Ils ont entre 20 et 30 ans pour la plupart. Animés d’une colère implacable, ils sont prêt à tout pour défendre leurs familles contre les FDLR, une milice Hutu issue du génocide rwandais de 94. Rencontre avec les Raïa Mutomboki.
«Mon père a été égorgé en novembre 2010. J’étais à Bukavu et on m’a informé: ‘Vous, vous continuez vos études, mais votre père a été égorgé par les FDLR’. Je me suis décidé à revenir», raconte Eric Kabuka, 27 ans.
«J’ai laissé mes études et je me suis engagé dans les Raïa Mutomboki. Je leur ai dit ‘Moi aussi je veux vous aider à poursuivre ces types qui se trouvent dans la forêt et qui viennent piller, violer et incendier nos maisons et nos villages’. On a commencé à aller dans la forêt, là où ils étaient, et on a commencé à les tuer eux aussi», dit-il.
Terrain propice
Eric Kabuka est un jeune homme originaire de Nduma, un village dans le Sud Kivu, à la lisière du parc national de Kahuzi-Biega. Pour rejoindre cette enclave, fief des Raia Mutomboki, il faut prendre la moto sur des kilomètres, à travers une jungle épaisse.
Aucune couverture téléphonique n’est disponible et la base des casques bleus de l’ONU la plus proche se trouve à près d’une centaine de kilomètres. Un vase clos propice aux drames les plus terribles.
«Il y a des massacres qui se sont passés ici, plus de 36 personnes qui ont été tuées. On s’est dit ‘Nous sommes délaissés par nos responsables, il faut se prendre en charge’.
Où est-ce que nous allions fuir? Nous sommes obligés de nous organiser. Notre objectif est de pourchasser tous les Rwandais», explique Kikuni, le second du mouvement.
Crânes conservés
Le massacre des 36 jeunes hommes par les FDLR en 2008 fait figure de mythe fondateur du mouvement Raïa Mutomboki -les « villageois en colère » en swahili -. Les crânes de ces martyres sont conservés par les Raïa tel des reliques permettant de commémorer les racines de leur combat.
Devant la maison de terre où nous avons rencontré Kikuni, ils sont exhibés au visiteur comme preuve de la légitimité du groupe.
«Je voudrais vous montrer ça comme témoignage pourquoi la population de Shabunda a créé le mouvement Raïa Mutomboki. C’est à cause de ces crânes», dit-il.
Le mouvement Raïa démarre en réalité en 2005 à Wakabango, une collectivité du territoire de Shabunda au Sud Kivu, avec à sa tête Jean Musumbu. Les Raïa de Wakabango combattent les FDLR avec succès.
Charismatique
De 2005 à 2008, le mouvement reste cantonné à la collectivité de Wakabango. Mais Musumbu inspire un autre jeune homme, Eyadema, qui prend la tête du mouvement de Nduma, à plusieurs centaines de kilomètres au nord de Wakabango.
Autour de la figure charismatique d’Eyadema va se fonder un groupe estimé à 600 hommes. C’est armés de machettes, de lances et parfois de fusils ramassés lors de combat, que ces jeunes hommes se battent pour défendre leurs familles contre les FDLR, un groupe armé composé d’anciens génocidaires rwandais qui terrorise les habitants du Nord et Sud Kivu depuis plus de 15 ans.
Guérilla populaire, mouvement qui se veut libérateur, personne n’ose critiquer les Raïa Mutomboki publiquement. Une sorte de culte est voué à Eyadema. Son pouvoir est en parti fondé sur la croyance des jeunes recrues en des rituels magiques les rendant soi-disant invincibles lors des combats.
«Eyadema est venu nous donner les médicaments traditionnels. Même si on te tue avec l’arme, cela ne fera rien. On vous donne de l’eau, vous mettez sur tout le corps et vous êtes déjà anti-balle», raconte Eric.
“Tue facilement”
Eyadema maintient aussi son pouvoir par la terreur. André, un autre membre des Raïa Mutomboki, dit avoir reçu 50 coups de fouet pour avoir conservé une photo du leader du mouvement et de sa femme dans sa maison. «Eyadema tue facilement 40 personnes», raconte-t-il, fébrile.
Une violence sous-jacente, d’un degré extrême, perce dans chacun des entretiens avec ces jeunes hommes. Traumatisés par des années de souffrance collective, coupés du reste du monde et sans aucun cadre de référence extérieur pour les contenir, leur besoin de vengeance prend le dessus.
in 2011, les combats entre FDLR et Raïa Mutomboki prennent des tournures de plus en plus vicieuses et violentes. En juillet, le village de Nduma est incendié par les FDLR. Les Raïa répliquent en attaquant un camp de réfugiés Hutu et massacrent des femmes et des enfants dépendants de la milice.
Depuis un an, les Raïa Mutomboki multiplient les attaques au Nord et Sud-Kivu, laissant derrière eux une trainée sanglante mêlant sans distinction civils et combattants. Le mouvement a développé une structure de commandement plus centralisé qu’il n’y paraît.
Pendant plusieurs années, les actions des Raïa Mutomboki restent très locales et se cantonnent au territoire de Shabunda, au Sud-Kivu. Peu de gens s’intéressent à ces jeunes villageois en colère, mal-organisés.
Mais en mai 2012, le mouvement prend de l’ampleur et la présence des Raïa est signalée dans des zones où ils n’avaient jamais été vus jusque là, comme Walikale et Masisi au Nord-Kivu. Les Raïa intriguent… et font peur.
“Si vous voulez mettre fin aux attaques des fourmis rouges, il faut aller à la base. Quand nous en avions fini avec l’opération ici à Shabunda, on s’est dit que ces gens peuvent toujours revenir, cherchons maintenant l’origine.
Si nous neutralisons Masisi (et Walikale) on sait que nous pouvons mettre fin aux FDLR”, explique Kikuni, le second du mouvement Raïa Mutomboki.
Rapporter au haut-commandement
Sous le commandement de leur leader Eyadema, les Raïa traversent le parc national de Kahuzi-Biega pour rejoindre Walikale puis Masisi.
Sur leur passage, ils créent des groupuscules pour assurer la pérennité de leur combat. Ces groupes satellites bénéficient d’une certaine autonomie mais doivent rapporter au haut-commandement dont la base se trouve dans la forêt près de Nduma, au nord de Shabunda.
Les rapports sont amenés par des messagers qui traversent la jungle à pied pour assurer la communication entre le quartier général et les unités sur le terrain. Certains commandants, comme Kikuni, possèdent aussi des téléphones satellite pour rester en contact dans des zones où la couverture téléphonique est quasiment inexistante.
“Nous n’avons pas d’autre groupe, c’est le même que celui de Nduma. Nous avons toujours des coordinations. Je suis venu apporter le rapport de travail de Walikale aux officiers à Nduma”, explique Dieudoné, un jeune homme de 26 ans venu de Walikale jusqu’à Nduma à pied.
Femmes et enfants pas épargnés
Les combats à Masisi sont particulièrement brutaux. À Ufamandu, au sud du territoire, une série d’attaques depuis mai a tué plusieurs centaines de personnes. Ces attaques ciblent clairement ceux qui parlent le Kinyarwanda, qu’ils soient Hutu ou Tutsi. Femmes et enfants ne sont pas épargnés.
“On a attaqué Ufamandu car les Bafamandu étaient avec les FDLR, et nous, nous attaquons les FDLR et leur alliés”, dit Kikuni.
Selon eux, les Raïa Mutomboki n’auraient égorgé “que” 15 combattants FDLR à Ufamandu et la population se serait enfuie dans la forêt.
Le caractère xénophobe du mouvement Raïa Mutomboki se manifeste aussi brutalement en octobre 2011, lorsque les troupes de l’armée congolaise sont redéployées à Shabunda après une formation de plusieurs mois. Les Raïa Mutomboki n’acceptent pas leur autorité.
Ils accusent les commandants d’origine Tutsi et Hutu d’être des Rwandais et de soutenir les FDLR. De violents affrontements s’en suivent et le 6 mai 2012, Nduma brûle de nouveau.
Selon toute vraisemblance, le colonel Buyra, un Hutu, aurait mis le feu au village pour se venger du massacre de sa famille par les Raïa Mutomboki.
Si l’armée congolaise nie toute responsabilité, les Raïa Mutomboki admettent avoir tué la famille de Buyra. “Tout cela sont les méfaits de Buyra”, raconte Maurice Sambamba, le représentant de la communauté chrétienne de Nduma, en désignant les maisons brûlées. “Il s’est vengé de la mort de sa famille. Il avait une famille là-bas, sa mère et ses frères, nous les avons tués sans pitié.”
Pour les jeunes combattants et la population de Shabunda, le bien fondé du mouvement n’est pourtant pas à prouver tant les souffrances endurées ont été grandes.
Dans l’enclave des territoires, abandonnés de tous, les vengeances les plus meurtrières se justifient aisément entre eux. Qui était là pour les défendre ?
Le Congolais
RWN
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