Alassane Ouattara dans la tourmante
L’actuel numéro un de Côte d'Ivoire dont la question de la nationalité ivoirienne a crispé la vie politique ivoirienne s’est engagé résolument dans des manipulations qui visent à renforcer son pouvoir en consolidant l'assise d'un certain nombre de communautés étrangères en Côte d'Ivoire. Explications.
Les députés de l’assemblée nationale ivoirienne à forte coloration Rhdp seront en mission pour Alassane Ouattara dans les prochains jours pour régler définitivement, selon la vision du nouvel homme fort de Côte d'Ivoire, la question de la nationalité de millions d'étrangers vivant sur le territoire national.
En somme, le chef de l’Etat va, par le biais du Parlement, permettre à des millions d’étrangers d’acquérir la nationalité de leur pays d’accueil. Il a laissé apparaître ses intentions en fin de semaine dernière, à l’issue de son périple dans la région du Tonkpi.
Morceaux choisis : «En 1996, l’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté à l’unanimité le code foncier. Evidemment, l’application n’a pas été faite dans les délais. Nous avons entrepris de reprendre ce code foncier et de le renforcer. Le gouvernement est en train de travailler sur ce dossier du foncier.
Et nous sommes convaincus avec le président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre que nous enverrons à l’Assemblée, au cours de la session budgétaire en octobre prochain, un projet concernant la question foncière.
Donc j’espère que cette question foncière sera examinée par l’assemblée nationale d’ici la fin de l’année (...) Mais vous savez, la question foncière elle-même est liée également à la question de la nationalité. Et la question de la nationalité n’a pas été totalement réglée.
Le gouvernement enverra dans les prochaines semaines, toute une série de textes sur la nationalité, conformes aux décisions prises à Marcoussis. Donc des accords de sortie de crise et qui n’avaient pas été appliqués, c’est-à-dire les accords de Marcoussis et de Ouaga.
Ce sera une série de projets de loi pour clarifier la question de la nationalité. Ces doivent aller à l’assemblée nationale qui doit statuer et confirmer ces décisions pour la session qui se tient actuellement, d’avril à juillet. Nous allons donc considérer que l’année 2013, avec la fin du cycle électoral, doit être l’année pour régler cette question de la nationalité et de foncier.»
La loi sur le foncier sera-t-elle modifiée et dans quel sens ?
Alassane Ouattara a raison quand il dit que le code foncier de 1998 n'a pas été appliqué. S'il ne s'agissait que de cela, il se contenterait de le mettre en application. Mais une nouvelle loi sera manifestement adoptée. Il dit qu'il va "renforcer" le texte voté sous la présidence Bédié.
Que signifie "renforcer" ? Les personnes physiques et morales non ivoiriennes auront-elles désormais, oui ou non, le droit de posséder des terres relevant du domaine rural ?
Si oui, il ne s'agira pas d'un "renforcement" mais d'un changement de cap profond et lourd de conséquences pour la Côte d'Ivoire. Sachant que le code de 1998 est le fruit d'un compromis entre les trois principaux partis politiques ivoiriens (FPI, PDCI, RDR) et la société civile, Ouattara ne peut raisonnablement pas le modifier dans son bureau et le faire valider par une majorité à la fois caporalisée et intimidée - comme en témoigne la crise politique née du refus des députés PDCI d'avaliser la loi sur la famille.
S'il veut éviter de déchirer encore plus le tissu social ivoirien, le régime doit impliquer toutes les composantes de la Nation. Face à la faible légitimité et à la représentativité douteuse du Parlement, il n'a pas d'autre choix que de procéder à un référendum sur la question.
Par ailleurs, en liant la question de la nationalité à celle du foncier, Ouattara crée un fâcheux amalgame dans la tête des "futurs Ivoiriens". Il fait croire à un certain nombre d'étrangers, dans un contexte de contentieux sur les terres à l'Ouest, qu'il suffira qu'ils aient des papiers ivoiriens pour être les propriétaires incontestés des portions qui leur ont été cédées pour une période donnée, qui leur ont été octroyées par des personnes n'ayant pas qualité pour le faire... ou qu'ils ont pris par la force !
Or c'est loin d'être le cas. Si le toujours président du RDR était soucieux de l'intérêt national, il aurait d'abord clarifié les questions relevant du foncier - notamment en mettant fin aux transferts massifs de populations souvent armées - avant de se lancer dans des naturalisations à caractère industriel qui pourraient bien rendre la situation encore plus compliquée.
Naturalisations "selon Marcoussis" : attention danger !
Dans ses dernières déclarations, Ouattara a prétendu que le volet "naturalisations" de l'accord de Linas-Marcoussis n'avait pas été appliqué. Ce n'est pas vrai. Le 17 décembre 2004, l'Assemblée nationale a adopté une loi portant dispositions spéciales en matière de naturalisation.
Le 15 juillet 2005, à travers une "décision" au titre de l'article 48 de la Loi fondamentale, le président Laurent Gbagbo a "corrigé" la loi votée par le Parlement. Le 31 mai 2006, un décret d'application de cette loi spéciale était signé par le président Gbagbo.
Que va faire Ouattara ? Appliquer ces dispositions déjà très généreuses ou les modifier pour pouvoir se tailler un électorat sur mesure sans aucune forme de procès ?
La décision du 15 juillet 2005 circonscrivait les effets de la loi spéciale de naturalisation à une période d'un an. Pourquoi revenir dessus, alors que les bénéficiaires potentiels de cette disposition avaient tout le loisir de s'en saisir par le passé ?
Les critères de vérification des déclarations des candidats à la naturalisation - documents écrits, procès-verbal d'enquête administrative dans les lieux de résidence de l'impétrant... - seront-ils maintenus ?
Les incapacités prévues par la loi, notamment la période de cinq ans au cours de laquelle le "nouvel Ivoirien" ne peut pas voter, seront-elles maintenues ? Ces questions ne sont pas posées au hasard.
A l'époque, le RDR s'était opposé au décret d'application signé par Gbagbo, et avait réfuté l'expression de "naturalisations", lui préférant l'expression de "régularisations", qui ne recouvre pourtant en l'espèce aucune réalité juridique.
Le parti ouattariste, qui sent son alliance avec le PDCI s'effriter, se dit sans doute qu'il est grand temps d'élargir ce qu'il considère comme un "bétail électoral" à caractère ethnico-religieux. De tels calculs sont dangereux pour la cohésion nationale.
Pour cette raison, il faut également procéder, sur les questions de nationalité, par référendum. La société civile et les partis politiques doivent se mobiliser très vite s'ils ne veulent pas être spectateurs de manipulations politiciennes à la fois honteuses et dangereuses pour la Nation ivoirienne.
Gilles Naismon
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