15 octobre 2012
Cela commence par une descente aux enfers. Un trou à peine assez large pour laisser passer les épaules et une corde qui vous descend, descend, descend... jusqu’à 60 mètres de profondeur.
L’oeil, la caméra, qui plonge ainsi dans le ventre de la terre donne le sentiment d’un boyau qui vous avale.
On entend la respiration de l’homme accroché par un pied à une corde. On a envie de hurler : stop ! Ce que le caméraman a fait, pris d’une crise de panique. Personne ne l’a entendu. Et le trou a continué à l’avaler.
Au fond, une caverne minuscule, la terre et la poussière, des gosses en sueur qui creusent. Oui, des gosses de 10, 12, 13 ans. Ils travaillent parfois jusqu’à 12 heures d’affilée par jour. En essayant de contrôler leur respiration parce que l’air est rare au fond.
Que font-ils dans cette antichambre de l’enfer ? La réponse vient quand on les voit tamiser de la boue dans une rivière en surface. Parfois, ils s’arrêtent et ont l’air de picorer quelque chose dans cette merde pour le mettre dans la bouche. Un diamant.
Ces enfants creusent au fond pour ramener la terre en surface. On les utilise parce qu’ils sont les seuls à pouvoir descendre dans ces boyaux. Parfois, la galerie s’effondre. Et ils meurent enterrés vivants.
Pourquoi sont-ils là ?
Parce qu’ils sont maudits, ensorcelés. C’est en tout cas ce que leurs parents disent. Ceux qui les ont abandonnés. Ce sont des "Enfants du Diable". C’est évident puisqu’ils sont "agités" ou un peu "voleurs" ou trop "têtus" ou gênants lors d’un remariage.
Alors, on chasse les "Enfants - sorciers". "Papa et maman m’ont chassé à coups de machettes de la maison. On me disait que j’étais possédé par le diable", dit ce gamin de dix ans.
Cela se passe en RDC, à Mbuja-Mayi, une ville champignon de trois à quatre millions d’habitants où tout tourne autour du diamant industriel, dont le Congo est le premier producteur mondial, et qui servira à abraser les meilleurs outils technologiques. Ici, les gamins abandonnés sont partout. Au fond des mines, dans les rivières, dans les caniveaux de la ville.
Personne ne met en cause cette horrible fable. Le chef de la ville dit qu’il faut des "réparateurs pour que le mal soit soigné", certains curés préconisent le "sel, l’huile et l’oignon", des pasteurs les font prier pour que "Dieu pardonne leurs offenses", des sectes du Réveil se proclament spécialistes du "désenvoutement des enfants-sorciers" et d’autres allumés font des shows politico-religieux sur scène où il désignent le "Mal " absolu, ces gosses envoutés qui "mangent leurs parents" et qui récoltent du fric à la fin de l’office pour se battre contre le démon.
Dans la ville, quand il fait sec, ils dorment à même la rue ou sur le bas-côté. Et quand il pleut, le plus souvent, ils s’abritent sous des bâches plastiques. La nuit, des hordes de gamins hantent les rues. On s’en méfie, on les accuse, de tout, de vol, de viol, de la mort des adultes, de maléfice.
Et en 2004, après un "viol", les habitants ont lancé un grand pogrom où une quarantaine de gosses ont été massacrés, à coups de machettes, arrosés d’essence et brûlés vivants.
A deux pas de là, de grosses liasses de billets, des négociants en rang d’oignon derrière leurs tables. Ils reçoivent, pèsent, paient 15 dollars le diamant. A d’autres grossistes, qui les revendent plus cher à Kinshasa... À l’arrivée, ce sont les diamantaires d’Anvers, de Tel-Aviv, de New York et de Bombay qui manipulent des fortunes arrachées par les gamins au fond des galeries.
Le film a été réalisé par Daniel Grandclément. Les gens du métier le connaissent. Daniel est un grand reporter. Il fait tout, produit ses films, les tourne, les monte, les défend. Et n’a pas peur d’avouer qu’il a hurlé de terreur en descendant dans l’infernal boyau de la mine.
Il est sincère, sobre, solitaire, discret, le contraire de ce qui se fait dans le monde de l’image. Daniel est un artisan. Et son talent est indiscutable. Les "Martyrs du golfe d’Aden", une traversée avec les immigrés africains, c’est lui. Et il a failli y perdre la vie.
"Les enfants esclaves du lac Volta" au Ghana, c’est lui. "Les petits talibés des écoles coraniques" au Sénégal, c’est encore lui.
Et ces "Enfants du diable" constituent la troisième partie d’une trilogie sur les gosses qu’on traite comme des animaux. Des gosses maudits dès leur naissance. Qui ne s’en sortiront jamais. Que le diamant n’enrichit pas mais détruit.
Jean-Paul Mari
Cela commence par une descente aux enfers. Un trou à peine assez large pour laisser passer les épaules et une corde qui vous descend, descend, descend... jusqu’à 60 mètres de profondeur.
L’oeil, la caméra, qui plonge ainsi dans le ventre de la terre donne le sentiment d’un boyau qui vous avale.
On entend la respiration de l’homme accroché par un pied à une corde. On a envie de hurler : stop ! Ce que le caméraman a fait, pris d’une crise de panique. Personne ne l’a entendu. Et le trou a continué à l’avaler.
Au fond, une caverne minuscule, la terre et la poussière, des gosses en sueur qui creusent. Oui, des gosses de 10, 12, 13 ans. Ils travaillent parfois jusqu’à 12 heures d’affilée par jour. En essayant de contrôler leur respiration parce que l’air est rare au fond.
Que font-ils dans cette antichambre de l’enfer ? La réponse vient quand on les voit tamiser de la boue dans une rivière en surface. Parfois, ils s’arrêtent et ont l’air de picorer quelque chose dans cette merde pour le mettre dans la bouche. Un diamant.
Ces enfants creusent au fond pour ramener la terre en surface. On les utilise parce qu’ils sont les seuls à pouvoir descendre dans ces boyaux. Parfois, la galerie s’effondre. Et ils meurent enterrés vivants.
Pourquoi sont-ils là ?
Parce qu’ils sont maudits, ensorcelés. C’est en tout cas ce que leurs parents disent. Ceux qui les ont abandonnés. Ce sont des "Enfants du Diable". C’est évident puisqu’ils sont "agités" ou un peu "voleurs" ou trop "têtus" ou gênants lors d’un remariage.
Alors, on chasse les "Enfants - sorciers". "Papa et maman m’ont chassé à coups de machettes de la maison. On me disait que j’étais possédé par le diable", dit ce gamin de dix ans.
Cela se passe en RDC, à Mbuja-Mayi, une ville champignon de trois à quatre millions d’habitants où tout tourne autour du diamant industriel, dont le Congo est le premier producteur mondial, et qui servira à abraser les meilleurs outils technologiques. Ici, les gamins abandonnés sont partout. Au fond des mines, dans les rivières, dans les caniveaux de la ville.
Personne ne met en cause cette horrible fable. Le chef de la ville dit qu’il faut des "réparateurs pour que le mal soit soigné", certains curés préconisent le "sel, l’huile et l’oignon", des pasteurs les font prier pour que "Dieu pardonne leurs offenses", des sectes du Réveil se proclament spécialistes du "désenvoutement des enfants-sorciers" et d’autres allumés font des shows politico-religieux sur scène où il désignent le "Mal " absolu, ces gosses envoutés qui "mangent leurs parents" et qui récoltent du fric à la fin de l’office pour se battre contre le démon.
Dans la ville, quand il fait sec, ils dorment à même la rue ou sur le bas-côté. Et quand il pleut, le plus souvent, ils s’abritent sous des bâches plastiques. La nuit, des hordes de gamins hantent les rues. On s’en méfie, on les accuse, de tout, de vol, de viol, de la mort des adultes, de maléfice.
Et en 2004, après un "viol", les habitants ont lancé un grand pogrom où une quarantaine de gosses ont été massacrés, à coups de machettes, arrosés d’essence et brûlés vivants.
A deux pas de là, de grosses liasses de billets, des négociants en rang d’oignon derrière leurs tables. Ils reçoivent, pèsent, paient 15 dollars le diamant. A d’autres grossistes, qui les revendent plus cher à Kinshasa... À l’arrivée, ce sont les diamantaires d’Anvers, de Tel-Aviv, de New York et de Bombay qui manipulent des fortunes arrachées par les gamins au fond des galeries.
Le film a été réalisé par Daniel Grandclément. Les gens du métier le connaissent. Daniel est un grand reporter. Il fait tout, produit ses films, les tourne, les monte, les défend. Et n’a pas peur d’avouer qu’il a hurlé de terreur en descendant dans l’infernal boyau de la mine.
Il est sincère, sobre, solitaire, discret, le contraire de ce qui se fait dans le monde de l’image. Daniel est un artisan. Et son talent est indiscutable. Les "Martyrs du golfe d’Aden", une traversée avec les immigrés africains, c’est lui. Et il a failli y perdre la vie.
"Les enfants esclaves du lac Volta" au Ghana, c’est lui. "Les petits talibés des écoles coraniques" au Sénégal, c’est encore lui.
Et ces "Enfants du diable" constituent la troisième partie d’une trilogie sur les gosses qu’on traite comme des animaux. Des gosses maudits dès leur naissance. Qui ne s’en sortiront jamais. Que le diamant n’enrichit pas mais détruit.
Jean-Paul Mari
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