dimanche 19 mai 2013

Londres : rencontre avec une rwandaise qui dérange

Lundi 30 mai 2011



Depuis un mois, l’actualité dans la diaspora rwandaise est dominée par les informations en provenance de Londres selon lesquelles le Rwanda harcèle plusieurs rwando-britaniques qui y vivent et aurait même envisagé d’en éliminer certains d’entre eux.

Qui sont ces rwandais qui dérangent Kigali, quel est leur parcours, pourquoi dérangent-ils, que veulent ils?

Jeune réfugié Hutu ayant fui les atrocités du FPR, femme Tutsi rescapée du génocide de 1994, Hommes et femmes ayant combattu dans les rangs du FPR, leurs profils sont diversifiés mais ils partagent en commun le fait de régulièrement participer aux activités d’une association dénommée « PAX », dont la dernière en date fût une commémoration organisée le 19 avril 2011 et qui a particulièrement dérangé le régime en place au Rwanda.

Afin de mieux comprendre cette association, Jambonews a rencontré Prudentienne Seward, la présidente et co-fondatrice de l’association dont l’histoire symbolise la complexité de la tragédie rwandaise et a inspiré la création de cette association.

Prudentienne est née au Rwanda au début des années 60 d’un père Tutsi et d’une mère moitié Hutu, moitié Tutsi, ce qui dans la tradition rwandaise en fait une Tutsi à part entière, l’ethnie se transmettant par le père.

C’est avec un sourire nostalgique qu’elle nous raconte comment la population vivait en symbiose et nous donne l’exemple de la tradition annuelle en septembre d’ « Ubudehe » qui consistait à appeler en aide tout son voisinage, à venir récolter « amasaka ».

Pour ceux qui avaient des grandes propriétés, comme c’était le cas pour sa famille ils invitaient tous les voisins à venir aider à cultiver un champ, et ensuite « on partageait ensemble l’ « Ikigaye », offert par le propriétaire en guise de remerciements », « Hutu ou Tutsi, cela n’avait aucune importance, tout le voisinage partageait ensemble ce moment de joie. »

Lorsque le FPR a déclenché la guerre le 1er octobre 1990, les relations avec la population n’ont pas changé « mais simplement, dans la rue, on me demandait plus souvent ma carte d’identité ».

Le 06 avril 1994 au moment ou l’avion du président Habyarimana a été abattu, Prudentienne se trouvait à Butare et dès le soir même c’était la panique, « tout le monde devait rester chez lui.»

Du 06 au 21 avril, elle nous raconte qu’à Butare les barrières ont été constituées ensemble par des Hutu et des tutsi qui craignaient que « des membres de la CDR viennent assassiner des hutu du sud et des membres du parti PSD. »

Elle nous raconte, que c’est le 21 avril que les massacres systématiques visant les Tutsi ont commencé « avec un discours prononcé par le président intérimaire Théodore Sindikubwabo ».

Elle nous dit qu’après coup, elle a des doutes sur l’existence d’une planification, car nous dit elle « on a chauffé les gens à la dernière minute, c’est à partir du 21 avril qu’on a chauffé les esprits ».

Depuis cette date, elle se sentait menacée et craignait que d’un instant à l’autre, des miliciens interahamwe puissent l’atteindre et la tuer. C’est le bourgmestre de Nyaruhengeri Charles Kabeza qui lui a sauvé la vie, ce dernier fut, nous raconte t’elle tué par le FPR par la suite au Congo.

Le 24 juin 1994, c’est grâce à Oxfam, à l’association « terre des hommes » et surtout Chris, son mari, un citoyen britannique qu’elle a pu être évacuée vers le Burundi avec un groupe d’étrangers.

Au Burundi, c’est la qu’elle apprend la nouvelle selon laquelle toute la famille du côté de son père ainsi que ses nièces avaient été massacrés par les interahamwe.

En août 1994, après la prise du pouvoir par le FPR, Prudentienne décide de retourner au Rwanda retrouver sa mère et sa grande soeur. Pensant que la paix y était revenue, elle y vit une véritable désillusion « alors que je pensais y trouver la paix, j’y ai vu des choses horribles, le FPR était entrain de mettre les gens dans les camps, partout on pouvait sentir l’odeur des cadavres et sur notre passage, des hommes étaient entrain d’être systématiquement massacrés».

Elle arrive à rejoindre son village natal pour y retrouver ses proches, elle n’y trouve que ruine et désolation.

« Les miliciens avaient détruit notre maison ».

C’est en recherchant les traces de sa mère quelle est tombée sur un homme qui lui a appris que sa mère, sa grande soeur et sa tante qu’elle recherchait avaient été tués quelques jours avant par le FPR.

« A peine l’homme m’avait annoncé la nouvelle bouleversante, qu’un soldat du FPR dans les parages qui avait entendu l’homme s’est exprimé « on est venu vous sauver et maintenant vous dîtes qu’on vous a tués » et le soldat a abattu cet homme sous ses yeux.

Chris, son mari, qui était présent lors de la scène s’est alors exprimé avec colère « vous êtes censés être les sauveurs des gens et vous êtes entrain de les massacrer ? » et l’homme s’est aussitôt justifié devant elle« Ta mère a été tuée parce que c’est une interahamwe, on ne tue pas les gens normaux (abantu bazima) ».

Ayant entendu son mari parler français, les soldats se sont agités en scandant « c’est un français » et sous la panique, ils sont montés d’urgence dans la voiture et ils ont été poursuivis par une jeep qui tirait dans leur direction, « mais grâce à dieu, on a pu leur échapper ».

Ils ont fui le Rwanda et sont allés vivre en Angola, ou son mari avait été nommé représentant adjoint d’Oxfam.

En 1995, Prudentienne a décidé de retourner au Rwanda afin de pouvoir enterrer ses proches dans la dignité.

Dès l’aéroport, les soucis commencent et des agents lui posent agressivement toutes sortes de questions « comment as-tu survécu ? », « ta famille est elle encore en vie » ? voyant qu’elle avait un passeport délivré en Juin 1994, un fonctionnaire s’exclame, « si tu as survécu, c’est parce que tu es une interahamwe ».

Au bout des tractations, elle arrive à rentrer dans le pays sans être plus inquiété et à peine avait elle enterré sa mère, qu’elle quitte aussitôt le Rwanda.

Le 3 avril 1996 en Angola, son mari est tué, « pris dans une embuscade qui visait des soldats de l’ONU avec lesquels il se trouvait ».

C’est le 6 avril 1996, qu’elle arrive en Angleterre ou elle vit désormais avec la famille de son mari qui l’a accueilli.

A peine arrivée en Angleterre, elle a été approchée par un groupe de rwandais qui avaient eu vent de son histoire et qui lui a demandé de faire partie d’une association de rescapés Tutsi afin de pouvoir témoigner de son histoire.

« Ils voulaient que j’aille régulièrement témoigner, et j’ai accepté mais je leur ai dit que ma mère avait été tué par le FPR, ce à quoi ils m’ont répondu que ça, je n’avais pas le droit d’en parler, que c’était un accident, que c’était à cause de jeunes du FPR qui sont arrivés fâchés au Rwanda. » et elle leur a répondu que dans ce cas, elle ne pouvait pas témoigner car leur a-t-elle dit « personne ne m’empêchera de pouvoir parler de tous les êtres chers qu’elle j’ai perdus. »

C’est là qu’elle a pris conscience de la gravité du problème de la mémoire rwandaise « je ne voulais pas que le génocide soit utilisé pour diviser les rwandais, je ne voulais pas que mon histoire puisse servir à oppresser d’autres victimes ».

C’est suite à cela, qu’en 1998, elle prend contact avec Rene Claudel Mugenzi et ensemble

ils ont fondé le PAX, projet qui vise à promouvoir, la paix, la justice, le pardon et la réconciliation entre les peuples des Grands Lacs. Au sujet du Rwanda, elle observe que beaucoup d’associations sont souvent mono ethniques et le PAX voulait dés le départ inclure toutes les ethnies.

Le PAX organise régulièrement des conférences sur la mémoire ou des commémorations communes de toutes les victimes.

Elle considère que le gros problème au Rwanda, c’est qu’il n’y a pas de justice.

« On s’attarde sur le Mapping repport alors que les personnes mortes au Rwanda tuées par le FPR, personne n’en parle ».

Ce qui la révolte c’est qu’« il y a une partie des victimes qu’on fait taire, qui n’a pas le droit d’évoquer ses êtres disparus, qui n’a pas le droit d’évoquer ses morts et ça doit cesser car c’est ce qui empêche une réconciliation effective.»

Depuis qu’elle a commencé le PAX, l’ambassade a tout essayé pour la recruter. « Au début c’était la séduction, m’expliquer en quoi c’était une bonne chose de travailler avec eux mais face à mes refus persistants, le ton s’est corsé et ils se sont montrés plus menaçants.

La dernière commémoration qui s’est déroulée le 19 avril a particulièrement déplu le régime. Elle avait pour objectif de commémorer « toutes les victimes du génocide au Rwanda et de toutes les autres atrocités » qui ont affecté le Rwanda depuis 1959. »

Ce qui a particulièrement fâché plusieurs rwandais pro-régimes qui l’ont appelé, c’est une phrase dans leur invitation qui disait « les survivants, (Hutu et Tutsi), délivreront leurs témoignages, et partageront leur expérience pour que chacun comprenne la douleur de l’autre et qu’on aille vers le pardon et la réconciliation ».

Depuis le lancement de l’invitation qui fût également envoyée à l’ambassade, plusieurs rwandais l’ont appelé et lui ont dit que « c’était vraiment incorrect et déplacé de parler de « survivants Hutu ».

La cérémonie s’est déroulée sans incidents et fut rapportée par la BBC Gahuza Miryango. Des Hutu et des Tutsi ont successivement écouté chacun leurs histoires personnelles.

Après le témoignage de Prudentienne, un ancien soldat du FPR, qui fût garde du corps de Paul Kagame, Noble Marara a pris la parole et a demandé pardon « pour avoir fait partie d’un groupe qui vous a fait autant de mal », avant de la serrer dans ses bras sous les applaudissements des autres participants émus.

Les Hutu, les Tutsi ainsi que les anciens militaires du FPR ont chacun eu l’opportunité de témoigner, de raconter leur histoire dans l’objectif de permettre à chacun de mieux comprendre l’autre.

Depuis cette cérémonie les menaces se sont intensifiées, elle a reçu plusieurs coups de fils la traitant d’Interahamwe et lui disant que quelques soient les moyens à utiliser, le FPR stoppera leur projet.

C’est également 3 semaines après cette commémoration, qu’elle a entendu que la vie de Rene Claudel était menacée « j’étais en colère, je me demandais comment est ce qu’ils pouvaient en arriver là » et lorsque nous lui avons demandé si elle avait peur de mourir, sa réponse est aussi spontanée qu’immédiate « Ntawatinya gupfa, urupfu yararunze » ( On ne peut pas avoir peur de la mort lorsqu’on a dépassé le stade de la mort )

Prudentienne est le genre de femmes dont l’histoire lui donne toutes les excuses du monde pour sombrer dans la haine et qui pourtant jour après jour lutte pour la paix et le pardon.

Dans les réponses virulentes que le gouvernement de Kigali a jusqu’à présent communiqué pour démentir les menaces d’harcèlements, un argument est revenu souvent, pourquoi Kigali s’en prendrait il à des citoyens rwandais « non connus » ?

Le régime du FPR est un régime ethniste et raciste responsable de la mort de centaines de milliers de Hutu mais aussi d’un nombre indéterminé de Tutsi. Le mouvement tire sa légitimité internationale du génocide qui fût perpétré en 1994 contre la minorité Tutsi.

Dès qu’un partenaire international évoque la moindre critique sur les violations des droits de l’Homme ou les crimes perpétrés par le FPR, la réponse fuse aussitôt comme l’a reconnu l’ancien directeur de cabinet de Paul Kagame, Théogène Rudasingwa « Ou étiez vous pendant le génocide contre les Tutsi ? », intimidés et sans réponses, les partenaires internationaux se taisent aussitôt et abordent d’autres sujets.

D’un point de vue de la société rwandaise, le régime en place au Rwanda attaque avec la plus grande virulence quiconque, ose évoquer ses victimes. « Génocidaires, Interahamwe, négationnistes, partisans du génocide, Ibigarasha », tel est le lot quotidien d’insultes qu’encaisse tout citoyen rwandais ou étranger, quel que soit son background qui ose évoquer les crimes du FPR.

Les attaques les plus cyniques sont celles qui visent les rescapés Tutsi, comme Prudentienne qu’on appelle « Interahamwe » ou encore Déo Mushayidi qui a perdu presque toute sa famille dans le génocide de 1994 et dont le procureur avait requis sa condamnation pour « négationnisme ».

Les projets rassemblant des Hutu et des tutsi et visant une véritable réconciliation représentent aux yeux du régime en place une véritable menace face à la version de l’histoire qu’il a imposé et sur laquelle il est assis.

Ce n’est qu’en divisant la société rwandaise en deux camps et en stigmatisant ses opposants mais aussi plus généralement toute la population Hutu comme génocidaires que le régime parvient à maintenir cette version de l’histoire.

Une paix durable au Rwanda exempte du spectre d’un nouveau conflit meurtrier ne passe pourtant que par la réconciliation effective de la société rwandaise qui elle-même nécessite la reconnaissance de toutes les victimes, la justice pour tous mais aussi et peut être surtout toute la vérité sur les causes du drame qui a endeuillé l’ensemble de la population rwandaise.

Or jusqu’à présent le régime refuse d’emprunter ce chemin de peur que des hauts cadres du FPR ne doivent répondre de leurs actes.

C’est pour ces raisons, que plus que les différents groupes d’opposition aux querelles aussi incessantes que fatigantes, des associations comme le PAX sont considérées par le gouvernement comme une menace qu’il faut à tout prix anéantir car elles remettent involontairement en cause les fondations même du pouvoir.

Ruhumuza Mbonyumutwa
France Rwanda Tribune

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire