samedi 15 juin 2013

RD Congo – 2016 : Enjeux électoraux et survie d’une nation

Le rendez-vous électoral de 2016 qui verrait l’élection du Président de la République démocratique du Congo, livre peu à peu ses secrets.

La mise en place d’une nouvelle Commission nationale électorale (CENI), sa composition et les supputations sur une possible révision de la Constitution donnent quelques indications sur l’échiquier politique de l’après 2016, et en fonction duquel les candidats devraient commencer à se positionner.

Mais quelle que soit l’évolution des enjeux électoraux d’ici à 2016, la question fondamentale qui devrait se poser est celle de la survie du Congo en tant que nation.

Enjeux électoraux

Soucieux de se maintenir au pouvoir à tout prix, les fidèles du Président Kabila pourraient être tentés de modifier la Constitution, c’est-à-dire calibrer les « règles du jeu » en fonction des intérêts d’un seul camp. C’est une manœuvre déloyale qui fausserait l’esprit de compétition.

Si la Constitution est modifiée pour permettre au Président sortant de rempiler pour un troisième mandat, il en sera quasiment fini du suspens. En effet, pour reprendre une formule d’Herman Cohen, « En Afrique, pour qu’un Président sortant perde une élection, il faut qu’il ait envie de la perdre ».

En tout cas, dans le cas d’une troisième candidature de Joseph Kabila, l’enjeu électoral ne devrait tourner qu’autour de sa personne. Il est peu probable que l’opposition, même rassemblée, l’emporte, le pouvoir disposant d’un autre atout : la violence armée et la fraude électorale, comme en 2011.

Au-delà du pouvoir, de l’opposition et des électeurs, il faut compter avec un autre acteur : la « communauté internationale ». Il s’agit essentiellement des Etats-Unis, la France, l’Union Européenne[1], le Royaume-Uni, la Belgique,… et même le Rwanda[2] dans le cas du Congo.

Ce sont des « agents » tapis dans l’ombre mais extrêmement entreprenants. Ils détiennent la clé du scrutin. Ils opèrent en amont (choix de « leurs » candidats) et en aval (approbation des résultats, même frauduleux) pour légitimer le pouvoir du vainqueur préalablement choisi, parfois en usant de gros moyens (intervention de la force européenne, l’Eufor, au Congo en 2006[3] ?).

En effet, dans la logique des grandes puissances, la « démocratie congolaise » n’est pas encore assez mature, assez « autonome ». Les élections sont pilotées et financées de l’extérieur (élections de 2006 financées à 80% par l’Union Européenne[4]), ce qui accroit le pouvoir d’influer sur l’issue du scrutin suivant la formule : « qui paie décide ».

Pour le scrutin de 2016, quelques signes sont à surveiller. Si la majorité présidentielle parvient à faire réviser la Constitution permettant au Président de se présenter à un troisième mandat, nul doute que celui-ci aura été choisi en coulisse par la « communauté internationale », Rwanda et Ouganda inclus[5].

Il ne faudra pas se fier aux condamnations verbales des politiciens, des ONG, des journalistes, des diplomates,... Ces condamnations verbales relèvent d’un jeu de rôle, la décision qui compte véritablement ayant été le choix du candidat des grandes puissances.

Et si la modification de la Constitution supprime la limitation du nombre des mandats (article 70), le Congo sera bien parti pour une forme de « néo-mobutisme » (Président à vie). Le péril immédiat serait la résurgence des dinosaures (les indéboulonnables barons du régime).

Dans la foulée affluent des profiteurs et une clientèle politique toujours plus dispendieuse, à la charge du pays. Ainsi vint l’oubli complet de la population du temps de Mobutu[6] dès qu’il obtint la possibilité de modifier la Constitution à sa guise. Impossible d’engraisser les dinosaures et payer en même temps les fonctionnaires décemment. Le pays tombe inévitablement en ruine.

Dans le cas de Joseph Kabila, le péril semble déjà en cours. La classe politique absorbe des sommes colossales, officiellement (salaires faramineux) et officieusement (corruption ?) pendant que le peuple congolais pointe à la toute dernière place du classement mondial de la pauvreté[7].

Des millions d’« invisibles » croupissent dans des taudis à Kinshasa tandis que d’autres « crèvent » dans des camps de déplacés du Kivu devenus des mouroirs. Les politiciens eux parlent des élections et refusent d’assumer la responsabilité qui leur revient de se tenir auprès de ces malheureux « compatriotes » laissés à la charge des églises et des ONG.

Le contraste ne peut que s’aggraver avec la reconduction du régime actuel. Parce que la longévité au pouvoir finit par gommer les idéaux de départ et nuire à l’efficacité de l’homme politique.

Dans l’opposition, passé le moment de frustration, il faudra se résigner au fait que tout changement de majorités au Congo n’est plus possible par des moyens démocratiques.

Pour un opposant, la seule chance d’obtenir un jour des responsabilités publiques consisterait à se renier et à rejoindre l’entourage du Président. Le banquet. Les autres opposants devront reprendre le chemin de croix et endurer les épreuves de la lutte pour les idéaux sur l’exemple d’Etienne Tshisekedi (opposant à vie ?).

Mais on n’en est pas encore là. Les Congolais doivent surtout s’inscrire dans le temps sur la question de la démocratie et des élections démocratiques. Selon certains politologues, il faudrait trois ou quatre scrutins avant d’être sur la bonne voie[8], ce qui n’exclut pas de s’appliquer dès à présent dans la perspective de 2016.

Parallèlement aux préoccupations d’ordre électoral, un débat beaucoup plus vital devrait être abordé, quels que soient les enjeux de 2016. Il s’agit de la survie du Congo en tant que nation.

Le défi de la survie d’une nation

Le Principal défi auquel le Congo est aujourd’hui confronté, en tant que nation, est celui de sa survie. Survie du peuple congolais victime de massacres, de viols à grande échelle, de déplacements meurtriers des populations, d’entassement dans des camps « mouroir », bref, un peuple victime d’un génocide caché par l’omerta des instances internationales, informées, mais paralysées par le profit tiré du pillage des ressources minières du Congo.

C’est aux dirigeants congolais, pas seulement au gouvernement, de prendre la mesure du péril de l’extermination des populations congolaises, surtout dans la région du Kivu.

Le gouvernement peut déclencher une enquête internationale pour que la lumière soit faite sur la mort des six millions de Congolais. Il peut aussi militer pour que soit créé un tribunal pénal spécial pour juger les responsables de cet holocauste.

Il est toutefois peu probable que le régime actuel de Kinshasa, empêtré dans une alliance contre-nature avec le Rwanda et l’Ouganda envisage une telle démarche, pourtant relevant de ses prérogatives en matière de protection de sa propre population.

La notion de survie s’applique également au territoire national que le pouvoir de Kinshasa contrôle de moins en moins. L’irruption des miliciens Mai-Mai dans la ville de Lubumbashi, capitale de la province stratégique du Katanga, le 23 mars dernier, a renvoyé dans l’opinion la réalité crue et brutale d’un Etat qui ne contrôle pas son territoire, pas seulement les zones aujourd’hui occupés par le Rwanda sous couvert du M23.

Pas non plus les territoires que Kinshasa n’ose plus évoquer face à l’imposant « voisin » angolais.
Comment en-est-on arrivé là ? 

Se tromper d’allié


Dès la fin de la première guerre du Congo (mai 1997), Kinshasa s’est fié au Rwanda au titre de principal allié militaire. Des officiers rwandais et des hommes de troupe étaient envoyés en masse par Kigali, officieusement sous l’appellation de « tutsis congolais », un gros mensonge d’Etat, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus grave.

Tous les Etats mentent. Le plus grave est que ces soldats rwandais et leurs officiers se sont révélés d’une loyauté extrêmement faible à la Patrie de Lumumba. Deux généraux, sûrement les plus emblématiques, ont eu un parcours qui suffit à démontrer que l’alliance militaire entre le Congo et le Rwanda fut une erreur monumentale.

L’actuel ministre rwandais de la défense, le général James Kabarebe déclencha la deuxième guerre du Congo (1998) après avoir servi au titre de chef d’état-major de l’armée congolaise. Non seulement la deuxième guerre du Congo. Son nom est cité dans un rapport des experts de l’ONU comme étant le principal chef militaire du M23[9] (Rapport S/2012/843, pages 3 et 13).

L’autre officier de l’armée rwandaise, le général Bosco Ntaganda, inculpé pour crimes de guerre par la CPI est dans une cellule de La Haye après avoir meurtri le Congo davantage qu’il aurait dû le servir.

Né Rwandais, il combat au sein du Front Patriotique Rwandais et entre au Congo en tant que soldat rwandais durant la première guerre du Congo (1996). Il reprend les armes contre le Congo lorsqu’éclate la deuxième guerre du Congo (1998).

En 2003, Il reprend les armes contre le Congo dans les rangs de la milice de l’UPC dirigé par Thomas Lubanga, le premier condamné de la Cour Pénale Internationale. En 2004, Bosco Ntaganda obtient malgré tout une nomination de « général » de l’armée congolaise.

En dépit de cette haute distinction, il reprend à nouveau les armes, en 2006, contre le Congo lorsqu’éclate la guerre du CNDP (2006-2009). Il est réintégré, pour la troisième fois, dans l’armée congolaise malgré un parcours aussi peu rassurant. Comme il fallait s’y attendre, Bosco Ntaganda prend la tête des mutins du M23 lorsqu’éclate la guerre en cours[10].

Il y a quelque chose de surréaliste dans les décisions des autorités congolaises capables de légèreté à ce point. Impossible d’imaginer qu’on puisse réintégrer dans l’armée, en trois reprises, des individus aussi notoirement dangereux pour la République, le personnel de l’armée et la population.

Ainsi la carrière au Congo des généraux « rwandais » (James Kabarebe, Bosco Ntaganda,…) suffit à persuader que le Rwanda peut difficilement être un allié fiable et qu’il faudrait envisager la protection des populations congolaises en recourant à d’autres partenaires.

Quant aux casques bleus, ils sont à l’image des tiraillements des grandes puissances siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU. Une armée dont l’état-major est paralysé par d’interminables disputes entre généraux. Le soldat sur terrain baisse les bras et bat en retraite.

La population de Goma n’aurait jamais subi le traumatisme d’une nouvelle occupation rwandaise en novembre 2012 si un contingent de l’une des cinq armées (française, américaine, britannique, russe ou chinoise, peu importe) avait pris position dans le Kivu.

Redresser la barre et viser plus haut

Bien entendu, un travail national de réforme de l’armée est à faire. Sur le plan international, le Congo doit s’appuyer sur un allié stratégique de taille. Les Maliens risquaient de subir le même sort que celui des Congolais lorsque la France est intervenue pour sauver Bamako et reprendre le contrôle du territoire national.

La Syrie de Bachar Al-Assad tient tête grâce à l’appui de la Russie. Le Zaïre de Mobutu réussit à repousser les incursions communistes en Afrique centrale. La France et les Etats-Unis veillaient.

C’est sûrement dans ces termes qu’il faut envisager l’enjeu de la survie du Congo en tant que nation. Evidemment, l’idéal aurait été que le Congo fût laissé tranquille et que sa population profitât de ses richesses naturelles.

Mais il faut voir le monde tel qu’il est. Un pays avec autant de ressources convoitées peut difficilement survivre en baissant la garde.

Boniface MUSAVULI
Agoravox

[1] Charles ONANA, Europe, Crimes et Censure au Congo, les documents qui accusent, Ed. Duboiris, 2012.

[2] Op. cit. p. 231.

[3] Pierre PEAN, Carnage - Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éditions Fayard, 2010, p. 418.

[4] Javier Solana cité par Charles ONANA, op. cit., p. 194.

[5] Le régime de Joseph Kabila continue, étonnamment, de négocier avec le M23, un appendice du Rwanda et de l’Ouganda, présenté mondialement comme une organisation criminelle. Des négociations qui mèneront à la réintégration des membres du M23 dans l’armée, une pratique à l’origine de l’indiscipline et des difficultés à réformer l’armée congolaise.

[6] David. VAN REYBROUCK, Congo – Une histoire, ACTES SUD, 2012, pp 382-385.

[8] D. VAN REYBROUCK, Op. cit, p. 549.

[10] Rapport S/2012/843 des experts de l’ONU, page 164.

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