C'est une guerre oubliée, une hécatombe sans témoins. Elle a coûté la vie, en trois ans, à plus de 2 millions de civils. Son enjeu: le contrôle de la République démocratique du Congo (RDC), pays-continent dépecé, et de ses entrailles, gorgées de richesses minérales.
Un régime anémique, deux rébellions et cinq pays voisins convoitent la dépouille de ce colosse aux pieds d'argile. A Kinshasa, le jeune
Joseph Kabila, dont l'autorité s'étend à peine sur la moitié du territoire - l'Ouest et le Sud, pour l'essentiel - peut miser sur le soutien, aussi résolu qu'intéressé, de l'Angola et du Zimbabwe.
Un temps engagés, les Namibiens ont quant à eux choisi de rentrer à la maison. Hier soudés par leur hostilité au défunt maréchal
Mobutu, le Rwanda et l'Ouganda se déchirent désormais, quitte à se disputer à l'artillerie lourde, comme ce fut le cas au printemps 2000, le verrou de Kisangani (Nord).
Kigali arme et pilote les rebelles du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), maîtres contestés de l'Est.
Au besoin, le corps expéditionnaire rwandais supplée ses protégés. Il tient ainsi Kindu, capitale enclavée de la province du Maniema, assiégée par une alliance d'extrémistes hutus et de combattants maï-maï, miliciens tribaux nationalistes aux allégeances aléatoires.
Kampala, pour sa part, exerce son influence sur le Nord, par le biais du Mouvement de libération du Congo (MLC) de
Jean-Pierre Bemba, et materne comme il se doit une aile dissidente du RCD.
Reste le Burundi, qui, aux termes du pacte conclu avec "Kin" le 9 janvier, "s'engage formellement" à rapatrier ses hommes. Un point de détail: tous les acteurs évoqués ont fait de même en... juillet 1999.
L'accord de Lusaka (Zambie) prévoyait le retrait des forces étrangères et l'ouverture d'un "dialogue intercongolais". Depuis lors, l'histoire des Grands Lacs n'est que la chronique de promesses bafouées et de rendez-vous manqués. Citons-en deux.
L'échec, en octobre 2001, de la rencontre d'Addis-Abeba (Ethiopie), prélude supposé au fameux dialogue des frères ennemis. Et l'annulation in extremis du sommet prévu le 13 janvier au Malawi, en marge d'une réunion du Comité de développement de l'Afrique australe.
Il devait réunir Joseph Kabila,
Adolphe Onusumba (RCD) et Jean-Pierre Bemba (MLC).
Autant dire que le doute plane sur les prochaines échéances, censées sortir de l'ornière le processus de Lusaka. "S'il n'a pas rendu l'âme, ironise à Goma un cadre du RCD, celui-ci est moribond."
On misera donc, faute de mieux, sur une session genevoise orchestrée à la fin du mois par les Nations unies; puis, le 17 février, sur un conclave en terre sud-africaine, à Sun City.
Aucun traité n'aura la moindre chance de réduire au silence les fusils tant que perdureront trois dossiers infectés par le virus de l'ethnisme: la nationalité, la loi foncière et la gestion du pactole naturel. Il faudra bien un jour cesser de dénier aux héritiers des immigrants venus du Rwanda, si habilement manipulés par Mobutu, la citoyenneté congolaise.
A charge pour eux de témoigner de leur loyauté. La restauration de la souveraineté de la RDC? Pure chimère. Chacun des parrains, il va de soi, invoque des impératifs de "sécurité nationale" et pare son ingérence des nobles atours de la solidarité due aux cousins dans l'épreuve.
Et tous sont prêts à se battre jusqu'au dernier Congolais. La réalité s'avère bien plus prosaïque. L'empire du maréchal-président, ce père Ubu coiffé d'une toque de léopard, avait conquis le surnom peu enviable de "scandale géologique", tant semblait révoltant le contraste entre les ressources du sous-sol - or ou diamant, notamment - et la misère noire des Zaïrois.
Le scandale dépasse désormais les frontières. On s'entre-tue, on pactise et on trahit pour une mine de métal jaune ou un gisement diamantifère.
Disséquée dans deux récents rapports d'experts onusiens, la mise à sac bat son plein.
Pendant l'agonie, le pillage continue. Il touche également, au Kivu, le minerai de tantale, ou coltan, très prisé par les industries des télécommunications, de l'aéronautique ou de l'armement.
Certes, les cours mondiaux ont plongé, mais les négociants rwandais en treillis parient, eux aussi, sur la reprise. Saoulé de calamités, le Congo-Kinshasa n'avait pas besoin de cela: après la fièvre de l'or, le supplice de tantale.
Par
Vincent Hugeux
L'Express.fr
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La revue trimestrielle Politique africaine consacre à ce conflit un excellent numéro, intitulé: "RDC, la guerre vue d'en bas" (no 84, décembre 2001).
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