vendredi 16 novembre 2012

Le président du Niger: qui tient l’Afrique tient l’Europe

15 novembre 2012


Paris,

Le président du Niger, Mahamadou Issoufou, entend bien amener son pays sur les voies d’une croissance à deux chiffres qui sera assurée par le pétrole, mis en exploitation depuis peu, par l’uranium (qui fournit l’essentiel du combustible utilisé par l’industrie nucléaire française) mais aussi par les ressources en eau (le pays vit sur un océan d’eau souterraine qui pourrait alimenter l’agriculture.)

A Paris, il a défendu son programme intitulé « trois N » (le Niger nourrit les Nigériens) mais dans l’immédiat, il a surtout répondu à de nombreuses questions concernant la sécurité régionale et assuré que le Niger participera à la force militaire mise en place par la CEDEAO (Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest) qui se prépare à intervenir au Mali.

« Nous faisons partie des pays dits « du champ » c’est à dire la Mauritanie, le Mali, l’Algérie, concernés par le problème. Le Niger fait partie des pays qui vont s’engager… Nous avons aussi chez nous 500 militaires maliens réfugiés qui sont prêts à se battre pour rentrer dans leur pays et nous abritons plus de 50.000 réfugiés maliens.

A ceux qui affirment que des armées originaires du Sud (ndlr. c’est à dire composées de combattants noirs) seraient handicapées dans le Nord du mali, car elles ne connaissent pas le terrain, je veux rappeler l’histoire : l’Afrique, celle des déserts ou celle des forêts, a été colonisée avec le soutien des soldats du Sud, les tirailleurs.

Ce sont les « tirailleurs » du Sud du Mali, les Mossi, qui ont contribué à conquérir, à coloniser le Nord du Niger et du Mali.

On oublie souvent que durant la seconde guerre mondiale, la division Leclercq est partie de Brazzaville avec des tirailleurs issus de l’Afrique centrale, ils ont traversé le Tchad, livré bataille dans le désert libyen pour arriver jusqu’en Allemagne. Autrement dit, ces militaires, dûment formés, peuvent se battre sous toutes les latitudes…

Comment se fait il que les islamistes se soient installés au Mali, épargnant le Niger qui ne semble pas touché par cette menace ?

Il faut rappeler que la crise au Mali est une conséquence de la guerre en Libye. Très tôt, nous avions attiré l’attention sur les effets que cette guerre entraînerait sur le Sahel mais à l’époque nous n’avons pas été suffisamment entendus.

A propos de la Libye, j’avais dit que, si on n’y faisait pas attention, et que l’Etat libyen se « somalisait », se dissolvait, ou tombait entre les mains de groupes terroristes, la solution risquait d’être pire que le mal.

Actuellement, j’espère que le pouvoir central libyen pourra contrôler l’ensemble de la situation dans le pays, mais il existe toujours des milices armées qui pourraient faire dévier la situation.

Le pillage des armes de Kaddhafi a eu un impact très négatif sur la sécurité de nos pays. Avec ses faibles moyens, le Niger a tenté d’empêcher ces armes venues de Libye de pénétrer sur son territoire afin que l’Etat garde le monopole de la violence et que ces groupes armés ne tentent pas d’imposer leur loi.

Nous avons réussi à les empêcher de s’implanter, nous les avons combattus et désarmés, mais malheureusement ils sont partis au Mali. Là, ils ont rejoint Aqmi (Al Qaida au Maghreb islamique) qui se trouvait dans le pays depuis 2006 ainsi que des organisations criminelles.

Les menaces que ces groupes représentaient déjà ont été amplifiées par les groupes armés venus de Libye. Ces derniers ont ajouté la revendication séparatiste, indépendantiste.

Le coup d’Etat du 22 mars à Bamako (ndlr. Lorsque des militaires putschistes ont renversé le président élu Amadou Toumani Touré) est alors venu faciliter l’implantation de ce mouvement armé dans les grandes villes du nord du Mali.

Malgré l’environnement sécuritaire défavorable dans les pays voisins (Libye, Mali, Nigeria avec la secte Boko Haram) le Niger est jusqu’ici demeuré un îlot de sécurité. Même si malgré les dispositions prises pour minimiser les risques, il y a tout de même eu des enlèvements.

Pourquoi les Touaregs du Niger n’ont ils pas les mêmes revendications indépendantistes que leurs voisins maliens ?

Au Niger, il n’y a pas de raison que l’une ou l’autre communauté revendique la séparation, tout simplement parce que le peuple nigérien est uni ; il y a eu brassage, aucune communauté, aucune région n’a été marginalisée.

Nous avons huit régions au Niger et si l’on prend l’indice du taux de développement social, comme la couverture en eau ou le taux de scolarisation, il apparaît que la région qui vient en deuxième position après la capitale est celle d’Agadez dans le Nord.

Nous veillons à ce qu’aucune région soit défavorisée, que nul n’ait de raison de prendre les armes. En outre, le Niger est un pays démocratique où les revendications peuvent être défendues par des moyens non violents.

Nous sommes l’un des pays les plus libres du monde, chez nous, la presse peut dire ce qu’elle veut du président, il n’y a pas de censure…Sur le plan de la liberté de la presse, nous avons été classés 29emes, avant la France et les Etats Unis…Dans un tel pays, on n’a pas besoin de revendiquer par les armes…

Les autorités tiennent à garantir la sécurité, à nourrir la population grâce à l’initiative « trois N » (le Niger nourrit les Nigériens) à développer les infrastructures et créer des emplois pour les jeunes.

C’est pour financer un tel programme dont le coût a été évalué à 12,4 milliards de dollars que nous avons organisé la table ronde d’aujourd’hui à Paris. Malgré la mobilisation des ressources il nous reste un « gap » de 4,7 milliards de dollars que nous espérons combler à l’issue de cette réunion avec nos partenaires.

Ne craignez vous pas que la guerre bloque le développement de toute la région sahélienne, y compris le Niger ?

Si on ne libère pas le Nord du Mali, les risques seront encore plus grands …

Si on laisse les intégristes, les terroristes s’implanter au Mali, si on laisse le crime organisé se développer, ce sera pire. Il vaut mieux prendre des mesures pour traiter cette menace qui nous touche mais vise aussi l’Europe : le Mali est tout près de vous aussi…

Si les terroristes s’implantent durablement en Afrique de l’Ouest, c’est l’Europe elle même qui sera menacée, via la Libye et l’Algérie. Seule la Méditerranée nous sépare. On dit toujours que « qui tient l’Afrique tient l’Europe. »

Il s’agît là d’une question de sécurité intérieure pour l’Europe, on aurait du être écoutés plus tôt…Heureusement maintenant il y a convergence des positions…J’espère que d’ici fin novembre début décembre on pourra amener le Conseil de Sécurité à voter la résolution qui autorisera l’usage de la force. Le plus tôt sera le mieux…

L’Algérie semble hostile à une solution militaire…

L’Algérie est soumise au même type de périls que nous, elle est menacée aussi par le crime organisé et j’espère, je pense qu’elle prendra sa part de responsabilités.

L’Algérie, comme la CEDEAO, a deux fers au feu : l’option militaire et les efforts diplomatiques. Négocier certes, mais avec qui ? Pour cela il faut des forces qui renoncent à l’installation de la charia au Mali, qui renoncent au jihad.

Avec des mouvements qui sont pour l’unité du Mali on peut négocier, mais pas avec les terroristes, pas avec le crime organisé…

Le carnet de Colette Braeckman

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