samedi 1 septembre 2012

Pourquoi les intégristes déboulonnent-ils leurs icônes ?

Mardi 28 Août 2012
Après les Bouddhas de Bamyians en Afghanistan, les mosquées du Mali en juillet dernier, c'est en Libye que des islamistes se sont livrés à la destruction de biens religieux.
 
Des destructions qui reflètent une radicalisation des mouvements intégristes et en disent long sur la « fracture islamique » qui divise le monde musulman.

TOMAS MUNITA/AP/SIPA
TOMAS MUNITA/AP/SIPA
Faire table rase d’un passé impie. C’est l’un des dogmes des fondamentalistes religieux. Au début du mois de juillet des islamistes du groupe salafiste Ansar Dine, financé par le Qatar, second régime wahhabite après l’Arabie Saoudite,  démolissaient au Mali sept des seize mausolées de saints musulmans, avant de briser la porte d'entrée d'une des trois plus grandes mosquées de la ville de Tombouctou.

Dans cette région, la plupart des mercenaires sont des djihadistes formés sur le modèle wahhabite, fondé dans la péninsule arabique au 18ème siècle. Ce modèle strict de l'islam sunnite prône un rapport direct du croyant à Dieu, sans intermédiaires, et récuse la vénération des saints du soufisme.
 
Un islam fort différent de celui qui prévaut au Mali. Dans ce pays, c'est un islam d'inspiration maleki, relativement proche du soufisme, majoritaire en Afrique du Nord et de l’Ouest qui est ancré.

« La majorité des saints maliens étaient issus du courant soufi. Ils enseignaient un islam de méditation, de recueillement, très pacifiste. Le Mali a toujours été influencé par cet islam pieux et calme » explique l’islamologue Mathieu Guidère au Nouvelobs.com

La démolition des lieux profanes: une longue tradition wahhabite

Même motif, même punition en Libye.

Samedi, près de la capitale libyenne, le mausolée d'al-Chaab al-Dahmani, un saint vénéré par les musulmans soufistes, est détruit à coups de pelleteuse et sa tombe profanée.
 
Le même jour, à Misrata (200 km à l'est de Tripoli), un autre mausolée, celui du Cheikh Ahmed al-Zarrouk, connaît le même. La veille, à Zliten (160 km de la capitale), un troisième mausolée, dédié au plus grand savant soufi de Libye Sidi Abdel Salam al-Asmar (XVIe siècle), qui était réduit en  poussière par des explosifs sous des cris de joie proclamant «Dieu est le plus grand». La scène a été filmée puis diffusée sur les réseaux sociaux.

L’année dernière déjà, deux mosquées et un cimetière abritant des saints avaient été profanés.

Sur Facebook, certains internautes ont déploré ces agressions «contre le patrimoine culturel» libyen. D'autres applaudissant au contraire «la suppression de ces signes d'idolâtrie»

La démolition des lieux profanes s’inscrit dans une longue tradition du wahhabisme qui désapprouve l’intérêt des sites construits autour des défunts. La visite de sites archéologiques, religieux ou historiques, est formellement proscrite.

Elle est assimilée à de l'idolâtrie par le culte wahhabite.
 
« Pour éviter que les croyants ne demandent des grâces à dieu en passant par ces saints, il va ordonner la destruction de tous les mausolées » poursuit Mathieu Guidère.
 
« D'ailleurs, il n'en existe presque plus dans la péninsule arabique. Le salafisme wahhabite les a interdits partout où il s'est diffusé. Ensuite, il va interdire les décorations des mosquées, parce qu'il considère que ce sont des lieux de recueillement qui ne doivent pas présenter des signes de richesse.
 
Enfin, il va s'attaquer aux cimetières estimant que les tombeaux ne doivent pas être trop voyants jugeant que les croyants doivent être égaux dans la mort. Ce sont les trois traits du salafisme wahhabite que l'on retrouve dans tous les groupes qui s'en réclament aujourd'hui. Et ce sera toujours les premières actions qu'ils vont faire ».

Les iconoclastes des temps modernes

Selon un responsable local, «les extrémistes ont profité du fait que les forces de sécurité étaient accaparées» par de violents affrontements dont on ignore d'ailleurs précisément l'origine.
Le président de l'Assemblée nationale élue le 7 juillet, Mohamed Megaryef, a rapidement dénoncé ces attaques «interdites par la loi et la charia», estimant «regrettable et suspect» que des membres des services de sécurité et des anciens combattants rebelles y aient participé.

Mis en cause par le Congrès, accusé de laxisme, le Ministre de l’Intérieur a démissionné dès dimanche « pour protester contre les critiques des membres du Congrès et pour défendre les révolutionnaires ».

Libye, Mali, Egypte, Tunisie, ces attaques culturelles ciblées sont révélatrices d’une « fracture islamique ».
Minoritaires dans le pays les salafistes qui accusent les soufistes d’impiété ont largement profité de l'insécurité liée à la faiblesse de l'Etat, l'abondance des armes en circulation dans le pays depuis l'intervention des occidentaux ou encore la résurgence des conflits tribaux que Kadhafi parvenait à contenir par son habileté manoeuvrière.

Archéologue et professeur de protohistoire à la Sorbonne, Jean-Paul Demoule assimile ce rituel des fondamentalismes religieux à détruire les monuments historiques à l’iconoclasme appelée aussi « querelle des images » au temps des Byzantins qui rejetait toute adoration vouée aux représentations du divin :
 
« pour les islamistes, ce sont des coutumes païennes qu’il faut éliminer. De la même manière chez les Byzantins, il y avait un mouvement qui s’appelait « iconoclaste », littéralement briser les images, interdire le culte des icones, casser les statues parce que tout cela était considéré comme trop païen.
 
Les protestants ont été aussi dans cette démarche là. Ils trouvaient le catholicisme trop païen donc ils ont éliminé le culte des saints, la sainte vierge, les statues.
 
Ce que l’on a vu au Mali à Tombouctou avec la destruction des mausolées ou avant celle des bouddhas de Bamyans s’inscrit dans la même démarche. Outre que ce sont des fous furieux, c’est un fondamentalisme religieux qui contient cette idée de retourner à la religion du prophète de manière mythique. D’où cette violence culturelle ».

L’art pris en otage par les fondamentalistes d’alors, le peuple s’en trouva longtemps plongé dans une ignorance totale…
 
Marianne

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