Le parc national des Virunga, secteur sud, région de Rumango, en 2008.
Getty/Brent Stirton
Le Fonds mondial pour la nature (WWF) a déposé une plainte contre la compagnie pétrolière anglaise Soco auprès de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
La pomme de discorde, c’est le projet de cette entreprise d’explorer du pétrole dans le plus vieux parc naturel d’Afrique, le parc des Virunga, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979. Jean-Baptiste Roelens est en charge de ce dossier chez WWF.
RFI : Vous avez porté plainte auprès de l’Organisation pour la coopération et le développement économique contre le pétrolier anglais Soco. Qu’est-ce que vous lui reprochez exactement ?
Jean-Baptiste Roelens : Les aspects sont multiples. Aujourd’hui, la législation nationale congolaise et les conventions internationales de l’Unesco, ratifiées par le gouvernement congolais, interdisent tout développement de l’activité pétrolière au sein du parc des Virunga.
Aussi, Soco, dans la consultation sur le terrain des communautés locales, n’a pas partagé l’ensemble des informations en sa possession. Les communautés ne sont donc pas informées de l’ensemble des risques qui sont liés au développement des activités pétrolières, tels que des risques environnementaux, des risques sur les moyens de subsistance, dont bénéficient notamment la pêche et les ressources en eau douce.
Et enfin, il y a eu plusieurs témoignages selon lesquels ces consultations ont été faites dans une atmosphère d’intimidation.
Intimider… Comment ça ? Est-ce que vous avez eu des preuves de ce que vous avancez ?
J’ai eu plusieurs témoignages, notamment de présence de forces armées qui accompagnaient Soco dans ses consultations. Donc là encore, dans un climat d’intimidation, on ne peut pas prétendre que l’information et l’accord des communautés ont été obtenus d’une bonne façon.
Le gouvernement congolais a accordé une concession à l’entreprise Soco. Dans quelle mesure pouvez-vous dire que ce qu’ils font est illégal ?
Effectivement, il y a eu attribution des concessions par décret présidentiel. Cependant, les décrets qui accordent ces concessions à l’entreprise Soco sont d’une valeur juridique inférieure à la législation en vigueur, que ce soit la législation nationale ou les conventions internationales qu’a ratifiées la République démocratique du Congo.
Soco a qualifié votre plainte d’invalide en avançant qu’elle ne faisait que collecter des données pour voir si une exploitation pétrolière est possible et que pour le moment il ne s’agit absolument pas d’exploiter du pétrole dans ce parc. Que répondez-vous à cet argument ?
Les documents que nous avons en notre possession, notamment leurs études d’impact, montrent très bien qu’ils envisagent de forer au sein du parc. Ça fait partie d’un processus d’exploration en plusieurs étapes qui se termine par des forages qui doivent confirmer la présence de pétrole et sa qualité, qui est la dernière étape avant une mise en exploitation.
Quelles sont les craintes de WWF exactement ? Pourquoi pensez-vous qu’il ne faut pas qu’il y ait d’exploitation pétrolière au sein de ce parc des Virunga ?
Le parc des Virunga est un patrimoine exceptionnel et, bien sûr, dès la phase exploratoire, les risques d’impact – qu'ils soient sociaux ou environnementaux – sont très forts et trop grands pour prendre ce risque.
Il y a déjà des impacts directs qui peuvent être l’ouverture de routes, donc de la fragmentation des habitats. L’ouverture de routes conduit souvent à une augmentation de la présence humaine et du braconnage sur le terrain.
La phase exploratoire s’accompagne de tests sismiques qui peuvent avoir de forts impacts, notamment sur les réserves de pêche du Lac Édouard dont bénéficie la population. Il peut déjà y avoir des risques de pollution, et qui peuvent, bien sûr, s’amplifier dans la mise en exploitation.
Il y a beaucoup d’animaux dans ce parc ? Beaucoup de gens aussi qui y vivent ?
Pêcheurs d'un village vitshumbi sur le Lac Edouard. La pêche est une ressource vitale pour les populations des abords du lac.
© Brent Stirton / WWF international
Bien sûr. On estime à environ 30 000 le nombre de personnes qui bénéficient directement de la pêche dans le Lac Édouard. C’est aussi un réservoir d’eau douce fabuleux. Ce sont les sources du Nil.
Le Lac Édouard bénéficie à plus de 50 000 personnes pour l’apport en eau douce. Et c’est bien sûr un patrimoine de biodiversité exceptionnelle. C’est le plus riche parc d’Afrique avec plus de 3 000 espèces. L’okapi qu’on ne trouve que là, ou les gorilles de montagne, les gorilles de plaine de l’Est.
Prendre le risque de mettre ce patrimoine en danger aujourd’hui, c’est une option qui n’est pas envisageable. Nous pensons que le parc des Virunga peut être un potentiel de développement économique fort pour la région, et que l'exploitation du pétrole, si elle est une option à envisager pour la région, doit se faire hors du parc des Virunga.
Quels sont vos moyens pour obtenir que Soco n’explore pas de pétrole dans ce parc des Virunga ?
La plainte à l’OCDE pour nous est un signal important. Nous espérons que les partenaires de Soco, notamment financiers, se rendront compte que leur partenaire ne développe pas ses activités de façon responsable.
Et on constate déjà de nombreuses réactions dans le monde politique. Le gouvernement britannique s’est déjà positionné contre l’exploitation au sein du parc et de nombreuses réactions ont eu lieu, notamment au niveau européen.
Donc, nous espérons que Soco saura entendre cela. Il y a déjà deux autres compagnies, dont Total, qui a annoncé qu’il ne rentrerait pas explorer au sein des limites actuelles du parc des Virunga, et nous espérons que Soco les rejoindra dans cet engagement.
Léa-Lisa Westerhoff
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