dimanche 26 mai 2013

Une nouvelle ville dénommée Lumumbaville : Pour quoi faire ?


Au cours de sa réunion du 13 mai 2013, le conseil des ministres, présidé par le Premier ministre, Augustin Matata Ponyo, a annoncé l’érection prochaine d’une nouvelle ville. Son nom : «Lumumbaville».



Interdiction de rire. C’est le comble du ridicule de la part d’un gouvernement qui a donné toute la mesure de son incapacité – à moins qu’il ne s’agisse d’une mauvaise volonté délibérée - à approvisionner la population des villes existantes en eau et électricité. Sans oublier les autres services sociaux de base : hôpitaux, écoles, routes, transport public etc.

Le gouvernement "Kabila-Matata" serait-il en mal d’inspiration ? En tous cas les deux personnages semblent exceller dans l’art de distraire la population en l’enfonçant chaque jour un peu plus dans sa spirale de paupérisation, de chosification et de réduction ontologique, par un esclavagisme plus éhonté que celui du 18ème siècle !

Au lieu de conduire des réformes volontaristes de nature à rencontrer, au quotidien, les attentes de la population, ce duo n’est jamais là où les exigences de la vie collective le requièrent.

Il laisse perdurer, à travers le pays particulièrement à l’Est, les vols, les pillages des ressources, les violences sexuelles, les assassinats, les déplacements involontaires des populations, la pauvreté et les conditions de vie indécentes et incompatibles avec la dignité humaine, ainsi que de nombreux crimes imprescriptibles, qui émaillent, depuis lors, le quotidien de plusieurs milliers de nos frères et sœurs, en particulier à l’Est du pays.

Aujourd’hui, encore, une certaine forme d’esclavage prospère. Elle consiste à réduire des citoyennes et citoyens congolais à moins que rien, sans aucun droit humain, sans pouvoir réclamer ce à quoi ils ont droit ! Cette situation est pire que « la chicotte » condamnée par Patrice Lumumba le 30 juin 1960.

Oui, l’actualité est hautement plus humiliante et dégradante, c’est une torture, à plusieurs facettes à laquelle recourent les bourreaux de Joseph Kabila avec la complicité d’un gouvernement congolais composé essentiellement des fils et filles de ce peuple, tous pourtant, frères et sœurs de Patrice Emery Lumumba dont la célébrité est fondée sur le même idéal, de paix, de liberté et d’indépendance retrouvée et chèrement acquise.

Comble de ridicule et de contradictions, Joseph Kabila et son gouvernement ont trouvé un subterfuge pour faire encore une diversion politicienne auprès de la masse, bien entendu, moins instruite : honorer le héros national Patrice Emery Lumumba simplement en baptisant une ville par son nom, en veillant, simultanément, à ne pas expliquer l’idéal qui a fondé sa réputation.

Cela demande, à notre humble avis, des explications. En effet, les problèmes du Congo ne se situent pas au niveau de la création de nouvelles villes, mais, tellement ils sont colossaux ceux-ci ont besoin d’un remède urgent et approprié ! Ils sont, prioritairement, d’ordre socio-économique, politique, et juridique.

Par le fait même, il est une seule manière, aujourd’hui, d’honorer nos valeureux martyrs, nos héros d’hier et d’aujourd’hui, c’est de travailler, jour et nuit, avec acharnement à la recherche des solutions pour faire du Congo un Etat réellement démocratique. Un Etat rassemblé à l’intérieur et respecté, dans ses limites territoriales, à l’extérieur.

Débaptiser une localité, ou en créer une autre, en lui donnant le nom nouveau de «Lumumbaville», soit Kabilaville et/ou Mobutuville, n’est pas approprié dans le cas d’espèce.

Pour mémoire, les colonisateurs avaient créé des villes et les ont baptisées des noms européens, liés à l’histoire de l’Etat Indépendant du Congo. Et qu’ont donc fait les Congolais, après l’indépendance ?

Ayant estimé que ces patronymes étrangers, fussent-ils glorieux par rapport à l’histoire de notre jeune Etat moderne, dans le concert des nations, les Congolais ont, à juste titre, rétabli la vérité historique d’avant l’indépendance.

Ainsi, Léopoldville est redevenu « Kinshasa », Elisabethville « Lubumbashi » et Stanleyville, « Kisangani ». Et ce n’était là que justice et vérité, pour un peuple qui a besoin de protéger son identité par cette mémoire des lieux de son sol.

L’opération « Lumumbaville » est mauvaise par son essence, elle doit être proscrite, car, si l’on procède à la « débaptisation » d’une localité, pour lui substituer le nom de Lumumbaville, on va, ipso facto, attenter à la mémoire collective et détruire l’identité de notre peuple.

Pourtant, la vérité historique et géographique exige ce respect ! Alors, que faudrait-il faire pour honorer nos martyrs, les pères de l’indépendance, nos héros, Lumumba, Kasa-vubu, Bolikango, Kalonji, Kashamura, Tshombe, etc ?

Que les différents gouvernements congolais, qui se succéderont, selon la loi d’alternance démocratique, se mettent au travail, en construisant des villes nouvelles, des aéroports, des autoroutes, des grands ponts, des universités, des centres de recherches, des grands hôpitaux, voilà ce qu’il faudrait faire pour revivre, la mémoire de nos héros, et cela sera légitime et plus honnête.

Dans une certaine hypothèse, le « Sankuru » par exemple, d’où Lumumba est originaire, doit demeurer « Sankuru » et ne peut subir aucune mutation, ce nom a sa résonnance dans l’histoire des peuplements en citoyen congolais, et a aussi une charge affective indéniable, pour les tribus et les ethnies de cette partie du territoire national.

On peut maintenant répondre à la sous-question de notre intitulé, pour quoi faire ? Autrement dit, ce projet gouvernemental répondrait-il à une priorité? La réponse tient en un mot : Non ! Le contexte sociopolitique de la République Démocratique du Congo ne s’y prête guère.

En réalité, Lumumba est bel et bien un symbole des valeurs fondamentales de liberté dans tous les domaines, pour un peuple hier asservi, et aujourd’hui indépendant. Il y a une vraie tendance, qui a souvent voulu «utiliser» le nom de Lumumba, pour s’en servir comme rampe de lancement d’un régime politique contraire à son combat politique !

N’est-ce pas là une manière injurieuse d’honorer un héros, et même de le « tuer » une fois de plus ? Non, il ne convient pas, il est même injurieux de continuer à servir au peuple congolais des « diversions », pendant qu’on est occupé, par ailleurs, à le dépecer comme un gibier.

Si on ne bâtit pas une ville nouvelle il n’y aura pas de Lumumbaville. D’ailleurs, qu’on n’oublie pas que de telles pratiques ne cadrent pas bien avec nos traditions et notre culture. La modernité doit s’accompagner de respect de notre histoire, de notre culture et de notre mémoire identitaire !

Lumumbaville est tout sauf une priorité. C’est un projet mort-né, un non-sens manifestement ridicule. Et ce au regard du misérabilisme qui crève les yeux à travers nos villes !

Bamba-di-Lelo

Docteur en Sciences politiques de l’U.C.L.
Analyste des questions politiques du Congo
© Congoindépendant

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