vendredi 4 juillet 2014

La RDC face à la question de sa souveraineté économique dans un monde multipolaire

le jeudi 3 juillet 2014 



Un autre monde est en train de naître. 

Les puissances d’hier font face à celles de demain. Le monde bouge. Un certain repli sur soi peut conduire à ne voir le monde qu’en fonction de ce qui se passe chez soi. 

Pourtant, le monde est en train de changer. L’unilatéralisme d’hier est battu en brèche par un monde de plus en plus polycentré. Les possibilités d’apprendre des autres sont de plus en plus immenses. 

Politiquement, culturellement et économiquement. 

Les Brics auxquels appartient l’Afrique du Sud sont sur le point de créer leur propre Banque. Les Latinos les ont devancés sur cette voie. La RDC peut-il étudier tous ces exemples et surtout celui de l’Afrique du Sud, en vue de sa souveraineté économique ?

Quand certains pays latino-américains ont compris que les IFI étaient au service du capitalisme du désastre[1], ils ont organisé l’audit sur leur dette extérieure, payé sa part non-odieuse avant de rompre leurs liens avec le FMI et la Banque mondiale. 


Le Venezuela, l’Equateur, la Bolivie, etc. peuvent être cités en exemple. 

Cette démarche fut dictée par le souci de préserver leur souveraineté économique. Ils doivent avoir compris que la guerre économique imposée par ‘’la corporatocratie’’ (coalition de gouvernements, banques et entreprises) est aussi destructrice que celle menée militairement pour ‘’vendre la démocratie et la liberté’’ à coup de ‘’bombes humanitaires’’.

John Perkins, dans ‘’Confession d’un assassin financier’’(2005), explique les mécanismes utilisés au cours de cette guerre économique et les dégâts sociaux qu’elle cause.


 « Il explique par exemple comment il a contribué à réaliser des plans secrets qui ont amené des pays du tiers-monde fortement endettés à se soumettre aux intérêts militaires, politiques et économiques de «l’empire global» ou fait revenir des milliards de pétrodollars d’Arabie Saoudite dans l’économie des Etats-Unis.

Il met au jour les mécanismes du contrôle impérial cachés derrière plusieurs événements dramatiques de l’histoire récente comme la chute du shah d’Iran, la mort du président de l’Equateur Jaime Roldos, le 24 mai 1981, et du président du Panama Omar Torrijos, le 31 juillet 1981, les invasions, par les Etats-Unis, du Panama le 20 décembre 1989 et de l’Irak durant les premiers mois de 1991. »[2] 

Souvent la guerre économique précède son expression militaire. Il arrive aussi que les deux –l’économique et la militaire- se mènent concomitamment.

Cette double guerre est nécessaire à l’exercice de l’hégémonie impériale par ‘’l’empire global’’. Elle le protège du paiement de sa dette interne en imposant le dollar comme monnaie de référence internationale. 


John Perkins estime (en 2005) que « nous ne sommes pas dans des conditions normales. Les Etats-Unis émettent des billets qui ne sont pas couverts par de l’or. 

En fait, cette monnaie n’est couverte que par la confiance internationale dans l’économie américaine et dans la capacité des Etats-Unis à gérer les forces et les ressources de l’empire global – si nécessaire, par la force – de façon à ce qu’elles servent leurs intérêts. » 

Et il ajoute : «Tant que le monde acceptera le dollar comme monnaie internationale, l’énorme dette publique des Etats-Unis ne posera aucun problème sérieux à la corporatocratie. »

Le recours à cet ex-assassin financier aide à comprendre les démarches entreprises par les pays latino-américains susmentionnés. En Afrique, l’Erythrée refuse les aides de la Banque mondiale et du FMI. Ses succès économiques le placent dans le collimateur de ‘’l’empire global’’. L’Algérie aussi. 


« En fait, il ne fait pas bon suivre sa propre voie… »[3] En RDC, Laurent-Désiré Kabila s’était engagé sur cette voie quand, pendant deux ans, il a gouverné le pays sans tendre la main aux IFI. Il fut assassiné. Le libyen a défié le FMI[4] en soutenant l’idée du développement du « Fonds monétaire africain » (FMA) et sa fin fut tragique.

En rompant avec les IFI, « les Latinos ont lancé leur propre Banco Sur (Banque du Sud) pour contrer les chantages arrogants du FMI et décider eux-mêmes quels projets vraiment utiles ils veulent financer (…). »[5] 


Le FMA avait déjà recueilli 62% de son capital. 16 milliards de dollars lui avaient été octroyés par l’Algérie et 10 milliards par la Libye. Où est passé cet argent ? L’avenir nous le dira.

Après les Latinos, les pays composant les Brics sont prêts à créer leur propre banque[6] et pourraient faire leurs échanges économiques en leurs propres monnaies. 


Leur banque pourra lutter contre le déficit budgétaire en périodes de crises ; elle financera les projets économiques et sociaux sans imposer les mesures d’austérité ou les programmes d’ajustement structurel chers à la Banque mondiale et au FMI. 

Il est plus ou moins sûr que cette souveraineté économique des Brics sera un appui sérieux à leur souveraineté politique. Elle pourra soutenir l’orientation de leur politique extérieure de non-ingérence dans les affaires des pays tiers et de respect du principe d’autodétermination des peuples.

Même s’il n’est pas exclu qu’une ‘’guerre humanitaire’’ vienne tout chambarder, il y a là de nouvelles orientations économiques constituant des opportunités à étudier. 


Un pays comme la RDC aurait intérêt à les étudier sérieusement pour voir, comment, petit à petit, intégrer un grand ensemble sous-régional pouvant la rapprocher des Brics en attendant que le FMA soit relancé.

Economiquement, culturellement et politique, le monde unipolaire est en train de mourir. Un autre monde est en train de naître[7]. Il est souhaitable de s’y positionner utilement.

Le préalable pour la RDC serait son passage de l’Etat manqué à l’Etat national (ou plurinational) de droit démocratique, géré par un leadership collectif efficace, légitime et visionnaire. Cela pourrait lui permettre d’échanger avec les autres d’égal à égal. Il n’est pas très sûr que cela se fasse sans casse. 


Pour cause. La RDC est ‘’un intérêt permanent’’ pour ‘’l’ex-empire global’’. Faudrait-il qu’elle affine ses méthodes et ses stratégies pour éviter le pire sur le moyen terme ? Peut-être !

Pour l’auteur de ‘’Confession d’un assassin financier’’, la domination de l’ ‘’ex-empire global’’ n’est pas une fatalité. ‘’Le problème, dit-il, c’est nous’’. Nos croyances dans ‘’le mythe de l’économie capitaliste’’ bénéfique pour l’humanité ont mangé nos esprits et nos cœurs. 


Et voici ce qu’il prodigue comme conseil : « Ce qu’il nous faut, c’est une révolution de l’éducation qui nous amène, nous et nos enfants, à penser de manière indépendante, à mettre en question les explications toutes faites et à oser sortir des chemins battus de la pensée et de l’action pour nous mettre ensemble et créer des alternatives au système actuel. » 

Oui. C’est vrai. La conversion ou la re-conversion de croyances (et de paradigmes) passe (aussi) par l’éducation et la formation permanentes. Les connaissances partagées sont indispensables à l’insurrection des consciences et à l’action. A condition qu’elles soient conçues et assurées de manière souveraine ; sans ethnocentrisme.
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Mbelu Babanya Kabudi,

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[1] Lire N. KLEIN, La stratégie du choc. La montée du capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008.

[2] A. MYLAEUS, Interview de l’auteur, dans Horizons et débats, 37, juin 2006.

[3] M. COLLON, Libye, Otan et médiamensonges. Manuel de contre-propagande, Bruxelles, Investig’Action, 2011, p. 54.

[4] Ibidem, p. 45

[5] Ibidem.

[6] http://french.ruvr.ru/2014_07_02/BRICS-une-banque-pour-defier-la-domination-americaine-1571/

[7] B. BADIE et D. VIDAL (Sous la direction de), Puissances d’hier et de demain. L’Etat du monde en 2014, Paris, La découverte, 2013.

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