accomplissent chacun leur deuxième et en principe dernier mandat c’est que les « faiseurs de rois » ne leur ont pas –encore- trouvé de successeur…

Colette Br.

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