dimanche 15 septembre 2013

Congo-Zaïre : l’empire du crime permanent : affaire Lumumba, l’ONU fuit ses responsabilités

le 11 septembre 2013

 


Après avoir momentanément marqué une parenthèse dans l’affaire de l’assassinat de Lumumba, en ouvrant ses colonnes à d’autres dossiers ficelés il y a plus de 20 ans par la «Commission des crimes et assassinats» de la CNS (Conférence Nationale Souveraine), Le Phare revient à la charge. 

Fidèle à sa ligne de conduite fondée sur la lecture correcte et sans complaisance de l’histoire nationale, le quotidien de l’avenue Lukusa laisse parler les documents. 

Dans le témoignage sous examen émanant du chef d’Antenne de la CIA en 1960 à Léopoldville (Kinshasa), la thèse du complot international ourdi contre Patrice Emery Lumumba est évidente. 

La volonté de grandes puissances d’empêcher le jeune Etat congolais de se contruire en vue de faire le bonheur de ses filles et fils ne fait l’ombre d’aucun doute. 

Le décor de 1960, avec des Congolais incapables de gérer leurs ambitions politiques et agissant sous la dictée de leurs parrains des blocs Ouest et Est, fait penser à celui du Congo du 3ème millénaire, prisonnier des mêmes maîtres.

L’histoire semble se répéter 50 ans après, avec des troupes onusiennes qui dépassent la barre de 20.000 hommes mais qui peinent à protéger les civils et à rétablir une paix durable dans les zones troublées de l’Est. 


Pendant que les malentendus se multiplient entre Congolais quant à la vision de l’avenir du pays, les mouvements rebelles et groupes armés soutenus par des pays voisins créent et recréent des «Républiquettes» qui plantent le décor de la balkanisation. 

Le passé ne semble pas instruire les Congolais, visiblement décidés à ne pas baliser la voie de la réconciliation nationale. Comment réaliser la «cohésion nationale» dans un contexte où les uns revendiquent la direction unilatérale des affaires publiques au nom de leur triomphal électoral et les autres continuent à leur contester la légitimité institutionnelle ? 

Est-il possible de s’entendre quand certains autres, fatigués de ne pas être écoutés, ont choisi le langage des armes ? Comme en 1960, le démon de la division a repris son travail de sape au sein de la maison «Congo», pour un nouveau feuilleton de marche à reculons sur tous les plans.

A. L’arrestation et la détention de Patrice Lumumba

Dans la nuit du 27 au 28 novembre 1960, le soir même du retour de M. Kasavubu à Léopoldville, Patrice Lumumba, accompagné de plusieurs ministres et partisans, quittait la demeure où il était gardé depuis le 10 octobre par des forces de l’armée nationale congolaise, sa sécurité étant garantie par la présence des troupes de l’ONUC. 


Son intention était d’atteindre Stanleyville, dans la province orientale, dont M. Gizenga, son partisan le plus sûr venait de prendre le contrôle. Cependant, la veille, le président Kasavubu avait affirmé à Paris son intention de réunir une table-ronde à laquelle auraient été conviés MM. Tshombe et Lumumba. L’offre vint trop tard. 

Le 2 décembre, des éléments des troupes du colonel Mobutu arrêtaient les fuyards au Kasaï. Transféré, avec deux compagnons, par la voie des airs à Léopoldville, Lumumba était incarcéré le 3 décembre au camp Hardy à Thysville. 

Dans son rapport du 3 décembre, à M. Hammarskjöld, au sujet de cette pénible affaire, M. Dayal décrit ainsi le sort qui a été celui de M. Lumumba au moment de son arrestation : « Des observateurs de l’Onu ont signalé que, lorsqu’il est sorti de l’avion à l’aéroport de N’Djili, il n’avait plus ses lunettes et que sa chemise était tâchée ; sa chevelure était en désordre ; il avait un caillot de sang sur la joue et il avait les mains liées derrière le dos. On l’a brutalement fait monter à coups de crosse dans un camion de l’ANC qui est parti aussitôt… 

M. Lumumba a été conduit à Thysville sous une très forte escorte de voitures blindées et de soldats congolais armés. 

Son départ a été observé par des membres de la presse internationale, qui signalent qu’il est monté en camion avec beaucoup de difficultés. Il avait une apparence désordonnée et il portait au visage des traces de coups récents. Les troupes de l’ONUC ont indiqué que M. Lumumba est détenu au camp Hardy. On dit qu’«il souffre de graves blessures reçues avant son arrivée. Il a été tondu et on lui laisse les mains liées. On le tient en cellule dans des conditions inhumaines, dit-on, pour ce qui est de la santé et de l’hygiène. 

Le représentant spécial du secrétaire général essaie actuellement d’obtenir qu’un représentant de la Croix-Rouge internationale se rende auprès de M. Lumumba ». M. Dayal ne devait pas recevoir de réponse à cette dernière demande formulée au colonel Mobutu. 

M. Hammarskjöld adresse immédiatement deux message (3 décembre et 5 décembre) à M. Kasavubu, où s’il s’interdit d’exprimer une opinion sur des problèmes intérieurs du Congo ni d’exercer une influence sur la solution convenable de ces problèmes », il lui rappelle les principes de la Charte des Nations Unies concernant « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous », ainsi que les dispositions de la loi fondamentale relative aux structures du Congo en ce qui a trait à l’immunité parlementaire. 

La situation du secrétaire général était on ne peut plus délicate : en vertu du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de la République du Congo, il ne lui appartenait pas d’exiger du chef de l’Etat congolais la libération de son ancien Premier ministre, ni même son élargissement. 

Tout au plus était-il à même d’user de ce que les Anglo-saxons qualifient de « quiet diplomaty », que M. Michel Virally traduit par « diplomatie tranquille », après avoir parlé ailleurs de diplomatie « discrète », dont l’activité personnelle du secrétaire général ne constitue pas une des illustrations les moins notables. 

A ce titre, la situation faite à P. Lumumba ne pouvait pas le laisser indifférent, même si l’annonce de son arrestation contribuait à éloigner le « spectre » de la guerre civile (car l’arrivée de Lumumba dans son fief de Stanleyville aurait sans doute préludé à des opérations de guerre civile sur tout le territoire de la République du Congo. 

Pourtant, dans sa réponse au secrétaire général, Joseph Kasavubu laissa entendre qu’il connaissait « les obligations de la Charte, qu’il s’est engagé à respecter intégralement ». 

Selon lui, M. Lumumba s’était rendu coupable de multiples infractions flagrantes et graves (usurpation de fonctions publiques, atteintes à la sûreté de l’Etat, etc…). 

Il s’étonnait donc de « l’importance attaché à l’arrestation de M. Lumumba ». Il terminait sa réponse de la façon suivante : « Que veulent donc en plus les délégations qui se sont adressées à vous ? 

Faut-il que nous recherchions à notre tour quel est le traitement des membres de l’opposition au Ghana, quel sort a été réservé au général Néguib en Egypte et que nous rappelions les victimes de l’insurrection hongroise ? » en clair, c’était affirmer que le secrétaire général de l’ONU avait mené son « intervention », mû par les puissances afro-asiatiques favorables à Lumumba, et qu’il ne lui appartenait pas de se mêler de ce qui ne le regardait pas. 

C’est d’ailleurs ce qu’exprima crûment le colonel Mobutu lors d’une conférence de presse. Dag Hammarskjöld fut profondément affecté par ce que l’on peut qualifier de véritable « coup de soufflet ». 

D’autant qu’au même moment s’ouvraient devant le Conseil de sécurité, puis devant l’Assemblée générale, des débats qui ne devaient pas lui apporter le soutien dont il avait plus que jamais besoin pour poursuivre sa mission au Congo.

B. L’isolement de Dag Hammarskjöld

Au cours des débats qui se déroulèrent milieu décembre devant l’Assemblée générale, M. Hammarskjöld remarqua amèrement que bien que la question à l’ordre du jour figurât comme « la situation au Congo », la question réelle pourrait être mieux qualifiée de « la situation à l’Organisation des Nations Unies ». 


En effet, non seulement les buts et la mission de l’ONUC furent vivement critiqués comme ils ne l’avaient jamais été, mais l’expression de M. François Le Roy, « Les Nations désunies », devait trouver son illustration la plus frappante à l’occasion des débats qui s’instaurèrent tant au Conseil de sécurité qu’à l’Assemblée générale. 

Les menaces d’une guerre civile n’étaient pas écartées au Congo par l’arrestation de M. Lumumba. Dans ces conditions, il fallait une force de volonté et une constance peu communes de la part du secrétaire général pour poursuivre son action au jour le jour, en vertu de résolutions anciennes qui ne répondaient plus manifestement aux circonstances pour laquelle et dans lesquelles elles avaient été adoptées.

a) La défaillance du Conseil de sécurité

Le Conseil de sécurité se réunit du 7 au 13 décembre 1960 à la demande de l’Union soviétique, pour examiner « les mesures urgentes à prendre eu égard aux derniers événements survenus au Congo ». 


Ces « derniers événements » étaient l’arrestation et la détention de Lumumba. Comme il avait déjà eu l’occasion de le faire lors de séances antérieures, le Conseil autorisa à siéger de nombreux Etats non membres du Conseil, malgré l’article 31 de la Charte de San Francisco qui limite cette faculté aux membres dont « les intérêts… sont particulièrement affectés » : mis à part le Congo (Léopoldville), il s’agissait en l’occurrence du Mali, de la Guinée, de l’Inde, de l’Indonésie, du Cameroun, de la République Arabie Unie, de la Yougoslavie et du Maroc. 

Le Cameroun excepté, on remarquera qu’il s’agissait de pays favorables à Lumumba et qui avaient d’ailleurs voté contre l’accréditation de la délégation Kasavubu. 

Au moment où l’URSS avait demandé la réunion, elle avait publié une déclaration, au lendemain même de celle de Patrice Lumumba, dans laquelle elle s’en prenait violemment à Dag Hammarskjöld : elle accusait le Commandement des Nations Unies au Congo et le secrétaire général qualifié par ailleurs de « laquais des colonialistes », d’agir comme « instruments des agresseurs et des colonialistes ». 

Le Président Kasavubu, quant à lui se voyait doté du qualificatif et des attributs de « traître ». Jamais M. Hammarskjöld n’avait été aussi vivement pris à partie par l’URSS. 

Dès l’ouverture des débats, M. Zorine reprit dans le même ton : « L’opération des Nations Unies au Congo s’est véritablement soldée par un échec total … » : ceci à l’appui d’un projet de résolution qui « enjoignait » au secrétaire général de « faire libérer immédiatement M. Patrice Lumumba » et qui « invitait » l’ONUC à « désarmer immédiatement les bandes terroristes de Mobutu ». 

 Mais il y a plus grave : un projet de résolution présenté par quatre puissances (l’Argentine, les Etats-Unis, l’Italie et le Royaume uni), qui sans demander la libération de Lumumba, déclarait seulement que « toute violation des droits de l’homme dans la République du Congo est incompatible avec les buts que poursuit l’Organisation des Nations Unies… » et exprimait « l’espoir que le Comité international de la Croix-Rouge sera autorisé que ses homologues Russes ou Polonais, en se heurtant au veto soviétique : s’il obtint 7 voix en sa faveur, la présence de l’URSS parmi les opposants empêchait son adoption. 

On se souvient que déjà, au mois d’août, l’URSS avait dans les mêmes conditions empêché l’adoption d’une résolution par le Conseil de sécurité. Mais l’Assemblée générale, réunie en session extraordinaire d’urgence avait en quelque sorte réparé l’affront fait ainsi au secrétaire général en lui assurant son appui et sa confiance par un vote écrasant, le 20 septembre. 

Or, au mois de décembre, l’Assemblée générale qui allait se réunir, sur la demande du représentant soviétique, n’allait pas se manifester à nouveau cette confiance à Dag Hammarskjöld par un vote positif.
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lephare

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