dimanche 24 mai 2015

[RAPPORT 2015 EXPLOSIF DES AUTORITÉS FRANÇAISES SUR L’AFRIQUE]

23mai 2015

KEMI SEBA:”COMPRENONS CE QUE NOS ADVERSAIRES PENSENT DE NOUS ET VEULENT NOUS FAIRE POUR POUVOIR A NOTRE TOUR CONTRECARRER LEUR PLAN”


N° 2746
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mai 2015

RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 11 décembre 2013 1
sur « La stabilité et le développement de l’Afrique francophone »

et présenté par

Président

M. Jean-Claude GUIBAL,

Rapporteur,

M. Philippe BAUMEL

Députés

La mission d’information sur l’Afrique francophone est composée de : M. Jean-Claude Guibal, président, M. Philippe Baumel, rapporteur, de MM. Jean-Paul Bacquet, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Meyer Habib, François Loncle (jusqu’à sa démission le 13 avril 2015), Guy Teissier, Michel Terrot et Michel Vauzelle

SOMMAIRE
___

INTRODUCTION 9

I. UN REGARD SANS COMPLAISANCE SUR L’AFRIQUE FRANCOPHONE 13

A. LES REALITES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES INVITENT À TEMPERER L’AFRO-OPTIMISME 13

1. Des économies encore trop fragiles pour mettre les pays d’Afrique francophone sur des trajectoires de développement consolidées 13

a. Des fondamentaux qui n’évoluent que marginalement 14

i. Les conséquences d’un secteur primaire toujours largement dominant 14

ii. Quelques pays d’Afrique francophone comme exemples 16

b. Les mêmes obstacles, à peu près partout 18

i. Des infrastructures insuffisantes 18

ii. La question du déficit des investissements industriels indispensables 20

iii. Quelques autres facteurs 23

c. Un continent qui reste marginal sur le plan économique 24

i. L’Afrique, acteur encore modeste de l’économie mondiale 24

ii. Les pays d’Afrique francophone 25

d. Une croissance économique qui ne permet pas de réduire la pauvreté 26

2. La persistance d’une très grande pauvreté 28

a. Des indicateurs sociaux toujours préoccupants, quelles que soient les régions 29

i. Une pauvreté monétaire extrême 29

ii. Des indices sociaux très mauvais 30

b. La question sanitaire, enjeu majeur 33

i. Des données préoccupantes, résultats d’efforts insuffisants 33

ii. L’impact de la faiblesse des systèmes de santé 35

iii. Ce que l’épidémie Ébola a contribué à révéler 36

c. La crise du système éducatif 40

3. Les pays d’Afrique francophone sont parmi les moins développés 42

a. Pour l’essentiel, des pays relevant de la catégorie des Pays les moins avancés… 43

b. … Qui stagnent ou régressent 44

B. L’AFRIQUE FRANCOPHONE, ZONE DE TEMPÊTES 47

1. L’Afrique, continent troublé depuis les indépendances 48

2. Les pays d’Afrique francophone dans la tourmente depuis plus de quarante ans 49

a. Des crises innombrables 50

b. Ni l’Afrique de l’ouest ni l’Afrique centrale ne furent épargnées 51

3. L’Afrique francophone plus que jamais au cœur des préoccupations 53

a. L’Afrique centrale dans la tourmente… 53

i. Le cas emblématique de la République centrafricaine 53

ii. L’interminable tragédie congolaise 57

iii. La situation inquiétante d’autres pays 59

b. De difficiles sorties de crise en Afrique de l’ouest 61

i. Le processus chaotique de la Côte d’Ivoire 61

ii. Le cas préoccupant de la Guinée 63

c. Le Mali et l’arc sahélien 64

4. Les facteurs de crises aujourd’hui à l’œuvre : un empilement d’héritages aux effets divers et cumulatifs 67

a. L’impact de la colonisation 67

b. Les effets délétères des ajustements structurels se font encore sentir 70

c. Causalités internes et externes se conjuguent étroitement pour fragiliser les pays d’Afrique francophone 74

d. Problématiques de la légitimité 78

II. LE SCÉNARIO DES CRISES DE DEMAIN S’ÉCRIT AUJOURD’HUI 81

A. LA DÉMOGRAPHIE 81

1. Un défi sans précédent dans l’histoire de l’humanité 81

a. À l’échelle continentale 82

b. Un enjeu surtout de l’Afrique francophone et notamment sahélienne 83

2. Démographie et non-développement 87

a. L’impératif de la baisse de la natalité pour le développement 87

b. Enjeu démographique et structure économique et sociale en Afrique 89

c. Ce que cette démographie représente de défis sociaux 90

3. En conséquence, les fragilités à attendre pèseront lourdement sur le développement 92

B. DEUX CAS PRÉOCCUPANTS, PARMI D’AUTRES 94

1. L’islamisation de la société nigérienne 94

a. Le courant izala au Niger 94

b. L’islamisation d’un système éducatif en perdition 95

c. Des craintes pour la stabilité du Niger ? 98

2. Les craintes qui pèsent sur le Cameroun 101

i. Les incertitudes politiques 101

ii. Le lent glissement du Nord Cameroun vers l’insécurité faute de développement 102

III. POUR UNE RÉVISION DE LA POLITIQUE AFRICAINE DE LA FRANCE 109

A. TOUT D’ABORD, UN REGARD CRITIQUE 109

1. Le bilan mitigé des politiques d’aide au développement 111

a. Le cadre et l’ambition de la politique française d’aide au développement 111

i. Les documents d’orientation qui fondent la politique d’aide au développement 111

ii. Le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD 113

b. Des moyens, des instruments et… des effets d’affichage 114

i. Des montants considérables mais pour partie artificiels 114

ii. Des instruments diversifiés mais déséquilibrés, aux effets contradictoires 115

c. Deux exemples pour étayer la démonstration 117

i. L’action de la France en matière d’éducation 117

ii. La politique d’aide au développement en matière de santé 120

d. Dans la région sahélienne, le cas du Mali 125

i. Une aide conséquente depuis longtemps 125

ii. Les orientations prises dans le cadre de la reconstruction tiennent-elles compte du passé ? 128

2. Une politique africaine qui réagit plus qu’elle n’anticipe 132

a. Le paradoxe français 132

i. À quoi sert donc la connaissance que l’on a de l’Afrique ? 132

ii. Des réactions au coup par coup 136

b. Une politique africaine de la France par trop militarisée ? 138

i. Le ministre de la défense, ministre de l’Afrique ? 138

ii. Les risques de cette évolution 139

3. Qu’en est-il des intérêts de la France ? Une politique africaine qui ne permet pas à notre pays d’améliorer ses positions 140

a. Le positionnement économique de la France en Afrique 140

b. Un sans-faute diplomatique… 146

c. … Qui n’empêche pas l’image de notre pays de se ternir dans le regard des populations 147

i. La France aujourd’hui mal vue en Afrique 147

ii. Problématique de la jeunesse 149

B. REFORMULER LA RELATION FRANCO-AFRICAINE ET REFONDER SES INSTRUMENTS 151

1. Le projet ? Redéfinir une politique africaine ayant le développement pour axe central 152

a. Mettre les problématiques de développement au cœur de notre politique africaine 152

i. La nécessité d’une vision stratégique de long terme pour l’Afrique 152

ii. Concentrer la politique d’aide au développement de notre pays 153

iii. Et revenir aux fondamentaux 154

b. Mener une politique d’influence 155

i. La prise en compte de nos intérêts 155

ii. Le vecteur francophone 159

iii. Une perspective de désengagement militaire progressif et anticipé 160

c. Resserrer les liens : Regarder l’Afrique de demain sans oublier celle d’aujourd’hui 161

2. Les axes ? Se recentrer sur l’essentiel 163

a. Soutenir des processus endogènes de construction de légitimité 163

b. Le difficile impératif du renforcement des institutions 166

i. Pour des États stratèges 166

ii. Les problématiques sécuritaires 167

iii. La gouvernance démocratique 168

c. Des populations à aider 169

i. La santé 169

ii. L’éducation 170

iii. L’impératif de l’emploi 172

3. Les moyens ? Des instruments réformés 173

a. En premier lieu, un ministère de plein exercice aux côtés du MAEDI… 173

b. … disposant de marges de manœuvre retrouvées 175

i. Les arguments politiques 175

ii. Les aspects financiers 178

iii. Les nécessités : abonder le bilatéral et réactiver le FSP 179

c. Comment trouver les ressources nécessaires ? Quelques pistes à explorer 183

i. La question de la dotation excessive au Fonds mondial sida 183

ii. Les financements innovants 184

iii. Quelle pourrait être la contribution des entreprises au financement du développement ? 186

iv. La problématique des orientations sectorielle et géographique du FED 187

CONCLUSION 191

SYNTHÈSE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS 193

TRAVAUX DE LA COMMISSION 195

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 209

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

« L’Afrique est-elle bien partie ? » se demandait Béchir Ben Yahmed, fondateur du magazine Jeune Afrique, il y a quelques semaines (2). Cette question, que d’autres observateurs ont également posée ces derniers mois (3), montre que le curseur de l’afro-optimisme se recentre quelque peu. De fait, un regard sur la situation des pays africains, notamment d’Afrique francophone, montre en effet que le réalisme conduit à tempérer sérieusement cet optimisme.

Les pays africains affichent pour la plupart et depuis plus d’une décennie des taux de croissance exceptionnels, souvent au-dessus de 5 % annuels, frôlant parfois les 10 %. Certains observateurs estiment que cette tendance ne peut que se confirmer dans le futur tant les conditions paraissent favorables, notamment les besoins insatiables des pays émergents, de la Chine en premier lieu, en matières premières, qui rendent le continent particulièrement attractif du fait de ses richesses naturelles, minérales, pétrolières ou gazières. Des exportations en croissance exponentielle, la confiance inébranlable des investisseurs internationaux, une main d’œuvre nombreuse, innombrable même, compte tenu de la croissance démographique, inscriraient l’Afrique sur une trajectoire émergente. Continent de l’avenir, l’Afrique décollerait à la manière de la Chine et de l’Inde vingt ou trente ans plus tôt. Au demeurant, ce n’est pas seulement à la seule aune de sa croissance économique que ces observateurs portent sur l’Afrique un regard admiratif : ils soulignent les progrès en matière de gouvernance, politique comme économique, saluent l’assainissement des finances publiques, les progrès de la démocratie, la baisse de la conflictualité.

Sans méconnaître ce que ces analyses ont de pertinent, l’actualité est venue assombrir un peu l’enthousiasme de ce tableau. La rapidité avec laquelle le Mali, vitrine démocratique unanimement encensée jusqu’au dernier jour, s’est effondré, a brutalement dessillé la communauté internationale. La tournure qu’a prise la crise centrafricaine a réveillé les pires cauchemars et les craintes d’un nouveau génocide sur le continent. Les métastases de Boko Haram vers le Niger et le Cameroun font redouter un basculement de la région dans un chaos comparable à celui que connaît le Nord-Est du Nigeria depuis plusieurs années. Les velléités de quelques chefs d’État de se maintenir au pouvoir envers et contre tout en modifiant les règles du jeu, ont rappelé qu’en matière de gouvernance politique, rien n’était encore acquis. Si certains en ont d’ores et déjà fait les frais, comme Blaise Compaoré au Burkina Faso, d’autres se raidissent de manière préoccupante en ce moment même, ce qui laisse augurer des périodes de tension.

Nombre de pays africains, francophones ou anglophones restent profondément marqués par d’importantes fragilités structurelles qui handicapent leur développement, quand elles ne l’hypothèquent pas pour longtemps. Ainsi en est-il en premier lieu de la démographie, des contextes socio-économiques, des déséquilibres internes et régionaux, ou de l’évolution des problématiques religieuses, qui sont autant de facteurs de crises à court, moyen et long termes.

Il s’agit de porter aujourd’hui un regard lucide sur ce qui se joue à quelques centaines de kilomètres au sud de la Méditerranée.

C’est la raison pour laquelle votre Mission a abordé son analyse de l’articulation entre stabilité et développement en partant d’un constat aussi large que possible, tant au plan géographique – l’Afrique francophone compte vingt et un pays (4), de la Mauritanie à Madagascar, du Sénégal à Djibouti, du Tchad à la RDC – qu’en ce qui concerne les réalités sociales, politiques, économiques, qui sont autant de facteurs explicatifs, non seulement de leurs situations présentes, mais aussi de leurs perspectives.

Ce parti pris invitait naturellement à se pencher surtout sur les situations problématiques, approche nécessaire pour essayer d’analyser les raisons qui ont conduit au fait que, près de soixante ans après les indépendances, malgré les politiques d’aide au développement, les pays africains soient toujours mal classés en termes d’indices de développement, et fréquemment en situation d’instabilité.

Inévitablement, dès lors qu’il s’agit d’Afrique francophone, c’est aussi notre politique qui devait être directement questionnée, dans sa cohérence, dans ses axes et ses instruments, afin de pouvoir formuler quelques préconisations qui devraient permettre à notre pays de mieux contribuer au développement et à la stabilisation de la région.

Un paradoxe est particulièrement frappant quand on examine l’évolution de la politique africaine de la France au cours des dernières années.

D’une part, alors que notre pays affiche depuis longtemps son souhait de redéfinir ses relations avec l’Afrique et notamment sa volonté de réduire sa présence militaire, la politique africaine de la France se traduit en fait par un engagement croissant dans les crises qui secouent le continent. Au cours des cinq dernières années, la France est intervenue en Côte d’Ivoire, au Mali et en République centrafricaine. Par ailleurs, en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, notre pays est souvent à l’initiative des opérations de l’ONU. Cet engagement est tout à son honneur et a permis de sauver des pays qui étaient au bord du gouffre. Mais il a des limites : la France ne peut intervenir partout, ni rester éternellement là où elle s’est engagée, ne serait-ce que parce ses propres capacités sont restreintes. Par ailleurs, ces opérations ne sont pas suffisantes pour rétablir des conditions de stabilité durable.

D’autre part, alors que la France affiche sa volonté de mieux soutenir le développement économique et social de l’Afrique, en réalité, l’aide au développement est sur une pente descendante. Notre pays consacre des moyens budgétaires croissants au titre de ses opérations militaires et de sa participation aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, mais son effort en faveur de l’aide au développement régresse : la France déclare aujourd’hui 8,5 milliards d’euros au titre de cette aide, en diminution constante depuis 2011. Or, seule une politique de développement efficace peut contribuer à une stabilisation durable du continent africain.

Votre rapporteur plaide donc pour un rééquilibrage qui permette à la France de se désengager militairement du continent africain en plaçant l’aide au développement au cœur de sa politique africaine.

Ce rééquilibrage doit aussi permettre à la France de se repositionner et de rétablir une image quelque peu ternie. En effet, si les interventions militaires récentes ont reçu le soutien des populations et de la communauté des États africains, il n’y a rien de plus fragile que cette sorte de popularité. Comme on le verra à la lecture de ce rapport, en dépit de ces actions courageuses et généreuses, et en dépit des liens que la France a depuis toujours avec l’Afrique francophone, son image est aujourd’hui brouillée. Il n’est pas certain que si « l’Afrique est notre avenir », comme le titrait il y a quelques temps un rapport du Sénat, notre pays y soit très bien vu et s’y prépare comme il le devrait.

L’Afrique est certes en marche mais elle doit faire face à des enjeux pour certains uniques dans l’histoire de l’humanité. Elle est à nos portes et il était donc nécessaire de porter le projecteur sur ces réalités qui lui poseront longtemps encore de lourdes difficultés. En d’autres termes, le sujet, pour notre pays, n’est pas seulement celui de notre commerce extérieur, du retour sur investissement qu’on peut espérer en matière d’APD ou du positionnement de nos entreprises. Il est d’autant plus important que l’on n’a pas vraiment vu venir ni su anticiper les défis précédents que le continent n’a pas réussi à relever, qui ont installé les situations de chaos que l’Afrique connaît çà et là, qui nous ont obligé, et nous obligent encore, à des réponses d’urgence, à des colmatages inefficaces et coûteux.

I. UN REGARD SANS COMPLAISANCE SUR L’AFRIQUE FRANCOPHONE

L’Afrique francophone constitue un ensemble de pays dont le dynamisme économique est, ces dernières années, en moyenne supérieur au reste de l’Afrique subsaharienne. Néanmoins, à l’instar du reste du continent, les limites de leurs modèles économiques influent négativement sur leur développement. Les économies, peu diversifiées, reposent encore grandement sur l’extraction des ressources naturelles, le manque d’industrialisation étant général. La croissance reste par conséquent vulnérable aux chocs exogènes éventuels, tels que l’évolution des cours des matières premières, des hydrocarbures et des ressources minières. Autant de facteurs dont les pays n’ont pas la maîtrise, et qui les mettent en position de fragilité. On le constate par exemple avec la baisse rapide du cours du pétrole depuis quelques mois qui met fortement en difficulté un pays comme le Gabon. Il en est de même des incidences de l’évolution des conditions climatiques sur les productions agricoles, par exemple en pays sahéliens.

S’ajoutent à ces éléments d’autres facteurs qui freinent le développement, tel que l’insuffisance des infrastructures, notamment en Afrique centrale et dans les États fragiles, au premier rang desquels le manque d’électricité, principale entrave à l’industrialisation. En outre, la question de la gouvernance reste un sujetde préoccupation, l’instabilité politique, la corruption, voire les guerres, constituant autant de freins au développement économique. On verra à cet égard que l’Afrique francophone compte plusieurs pays dont la situation de fragilité actuelle invite à une analyse des politiques d’aide au développement.

A. LES REALITES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES INVITENT À TEMPERER L’AFRO-OPTIMISME

1. Des économies encore trop fragiles pour mettre les pays d’Afrique francophone sur des trajectoires de développement consolidées

Certes, la croissance économique de l’Afrique subsaharienne est aujourd’hui élevée, voire même très élevée, que ce soit par rapport au reste du monde ou par rapport à sa propre histoire. Le continent n’a plus rien à voir avec les décennies cauchemardesques qu’il a connues par le passé, qui ont vu la croissance stagner ou être négative, avec le cortège des conséquences que cela a induit. Les investissements étrangers continuent d’affluer, les fondamentaux économiques sont meilleurs que jamais, les indicateurs sont pour la plupart au vert, les exportations croissent année après année, la consommation interne augmente et l’endettement régresse.

Tout cela est indéniable. Il n’en reste pas moins que la croissance ne parvient pas à réduire la pauvreté, à de trop rares exceptions près, et les processus de développement économiques et sociaux se grippent. Cela tient essentiellement au fait que, structurellement, les économies africaines restent handicapées par un certain nombre de caractéristiques qui n’évoluent que très marginalement.

a. Des fondamentaux qui n’évoluent que marginalement

Comme le rappelait Arnaud Buissé (5), sous-directeur des affaires financières multilatérales et du développement à la Direction générale du Trésor, dans l’ensemble, depuis plus d’une décennie, l’Afrique subsaharienne connaît une croissance soutenue et elle est aujourd’hui la deuxième zone de croissance économique au monde derrière l’Asie, avec des taux de 6 % en moyenne sur les dix dernières années et de 5 % en 2014, supérieurs à la moyenne mondiale. Le FMI prévoit même une hausse de la croissance dans les années à venir. Cela a permis un enrichissement de la plupart des pays du continent, qui affichent dans l’ensemble un PIB par habitant de 1 700$ en 2014, contre 850$ en 2004. D’ici cinq ans, il pourrait s’élever à 2 300$.

Dans ce panorama global, on ne saurait dire que les pays d’Afrique francophone font mauvaise figure : sur les cinq dernières années, le taux de croissance moyen a même été plus élevé en Afrique francophone qu’en Afrique non-francophone, 4,3 % contre 3,4 %. En 2014, les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale francophone ont même affiché un taux de croissance moyen de 6,7 %, supérieur à la croissance moyenne de l’Afrique subsaharienne. Certains d’entre eux connaissent une croissance particulièrement élevée, en témoignent les 9,5 % du Tchad, 8,5 % de la Côte d’Ivoire et de la RDC ou encore les 6,3 % atteints par le Niger. Les prévisions font état d’un dynamisme similaire pour les années à venir, avec des taux de croissance plus élevés pour les pays d’Afrique francophone.

Cela étant, comme le souligne un récent rapport de la CNUCED (6), le continent africain « n’a pas suivi le processus normal de transformation structurelle où, à un niveau aussi bien intra-sectoriel qu’intersectoriel, des activités à faible productivité sont progressivement remplacées par des activités à forte productivité. » Dans un tel processus, la part élevée de l’agriculture dans le PIB diminue progressivement à mesure que celle de la production manufacturière augmente, avant de céder le pas au secteur tertiaire. Ce n’est pas le cas en Afrique subsaharienne et cela n’est pas sans incidence sur le futur.

i. Les conséquences d’un secteur primaire toujours largement dominant

En Afrique subsaharienne, l’agriculture représente toujours environ 60 % de l’emploi total, mais seulement le quart de son PIB. (7) Dans un certain nombre de pays, notamment francophones, comme le Burkina Faso, le Burundi, la Guinée, le Mali, le Niger ou le Rwanda, ce sont même 80 à 90 % de la main-d’œuvre qui travaillent encore dans l’agriculture. L’économie et, consécutivement, le développement économique et social de ces pays, restent donc étroitement dépendants de facteurs que les pouvoirs publics ne maîtrisent en rien, tels que les conditions météorologiques ou les variations de cours sur les marchés internationaux. Ainsi, au Burundi, l’essentiel des recettes extérieures provient par exemple des cultures de rentes que sont le thé et le café, cependant que le nécessaire à la consommation locale est majoritairement importé. Certains pays ont ainsi vu leurs productions agricoles augmenter ces dernières années, grâce à des conditions favorables, tels le Cameroun, la RDC ou la Mauritanie, mais le Niger ou le Burundi ont en revanche pâti des aléas climatiques.

En second lieu, comme les dernières Perspectives économiques en Afrique 2014 le rappellent, les industries extractives continuent d’occuper une place importante dans les exportations et dans la croissance économique du continent. Pour les pays richement dotés de ressources naturelles, ce sont toujours les principales sources de revenus de l’État. Au niveau continental, « les exportations sont dominées par les produits pétroliers et miniers, qui constituent 69.5 % du total en 2012 (pour une valeur de 438 milliards USD). À eux seuls, les combustibles représentent 384 milliards USD d’exportations (60.9 % du total). » (8)Cette situation n’est pas non plus sans effets pervers en ce qu’elle place les économies du continent dans la même position de dépendance que l’exportation de produits agricoles vis-à-vis de la demande extérieure, et de prix dont la fixation leur échappe. Cela vaut notamment dans un contexte marqué par le fait que, si les pays d’Afrique subsaharienne sont de plus en plus insérés dans le commerce mondial, leurs partenaires ont évolué ces dernières années : comme on le sait, ce sont les échanges avec les émergents qui ont cru, cependant que la part des pays développés régressait. À cet égard, le fait que la croissance chinoise se tasse et que sa demande de matières premières ait tendance à diminuer, n’est pas sans conséquence pour des pays qui n’ont pas réussi à diversifier leurs exportations, et la question du maintien des taux de croissance africains actuels sur la durée est posée, la région étant plus vulnérable du fait de son intégration plus poussée dans l’économie mondiale (9). Ainsi, on sait d’ores et déjà que le redressement économique de la Guinée après l’impact de l’épidémie d’Ébola sera contrarié par la conjoncture mondiale dans le secteur du fer actuellement peu dynamique qui ne permettra pas de soutenir son redémarrage, alors que les espoirs d’accélération de la croissance reposaient sur les développements du secteur minier qui assure 85 % des exportations du pays. Toutes choses égales par ailleurs, c’est aussi le cas de la Mauritanie, non touchée par l’épidémie d’Ébola, mais forte exportatrice de fer – le secteur minier représentant le quart de son PIB et les deux-tiers de ses exportations – qui pâtit également de la chute des cours internationaux et de la baisse de la demande de la Chine, son, principal acheteur. Au Sénégal, le premier produit d’exportation, hors carburants, est l’or.

ii. Quelques pays d’Afrique francophone comme exemples

Le Gabon fait partie des pays du continent qui retirent la majeure partie de leurs recettes publiques de l’exploitation de leur pétrole qui représente dans ce cas entre 80 % et 90 % de ses exportations. (10) La chute du cours actuel ne peut qu’avoir un impact dramatique : depuis un cours moyen annuel de près de 112$ en 2012, le prix du baril n’a cessé de baisser pour s’établir en janvier 2015 à 47,71 $ contre 108,12 $ en janvier 2014 (11). La perte de recettes pour l’État gabonais, dont la production, comme celle du Cameroun voisin, est par ailleurs d’ores et déjà en baisse, est considérable, à la mesure de ce décrochage brutal, et le Premier ministre, Daniel Ona Ondo, indiquait récemment à Jeune Afrique que cela allait « se traduire par une baisse significative des revenus de l’État, nous contraignant à élaborer un plan d’ajustement de nos dépenses publiques. C’est ce que le gouvernement vient de décider, tout en veillant, comme l’a prescrit le chef de l’État, à ce que les efforts d’ajustement ne se fassent pas au détriment des plus démunis. ». (12)

En RDC, les deux piliers de l’économie sont l’agriculture et les mines, qui ne créent cependant pas assez de richesses et d’emplois. Selon les données de l’OCDE, « depuis 1970, l’agriculture emploie 70 % de la population active mais ne fournit que 40 % de la production, ce qui atteste de sa faible productivité et de son incapacité à nourrir convenablement la population. Les ressources minières du pays, qui constituent un intérêt stratégique mondial, ont vu leur importance relative diminuer à cause de la chute brutale des cours à la fin des années 1970. ». Aujourd’hui, selon les Perspectives économiques en Afrique 2014, la croissance, de +8,1 % en 2013, a entre autres été tirée par le secteur minier dont la contribution au PIB, aujourd’hui à hauteur de 27,4 %, continue d’augmenter, cependant que dans le même temps, « le secteur privé ne participe que marginalement aux réseaux internationaux de production, intervenant surtout au bas de la chaîne de valeurs. La participation du pays au commerce mondial est aussi limitée par la gamme de produits offerts et des biens demandés (biens d’équipement et aliments). Les exportations sont concentrées sur des matières premières à faible valeur ajoutée. ». Or, si la production de cuivre de la RDC a augmenté de plus de 50 % d’une année sur l’autre, si l’extraction d’or a cru de près d’un tiers, celles de cobalt et du zinc ont en revanche subi des baisses importantes du fait de la contraction de la demande mondiale.

Les situations sont tout à fait comparables dans le cas de pays comme le Congo, dont l’économie non diversifiée reste vulnérable aux cours du bois, du pétrole, qui pèse pour 85 % de ses exportations et près des deux-tiers de son PIB, et à la demande internationale, alors même que l’on estime que l’exploitation de nouveaux gisements de minerais de fer et de potasse contribueront à l’accroissement des exportations comme à la hausse des IDE. La même situation prévaut au Tchad, qui fait d’ores et déjà face, comme son voisin, à la baisse de la production pétrolière qui lui assure cependant le tiers de son PIB et plus des deux-tiers de ses recettes fiscales. L’économie tchadienne est à ce point sensible aux aléas que c’est la baisse de la production du principal site en 2013 qui seule explique la chute de près de 6 % du taux de croissance de l’économie, passé de plus de 9 % en 2012 à 3,4 % l’année suivante. La production est heureusement repartie à la hausse en 2014. Comme le soulignent les Perspectives économiques en Afrique 2014, « une plus grande diversification des sources de croissance s’impose donc, notamment à travers la création de chaînes de valeur dans les secteurs où le pays dispose d’avantages comparatifs certains : l’élevage, le coton, le tourisme, la pétrochimie et la gomme arabique. Une telle diversification favoriserait non seulement la création nette d’emplois, mais contribuerait aussi à élargir l’assiette fiscale grâce à un meilleur niveau des recettes budgétaires et à l’efficience fiscale susceptible d’être ainsi induite ». De son côté, l’économie du Cameroun reste essentiellement articulée sur les productions du secteur primaire (cacao, café, coton, bananes, grumes, caoutchouc, huile de palme, maïs et riz), qui viennent aujourd’hui compléter les productions de pétrole et de gaz. 80 % des exportations du pays reposent sur des produits peu ou pas transformés.

Ces exemples pourraient être multipliés à l’envi. Ils illustrent en tout cas le fait que la croissance en Afrique subsaharienne, et notamment dans les pays francophones de la zone, reste fragile et qu’elle ne se soit pas traduite par des créations suffisantes d’emplois, les industries extractives, très capitalistiques, dominant et restant les principaux vecteurs. Cela explique, comme Henri-Bernard Solignac-Lecomte, chef de l’unité Afrique, Europe, Moyen-Orient de l’OCDE (13), le faisait ainsi remarquer, que seulement 7 % des 15-24 ans aient aujourd’hui un emploi décent et que les autres soient scolarisés, chômeurs ou dans le secteur informel, non choisi. Dans les pays à revenu intermédiaire, ce taux est à peine supérieur, 10 % seulement. Dans le même temps, peu de nouveaux secteurs qui se développent en Afrique créent des emplois, et l’on reste généralement, pour l’heure, dans les secteurs traditionnels, peu pourvoyeurs de main-d’œuvre.

Dans ce contexte, la Côte d’Ivoire fait peut-être figure d’exception, puisque, malgré dix années de troubles, elle est indéniablement une puissance économique sous-régionale, avec un PIB équivalent au tiers de celui de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, UEMOA (14) et quelque 60 % des exportations agricoles de cet ensemble de pays. En outre, la structure de son économie lui confère des atouts, dans la mesure où son secteur agricole dynamique, qui lui permet de conserver la place de 1er producteur mondial de cacao, occupant plus du tiers du marché, ne pèse que pour 28 % de son PIB, un peu plus que le secteur secondaire, 25 %, dominé par le raffinage de pétrole brut, le BTP et l’agro-alimentaire. Consécutivement, le secteur tertiaire occupe une place nettement supérieure à celle que l’on constate dans bien d’autre pays. Y dominent la téléphonie mobile, que se partagent cinq opérateurs, les activités bancaires et les technologies de l’informatique et de la communication.

Malgré cela, la Côte d’Ivoire est toujours très mal positionnée en termes de développement : elle est au 171e rang mondial, selon l’Indice de développement humain du PNUD.

b. Les mêmes obstacles, à peu près partout

Très sensible à la conjoncture économique mondiale qui influe sur sa propre croissance, le développement de l’Afrique pâtit aussi d’un certain nombre de handicaps qui peinent à être surmontés. Ils contribuent au manque de consolidation de la situation économique des pays du continent, entre autres francophones, qui empêche de les mettre définitivement sur la voie du développement socioéconomique.

On ne compte plus les rapports des institutions internationales qui mettent en avant, année après année, les obstacles qui pèsent sur le développement de l’Afrique, qui sont les mêmes en Afrique francophone comme dans le reste du continent. On se contentera de quelques rappels, le cas échéant illustrés.

i. Des infrastructures insuffisantes

Le premier point à souligner porte sur la question des infrastructures insuffisantes, chères, peu efficaces, en matière d’énergie, de transports, etc., qui gênent considérablement la croissance, renchérissant les coûts et pénalisant par exemple l’exportation des matières premières. Les Perspectives économiques en Afrique 2014 font ainsi remarquer que le rythme de l’investissement africain dans les infrastructures n’est pas en phase avec le flux de croissance. Il est de l’ordre de 40 à 50 millions de dollars par an alors que, pour un taux de croissance de 6 %, il devrait être de quelque 100 millions annuels. Or, le déficit énergétique, qui induit de fréquentes ruptures de courant, la nécessité d’investir dans des groupes électrogènes, et plus généralement la défaillance de l’environnement physique, créent un coût non-négligeable pour la compétitivité africaine. C’est le cas par exemple au Congo où les déficits en la matière sont toujours importants, malgré l’augmentation de la capacité de production, et « la fourniture peu fiable d’électricité est un des principaux facteurs grevant la compétitivité de l’économie congolaise et limitant les investissements étrangers ». C’est toujours le cas en RDC, qui dispose pourtant du potentiel hydroélectrique le plus important au monde, avec le barrage d’Inga, dans le Bas-Congo, évalué à 46 800 MW, mais dont le taux d’électrification n’est que de 10 %. Si l’Afrique veut accroître son taux de croissance annuel, il lui faudra faire exploser son rythme actuel d’investissements publics en infrastructures. Les infrastructures de transport sont également essentielles, par exemple dans le cas d’un pays enclavé comme le Tchad, très dépendant des infrastructures de liaison des pays limitrophes, et dont 85 % des exportations transitent par le port de Douala. Madagascar pâtit de son côté de son éloignement, ainsi que du manque d’infrastructures transnationales et de l’enclavement de ses zones de production agricole. De même, les Perspectives économiques en Afrique 2014 estiment que les « principales contraintes qui entravent une plus grande participation du Congo aux CVM (15) » et qui l’empêchent de participer mieux au échanges régionaux, sont l’absence d’une infrastructure de transport de qualité, seuls 10 % des routes étant bitumées, comme au Cameroun voisin, le chemin de fer étant par ailleurs délabré.

Les autorités camerounaises sont conscientes de cette situation qui ont fait de la mise à niveau des infrastructures du pays l’un des axes de leur stratégie de développement « Cameroun vision 2035 ». Elles ont prévu de travailler sur le bitumage des routes avec l’ambition de « multiplier la fraction du réseau routier bitumé, soit une évolution de 10 % actuellement à 32 % à l’horizon de la vision » (16 ; sur les technologies de l’information et de la communication, TIC, le pays, classé aux début des années 2010 dans la dernière catégorie en matière d’accès, vise la catégorie d’accès moyen à horizon 2035, et souhaite quintupler le nombre de lignes téléphoniques et accroître la couverture des réseaux de téléphonie mobile ; l’accès à l’eau potable, qui devra être relevé de 50 à 75 %, par des investissements en matière de capacités de stockage et de traitement et d’adduction d’eau potable en réseaux ; la production énergétique, qui doit être doublée, « soit une évolution de la consommation d’énergie par unité de PIB de 27,7 % actuellement à 45 % à l’horizon de la vision » ; l’effort sur l’habitat cherchera à « réduire de manière significative la proportion des ménages des villes vivant dans un habitat précaire, celle-ci devra passer de 76,4 % à 20 % à l’horizon de la Vision ». (17)

Malgré des investissements importants ces dernières années, le Congo est en queue de peloton dans l’Indice de développement des infrastructures en Afrique, établi par la Banque africaine de développement, qui relève que « le retard du Congo est particulièrement important dans le domaine des transports et de l’énergie. Les dimensions de l’indice de la BAD pour lesquelles le Congo a obtenu de faibles scores concernent la qualité des infrastructures routières et énergétiques et l’accès à l’eau potable. Par exemple, le pays se classe au 32e rang sur les 53 pays du continent pour la dimension Développement énergétique de l’indice. S’agissant des transports, le pourcentage des routes revêtues en bon ou assez bon état est de 38 % contre 79 % pour l’Afrique subsaharienne. Le taux d’accès à l’électricité de près de 30 % de la population totale est inférieur à la moyenne des autres pays en développement à faibles revenus (41 %). » (18)On pourrait multiplier les exemples en rappelant que ce n’est pas seulement en termes de compétitivité économique que le manque d’infrastructures est dommageable : il pèse aussi sur le quotidien des populations. Ainsi, 1 % seulement des campagnes nigériennes est électrifiée (19), et que cela impacte très directement la fourniture des services sociaux de base (20).

Ici encore, la Côte d’Ivoire tend à se distinguer de l’ensemble. Les Perspectives économiques en Afrique 2014 soulignent notamment que « le pays dispose en effet d’un potentiel important en ressources naturelles et humaines, sans oublier la qualité relative de ses infrastructures, à l’échelle de la sous-région. » De fait, le pays a lancé une série de grands chantiers avec l’appui de la communauté internationale, portant sur la restauration des infrastructures économiques et sociales (routes, ports, hôpitaux, universités, barrages hydro-électriques, centrales thermiques…), le renforcement des filières agricoles et agroalimentaires, l’exploitation de son potentiel minier, l’extension de sa capacité électrique, ainsi que des projets d’environnement ou en matière de TIC. L’ensemble permet de lui voir des perspectives économiques radieuses, malgré les fragilités politiques et sécuritaires.

Dans une moindre mesure, le Sénégal ambitionne d’améliorer son positionnement sous-régional, grâce à un programme d’infrastructures, dont le niveau pose encore problème aux investisseurs et entrepreneurs, même si le pays se distingue d’ores et déjà par un niveau relativement bon en matière routière, portuaire, aéroportuaire ou ferrée, ainsi que par la qualité de son réseau de télécommunications. Cela étant, l’accès à l’électricité – deux fois plus chère qu’en Côte d’Ivoire pour une qualité de service bien moindre (21) – reste l’un des problèmes importants. C’est entre autres choses la dégradation des infrastructures touristiques qui explique le fléchissement du secteur.

ii. La question du déficit des investissements industriels indispensables

Le deuxième facteur négatif tient au manque d’investissements qui a pesé sur le fait que les économies restent encore grandement exportatrices de matières premières brutes et manquent d’industries de transformation sur le continent. Carlos Lopes, (22) Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, Secrétaire général-adjoint de l’ONU, rappelant qu’il y a trente ans, le revenu per capita de l’Afrique était supérieur à celui de la Chine, soulignait que celle-ci avait prouvé quelles performances étaient possibles. Elle le devait à un certain nombre d’éléments, au premier rang desquels son industrialisation, étape que n’a pas encore atteint l’Afrique qui n’est pas encore dans l’ère industrielle, la valeur ajoutée manufacturière n’y étant que d’environ 9 % de l’économie, soit le taux le plus bas, la production du continent représentant aujourd’hui 0,4 % de celle du monde.

Ce problème ne vaut pas seulement pour l’industrie, mais aussi pour l’agriculture, où cela est mis en évidence par une productivité à la fois toujours extrêmement faible et stagnante ; c’est la plus basse du monde, avec 1,5 t/ha. Au Sénégal, par exemple, le secteur primaire occupe 50 % de la population active mais ne pèse que pour 15 % du PIB. Dans ces conditions, la forte concentration de population en zone agricole se traduit par une forte pauvreté, compte tenu de l’importance de la population qui en dépend. En outre, pour Carlos Lopes, si les tendances actuelles ne s’inversent pas, la contribution du secteur primaire à l’économie, déjà faible, va se dégrader, ce qui induira un accroissement de la pauvreté dans des proportions effroyables. S’attaquer au problème de la productivité agricole pour sortir une couche significative de la population de la pauvreté est un préalable, qu’un certain nombre de pays ont surmonté moyennant quelques solutions réplicables. Ainsi, en matière d’intrants, ce qui a permis au Nigeria d’accroître sa productivité de + 300 % en cinq ans. L’amélioration, même modeste, des investissements en logistique, réfrigération, transports, etc., dont l’insuffisance est cause de la perte de 30 % de la production, serait positive.

Au-delà du fait que son insuffisance ne lui permet pas de contribuer autant que possible au développement, l’industrialisation est d’autant plus indispensable qu’en 2040, l’Afrique sera le continent le plus peuplé et la plus grande force de travail ; il y a donc une jeunesse à former, à absorber, et des besoins massifs d’emplois à pourvoir, essentiellement pour un marché africain lui-même en fort développement du fait de la croissance démographique et de la montée des classes moyennes. Pour Carlos Lopes, l’Afrique devrait savoir retirer un bénéfice des nouvelles technologies, plus propres et sophistiquées, et se positionner pour produire à la place d’autres régions. Elle pourrait le faire à moindre coût car les autres sont tenues par des plateformes technologiques qui vont devenir rapidement obsolètes. C’est d’ores et déjà le cas en matière de services où l’Afrique a des avantages, cf. sa place de leader mondial en matière de taux de bancarisation mobile, la moitié des transactions bancaires mobiles du monde se faisant en Afrique, car le continent a fait directement le saut, sans passer par l’étape de la bancarisation avec guichets qu’ont connue toutes les régions. Dans cet ordre d’idées, on relève qu’il y a eu une explosion en Afrique dans le secteur des services, qui est aujourd’hui presque au niveau du reste du monde : 49 % de l’économie, contre 56 % en Europe, même s’il s’agit d’un secteur encore grandement informel, précaire, qui ne donne pas de base à un développement à grande échelle qui permette une transition vers la modernité. Dans cet ordre d’idées, Lionel Zinsou (23) estimait que pouvait trouver ici à s’illustrer la théorie économique de l’« avantage de l’arriération », selon laquelle le rattrapage des retards peut se faire par appropriation immédiate des dernières technologies et des innovations dont elles sont porteuses : l’arriération impose l’inventivité. Cela devrait se faire sur d’autres créneaux que le e-banking, car l’Afrique ne pourra jamais suivre le mode de développement qu’a connu la Chine, très polluant, qui ne lui est pas accessible compte tenu des conséquences et des coûts. En outre, l’Afrique n’a pas non plus le temps de rattraper son retard par le développement des infrastructures classiques : un taux de croissance de 5 % suppose une augmentation de la consommation d’énergie de 7 à 10 %, sachant que l’on est dans un contexte où, actuellement, 4 % des communes rurales seulement ont accès à l’électricité, et que le continent est en délestage total et permanent, y compris dans une ville comme Lagos. Il faudra donc faire autrement, inventer des mix énergétiques riches, par exemple, en tout cas, un modèle énergétique différent, sans que l’on sache encore très bien ce qu’il sera.

Pour Henri-Bernard Solignac-Lecomte (24) les choses pourraient heureusement changer dans la mesure où l’on commence à parler aujourd’hui de politique industrielle en Afrique. En outre, la croissance forte ces dernières années, pas seulement dans les pays riches en ressources naturelles, pétrolières ou autres, a permis de dégager les moyens d’une politique industrielle, économique. On est sorti des périodes antérieures difficiles, marquées par de forts endettements, ce qui a par exemple permis à une vingtaine de pays de pouvoir mettre en place des mesures contra-cycliques lors de la crise de 2008-2009, pour en atténuer les effets sociaux grâce à la mobilisation des réserves.

Cela étant, il faudrait que des nouvelles activités se créent, plus créatrices de valeur. Il y en a encore très peu par manque de capitaux, d’entrepreneurs et parce que les priorités ne changent pas suffisamment, faute de politiques industrielles et de moyens. En fait de politique industrielle, les propos que tenait à votre Mission le Secrétaire général des services du Premier ministre camerounais, Louis-Paul Motaze (25), sont éclairants. Il indiquait que le Cameroun pouvait se comparer avec son équipe de foot : il avait des potentialités, mais on s’interrogeait toujours sur les manières de les concrétiser. Il y a certes des accords de partenariats économiques, mais la question première tourne autour de ce que le Cameroun peut commercialiser ; des matières premières qui peuvent être transformées, mais lesquelles et comment ? Si le pays entend devenir un émergent à l’horizon 2035 comme il l’ambitionne, ces transformations sont indispensables et il faut analyser les potentialités, autour du cuir dans le nord par exemple, ou de l’agriculture, définir des filières prioritaires pour baisser le déficit de la balance commerciale, et réfléchir à des secteurs à développer. Le gouvernement s’y emploie, mais le Secrétaire général regrettait que rien ne soit encore suffisamment mûr pour être traité en interministériel, les stratégies sectorielles dépendant de chaque ministre.

En attendant ces politiques industrielles, les revenus des États sont encore très majoritairement tirés des royalties sur les multinationales exportatrices de matières premières ; cela ne constitue une incitation à la création de nouveaux impôts et favorise l’évasion fiscale de la part des particuliers… En outre, leur relative volatilité n’est pas sans incidence forte sur les finances publiques des pays concernés, comme on l’a vu dans le cas du Gabon. S’agissant du Niger, c’est l’uranium qui a eu un impact considérable. Emmanuel Grégoire, directeur de recherches à l’IRD, en retraçait l’historique (26) et soulignait que c’était ce qui avait permis au budget national de passer de près de 11 milliards de francs CFA en 1971 à 93,8 milliards en 1982. L’uranium constituait alors plus de 80 % des exportations du pays et 50 % des recettes de l’État. Il est arrivé à point nommé pour prendre le relais des exportations d’arachide qui avaient fait vivre le pays depuis l’indépendance et cessèrent avec la sécheresse de 1973-1974, les paysans privilégiant alors les cultures vivrières. Du point de vue social, il permit à la fois la suppression de l’impôt, mesure qui soulagea les paysans et les éleveurs affaiblis par la sécheresse, la revalorisation du salaire des fonctionnaires (le salaire minimum passa de 4 680 FCFA en 1970 à 13 500 en 1978) et l’équipement du pays en infrastructures (écoles, dispensaires, routes, puits, etc.). Avec le recul, on doit convenir que la situation économique et sociale du Niger s’était améliorée de ce fait sous le régime autoritaire du général Seyni Kountché. Cela étant, l’euphorie fut de courte durée en raison du retournement du marché. Plus récemment, les perspectives étaient encore positives et sur ces bases, le budget du Niger n’a cessé d’être en progression : 731 milliards de francs CFA en 2009, contre 503 milliards en 2005. En 2011, il a été fixé à 940 milliards de franc CFA, près de 1 900 milliards en 2014 contre 1 400 milliards pour l’exercice 2013. La situation présente et l’état du marché international, risquent de changer la donne.

On remarque aussi fréquemment, qu’il n’y a pas non plus de fiscalité foncière, mais en revanche beaucoup d’exemptions accordées pour des raisons politiques. Les conditions de cycles vertueux permettant de forger un contrat social qui déboucherait sur une exigence de services publics de qualité pour les citoyens et les entreprises locales, sur des administrations publiques performantes ne sont donc pas favorisées. En revanche, nombreux sont les freins à une meilleure qualité de la dépense publique et les administrations restent très faibles et corrompues tout en étant inefficaces.

iii. Quelques autres facteurs

Sans qu’il soit non plus nécessaire de faire de trop longs développements tant ces aspects sont bien documentés, on peut également mentionner la question de la formation des ressources humaines, souvent insuffisante : comme on le verra, l’éducation étant l’un des secteurs sociaux dans lesquels les pays africains sont peu performants, qui laisse de côté un nombre important de personnes peu, voire non, alphabétisées, le niveau de qualification de la main-d’œuvre s’en ressent logiquement. S’agissant du Congo, par exemple, les Perspectives économiques en Afrique 2014 relèvent que « la faible qualification de la main-d’œuvre disponible et l’inadéquation des compétences constituent elles aussi une sérieuse entrave à la progression du Congo vers des étapes de plus forte valeur ajoutée dans les CVM. En effet, le pays reste confronté à un défi de taille s’agissant de l’amélioration de la qualité de l’enseignement technique et scientifique et du renforcement de ses capacités technologiques. L’enseignement technique et professionnel attire moins de 10 % des élèves. La pénurie de compétences combinée à l’absence d’investissements dans les technologies limite les capacités des entreprises locales à améliorer leur compétitivité et à satisfaire aux normes de qualité des marchés internationaux. »

Il convient toutefois de se garder de toute généralisation. Ainsi, un pays comme le Cameroun, qui n’est certes pas le plus mal placé du point de vue de son système éducatif, même si un certain nombre de déficiences ont été constatées, dispose de professionnels particulièrement compétents, et par exemple d’ingénieurs dont le niveau n’a rien à envier à celui de ceux formés en France. Plusieurs des entrepreneurs rencontrés lors du déplacement dans le pays l’ont aisément confirmé.

En revanche, la qualité du climat des affaires est un facteur handicapant que beaucoup de pays connaissent. Le Cameroun en est un exemple particulièrement notable, en dépit des mesures décidées par le président Biya. Il pointe actuellement au 136e rang de l’indice publié annuellement par Transparency International (27) et, à en croire l’avis de très nombreux interlocuteurs rencontrés, cette position n’est en rien usurpée. Il n’est pas un chef d’entreprise qui n’ait souligné l’ampleur du problème, la difficulté de comprendre le fonctionnement des administrations, l’inventivité procédurière, les multiples tracasseries, l’informalité, et partant, l’instabilité ; à tout le moins, le pays est compliqué pour qui veut s’y implanter et se lancer dans les affaires. Il n’est pas non plus un officiel ou un responsable politique qui n’en ait convenu, soulignant que, quelque précaution qu’on prenne, l’organisation du pouvoir au Cameroun est telle qu’elle induit une imprévisibilité totale des affaires, dans un système économique de fait largement dominé par les fonctionnaires chargés de délivrer les autorisations, et disposant d’un pouvoir personnel important. Les représentants de l’opposition ne sont pas isolés dans ces constats : plusieurs des ministres et hauts fonctionnaires rencontrés convenaient sans difficulté que de mauvaises habitudes avaient été prises dont le Cameroun devait se débarrasser, regrettant que les mécanismes de contrôle et de sanction soient insuffisants pour lutter contre, et que c’était à bon droit que les entreprises étrangères se plaignaient des tracasseries, de la corruption, du harcèlement qu’elles subissaient, les mesures que le président Biya avaient prises étant trop lentes à se mettre en œuvre.

c. Un continent qui reste marginal sur le plan économique

i. L’Afrique, acteur encore modeste de l’économie mondiale

« Non, l’Afrique n’est pas si bien partie. (…) Il faut dire la vérité : l’Afrique, ce n’est toujours que 1,6 % du PIB mondial (4,5 % en parité de pouvoir d’achat) ! Trois pays seulement, l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Égypte représentent à eux seuls la moitié de ce PIB. Un tiers des pauvres de la planète vit toujours en Afrique ! » (28)

Comme le soulignent de leur côté les Perspectives économiques en Afrique 2014, « profitant de la bonne tenue des cours des matières premières, les exportations africaines ont progressé plus vite qu’ailleurs dans le monde en 2012, avec un taux de 6.1 %. Mais elles ne représentent qu’à peine 3.5 % du total mondial des exportations cette année-là – une part qui ne parvient pas à décoller. » En outre, il apparaît que les exportations agricoles, – et l’on a vu l’importance du secteur pour le continent -, ont même reculé de 1 % en 2012, après avoir augmenté en moyenne de 14 % par an entre 2005 et 2011. En valeur, ces exportations agricoles ne représentent que 57 Mds$, soit 9,1 % du total des exportations de marchandises africaines. Si près de la moitié de ces exportations, pour un montant total de 26 Mds$, se sont faites en direction de l’Europe, elles n’ont toutefois représenté qu’une très faible part des importations agricoles européennes : 3,9 % (29). Dans ce cadre global, rappeler le fait qu’au niveau mondial, les exportations des Pays les moins avancés, PMA stagnent, voire même perdent du terrain et n’atteignent aujourd’hui qu’à peine 1 % du total mondial des exportations de marchandises, permet de mesurer le poids économique extrêmement faible des 34 pays africains sur les 48 de cette liste, et des seize francophones qui en font aussi partie.

Continent essentiellement pourvoyeur de matières premières, agricoles ou minières, l’Afrique est donc encore à l’heure actuelle un acteur économique des plus modeste. Même si la consommation interne du continent a joué un rôle important dans la croissance de ces dernières années, le poids de la dépendance aux facteurs externes pèse lourdement. Cela n’est pas sans susciter des interrogations sur le futur, eu égard aux perspectives démographiques et à la problématique de la réduction nécessaire de la pauvreté.

ii. Les pays d’Afrique francophone

Comme le notait Arnaud Buissé (30), l’Afrique francophone est un sous-ensemble de 295 millions d’habitants dont le poids économique et démographique est relativement faible, son PIB étant de 240Mds$, quand le reste de l’Afrique subsaharienne est peuplé de 645 millions d’habitants et atteint un PIB de 1 400 Mds$, largement dominé par les deux poids lourds que sont le Nigeria et l’Afrique du Sud.

De fait, les pays d’Afrique francophone présentent les uns et les autres des PIB nécessairement modestes. C’est bien sûr le cas des petit pays, comme le Togo ou le Bénin, par exemple, dont les PIB respectifs dépassent à peine 3,8 Mds$ et 7,5 Mds$. C’est aussi le cas d’autres pays parmi les plus pauvres, comme le Mali ou la Mauritanie, qui pèsent respectivement 10,3 Mds$ et 3,9 Mds$ de PIB.

Ceux qui pourraient représenter des puissances économiques potentielles, eu égard à leurs ressources naturelles, à leur taille, l’importance de leur population ou leur parcours antérieur, comme la Guinée, le Gabon, le Congo, la RDC ou la Côte d’Ivoire, restent aujourd’hui encore des acteurs de second rang, voire pire. Ainsi, la Guinée n’atteint que 6 Mds$ de PIB pour une population de plus de 11 millions d’habitants et des richesses naturelles exceptionnelles ; le Gabon, qui a bénéficié de la rente pétrolière plus que tout autre pays de l’aire francophone, mis à part le Congo, affiche un PIB de 19,3 Mds$, celui du Congo étant de 14 Mds$, équivalent à celui du Tchad (13,5 Mds$). Le PIB de la Côte d’Ivoire, poids lourd de l’Afrique de l’Ouest en phase de redressement, représente plus du tiers de celui de l’ensemble UEMOA, ce qui permet de situer le poids économique de ses sept autres partenaires. Il dépasse désormais les 31 Mds$ de PIB, équivalent à celui de la RDC, 32,7 Mds$. C’est d’un poids global équivalent, 29,6 Mds$, que pèse le Cameroun.

Au-delà des différences de taille, de démographie et de potentiel, des raisons qui contribuent à déterminer le poids de telle ou telle économie nationale, une constante domine : les pays d’Afrique francophone pèsent modestement. On peut relever que, dans le même temps, un pays comme le Ghana voisin, dont les caractéristiques intrinsèques ne sont sans doute pas fondamentalement différentes de celles de la Côte d’Ivoire, a un PIB supérieur à 48 Mds$.

Comme le relevait Yves Gounin, conseiller d’État, ancien conseiller juridique du Président de la République du Sénégal (31), l’Afrique ne représente qu’1 % du commerce extérieur de la France et nos partenaires africains les plus emblématiques sont très loin d’être parmi nos principales relations commerciales, cf. le Mali, 142e partenaire économique de notre pays avant la crise dans laquelle il a sombré.

d. Une croissance économique qui ne permet pas de réduire la pauvreté

En dépit de son dynamisme économique, le continent est malgré tout en situation de décrochage par rapport au reste du monde. En 1960, le PIB par tête de l’Afrique subsaharienne était égal à 5 % de celui des États-Unis ; il est aujourd’hui de 3 %. En d’autres termes, la forte croissance des économies africaines ne se traduit pas par une convergence entre plus pauvres et plus riches. En outre, l’Afrique devra gérer une croissance démographique de plus d’un milliard d’habitants supplémentaires d’ici au milieu du siècle, avec des conséquences potentiellement explosives.

Comme le faisait remarquer Lionel Zinsou (32), compte tenu de la progression démographique, il y a à la fois de moins en moins de pauvreté en Afrique, des classes moyennes qui émergent et s’en sortent, mais en même temps de plus en plus de pauvres. Ainsi, entre 1990 et 2010, la part de la population vivant avec moins de 1,25$ par jour est passée de 56,5 % à 48,5 % en Afrique centrale, en Afrique de l’est, en Afrique de l’ouest et en Afrique australe ; néanmoins, le nombre de personnes vivant dans cette extrême pauvreté a augmenté dans le même temps de 289,7 millions à 413,8 millions (33)

Croissance moyenne du PIB par habitant (2000-2010) (34)

Si l’on prend l’exemple du Bénin, de gros progrès ont été faits et plus de 60 % de la population vivent aujourd’hui au-dessus du seuil de pauvreté, alors qu’à l’indépendance, 80 % vivaient en-dessous. Le changement est considérable, mais la population était alors de 2,5 millions d’habitants contre dix aujourd’hui, et les 40 % de la population actuellement sous le seuil de pauvreté sont par conséquent bien plus nombreux que la population totale du pays autrefois. Le Bénin n’est pas isolé sur ce plan, et beaucoup de pays ont une croissance importante mais néanmoins insuffisante pour diminuer le nombre de pauvres.

À ce jour, parmi les pays à faible revenu, seuls le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Niger, le Mozambique, l’Ouganda et la Tanzanie ont connu une baisse du nombre de pauvres. (35) Cela n’est évidemment pas sans conséquence sur la stabilité des pays concernés, dans la mesure où les inégalités croissantes, exacerbées, sont facteurs de troubles, notamment dans les pays de rentes minières, plus vulnérables ; les effets sont visibles, dans les bidonvilles, dans les périphéries pauvres des villes, par exemple en termes de délinquance.

Pour de multiples raisons, une hausse de 1 % du PIB permet de réduire le taux de pauvreté de plus de 3 % en Amérique latine, de 2,4 % en Asie du sud-est et de seulement 1,36 % en Afrique subsaharienne. Elles tiennent à l’importance des inégalités de revenu, d’accès aux services de santé et d’éducation, à la faiblesse des infrastructures, au manque d’accès au crédit et à la protection sociale, aux liens limités entre le secteur des matières premières et le reste de l’économie ainsi qu’au « faible niveau du PIB par tête moyen : pour deux pays connaissant un taux de croissance du PIB par tête équivalent, celui qui a le PIB par tête initial le plus élevé profiterait mécaniquement d’une réduction plus forte du taux de pauvreté. » (36)

À ces facteurs s’ajoutent les inégalités entre hommes et femmes considérées comme « l’une des causes structurelles et profondes majeures de l’incapacité de l’Afrique à atteindre les ODM en matière de réduction de la pauvreté et d’autres cibles de développement. Des barrières structurelles et des normes sociales continuent d’entraver les femmes en leur interdisant de participer à la croissance économique et au développement durable. Leur autonomisation économique et sociale doit être au cœur des stratégies visant à édifier des économies dynamiques et fédératrices. » (37) Sur ce dernier aspect, le diagramme ci-dessous montre le mauvais positionnement des pays d’Afrique subsaharienne francophone.

Inégalités entre les sexes et scolarisation dans le supérieur en 2012 (38)

2. La persistance d’une très grande pauvreté

Malgré les taux honorables qu’elle présente depuis plusieurs années, la croissance économique a du mal à enclencher des processus de développement et de réduction de la pauvreté, au point que, en matière d’OMD, « considérés collectivement, les PMA africains sont (…) mal partis pour n’atteindre aucune des 14 cibles examinées. » (39). La plupart des pays d’Afrique francophone figurent dans cette catégorie.

a. Des indicateurs sociaux toujours préoccupants, quelles que soient les régions

Les pays d’Afrique francophone présentent des indicateurs sociaux toujours extrêmement faibles, qui ne sont toutefois pas fondamentalement inférieurs dans leur ensemble à ceux que présentent les pays d’autres aires. Si l’on mesure la pauvreté selon les trois principaux facteurs de privation qui contribuent à l’indice de « pauvreté multidimensionnelle » utilisé par les Nations Unies depuis 2010, – santé, éducation, niveau de vie – parmi les pays francophones d’Afrique, ce sont le Burkina Faso, le Burundi, le Mali et le Niger, aux côtés de l’Éthiopie, qui ont les niveaux les plus élevés du continent. Certains pays, comme le Cameroun ou la Guinée, ont réussi à réduire l’extrême pauvreté de moitié, conformément aux OMD, et certains autres sont en passe d’atteindre cet objectif, comme le Mali, la Mauritanie, le Niger ou le Sénégal, mais des pays comme Madagascar ou la Côte d’Ivoire sont encore en retard.

i. Une pauvreté monétaire extrême

Le PNB par habitant au Niger est d’environ 408$ en 2013 et plus de 60 % de la population vivent avec moins de 1$/jour. Cette proportion oscille entre 23,4 % de la population en Mauritanie et 47,3 % au Bénin ou au Burkina Faso et au Tchad, où la pauvreté est plus prononcée en milieu rural, où résident 82 % de la population.  


Mali : pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (40)

De même, à Madagascar, en 2012, le PIB/habitant était de 461$ mais plus de 80 % ont moins de 1,25$ par jour : « Madagascar figure parmi les pays où le taux de pauvreté est structurellement élevé. Selon l’enquête nationale de suivi des OMD 2012/13, plus de 70 % de la population vivent en dessous du seuil national de pauvreté, estimé à 245 USD en 2012. Le ratio de pauvreté en milieu rural est supérieur à 75 % contre 55 % dans les villes de province et 31 % dans la capitale. Dans les régions les plus pauvres du pays, les taux de pauvreté atteignent des records, respectivement 97 % et 93 %, soit la quasi-totalité de la population. » (41) Plus de la moitié de la population malienne vit également avec moins de 1,25$ par jour, et le revenu moyen est de 334$ en République centrafricaine.

Au Burundi, ce sont plus de 81 % de la population qui vivent avec moins de 1,25$ par jour (le revenu moyen y est de 330$), à l’instar de plus de 87 % des Congolais (RDC). La carte du continent reproduite ci-dessous illustre la situation dramatique qui prévaut dans la plupart des pays. Parmi les pays francophones, le Gabon est celui qui tire le mieux son épingle du jeu.

Niveaux de revenu moyen par habitant et parts sectorielles du PIB (42)

ii. Des indices sociaux très mauvais

En premier lieu, l’espérance de vie est toujours très basse. Elle n’atteint pas les cinquante ans au Tchad, en République centrafricaine, est à peine supérieure en RDC et en Côte d’Ivoire (50,7 ans exactement dans ce dernier cas). Elle est un peu plus élevée auMali ou au Cameroun, 55 ans, et au Togo, 56,5 ans. Elle reste inférieure à soixante ans au Niger, en Mauritanie et au Bénin, pays dans lesquels elle oscille entre 58 et 59 ans. Au total, parmi les pays d’Afrique francophone, seuls le Gabon, le Sénégal (63,5 ans) etDjibouti apparaissent comme offrant à leurs populations une espérance de vie supérieure à 60 ans. D’une manière générale, sur ce plan, mis à part le cas exceptionnel de la Sierra Leone où l’espérance de vie est à peine supérieure à 45 ans, l’ensemble des pays anglophones est peu ou prou dans la même situation, des pays tels que le Nigeria, l’Afrique du Sud, et le Zimbabwe et l’Ouganda restant en-deçà de 60 ans d’espérance de vie.

La moitié de la population seulement a accès à l’eau potable en Mauritanie, contre les deux-tiers au Mali. Dans le même ordre d’idées, la carte ci-dessous met en évidence la situation toujours préoccupante du continent en matière de sécurité alimentaire, les niveaux de malnutrition étant pour l’essentiel sérieux ou alarmants.

Niveaux de malnutrition (43)

Parmi les pays francophones d’Afrique subsaharienne, seul le Gabon s’en tire plus honorablement. Au Tchad, 44 % de la population souffrent d’insécurité alimentaire récurrente, et les autorités se sont fixées comme objectif de ramener le taux de malnutrition aiguë chez les enfants de moins 5 ans à 10 % en 2015, contre 16 % en 2012, et d’abaisser à 21 % la proportion d’enfants de moins de 5 ans souffrant d’insuffisance pondérale, conformément à l’OMD relatif à la réduction de la faim dans le monde (44). À Madagascar, ce sont 47,3 % des enfants de moins de cinq ans qui souffrent de malnutrition chronique, dont plus de 18 % de forme sévère.

Si l’on concentre l’attention sur la seule région sahélienne, le constat est identique, au vu de la carte la plus récente qui montre qu’une très grande partie du territoire est en ce moment même sous pression avec quelques poches d’ores et déjà en crise pour des raisons qui peuvent paraître conjoncturelles mais illustrent précisément les problématiques au cœur de la réflexion de cette Mission d’information. En effet, selon les conclusions de la dernière réunion du Réseau de prévention des crises alimentaires au Sahel et en Afrique de l’ouest, si les stocks sont actuellement satisfaisants et les prix stables, ce qui permettra un approvisionnement régulier des marchés jusqu’à la période de soudure en milieu d’année, en revanche, les zones d’insécurité du Mali, du Niger et du Nord-Est du Nigeria seront en difficulté. En outre, quand bien même l’épidémie d’Ébola a-t-elle disparu des écrans, ses conséquences continuent de s’en faire durement ressentir sur le terrain : « En dépit du bon approvisionnement des marchés, la dégradation du pouvoir d’achat des ménages les plus vulnérables dans les pays affectées par Ébola, ainsi que l’afflux de populations réfugiées et retournées du Mali et dans les zones voisines du Niger et du Tchad en raison de l’insécurité civile, constituent des facteurs de risques d’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Cette situation mérite une surveillance accrue, ainsi que des mesures d’atténuation. Plus spécifiquement, dans les pays affectés par Ébola, l’analyse du Cadre harmonisé conduite en février 2015 dans les trois pays affectés (Guinée, Liberia et Sierra Leone), révèle qu’environ 2,2 millions de personnes seront en situation d’urgence alimentaire et nutritionnelle en juin-août si des mesures appropriées d’atténuation ne sont pas mises en œuvre. » (45)

Cela, indépendamment du fait que d’autres impacts d’Ébola auront des effets à moyen et long termes en matière de sécurité alimentaire et de résilience des populations, dans la mesure où le retour des paysans sera difficile dans les zones affectées ; dans un contexte de baisse tendancielle des prix des produits agricoles, donc de leurs revenus, il faudra du temps pour qu’ils reconstituent les moyens de production qu’ils ont perdus. Sur la base de la psychose générale des populations constatée durant l’épidémie, on s’attend à des difficultés dans la mise en œuvre des programmes d’assistance nutritionnelle.

La situation alimentaire et nutritionnelle projetée au Sahel et en Afrique de l’ouest, janvier-mars 2015 (46)

b. La question sanitaire, enjeu majeur

Comme le dit Sylvie Brunel dans son dernier ouvrage, « l’Afrique sera développée quand le taux de mortalité infantile sera passé sous le seuil symbolique de 50 ‰, qui est aujourd’hui celui de la majorité des pays dits en développement. Elle affiche pour l’instant presque le double, hormis en Afrique du Nord, infiniment plus avancée malgré la situation désastreuse des campagnes marocaines. Un enfant sur deux qui meurt avant l’âge d’un an vit en Afrique ! Il y a une génération, en 1990, c’était un sur trois. » (47) De fait, les indicateurs en matière de santé restent toujours aussi terribles.

i. Des données préoccupantes, résultats d’efforts insuffisants

Au Tchad, en plus d’une espérance de vie particulièrement basse, près d’un enfant sur cinq meurt avant l’âge de 5 ans. Cette situation sanitaire désastreuse s’explique essentiellement par le fait que les structures de santé sont de faible qualité : nombre insuffisant de médecins qualifiés et répartition déséquilibrée des personnels de santé sur le territoire national. En 2012, le Tchad ne comptait en tout et pour tout qu’un peu plus de 7 500 personnels de santé, qui relevaient à près de 90 % du secteur public, le reste se répartissant entre organisations confessionnelles et secteur privé (6 %), ONG (3 %) et armée (2 %). En 2011, les dépenses de santé par habitant étaient de 35$, pour une norme de 44$, fixée par l’Union africaine, et de 86$ fixée par l’OMS. Elles atteignaient près de 10 % du budget en 2012, pour un objectif fixé dans la Déclaration d’Abuja en 2001 d’au moins 15 %. Pour insuffisant que ce soit en regard des objectifs, ce n’est cependant pas l’effort le moindre : en 2012, la dépense moyenne par habitant en Guinée était de 9$, la Côte d’Ivoire ne consacrant que 5 % de son budget à la santé.

Regard sur le secteur de la santé en RDC (48)

Le gouvernement congolais a réussi à mettre en place un système de santé visant une large accessibilité (géographique, culturelle et financière) aux soins de base en s’appuyant sur des structures opérationnelles adéquates. En effet, le système de santé en RDC est axé sur la Stratégie des soins de santé primaires (SSP), qui s’appuie sur les zones de santé (ZS) érigées en unités opérationnelles de planification et de la mise en œuvre de la politique de SSP.

Cependant, à ce jour, le secteur de la santé accuse toujours de faibles performances au regard de la lenteur du rythme des progrès enregistrés dans les principaux indicateurs de la santé. Les indicateurs de morbidité, de mortalité et surtout d’espérance de vie à la naissance (48,7) n’indiquent pas de progression du pays dans le domaine de la santé. Il en va de même des indicateurs liés aux OMD.

Le taux de mortalité infanto-juvénile a connu un recul relativement important entre 2001 et 2010, passant de 213 ‰ à 158 ‰, soit une diminution annuelle de 32 ‰. Cette évolution paraît toutefois insuffisante par rapport aux attentes des OMD, dont la cible pour cet indicateur est projetée à 60 ‰ en 2015. Le rythme actuel de régression de ce taux laisse entrevoir le taux de 134 ‰ en 2015. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le pays avait enregistré en 2009 l’un des taux de mortalité infantile les plus élevés de la planète, soit 199 ‰, taux le classant en 2e position, après le Tchad.

Cette moyenne nationale cache une forte disparité entre les différents milieux de résidence. Alors que le milieu urbain avait enregistré un taux moyen de 111 ‰, un taux proche de 200 ‰, précisément 174 ‰, avait été observé dans le milieu rural. Le même écart est observé entre différentes provinces : Kinshasa connaît le taux le plus bas, moins de 100 ‰ (précisément 91 ‰), contrairement aux provinces du Katanga, de Maniema, de Bandundu, du Sud-Kivu, du Kasaï-Occidental et de l’Équateur, caractérisées par des taux supérieurs à la moyenne nationale.

(…) seules quatre provinces sur onze ont enregistré une baisse de la mortalité infanto-juvénile entre 2007 et 2010. Il s’agit de Kinshasa, du Bas- Congo, de la Province Orientale et du Sud-Kivu. C’est dans cette dernière province que la plus forte baisse (53 points) a été enregistrée. Par contre, les 7 autres provinces ont vu les conditions sanitaires des enfants se détériorer. La situation la plus critique a été observée au Nord-Kivu (moins 29 points). La permanence de l’insécurité dans cette province a certainement affecté les conditions sanitaires de toute la population et surtout des enfants.

La situation est comparable au Congo (Brazzaville) qui présente « des indicateurs de santé parmi les plus faibles au sein du groupe de pays comparables », avec notamment une mortalité maternelle de 426 décès pour 100 000 naissances vivantes et une mortalité infanto-juvénile de 68 décès pour 1 000 naissances vivantes. Un quart des enfants sont affectés par la malnutrition chronique et, excepté en matière de sida et de paludisme, « l’atteinte des cibles des OMD sera très difficile en raison de l’insuffisance des ressources financières, matérielles et humaines, de la pauvreté élevée et de la faible coordination de la réponse nationale. » Dans le même ordre d’idées, on note également qu’à Madagascar, la réduction de la mortalité des enfants de moins de 5 ans marque actuellement le pas.

Part des dépenses de santé dans le PIB des pays d’Afrique de l’Ouest en 2012 (49)

ii. L’impact de la faiblesse des systèmes de santé

Si l’on se concentre plus spécifiquement sur les pays d’Afrique de l’ouest, la lecture du dernier point de situation consacré à la santé effectué par la Banque africaine de développement (50), met en exergue la faiblesse des systèmes de santé face aux défis auxquels ils sont confrontés. De sorte qu’au Bénin, par exemple, « le taux de morbidité reste élevé malgré les programmes et les réformes de santé mis en œuvre dans les dernières années. La situation sanitaire demeure faible en raison d’une offre inadéquate de services sanitaires, d’une pénurie des capacités humaines, d’une mauvaise maintenance des infrastructures et de la précarité du mécanisme de financement de la santé. » (51). C’est la même situation qui prévaut au Burkina Faso, même si les budgets sont en augmentation et que les effectifs sont croissants : la principale maladie endémique y est le paludisme, qui frappe plus de 7 millions d’habitants sur 17, soit plus de 40 % de la population. Si la prévalence du sida a heureusement fortement diminué, d’autres indicateurs sont alarmants, tels ceux relatifs à la conjonction entre la mortalité infantile et la malnutrition : 54 % des décès infanto-juvéniles surviennent sur des terrains de malnutrition.

Le système de santé du Niger est également confronté à plusieurs défis d’importance, dont le moindre n’est pas la croissance démographique, thème crucial sur lequel on reviendra. La répartition spatiale de la population et l’instabilité des pays voisins, qui entraîne un afflux massif de réfugiés, ajoutent à la pression sur le système. Comme au Burkina Faso, si la prévalence du sida est faible, celle de la tuberculose reste préoccupante ; le paludisme est la première cause de décès (58 %), auxquels la pneumonie (12 %) et la diarrhée (5,7 %) contribuent de manière importante. Les personnels de santé disponibles sont insuffisants, tant en nombre qu’en qualification, et les dépenses de santé privées et publiques (7,4 % du PIB sur les dix dernières années), sont insuffisantes pour répondre aux besoins. Joseph Brunet-Jailly, enseignant à Sciences Po et consultant, ancien directeur de recherche à l’ORSTOM et à l’IRD, soulignait (52) le fort décalage que l’on constate parfois entre les annonces faites par les instances nationales et leur réalité sur le terrain. Ainsi, lorsque le Niger a annoncé la mise en œuvre de la gratuité aux soins pour les femmes et les enfants, l’impact a été presque nul pour certaines populations, seules huit maternités nigériennes – dont trois se trouvent à Niamey – étant capables par exemple de réaliser des césariennes. En d’autres termes, il s’est agi d’annoncer la gratuité d’une prestation qui de toute manière n’existe pas dans quatre régions sur huit.

Dans le même esprit, le Togo « fait partie des pays où le ratio nombre de médecins/nombre d’habitants est le plus faible. La situation s’aggrave depuis 30 ans du fait de l’expatriation des médecins vers les pays occidentaux. Le nombre de médecins pour 1000 habitants a chuté de 0,14 en 1984 à 0,05 en 2014. La disponibilité en médecins baisse à mesure que l’on s’éloigne de la région Maritime. Celle-ci compte 82 % des médecins, dont 77 % dans la capitale Lomé. 18 % des médecins exercent dans le reste du pays, où vivent 57 % de la population. La privation des soins de santé, d’hygiène et d’eau potable concerne surtout le milieu rural, où vivent 78,9 % des pauvres. En 2012, la part de la population ayant accès aux installations sanitaires améliorées est de 2,5 % en milieu rural contre 25,5 % en milieu urbain. ». (53)

iii. Ce que l’épidémie Ébola a contribué à révéler

C’est la réaction des ONG et de la communauté internationale qui a permis de contenir l’épidémie de fièvre Ébola, révélant de ce fait toutes les failles des systèmes de santé des pays d’Afrique de l’ouest et illustrant l’articulation intime entre les problématiques de développement et de stabilité entendues au sens large. Comme on l’a évoqué, le gouvernement guinéen ne consacre que 9$ par an et par personne à la santé, et ceux de la Sierra Leone et du Liberia, à peine plus : respectivement 16$ et 20$, à comparer aux standards minimums recommandés par l’Union africaine ou l’OMS. La faiblesse de cet investissement conditionne directement le nombre de médecins, d’infirmières et autres personnels de santé, d’équipements divers, d’hôpitaux et de médicaments disponibles. Lorsque l’épidémie d’Ébola a éclaté, il n’y avait que 51 médecins au Liberia – 1,4 médecin pour 100 000 habitants selon certaines sources, par rapport au taux de 1 pour 600 recommandé par l’OMS -, et 1 pour 45 000 habitants en Sierra Leone, laquelle compte à peine plus d’un millier d’infirmières et sages-femmes. Toutes catégories confondues, le Liberia dispose d’un professionnel de santé pour 3 500 habitants, la Sierra Leone d’un pour 5 300 habitants. (54)

Dans ces conditions, non seulement, les systèmes de santé ne réussissent pas à faire face aux besoins courants qui sont le quotidien des populations africaines, mais qu’une épidémie surgisse et se répande rapidement comme celle du virus Ébola, et des années d’efforts et de développement sont ruinés en quelques mois.

Le coût humain de cette épidémie est d’ores et déjà considérable : 25 791 personnes ont été infectées à ce jour et l’on a enregistré 10 689 décès pour les trois pays les plus affectés (55), sur un total de 10 704 décès. En outre, des effets en cascade sont à prévoir d’ordre sanitaire (56), ou social : l’épidémie a provoqué des tensions internes sur le tissu social des pays concernés, pour partie déstructuré et déstabilisé. Le coût économique et financier est également très élevé : la communauté internationale a dû assumer en extrême urgence un effort considérable pour venir à bout de l’épidémie – 4,3 Mds$, soit quinze fois le budget annuel cumulé consacré à la santé par les trois pays les plus touchés (57) -, et le choc est aussi majeur pour les économies. Il a provoqué un coup d’arrêt brutal sur la croissance. Si les projections initiales ont finalement, et heureusement, été atténuées (58), grâce à l’enraiement assez rapide de l’épidémie, elles restent dramatiques : « Selon la Banque mondiale, Ébola devrait entraîner une perte d’activité de 1,6 milliard de dollars en 2015 dans les trois pays affectés (soit plus de 12 % de leur PIB combiné) : 540 millions de dollars en Guinée, 180 millions au Liberia et 920 millions en Sierra Leone. C’est bien plus que le coût économique – déjà considérable – accusé en 2014 : plus de 500 millions dollars (environ 5 % de leur PIB combiné). ». (59) L’activité des pays environnants est également impactée : il y a quelques mois encore, la Banque mondiale et le FMI estimaient que l’Afrique subsaharienne, dans son ensemble pourrait subir des répercussions économiques de près de 33 Mds$, dans l’hypothèse la plus grave (60). Si ces projections ont aussi été revues à la baisse, certains voisins, tout indemnes qu’ils soient, en subissent les effets collatéraux, cf. le Sénégal dont le tourisme est aujourd’hui en perdition, du fait de la psychose internationale (61).
Distribution géographique des nouveaux cas et du nombre de cas confirmés au 15 avril 2015 (62)

Comme le souligne à juste titre la Banque africaine de développement, « la structuration à long terme des systèmes de santé doit être érigée en priorité par les États de la région. Cette structuration est nécessaire pour empêcher que ce type de crise sanitaire se reproduise, pour accompagner le formidable développement économique qui s’affirme dans la majorité des pays de la région. » (63).

Cela est d’autant plus urgent que, comme le soulignait aussi Dominique Kérouédan, médecin, fondatrice et conseillère scientifique de la spécialisation « Global Health » de l’École des affaires internationales de Science Po et titulaire en 2012-2013 de la chaire « Savoirs contre pauvreté » du Collège de France (64), l’Afrique, et notamment l’Afrique de l’ouest, est désormais face à de très grands enjeux qui ont émergé, notamment autour de la croissance démographique qui se traduit par l’arrivée de masses de jeunes non instruits, sans accès à la santé et sans emploi. Beaucoup de ces jeunes sont malades, du sida, de diabète, de maladies infectieuses, mentales, et tout particulièrement, désormais, de maladies chroniques. Il y a là un double fardeau pour les systèmes de santé, submergés par ces multiples pathologies simultanées sans qu’il y ait eu de transition épidémiologique, comme on l’a connu en Europe, où les systèmes de santé ont eu le temps de se préparer à la transition entre maladies infectieuses et maladies chroniques. En Afrique, tout arrive en ce moment de manière simultanée, maladies infectieuses, problèmes de santé maternelle et infantile, sous-nutrition, et maladies chroniques, comme le diabète et le cancer, dont on n’a pas envisagé la prise en charge ni médicale, ni en termes de santé publique, avec ce que cela suppose de moyens à y consacrer.

C’est la raison pour laquelle la BAD insiste sur la nécessité pour les États de la région d’accroître les ressources consacrées à la santé, pour améliorer la disponibilité et la qualité de l’offre de soins, notamment dans les zones les plus défavorisés : Ils « doivent poursuivre leurs efforts pour l’amélioration de leur système de santé, en cherchant à mettre en place un modèle inclusif qui puisse à la fois protéger les populations les plus vulnérables et accompagner leur transition économique et sociale. ». (65) Cela requiert de travailler sur des modèles économiques soutenables, notamment dans un contexte de baisse des ressources de l’aide au développement, de veiller, dans tous les pays de la région, à l’accroissement des personnels de santé, indispensable à l’amélioration des systèmes de santé, défi qui « exige des États qu’ils développent les capacités de formation du personnel de santé et qu’ils renforcent l’attractivité des conditions d’exercice des professionnels de la santé. ». (66)

Or, comme le soulignait Dominique Kérouédan, on se situe dans un contexte général où, dans un pays comme la Côte d’Ivoire, en situation de post-conflit, – comme le sont d’ailleurs de leur côté le Libéria et la Guinée Bissau, la Guinée se trouvant dans une situation guère éloignée -, le ministère de la santé ne dispose que d’un budget égal à 4 % du budget de l’État, loin de l’engagement d’Abuja des États africains de consacrer 15 % à la santé, que seuls quatre pays ont tenu à ce jour. Pour le professeur Kérouédan, cela signifie clairement que la santé n’est pas une priorité politique des États, et explique que l’épidémie d’Ébola ait explosé dans trois pays qui sont parmi les plus en retrait sur ce plan. La situation est telle que dans sa leçon inaugurale au Collège de France, elle estimait même que d’une manière générale, en Afrique, il y avait de plus en plus de malades et de moins en moins de soignants : « l’Afrique compte un quart de la pénurie mondiale de soignants, confrontés sur ce seul continent à un quart de la charge mondiale de maladies », cependant que, « en toile de fond, sévissent les instabilités politiques et cinq crises : alimentaire, énergétique et climatique, économique et financière, dont nous pourrions explorer les effets sanitaires et géopolitiques réciproques. » (67)

Accessoirement, on fera remarquer qu’il n’y a jamais que 22 ans que la Banque mondiale faisait de la santé le thème de son rapport annuel sur le développement dans le monde, et insistait sur l’impératif d’« investir davantage dans des actions de santé publique d’un bon rapport coût-efficacité de nature à améliorer sensiblement l’état de santé des pauvres. » (68) Cela faisait partie d’un ensemble de mesures jugées d’une importance primordiale pour l’amélioration de la santé, parmi lesquelles figurait le fait de donner « une solide instruction primaire à tous les enfants, en particulier aux filles. »

c. La crise du système éducatif

Les données relatives à l’éducation ne sont pas moins alarmantes et montrent que la question reste un enjeu crucial : le taux d’alphabétisation est encore inférieur à 50 % au Sénégal, 49,7 % exactement, pour une durée moyenne de scolarisation de 7,8 ans. Les chiffres mauritaniens sont légèrement supérieurs, 58 % et 7,9 ans, mais très bas au Bénin où seuls 42,4 % de la population sont alphabétisés, malgré une durée moyenne de scolarisation supérieure à 9 ans. De même, dans un pays comme le Mali, le taux d’alphabétisation n’est aujourd’hui que de 31,1 % avec une scolarisation moyenne de 7,2 ans. Cette donnée est cependant à mettre en regard d’études de terrain qui montrent des résultats très médiocres : les acquisitions en lecture et compréhension du français, qui devraient être assurées par les deux premières années de scolarité, ne sont en effet constatées que chez 8 % des enfants de 6 à 14 ans, cependant que les acquisitions comparables dans les langues nationales, utilisées en début de scolarité par une partie des écoles, ne sont obtenues que chez 3 % des enfants concernés ; de même, les résultats attendus en calcul ne sont obtenus que chez 9,5 % des enfants, la moitié d’entre eux ne sachant même pas lire les chiffres (69). Concrètement, si les enfants sont scolarisés, très nombreux sont ceux qui quittent le système prématurément sans maîtrise des fondamentaux. On ne s’étonne pas que le rapport annuel de développement du PNUD sur le Mali considère le système éducatif comme étant « en état de crise », avec des résultats quantitatifs en progrès mais « une qualité en détresse » (70) : les effectifs explosent, certains étudiants à l’université ne sachant pas lire et nombre de professeurs se contentant de lire des ouvrages empruntés à la bibliothèque (71).

Cet état de fait se retrouve dans d’autres pays de la région : les statistiques du PNUD indiquent par exemple que la durée de scolarisation que peut espérer un enfant nigérien est de 5,4 ans sur l’ensemble de sa vie scolaire. De fait, la répartition de la population active selon le niveau d’éducation montre des éléments préoccupants, que le tableau ci-dessous illustre : près de 80 % des Nigériens actifs n’ont aucune formation et l’on relève que les six pays les moins bien classés sur ce plan sont tous francophones. On verra plus bas (72) que la question de l’éducation est d’ailleurs l’une de celles qui représentent les plus grands défis pour le Niger, compte tenu des effets conjugués de sa croissance démographique et de l’évolution profonde de la société. De même, 70 % des Burkinabè n’ont aucune formation.

Répartition de la population d’âge actif selon le niveau d’éducation (73)

À Madagascar, en matière d’éducation, des progrès ont certes été accomplis avec un taux d’achèvement au primaire passé de 47 % en 2004 à 69 % en 2012. Toutefois, le taux de scolarisation a connu une forte diminution, passant de plus de 96 % en 2006 à moins de 70 % en 2012, c’est-à-dire que, en raison notamment de l’insuffisance de l’offre éducative et des moyens financiers des parents, près de 30 % des enfants ne fréquentent plus aujourd’hui l’école primaire alors qu’ils n’étaient que 3 % dans ce cas en 2006. Selon l’enquête de suivi des OMD 2012/13, les ménages doivent dépenser en moyenne l’équivalent d’environ 22 euros pour un enfant scolarisé.

Parmi les pays francophones d’Afrique centrale, on relèvera par exemple que le Cameroun présente un tableau plutôt positif, dans la mesure où le taux de scolarisation dans le primaire est de 82,6 %, le taux d’alphabétisation étant de 73 % selon les dernières données du PNUD. De fait, le pourcentage de la population active sans formation est relativement faible par comparaison avec l’ensemble de la région, inférieur à 20 %. Lors du déplacement de votre Mission dans le pays, de nombreux interlocuteurs, notamment des milieux économiques français, ont d’ailleurs tenu à insister sur l’excellence de la formation professionnelle dans certaines branches, notamment les filières d’ingénieurs. On observe néanmoins de fortes disparités régionales entre le Nord, et surtout l’extrême nord et le sud du pays, en termes de taux de réussite scolaire ou d’alphabétisation : « Dans le temps, le taux d’alphabétisation au Cameroun était en progression de 7 points, entre 1996 (61 %) et 2001 (68 %) ; puis, ce taux s’est accru de 3,2 points, pour atteindre 71,2 % en 2010. Dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE), compte tenu de l’évolution antérieure de ce taux et de son niveau actuel, les pouvoirs publics camerounais estiment pouvoir parvenir à l’éradication de l’analphabétisme à l’horizon 2020. La dimension spatiale de l’alphabétisation montre de profondes disparités entre les régions, l’Extrême-nord, le nord, l’Adamaoua et l’est sont les moins avancées. » (74)

Cette disparité régionale se note aussi au niveau des conditions de scolarité, notamment des taux d’encadrement, comme le montre le tableau ci-dessous, ou encore, des redoublements, ou du taux d’abandon global, « plus élevé dans la région de l’Extrême-nord (5,4 %) et moins élevé dans le sud-ouest (0,2 %) » (75), pour des raisons principalement tenant au manque de moyens financiers (48,6 %).  


Niveau d’encadrement au primaire et au secondaire en 2011 (76)

3. Les pays d’Afrique francophone sont parmi les moins développés

Les développements qui suivent montrent que les pays d’Afrique francophone sont parmi les plus pauvres en dépit de leur croissance mais que leur mauvais classement tient davantage à leur appartenance à des aires géographiques particulièrement exposées qu’à leur identité linguistique. Différents pays d’Afrique anglophone ne sont pas mieux lotis.

a. Pour l’essentiel, des pays relevant de la catégorie des Pays les moins avancés…

Les statistiques annuelles publiées par les Nations Unies sont éclairantes et permettent de mesurer d’emblée l’ampleur du problème auquel font face les pays d’Afrique francophone. Selon la dernière livraison des « Indicateurs du développement humain » que publie chaque année le PNUD (77) deux pays d’Afrique francophone, sur 187 pays classés, figurent dans la catégorie des pays à « Développement humain moyen » et parmi les pays à revenu intermédiaire : le Gabon, au 112e rang, et le Congo, au 140e rang.

Les autres pays d’Afrique francophone relèvent tous de la catégorie des pays à développement humain faible, et pour l’essentiel, figurent parmi les Pays les moins avancés (78), PMA : le Rwanda et le Cameroun sont respectivement 151e et 152e, suivis de peu par Madagascar, 155e de la liste. Par ordre décroissant de développement humain, la position des différents pays d’Afrique francophone est ensuite la suivante : Comores, 159e ; Mauritanie, 161e ; Sénégal, 163e ; Bénin, 165e ; Togo, 166e, à égalité avec le Soudan ; Djibouti et la Côte d’Ivoire sont aux 170e et 171e rangs ; le Mali est 176e devant la Guinée, le Burundi et le Burkina Faso, respectivement à la 179e, 180e et 181e position. Enfin, les quatre derniers pays du classement établi par le PNUD sont également francophones : le Tchad, la République centrafricaine, la RDC et le Niger sont échelonnés entre la 184e et la 187e places. Comme on le voit, ceux qui ne sont pas des PMA, le Cameroun et la Côte d’Ivoire, sont également mal positionnés. (79)

Les pays anglophones d’Afrique sont à peine en meilleure posture : Si cinq d’entre eux sont dans la catégorie « Développement humain moyen » – Botswana : 109e ; Afrique du Sud, 118e ; Namibie : 127e ; Ghana : 138e et Zambie : 141e – la majorité sont également des PMA, qui figurent dans des positions assez comparables.

b. … Qui stagnent ou régressent

Si l’on regarde l’évolution de ces pays sur la longue période, on constate certes des améliorations pour certains, mais aussi le fait que d’autres n’ont pas fait grand progrès sur la décennie en cours.

Le Mali en 1992 : quelques constats (80)

« Le pays demeure pauvre, (…) et aucune des différentes politiques économiques suivies depuis trente ans n’a pu lui apporter de solutions efficaces. »

« L’industrialisation était symbole de développement (…) mais le bilan n’est pas très positif : tout ou presque est inadapté. »

« Nourrir le pays demeure par ailleurs une préoccupation constante des pouvoirs publics. (…) Le pays était excédentaire en céréales (et exportateur) entre 1960 et 1968. Producteur de riz, il n’arrive pas à l’autosuffisance en ce domaine puisqu’il ne produit encore que 85 % de sa consommation (et à peine la moitié les mauvaises années, comme en 1984/1985). »

« La croissance urbaine demeure une préoccupation. Bamako, sans doute proche du million d’habitants en 1992, croît plus rapidement que ne le laisserait penser le dernier recensement. Elle n’a pas bénéficié des investissements qui ont marqué certaines autres capitales africaines. (…) tout le centre, vieilli et inadapté, est à refaire (…) on note un développement considérable de l’informel qui envahit les trottoirs du centre et l’accroissement des activités agricoles dans la capitale. »

« Autre signe de pauvreté, la situation catastrophique du système scolaire. Avec un taux de scolarisation de 22 %, on est loin du rêve de l’éducation pour tous. D’autant que les taux baissent et que la situation se dégrade. L’enseignement fondamental est même le parent pauvre de l’éducation, les gouvernements ayant accordé plus d’attention à l’enseignement supérieur et à la formation des cadres. Là encore se manifeste la priorité de fait donnée aux habitants des villes sur les paysans. La privatisation s’étend aussi à ce secteur. »

« L’irrédentisme touareg est ancien, il n’est d’ailleurs pas propre au Mali, mais il a été exacerbé par la façon dont ce peuple a été traité depuis l’indépendance. »

« Le Mali entre en démocratie et la transition s’est faite plutôt mieux qu’ailleurs. Après une longue période où l’État sous ses diverses formes (coloniale, socialiste, militaire) était omniprésent, mais souvent peu efficace, c’est bien à présent la reconstruction de l’État qui est prioritaire. »

« Les pays occidentaux feront sans doute un effort financier pour consolider la jeune démocratie, mais il faudra bien que celle-ci trouve progressivement en elle-même ses moyens de fonctionner. Or, dans la période actuelle, l’impôt ne rentre plus, et paysans ou pêcheurs ont tendance eux aussi à rejeter les interventions de l’État. Il s’agit dont aussi de restaurer l’autorité de l’État. »

Ainsi, entre 2008 et 2013, des pays comme la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Mali, le Burundi ou le Burkina Faso ont stagné et leur rang de classement est resté le même. D’autres, en revanche, ont nettement chuté, comme le Sénégal qui a perdu six places au cours de ces cinq années, tout comme Madagascar ou Djibouti qui ont régressé chacun de trois places. Plusieurs enfin, sont également sur une pente descendante, quoique moins accentuée. C’est le cas du Bénin, de la Mauritanie, du Congo, de la Guinée, qui perdent chacun deux places et, dans une moindre mesure, du Niger, du Togo ou de la République centrafricaine, qui ont reculé d’une place. Au total, sur les années 2008-2013, seuls parmi les pays d’Afrique francophone, la RDC et le Tchad, + un rang chacun, le Cameroun, + deux rangs, et surtout, le Rwanda, + dix-sept places, voient leurs positions s’améliorer, parfois très modérément, sur l’échelle mondiale du développement. (81)

La comparaison faite avec quelques pays anglophones montre des trajectoires plutôt plus favorables dans leur cas que dans celui des pays francophones. Ainsi, sur la même période 2008-2013, le Botswana et l’Afrique du Sud ont progressé de deux places, la Namibie et le Liberia de trois. Quelques-uns stagnent, tels la Sierra Leone ou le Malawi, certains régressent, comme la Gambie ou l’Ouganda, de quatre places l’une et l’autre, cependant que d’autres sont en net progression : Tanzanie, + cinq places, Zambie, + sept, ou Zimbabwe, + seize.

Si l’on affine la focale, on remarque sans trop de surprise que les pays sahéliens sont tous en queue de peloton et cela seul permet de ne pas faire de l’appartenance à l’aire linguistique francophone le facteur explicatif de leurs mauvais classements : leurs conditions naturelles particulièrement défavorables, leur enclavement, les handicapent considérablement pour sortir de la « trappe du sous-développement » dans laquelle ils sont, pour reprendre une expression popularisée ces dernières années. Cela permet de souligner que la distinction entre pays francophones et pays anglophones n’est pas particulièrement pertinente : les processus de développement dans l’ensemble des pays francophones sont variés, tout comme ils le sont dans les pays anglophones. Les uns et les autres se sont émancipés par rapport à des histoires coloniales propres, il y a eu des trajectoires individuelles, des réussites et des échecs dans des pays francophones comme dans des pays anglophones, et cela invite à s’intéresser aux contextes et réalités locales réellement explicatifs. Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France en RDC, président du GRET (82), considère à ce propos que la distinction avec les pays anglophones n’est en rien pertinente et qu’il n’y a aucune similitude dans les processus dans l’ensemble des pays francophones de la même manière qu’il n’y en a pas non plus entre les pays anglophones. Il y a eu des réussites francophones et anglophones, et des échecs anglophones comme francophones. Jean-Marc Châtaignier, alors directeur-général adjoint de la mondialisation, des partenariats et du développement au MAEDI et ancien ambassadeur de France à Madagascar (83), soulignait pour sa part qu’il y a en fait plusieurs Afriques, des pays, des populations, des modes de vie extrêmement différents, y compris au sein de l’Afrique francophone.

Un constat en 2007 : « Le grand bond en arrière de l’économie centrafricaine » (84)

D’un tissu industriel qui n’a jamais été très fourni, il ne reste plus que des lambeaux : une brasserie, une usine de contreplaqué et des sociétés forestières – toutes étrangères – qui, depuis l’assainissement du secteur en 2003, emploient 5 000 travailleurs permanents et autant de temporaires, soit la moitié de l’ensemble de la main d’œuvre du secteur formel de l’économie (…). L’État (…) tire à présent 18 % de ses recettes de la filière bois, plus que du secteur minier en déliquescence. En 2005, la RCA n’a produit que 5kg d’or, alors que sa richesse phare – le diamant de joaillerie – s’est affaissée autour de 400 000 carats par an, deux tiers de la production d’il y a 30 ans. Du moins est-ce le chiffre des exportations officielles. En raison d’une importante contrebande, trois fois plus de gemmes centrafricaines (1 200 000 carats) arrivent en effet à Anvers. (…) la filière coton n’est guère en meilleur état : en 2006, seulement 3 500 tonnes de coton-graine ont été exportées, une petite fraction des 50 000 tonnes produites dans les années 1970, sans parler des 200 000 tonnes récoltées en 2006 au Tchad voisin. La culture du café est également devenue marginale, chutant de 15 000 tonnes par an à moins de 3 000 tonnes issues de petites plantations familiales. Ainsi, les principales sources de monétarisation du monde rural se sont-elles taries.

En même temps, l’agriculture vivrière n’est guère plus qu’un moyen de subsistance. En raison d’une insécurité devenue endémique, qui rend périlleuse toute tentative de commercialisation, les paysans n’évacuent plus leurs produits – à tel point que Bangui importe des oignons et des mangues, dont la RCA regorge, depuis le Cameroun. C’est également dans ce pays voisin que se sont réfugiés, avec leurs troupeaux, les éleveurs de bétail, souvent des Peuhl. Les pasteurs se plaignent de l’insécurité due aux coupeurs de route, les zaraguina, non seulement des vols de bétails, mais du chantage avec enlèvements d’enfants. Le déclin des infrastructures de transport, constant depuis l’indépendance, fait le reste. (…) L’ancien premier ministre d’un éphémère gouvernement d’union nationale en 1996, Jean- Paul Ngoupandé, à présent conseiller spécial du président Bozizé, résume la situation à l’intérieur du pays comme « le retour à une vie précoloniale ».

(…) En raison de la vétusté de l’aménagement hydroélectrique des chutes de Boali, qui fonctionne jour et nuit avec du matériel inchangé depuis 1976, l’énergie centrafricaine ne produit que 18 MW, alors que la capitale en consomme au moins 22 MW. Pour l’eau, la desserte à Bangui est même inférieure à la fraction des ménages ayant accès à l’eau courante dans l’arrière-pays : 22 % en milieu urbain, contre 34 % en milieu rural. (…) C’est un indicateur de la faiblesse du pouvoir d’achat dans un État où, à l’été 2007, les arriérés cumulés dans la fonction publique, qui emploie quelque 20 000 agents, s’élevaient à 33 mois. Quant aux pensions et retraites, leurs impayés se comptent désormais en trimestres : dix-sept, pour le moment, soit plus de quatre ans.

Ces différences invitent à la prudence dans les analyses. Il y a une Afrique émergente ou pré-émergente, une Afrique fragile, à l’ouest, au Sahel ou en République centrafricaine. En outre, de très grandes différences se voient aussi au sein d’un même pays, comme en RDC ou au Nigeria qui connaissent l’un l’autre des évolutions internes diverses. Des ruptures de rythmes de développement se constatent aussi, entre l’Afrique de l’ouest, laissée pour compte, avec son cortège de guerres, de maux, dont le dernier est Ébola, et toute l’Afrique de l’est qui tend à décoller aujourd’hui grâce au pétrole et au gaz, et à l’essor des classes moyennes. Du fait de son positionnement géopolitique, l’Afrique francophone est malheureusement aujourd’hui surtout en lien avec les groupes mafieux mondialisés, de tous types, et consécutivement, avec de nombreux maux : tous les trafics possibles, piratages, djihad, etc.

Nombre d’experts mettent en avant un faisceau de facteurs qui relèvent en partie aujourd’hui de l’histoire mais ont durablement marqué les pays du continent et ont pu jouer sur les modèles de développement ultérieurement choisis. Sans qu’il soit question de battre une nouvelle fois sa coulpe ni de survaloriser cet aspect, on ne peut ignorer l’héritage culturel colonial et postcolonial, les processus de décolonisation différents. Les problématiques démographiques sont également différentes et jouent fortement sur les questions économiques, dans la mesure où, à l’exception de la RDC, les pays africains les plus peuplés sont tous anglophones : leur poids économique est par conséquent mécaniquement supérieur, de même que les possibilités qu’offre la taille de leurs marchés intérieurs.

B. L’AFRIQUE FRANCOPHONE, ZONE DE TEMPÊTES

L’ONU et la France sont particulièrement engagées en Afrique au titre des opérations de maintien de la paix. Sur les seize que conduit l’ONU aujourd’hui, neuf sont sur le territoire africain, dont quatre dans des pays francophones. Les OMP prennent une part de plus en plus importante dans les activités de l’ONU ce qui témoigne à la fois de la gravité croissante des crises mais aussi de l’engagement constant des Nations Unies.

S’agissant des effectifs, alors que les Casques bleus étaient 12 000 en 1996, et 20 000 en 2000, ils sont au nombre de 122 000 personnels civils et militaires aujourd’hui, dont 25 000 pour la MONUSCO (République démocratique du Congo), 9 626 pour l’ONUCI en Côte d’Ivoire, 9 321 pour la MINUSMA au Mali, 7 912 pour la MINUSCA en République centrafricaine.

Ces opérations sont de plus en plus complexes. Les mandats de certaines missions ont été durcis depuis leurs créations. Les opérations comportent aussi de plus en plus de dimensions civiles : construction d’un État de droit, protection des droits de l’Homme, soutien au processus politique, assistance économique et humanitaire, processus de désarmement, démobilisation et réinsertion, réforme des secteurs de la sécurité, assistance au processus électoral…

Sur le plan financier, le budget de l’ensemble des OMP n’a cessé de croître, passant de 840 millions de dollars en 1998 à 7 milliards de dollars.

La France, et c’est à son honneur, contribue fortement à cet engagement. Sur le plan financier, sa part en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, est supérieure à celle des autres membres ; elle représente 7% du budget, soit 490 millions de dollars. Mais, surtout, elle est souvent à l’initiative, sur le plan diplomatique, au titre de sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité, mais aussi au titre de son expérience du terrain et du fait de l’efficacité de son armée qui est l’une des rares à pouvoir « entrer en premier » sur un champ de bataille et créer les conditions d’un rétablissement de la sécurité, étape souvent indispensable avant le déploiement des Casques Bleus. Car, pour important que soit l’engagement de l’ONU, celui-ci est à la fois toujours trop lent et jamais assez efficace pour rétablir la paix dans des situations de conflit d’une certaine intensité. L’actualité des dernières années a démontré à plusieurs reprises cette réalité qui fait que les acteurs d’un conflit se tournent volontiers vers la France dans ce type de circonstances. Pour avoir eu l’occasion de s’entretenir avec de nombreux interlocuteurs au siège de l’ONU à New York, dans le cadre d’une mission de la commission des affaires étrangères, votre rapporteur sait à quel point l’investissement de la France est fort et apprécié.

La France est particulièrement engagée dans les pays francophones ; ces dernières années notamment, en Côte d’Ivoire, au Mali et en RCA. Chacune de ses interventions dans ces trois pays a été un succès du point de vue du rétablissement d’un climat de sécurité. Sans ces interventions, quelle serait la situation de la Côte d’Ivoire, du Mali ou de la RCA ?

Votre rapporteur ne reviendra pas longuement sur ces réussites incontestables de la politique africaine de la France, d’abord parce que ces réussites sont justement incontestables et n’appellent pas de longs commentaires, mais aussi parce qu’il est tout aussi important de mesurer toute l’étendue des risques qui menacent l’Afrique aujourd’hui et de se pencher sur deux autres dimensions : en amont, la prévention des conflits, et en aval, le rétablissement d’une situation de paix complète.

1. L’Afrique, continent troublé depuis les indépendances

Un rapide survol de l’histoire du continent montre aisément que l’Afrique non francophone a également, et longtemps, souffert de crises politiques parfois très violentes et de plus ou moins longue durée et qu’il n’y a pas de « fatalité francophone ».

Il suffit pour s’en convaincre de rappeler les deux millions de morts de la guerre du Biafra à la fin des années 1960 au Nigeria, jamais stabilisé jusqu’à aujourd’hui, marqué par d’innombrables coups d’État et une alternance de rébellions tant au nord qu’au sud, les guerres civiles du Liberia, entre 1989 et 1996 puis entre 1999 et 2003, celle de Sierra Leone, de 1991 à 2002, ou de Guinée Bissau (1998-1999), ainsi que les tensions internes que connurent, voire connaissent encore, des pays comme le Soudan – qui a connu de multiples conflits depuis son indépendance, dont la plus longue guerre civile africaine, terriblement meurtrière – le Zimbabwe, le Kenya ou l’Ouganda, pour ne pas parler de la Somalie. Cela étant, même si un coup d’œil sur l’Afrique de l’Ouest depuis une quinzaine d’années met en évidence une zone dans laquelle les conflits sont d’une particulière intensité, on peut souligner aussi que la plupart des pays, sauf la Guinée Bissau, avaient obtenu leur indépendance de manière pacifique et que, mise à part la guerre du Biafra, il n’y avait pas eu de conflit dans les années 1960-1970. Sur la dernière période en revanche, il y a à la fois une flambée de la violence et des conflits, ainsi qu’une poussée de l’extrémisme religieux, porteuses d’inquiétudes pour l’avenir, en ce que cette situation peut contribuer à renforcer la fragilisation de la région. Cela se produit aussi à un moment où la croissance économique de la sous-région est parmi les plus élevées du continent.

Ces quelques cas parmi bien d’autres montrent que, d’une manière générale, l’histoire de l’Afrique depuis les indépendances est traversée de nombreuses tensions et crises, dont les causes, internes comme externes, sont multiples. Des pays qui donnent aujourd’hui une image de stabilité démocratique, comme le Ghana, ont eux aussi connu des périodes troublées avant de trouver l’apaisement et d’entrer dans une voie démocratique. Rares sont ceux qui ont échappé aux crises politiques, quelques formes qu’elles prennent. Parmi ceux-ci, le Sénégal figure au rang des exceptions, suivi désormais, depuis plus de vingt ans, du Malawi et de la Zambie.

Il n’est pas inutile de relever qu’on a d’ailleurs tendance à retenir l’image d’un degré particulier de violence qui contribue à donner au continent une singularité dont il se passerait aisément, qui lui vaut de manière à peu près systématique qu’on lui associe les qualificatifs infamants de « génocide », « purification ethnique », « guerre tribale » et autre « crise humanitaire ». Carlos Lopes (85) fait ainsi remarquer que cette image négative de l’Afrique est quelque peu exagérée, dans la mesure où il y a plus de conflits et de piraterie en Asie qu’en Afrique. De même, la crise sanitaire d’Ébola n’a-t-elle affecté qu’1 % de l’économie africaine, ce que pèsent les trois principaux pays touchés, mais l’imaginaire collectif y a associé l’ensemble du continent, alors que 99 % de l’Afrique n’étaient pas touchés, ou que l’épidémie était arrivée plus facilement à Madrid ou aux États-Unis que dans n’importe quelle capitale africaine, fut-elle proche…

2. Les pays d’Afrique francophone dans la tourmente depuis plus de quarante ans

Les anciennes colonies françaises n’ont donc rien eu à envier aux portugaises – Angola et Mozambique, – belges – Rwanda, Burundi ou Congo -, britanniques – Nigeria, Ouganda et Sierra Leone : à divers moments de l’histoire récente, les unes et les autres ont connu des crises politiques qui ont d’ailleurs fréquemment commencé par des modalités violentes d’accession à l’indépendance, souvent extrêmement brutales, que ce soit par leur durée ou par le nombre de victimes qu’elles ont provoquées. En revanche, dans l’espace francophone d’Afrique subsaharienne, il n’y a guère qu’au Cameroun et, plus tôt, à Madagascar, que l’indépendance a été acquise dans l’affrontement violent avec la France.

a. Des crises innombrables

Au milieu de la décennie 1960, certains observateurs (86) estimaient que les régimes mis en place au lendemain des indépendances, souvent autoritaires, ont connu dans l’ensemble une longévité certaine. On jugeait que la loi-cadre, – la « loi Defferre » de 1956 – avait permis tant bien que mal et surtout « sans troubles majeurs, sans maquis, sans affrontements autres que pacifiques à la tribune du Parlement français », la mise en place de treize gouvernements et des institutions étatiques correspondantes. On remarquait que des coopérations et des solidarités régionales tentaient aussi, certes difficilement, de se mettre en place, cf. le Conseil de l’Entente entre la Côte-d’Ivoire, la Haute-Volta, le Dahomey et le Niger et, malgré les échecs, cf. celui de la Fédération du Mali, on relevait une volonté d’aller de l’avant, autant que possible ensemble. De sorte que, même si « l’Afrique de l’ancienne mouvance française a été secouée, en six ans d’indépendance, par bien des tempêtes et des complots, (…) par comparaison avec d’autres territoires au sud du Sahara, ou avec tant de jeunes États arabes ou asiatiques, elle n’est pas tellement « mal partie ». Le chaos congolais, l’horrible guerre du Vietnam, les déchirements internes du Yémen ou du Nigéria, l’affrontement racial de Rhodésie, l’incertitude troublée de l’Angola ou du Mozambique, les conflits périodiquement renaissants entre l’Inde et le Pakistan, les massacres d’Indonésie, lui ont été épargnés. » Le tableau s’est néanmoins assombri assez rapidement.

Pour se limiter à la période qui a suivi les indépendances et à l’Afrique subsaharienne, et en considérant l’aire francophone au sens large, un relevé des conflits et violences qui ont émaillé les cinquante dernières années présente un tableau édifiant.

Rares sont en effet les pays d’Afrique francophone qui n’ont en effet pas connu de crises politiques et sécuritaires : des guerres civiles ont éclaté dans l’actuelle RDC (1960-1965, de nouveau de 1977 à 1983 et enfin de 1996 à 2003), au Tchad, à partir de 1965 et jusqu’en 1994, à Djibouti entre 1991 et 1994, au Congo (1996-1999) et enfin en Côte d’Ivoire, au tournant des années 2000. Des guerres ou violences ethniques ont endeuillées le Rwanda à diverses reprises (1959-1966, puis 1990-1994 ; fin des années 1990), le Burundi (1965, 1972-1973, en 1988 puis 1993-2001), le Congo en 1993, l’actuelle RDC en 1984, entre 1993 et 1996. Dans un ordre d’idées proche, le Mali a connu des rebellions touareg en 1962-1963, puis de nouveau dans les années 1990-1995, comme son voisin nigérien. Des violences civiles ont eu lieu au Cameroun et au Zaïre dans les années 1960, de nouveau au Cameroun dans les années 1980, en République centrafricaine au début des années 2000. Les affrontements interétatiques ont été plus rares : en plus des très brefs conflits frontaliers qui ont pu opposer des pays comme le Mali et le Burkina Faso, en 1974 puis à la fin de l’année 1985, ou encore la Mauritanie et le Sénégal, en avril 1989, on peut aussi signaler ceux ayant opposé le Burundi au Rwanda entre 1962 et 1964, l’Angola au Zaïre dans les années 1977-1978, la Mauritanie au Sénégal à la fin des années 1980, le Tchad à la Libye (1978-1987), ou encore le différend entre le Cameroun et le Nigeria autour de la presqu’île de Bakassi à partir du milieu des années 1960. Enfin, à la différence de ce que l’on a pu constater dans d’autres régions, les conflits à visée sécessionniste sont quasiment absents du tableau, puisqu’il n’y a guère que celui de la Casamance au Sénégal, depuis les années 1980 que l’on puisse considérer comme tel.

Ce relevé rapide donne néanmoins un aperçu éclairant : les pays de la zone francophone d’Afrique qui n’ont pas connu de situation de conflits de quelque nature et ampleur que ce soit sont peu nombreux, surtout si on y ajoute les coups d’État et crises de gouvernance.

b. Ni l’Afrique de l’ouest ni l’Afrique centrale ne furent épargnées

S’agissant de l’Afrique de l’ouest, le Sénégal est le seul pays qui soit totalement exempt de coups d’État ou de tentatives à un moment ou un autre de son histoire. Il a non seulement fait preuve d’une grande stabilité mais les transitions s’y sont déroulées sans heurts majeurs, et une volonté de libéralisation de la vie politique, a très tôt favorisé la liberté d’expression, l’éclosion de mouvements politiques et syndicaux. Il en est allé tout autrement dans les autres pays.

En janvier 1963, au Togo, le président Eyadéma arrive au pouvoir en renversant Sylvanus Olympio ; il restera au pouvoir jusqu’à son décès et son fils, Faure Ngassingbé, prendra sa succession en 2005 aux termes d’élections largement contestées et suivies de violences graves ayant fait des centaines de tués. AuBénin voisin, c’est le président Kérékou qui est renversé en 1972. En 1968, au Mali, qui avait connu des troubles dans son septentrion dus à la rébellion touareg, Moussa Traoré renverse Modibo Keïta, au pouvoir depuis 1960, et est lui-même défait en 1991 par le général Amadou Toumani Touré, qui inaugure ainsi le premier de ses mandats, et sera victime à son tour en 2012 du coup d’État fomenté par le capitaine Sanogo à la faveur de la poussée djihadiste. À l’Est, le Niger connaîtra également à plusieurs reprises des tensions internes de même type : après un premier coup d’État de Seyni Kountché en 1974 contre le président Hamani Diori, suivra une longue période de stabilité mais les années 1990 seront houleuses, la période de démocratisation étant marquée par plusieurs coups d’État : renversement de Mahamane Ousmane par Ibrahim Baré Maïnassara en 1996, lui-même défait trois ans plus tard par Daouda Malam Wanké. Salou Djibo a enfin renversé le président Mamadou Tandja en 2010.

Les années 1980 au Burkina Faso sont particulièrement agitées : après un premier coup d’État en 1980, suivront ceux de 1982 puis d’août 1983, qui voit l’arrivée au pouvoir de Thomas Sankara, lui-même éliminé quatre ans plus tard par son compagnon d’armes Blaise Compaoré qui devra lui-même quitter le pouvoir, renversé par la rue à la fin de 2014, après que son régime ait eu à connaître nombre de soubresauts sur les dernières années, cf. les manifestations violentes de la population des années 2003, 2006, 2007, 2008 et 2011 (87).

En Mauritanie, après une longue période de régime à parti unique, avant même l’ouverture à la démocratisation, la fin des années 1970 sera également difficile : deux coups d’État successifs auront lieu en 1978 et 1979, un troisième en 1984. Le début des années 2000 sera à peine plus calme, qui verra le renversement du président Maaouiya Ould Taya en 2005 puis celui du président Abdallahi en 2008 par le général Mohamed Ould Abdel Aziz. Après une longue période de dictature à partir de l’arrivée au pouvoir de Lansana Conté en 1984 qui renverse le Président de la République en place, la Guinée inaugure une période de troubles violents en 2008 lorsque le capitaine Camara suspend la constitution et toutes les institutions républicaines. De son côté, le modèle ivoirien s’est effondré en 1999 avec la prise de pouvoir par Robert Guéï contre Henri Konan Bédié qui a marqué le basculement du pays dans le chaos, dont il sort aujourd’hui difficilement après les épisodes que chacun a en mémoire.

En Afrique centrale, le bilan n’est pas bien meilleur. Comme on l’a souligné, l’histoire contemporaine du Tchad n’est qu’une longue suite de guerres civiles depuis le milieu des années 1970 : François Tombalbaye est renversé en 1975, Goukouni Oueddei prend à son tour le pouvoir par la force en 1979, avant d’en être chassé par Hissen Habré trois ans plus tard. Il est à son tour renversé en 1990 par Idriss Deby, dont la présidence a elle-même connu des périodes de très vives tensions, la dernière en 2008, véritable guerre civile, ayant failli lui être fatale. La République centrafricaine est également un pays dans lequel les troubles politiques se succèdent de manière continue : renversement de David Dacko en 1966 par Bokassa qui inaugurera la période que l’on sait, jusqu’en 1979. Dacko, de nouveau au pouvoir à partir de 1979 sera défait deux ans plus tard par André Kolingba ; en 2003, Ange-Félix Patassé est renversé par François Bozizé, lui-même renversé par Michel Djotodia en 2013. L’actuelle République démocratique du Congo a débuté la longue période d’instabilité politique qu’elle connaît dès le milieu des années 1960 avec l’arrivée au pouvoir de Mobutu Sese Seko en 1965 par un coup d’État. Il maintiendra le pays sous la dictature jusqu’à ce que Laurent-Désiré Kabila ne l’en dépossède en 1997 avant d’être assassiné en 2001 et remplacé par son fils, toujours au pouvoir aujourd’hui. Sur son flanc est, depuis une cinquantaine d’années, le Burundi vit au rythme d’un coup d’État tous les dix ans : le premier a lieu en 1966, son auteur étant à son tour renversé en 1976 ; Pierre Buyoya le défait en 1987, avant d’être l’auteur d’un autre putsch en 1996 contre le président Sylvestre Ntibantunganya. S’il n’y a pas eu d’autre coup d’État depuis, on sait que la situation politique interne est loin d’être sereine. Toutes choses égales par ailleurs, le Rwanda, avant le génocide qui l’a marqué en 1994, était lui aussi sujet à des troubles politiques internes qui s’étaient traduits par l’arrivée au pouvoir du président Habyarimana par un coup d’État en 1973. Au Congo, Marien Ngouabi, arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1967 est renversé dix ans plus tard. En 1979, Denis Sassou Nguesso accède à la présidence de manière violente, puis une seconde fois en 1997 après la guerre civile qui l’oppose au président Pascal Lissouba.

Enfin, l’Afrique francophone de l’océan indien n’est pas non plus épargnée : les Comores ont vécu à partir du milieu des années 1970 une succession de coups d’État militaires : 1975, 1976, 1978, reprise dans les années 1990 : 1995 et 1999. Madagascar sort aujourd’hui d’une longue période d’instabilité ouverte en 2009 à la fin du mandat du président Ravalomanana.

Au total, on compte pas moins d’une cinquantaine d’épisodes de prises de pouvoir de manière violente dans les pays d’Afrique francophone, sur une période également d’une cinquantaine d’années, et il n’est pas une décennie qui n’en ait été totalement indemne.

3. L’Afrique francophone plus que jamais au cœur des préoccupations

Un focus sur quelques cas particuliers permettra de situer l’ampleur du problème, et d’illustrer la problématique de l’articulation entre développement et stabilité.

a. L’Afrique centrale dans la tourmente…

S’agissant des questions de stabilité interne, un certain nombre de préoccupations justifient de maintenir un regard attentif. Si des pays comme le Tchad, qui ont longtemps eu des problèmes internes sérieux, paraissent aujourd’hui stabilisés, c’est son cas depuis 2008, il n’en reste pas moins que les défis restent importants : problèmes de développement, environnement régional fortement instable, auxquels s’ajoutent des menaces externes importantes, parmi lesquelles Boko Haram, la situation au Darfour, la crise du sud libyen, celle du Soudan du Sud ou la République centrafricaine. Les exemples sont nombreux de pays de la région cumulant les handicaps : la République centrafricaine et la République démocratique du Congo notamment, sur lesquelles on reviendra plus particulièrement.

Pour Thierry Vircoulon, directeur du projet « Afrique centrale » de l’International Crisis Group (88), on constate surtout dans cette région une cyclicité des crises à la racine de laquelle se retrouve toujours le même système de gouvernance basée sur la rente et la gérontocratie. Au demeurant, les indicateurs de gouvernance dans les différents pays de la région montrent une évolution la plupart du temps négative, quels que soient les critères pris en compte, de sorte que l’on est dans une logique de déclin.

i. Le cas emblématique de la République centrafricaine

L’opération Sangaris, décidée en quelques heures par le Président de la République, a permis d’éviter que la RCA ne sombre dans le chaos d’une guerre civile et de mettre en place des autorités de transition. Grâce à cette décision courageuse et à l’efficacité des forces françaises, la population de Bangui a échappé au pire.

Une opération de maintien de la paix ambitieuse, la mobilisation des pays africains et celle des ONG et des bailleurs internationaux, témoignent que la République centrafricaine n’est plus totalement abandonnée à son sort par la communauté internationale et c’est évidemment une excellente chose.

Cependant, il convient de mesurer toute la difficulté de la tâche qui est encore largement devant nous.

La catégorie « État failli » utilisée ces dernières années pour les situations les plus désespérées ne suffit peut-être pas pour qualifier la République centrafricaine, et l’ICG n’hésitait pas, dès 2007, à employer le terme d’« État fantôme » à son endroit : « La République centrafricaine est pire qu’un État failli : elle est quasiment devenue un État fantôme, ayant perdu toute capacité institutionnelle significative, du moins depuis la chute de l’Empereur Bokassa en 1979. » (89) Cet État fantôme hante un territoire supérieur à celui de la France sur lequel vivent, ou plutôt survivent, quelque 4,2 millions d’habitants, selon les estimations les plus aléatoires en l’absence de données fiables, « les statistiques en République centrafricaine (RCA) étant devenues aléatoires en l’absence de recensements d’un état civil et d’une administration dignes de ce nom, voire de routes, d’écoles et de postes de santé, surtout à l’intérieur du pays. »

De fait, pour s’en tenir à la période postérieure à l’indépendance, le pays n’a vécu qu’une interminable descente aux enfers et l’on voit mal comment il aurait pu en être autrement, compte tenu de l’état d’exploitation et de sous-administration dans lequel le colonisateur l’avait entretenu, qui est venu prolonger, par sa violence, par le travail forcé et le choc microbien, les effets des razzias d’esclaves menées par les États voisins musulmans du XVIIe au XIXe siècle. Il n’est pas indifférent de rappeler que l’on estime que la population devait être de quelque 5 millions d’habitants au XVIIIe siècle mais de moins d’un million en 1940. André Gide et Albert Londres ont écrit l’un et l’autre à quelques années de distance des pages inoubliables sur ces questions en relatant leurs périples sur les rives de l’Oubangui-Chari. (90) Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS, rappelle de son côté (91) que « la colonisation française a été, avec celle du Congo belge, une des plus violentes d’Afrique. Elle a très peu modernisé un pays de faible densité. Le système de traite a dominé avec un niveau très faible d’infrastructures. La scolarisation n’a progressé qu’après-guerre. Le taux de scolarisation était de 1,5 % en 1939 et de 34,5 % en 1958. Périphérie orientale de l’AEF, l’Oubangui Chari était administré de loin par Brazzaville, marginalisé et relié à la côte par les fleuves Congo et Oubangui. »

La longue et sanglante décennie ubuesque de la dictature Bokassa, au pouvoir de 1965 à 1979, inscrira durablement le pays dans les conditions d’un chaos permanent dont les différents acteurs resteront longtemps à la manœuvre. Les Kolingba, Patassé et autre Bozizé, qui « gouverneront » à tour de rôle le pays d’une main tout aussi brutale, sont en scène dès le début des années 1980, sans que notre pays soit jamais bien loin. Pillages, massacres, tribalisation, clochardisation de la population, appauvrissement du pays du fait d’une économie ruinée, contribuent à une dérive que rien ne peut enrayer, surtout pas les multiples mutineries auxquelles se livrent les diverses factions de forces armées au long des années 1990. Les interventions successives de l’armée française seront de peu d’effet, non plus que les tentatives de sauvetage que les voisins de la RCA mettent en place sous l’égide de la France, prémices des opérations onusiennes qui commenceront dès 1998. Rien ne réussira cependant à empêcher la violence, – qu’elle provienne de coups d’État, de répressions sanglantes ou de rébellions -, ni les pillages systématiques et les razzia continues. Les foyers insurrectionnels, notamment dans le nord-ouest du pays ne cesseront d’être entretenus par des mouvements politico-militaires qui attisent les révoltes dans leurs fiefs et finissent par capter la quasi-totalité de la rente politique (92), la rébellion devenant « l’antichambre du pouvoir ». Dès le milieu des années 2000, le Haut Commissariat aux Réfugiés compte plus de 100 000 déplacés dans le nord-ouest du pays, qui ont dû fuir les exactions systématiques qui, des forces armées, qui, des rebelles. S’y ajoutent sur le flanc opposé du pays, la « darfourisation » du nord-est, lointaine périphérie totalement oubliée, contaminée par le conflit aux marches du Soudan avec lequel la République centrafricaine partage quelque 1200 kms de frontières, « contrôlés » par deux postes frontières seulement, à 700 kms l’un de l’autre : « Bangui, distant de près d’un millier de kilomètres, est inaccessible par la route pendant la moitié de l’année, durant la saison des pluies qui s’étend sur six mois et qui coupe cette portion du territoire du reste du pays. Il n’y a aucune route d’accès goudronnée, praticable à tout moment. Dans la Vakaga, il n’existe d’ailleurs plus aucune route bitumée, et guère davantage d’infrastructures sanitaires ou scolaires. L’administration y est réduite à sa plus simple expression. Les fonctionnaires, impayés depuis si longtemps qu’ils se perdent dans le calcul de leurs arriérés, travaillent quand ils peuvent se permettre ce ” service public “, qui a cessé d’être leur gagne-pain. » (93)

Toutes choses égales par ailleurs, comme cela se constatera sur d’autres zones frontalières troublées, par exemple entre l’extrême nord camerounais et le nord-est du Nigeria, sur lesquelles vivent des populations identiques, les mêmes causes – enclavement, marginalité, détérioration des conditions de vie – produisant les mêmes effets, les tensions et conflits s’y s’ont également multipliés et le mécontentement ira peu à peu en se militarisant au long des années 2000.

De son côté, un observateur particulièrement avisé, Didier Niewiadowski, ancien conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France à Bangui, a également décrit (94) comment cette fiction d’État, d’une extrême faiblesse générale et qui a même totalement disparu de certaines régions du pays définitivement livrées à elles-mêmes, dont les pouvoirs publics décrédibilisés ont perdu toute légitimité, a peu à peu laissé s’installer une totale anarchie, dans un contexte de disparition de tout État de droit, où la prédation et l’insécurité se sont imposées dans un système dans lequel règne la loi du plus fort sur une population paupérisée par une économie ruinée, livrée aux prédateurs, dont les structures ont été détruites.

Tout cela pour dire que la crise actuelle particulièrement dramatique qui a suscité la réaction militaire de la France et qui a reçu le soutien unanime de la communauté internationale est tout sauf une surprise. Les racines en sont très profondes, dues à des tensions anciennes que les acteurs en place n’ont cessé d’alimenter avec attention. En ce sens, pour Thierry Vircoulon (95), la crise de la République centrafricaine apparaît comme un modèle, par cette descente aux enfers progressive qui a synthétisé plusieurs crises en une seule : sous-développement inégalitaire entre les régions induisant un ressentiment de la population locale contre le gouvernement central ; crise générale de l’État, avec notamment un délitement des services de sécurité et une insécurité croissante ; économie de trafics en tous genres – diamants, ivoire – aux mains des factions armées (96) et la disparition de l’économie formelle ; cela, dans un contexte de ressentiment religieux croissant depuis des décennies entre chrétiens et musulmans. Si des éléments déclencheurs autour de la fraude électorale lors de la consultation de 2011 ont fait brutalement monter la tension d’un cran sur la dernière période et mené à la crise actuelle, les racines structurelles sont donc installées depuis longtemps, et n’ont pas été traitées à temps, alors que, pour s’en tenir à la période immédiate, à l’orée des années 2010, tous les indicateurs économiques et sociaux du pays étaient déjà ceux de temps de guerre (santé, mortalité infantile, scolarisation, etc.).

Dans un tel contexte, indépendamment du fait que la tenue d’élections régulières et apaisées dans le courant de l’année 2015 semble relever de la gageure, on imagine mal les conditions de la stabilité durable du pays et de son développement réunies sans que les racines de la crise soient enfin traitées. C’est un lieu commun de rappeler que les gouvernements centrafricains n’ont jamais, du moins sur la dernière période, gouverné que Bangui et ses abords immédiats. Or, comme le rappelait récemment un autre rapport de l’ICG (97), l’essentiel se joue ailleurs, dans le reste du pays, et notamment dans les affrontements traditionnels entre communautés d’éleveurs et d’agriculteurs que la crise actuelle à contribuer à exacerber, et qui ne cesseront de contribuer à déstabiliser le pays s’il n’y est pas apporté de solution. Victimes de représailles car assimilés à la Seleka, de très nombreux pasteurs se sont réfugiés au Tchad et sur le flanc est du Cameroun, et ces déplacements forcés ont eu d’ores et déjà des incidences dramatiques, telles que l’effondrement de la filière élevage, la radicalisation de groupes d’éleveurs et l’interruption de la transhumance entre le Tchad et la République centrafricaine. L’aggravation de ces tensions rurales traditionnelles risque de dériver en une guérilla des plus périlleuse.

ii. L’interminable tragédie congolaise

Plus au sud, depuis le génocide Tutsi au Rwanda de 1994, la région des Grands Lacs est devenue une poudrière dans lequel plusieurs pays sont impliqués et/ou affectés par ricochets. C’est notamment le cas de la République démocratique du Congo, qui n’a cessé d’être la proie de tentatives de déstabilisation sur son flanc est.

L’ONU y est engagée depuis déjà de très longues années. Il serait fastidieux de rappeler toutes les péripéties auxquelles la MONUSCO a été confrontées avec des moyens militaires souvent insuffisants pour qu’elle puisse remplir convenablement son mandat. Récemment, néanmoins, les Casques bleus ont marqué des points importants contre les milices qui mettaient le nord du pays à feu et à sang grâce à la création d’une force robuste capable de mener de véritables opérations de guerre. Cependant, cet investissement conséquent ne peut à lui seul créer les conditions d’une paix durable.

Il faut rappeler que la région des Kivu a tout d’abord été le terrain d’affrontements interminables entre forces ougandaises et rwandaises dont les populations locales ont été victimes de dommages collatéraux, si ce n’est directs, tant les pertes ont été effroyables : Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France en RDC et aujourd’hui président du GRET et chercheur associé à l’IRIS, rappelait ainsi (98) que, selon les rapports de l’ONU, il manquait aujourd’hui plus de cinq millions de Congolais (99). Des massacres ont eu lieu en maints endroits de la région, comme à Kisangani, où des centaines de milliers de civils ont été tués en marge des combats opposant alors le Rwanda à l’Ouganda en lutte pour l’appropriation des diamants, car, qu’il s’agisse ou non d’un « contre-génocide » contre les civils ou réfugiés Hutus, l’ampleur considérable des crimes contre l’humanité qui ont été commis a aussi pour cause la gestion des ressources minières de ce pays : « Le Congo se retrouva alors sous plusieurs tutelles : celle de ses nouveaux alliés et celle des anciens qui du Rwanda continuaient de prélever les ressources du Kivu (20 millions de dollars par mois partirent vers Kigali en 1998). Les zones occupées furent systématiquement dépouillées de leurs ressources. Les stocks de minerais, mais aussi de café, de bois, le bétail et les fonds qui se trouvaient dans les territoires conquis furent transférés vers les deux pays alliés, le Rwanda et l’Ouganda, ou bien exportés sur les marchés internationaux par les ” hommes forts ” des régimes en place. La ” convoitise ” était si pressante que les Rwandais et les Ougandais, pourtant associés, en vinrent en août 1999 à se battre férocement à Kisangani dans une débauche de tirs de mortiers et de combats au corps à corps qui n’avaient d’autre motif que le contrôle des diamants de la région. La contrebande du Mandrax (Quaalude), en provenance d’Inde et à destination de l’Afrique du Sud, a également servi à acheter armes et munitions pour poursuivre les combats au Congo. Pour les nouveaux petits despotes, spéculateurs, aventuriers, mercenaires, la persistance de l’insécurité devint le moyen principal d’enrichissement. Puis, le mode de prédation qui reposait sur le prélèvement des stocks changea. L’on passa progressivement à une phase plus systématique d’extraction et d’exploitation directe des ressources par des commandants, se changeant pour l’occasion en petits entrepreneurs, prenant la haute main sur les mines et les circuits. Une économie de guerre s’est organisée. Elle est toujours présente. En octobre 2003, le dernier soldat rwandais s’est retiré du Congo. Mais la présence rwandaise dans l’Est n’a jamais cessé, appuyant l’action de groupes armés violents, à l’instar du M23, qui revendiquent d’éradiquer les derniers génocidaires hutus encore cachés dans les collines du Kivu. » (100)

D’une manière plus générale, au-delà du seul cas congolais, tous les pays africains qui ont connu des conflits ont tendance à en connaître d’autres, amplifiés par le financement des activités criminelles qui alimentent l’instabilité. En cela, la problématique de la convoitise, particulièrement nette dans l’est de la RDC, est prégnante, sur la base de déterminants qui se retrouvent fréquemment, comme on l’a également vu dans le cas de la République centrafricaine : existence d’une économie minière artisanale autour de ressources très recherchées aujourd’hui, comme le coltan, le tungstène et d’autres minerais, que différents groupes armés contrôlent, favorisant en retour la récurrence de conflits. Depuis les années 1990, cela n’a jamais été éradiqué. Avec le temps, la destination des trafics change, de nouveaux canaux se sont ouverts vers l’Asie par exemple, mais les mêmes méfaits continuent de terroriser les populations. Les moyens pour lutter contre cela sont insuffisants : les quelque 20 000 Casques bleus positionnés dans l’extrême est de la RDC peuvent difficilement lutter contre une rapacité de plus en plus féroce.

De manière plus classique, d’autres ressources naturelles sont également susceptibles de raviver des tensions déstabilisatrices pour la RDC. Ainsi en est-il des gisements pétroliers dans l’est du pays, avec les réserves découvertes ces dernières années autour du Lac Albert, sur la frontière avec l’Ouganda, avec lequel les relations ne sont pas les meilleures ; ainsi en est-il aussi au sud du pays, avec l’Angola, en ce qui concerne actuellement l’off-shore, sujet de discorde tendue entre les deux pays, qui pourraient s’aggraver, notamment, et l’on estime que « des réserves potentielles de pétrole chevauchant les frontières du pays avec l’Ouganda, l’Angola et éventuellement d’autres voisins pourraient raviver d’anciennes querelles frontalières une fois les explorations entamées. Dans un contexte général de ruée vers l’or noir en Afrique centrale et orientale, l’absence de frontières clairement délimitées constitue un sérieux péril pour la stabilité régionale. » (101)

Ainsi pourrait-il en être également sur les autres lacs frontaliers de la RDC, dans lesquels des explorations ont lieu depuis longtemps qui laissent espérer des potentialités importantes, sources d’appétits prédateurs à la hauteur des gains espérés.

À ces facteurs connus de déstabilisation, ouverte ou potentielle, s’ajoutent d’autres causes qui font de la RDC l’un des pays de la région les plus fragiles de l’avis de divers interlocuteurs de votre Mission, qui considèrent la gouvernance du pays comme des plus problématique. Le pays est sujet à une très grande fragmentation politique depuis l’ère Mobutu, à des intérêts politiques prédateurs et centrifuges qui n’aident évidemment pas à conforter ses capacités de résistance face au voisinage compliqué du Rwanda, au contraire très structuré, comme à celui de l’Angola sur le sud-ouest. De fait, la stabilité politique interne reste aujourd’hui précaire. En témoigne le fait que de fréquents troubles ont lieu régulièrement, ainsi les émeutes de janvier 2015 qui firent près d’une cinquantaine de tués, principalement dans la capitale, autour de la question de la modification de la loi électorale, sujet brûlant en RDC comme ailleurs sur le continent, qui permettrait au président Kabila de postuler pour un nouveau mandat en 2016. Le Président de la République, François Hollande, avait eu l’occasion en octobre 2012, d’exprimer son point de vue quant à la manière insatisfaisante dont les dernières élections s’étaient déroulées, dont la vie démocratique fonctionnait, en n’hésitant pas à déclarer (102) qu’il avait vis-à-vis de la RDC deux préoccupations, la première étant « la situation dans ce pays, qui est tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition. La seconde, c’est l’agression, dont ce pays est l’objet, venant de l’extérieur, sur ses frontières et notamment au Kivu. »

iii. La situation inquiétante d’autres pays

Les exemples que l’on vient de montrer permettent d’illustrer la situation de fragilité des pays d’Afrique centrale. Ils pourraient être dupliqués et l’on aurait tout aussi bien pu choisir de faire quelques développements sur le Burundi ou sur le Tchad. L’un comme l’autre sont en effet confrontés à des problématiques internes qui sont également porteuses de tensions à venir.

S’agissant du Burundi, des progrès conséquents avaient été enregistrés à la fin des années 2000 en termes de réconciliation interethniques et de démocratisation de la vie politique, grâce notamment à l’inclusion des anciens rebelles au sein des forces armées nationales, et grâce au soutien de la communauté internationale pour la mise en œuvre de l’accord de paix. Ces aspects positifs laissaient augurer que le Burundi était sur la voie d’un réel apaisement, certes semée d’embûches mais néanmoins prometteuse. Cela étant, des crispations et de vives tensions ont resurgi dans les années 2007-2008, qui ont mené le pays à l’impasse politique et institutionnelle et ont fait craindre le retour de dérives ethnicistes dans le débat – que les élections générales de 2010 n’ont fait que confirmer : émergence d’une nouvelle rébellion, entrée dans la clandestinité des Forces nationales de libération et blocage total du dialogue politique entre le gouvernement et l’opposition (103).

La situation n’a depuis lors cessé de se détériorer, sur fond de corruption généralisée, et de problématiques foncières d’autant plus aiguës qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un pays surpeuplé, où la densité est de quelque 400 habitants au km2 et la croissance démographique forte, sur un territoire très restreint, qui doit en outre faire face au retour de centaines de milliers de réfugiés de Tanzanie. On peut craindre que cette situation ne conduise le pays à une impasse durablement dangereuse pour l’avenir, en termes politiques, sociaux, sécuritaires et humanitaires. Pour ne prendre qu’un unique aspect : « La superficie moyenne d’une exploitation agricole est aujourd’hui estimée à moins d’un demi-hectare, renforçant la surexploitation, l’érosion et l’acidification des sols. De surcroit, la destruction massive des écosystèmes risque d’affecter durablement l’équilibre écologique et la sécurité alimentaire. En 2013, le Burundi présentait l’indice de la faim le plus élevé d’Afrique et un taux de malnutrition de près de 75 %. » (104)

Surtout, à très court terme, on ne peut pas ne pas s’inquiéter de la crispation politique qui s’accroît dangereusement à quelques semaines des élections prévues pour le mois de juin prochain, du fait de la volonté du Président Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat malgré une forte opposition interne, tant au sein de son exécutif, que de son propre parti, malgré les prises de position de l’Église catholique et les appels à la raison lancés par Ban Ki-moon. (105) Une forme de fuite en avant risque de conduire le pays au bord de l’abîme une fois de plus, quelques années après qu’il soit sorti exsangue d’une longue et meurtrière guerre civile.

De son côté, si le Tchad a connu une guerre civile meurtrière en 2008, qui a vu les rebelles repoussés in extremis après être entrés dans la capitale et avoir assiégé le palais présidentiel, la situation ne s’est cependant jamais définitivement apaisée. Des troubles ont continué d’avoir lieu l’année suivante, des arrestations d’opposants, accusés de fomenter un complot contre le président Déby ont eu lieu à la mi-2013.

Si l’on ne saurait croire que la situation politique intérieure est aujourd’hui stabilisée, c’est cependant peut-être de ses frontières que le pays doive surtout craindre des impacts sur son devenir. La tension avec son voisin soudanais a longtemps été vive et le conflit du Darfour n’a cessé d’alimenter les crises tchadiennes internes, dont la dernière en février 2008. Si un accord de paix entre les deux pays en janvier 2010 et la reprise des relations diplomatiques a permis un apaisement, voire même une reprise de leur coopération, il n’en reste pas moins que le flanc est du Tchad, éloigné et peu administré, est une zone de fragilité certaine pour N’Djamena. Les frontières sud-ouest avec le Cameroun et le Nigeria sont aujourd’hui gravement fragilisées du fait de la présence de Boko Haram et de la régionalisation du conflit à laquelle il a décidé de prendre part compte tenu des risques majeurs, ne serait-ce que sur un plan économique, que l’extension de la secte au nord Cameroun pourrait représenter pour lui, l’essentiel de ses approvisionnements et exportations transitant par l’axe N’Djamena – Garoua – Douala. Jean-Baptiste Bokam, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense, chargé de la gendarmerie, indiquait même à votre Mission que les camionneurs ne pouvaient d’ores et déjà plus emprunter l’axe Maroua-Kousseri, dans l’extrême nord (106). Au nord comme au sud, la situation de chaos qui prévaut aujourd’hui en Libye et en République centrafricaine est évidemment source de forte préoccupation. Pour ne pas parler, enfin, de la situation dans le Sahel, pour laquelle le Tchad a prêté le concours précieux que l’on sait aux forces françaises lors de l’opération Serval.

b. De difficiles sorties de crise en Afrique de l’ouest

i. Le processus chaotique de la Côte d’Ivoire

La Côte d’Ivoire revient de loin, et il convient de souligner en premier lieu, qu’une guerre civile a été évitée grâce à l’intervention de l’ONUCI et des forces françaises en 2011, qui ont permis, après plusieurs mois de très vive tension et d’affrontements, que l’ancien président Gbagbo laisse le pouvoir au vainqueur de l’élection du 28 novembre 2010, Alassane Ouattara. Ce nouvel épisode traumatisant montrait que la Côte d’Ivoire restait un pays fragile et instable, dont l’apaisement justifiait une attention particulière.

Plus de quatre ans après ce dernier épisode, la Côte d’Ivoire reprend son souffle. Pour certains, les élections de 2015 donneront la clef de la sortie de crise en désignant une équipe gouvernementale légitime pour se charger de la suite des réformes structurelles entreprises, alors même que des signes de fragilités persistent néanmoins (107).

Cependant, sans revenir ici sur les fondements de la catastrophe que la Côte-d’Ivoire a vécue, force est de constater que le processus de sortie de cette crise a été lent, qu’il a subi de multiples aléas au long des années 2000, souffrant de multiples blocages dus au manque de volonté des parties en présence, quels que soient les efforts de la communauté internationale. Il aurait difficilement pu en être autrement après plus d’une décennie de guerre civile et de marasme économique, politique et social, qui ont provoqué des blessures qui seront longues à cicatriser.

Des périodes de très vives tensions ont émaillé cette période, cf. par exemple la rupture du cessez-le-feu de 2004, et les exactions dont les membres de la communauté française ont été victimes. De nombreuses tentatives ont été menées par la communauté internationale pour résoudre le conflit – embargo sur les armes décidé par les Nations Unies, accords de Marcoussis, médiation de la CEDEAO, menée par le président burkinabè Blaise Compaoré, qui aboutit aux accords de Ouagadougou de 2007 – qui contribuèrent à ouvrir la voie à l’élection présidentielle d’octobre-novembre 2010. Cela étant, le président Laurent Gbagbo, refusant de reconnaître sa défaite, fit de nouveau basculer le pays dans un cycle de violence de plusieurs semaines.

Les enjeux auxquels la Côte-d’Ivoire fait face depuis lors consistent en premier lieu à réussir le processus de réconciliation nationale, mené à bien par une Commission « Dialogue, Vérité et Réconciliation » dont les travaux ont longtemps peiné à avancer et à donner des résultats concrets et prometteurs. En parallèle, le rétablissement de la sécurité sur le territoire national s’est effectué dans un contexte tendu, troublé, tout du moins dans les premiers temps, de tentatives d’attentats, de lenteurs extrêmes dans le désarmement des milices et la réinsertion de leurs membres dans la société civile ou dans les forces armées nationales.

Selon un récent rapport de l’ICG (108), dans le Grand Ouest, zone la plus instable du pays, au début de 2014, les tensions communautaires restaient fortes, la réconciliation n’avait toujours pas été lancée. En lieu et place d’un traitement politique et économique des problématiques en jeu dans cette région qui, mise à part la capitale, a été la plus durement touchée par les tensions et les violences, la réponse du gouvernement est restée essentiellement sécuritaire, alors même que la question foncière entre propriétaires autochtones et paysans étrangers qui a présidé dans les années 1990 aux crispations intercommunautaires, n’était pas réglée.

Comme le souligne le dernier rapport du Secrétaire général des Nations Unies relatif à la Côte-d’Ivoire (109), ce n’est finalement qu’au milieu de l’année 2014 que le dialogue politique entre le gouvernement et l’opposition a repris, que des mesures d’apaisement, avec l’élargissement de certains proches de l’ancien président Gbagbo, ont été adoptées, et qu’une commission électorale indépendante a été constituée, chargée de mettre en place le processus électoral pour les élections présidentielles prévues pour le mois d’octobre prochain.

Toutefois, si des améliorations opportunes sont enfin notables, les questions foncières restent un facteur de tensions communautaires et de vifs incidents continuent d’éclater, cependant que des troubles se produisent parfois au sein de certaines unités des forces armées et que le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion tend à trouver ses limites naturelles, faute de débouchés possibles : « Le 4 novembre, l’Autorité du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion (ADDR) a annoncé que quelque 44 000 anciens combattants, dont 3 538 femmes, avaient été désarmés et que le nombre de ceux qui devaient l’être avant le 30 juin 2015 avait été revu et s’établissait à 67 460. Au 1er décembre, selon les statistiques officielles, 27 034 armes, y compris des grenades, et 1 537 engins explosifs avaient été collectés. ». (110) Par ailleurs, des troubles continuent toujours de survenir, comme c’est le cas depuis plusieurs années, sur la frontière sud-ouest du pays, depuis le Liberia.

La toile de fond de la crise ivoirienne réside pour partie dans l’augmentation de la pauvreté depuis les années 1980, dans un contexte de diminution des recettes que le pays tirait de l’exportation du cacao et du café, qui représentaient 20 % de son PIB à la fin des années 1970, et de forte croissance démographique (111), qui ont peu à peu produit les conditions favorables à l’exacerbation des tensions communautaires latentes, à la montée de la xénophobie envers les Burkinabè (112). On imagine mal que le pays puisse retrouver le chemin d’un apaisement durable et consolidé sans que ces problématiques soient traitées en profondeur et fassent l’objet de solutions partagées par les différentes communautés du pays.

Est-il certain, au vu des soubresauts politiques qui agitent actuellement le pays, autour du procès du clan Gbagbo, que la réconciliation politique, premier pas, sans doute, de ce processus, soit en cours, si ce n’est seulement esquissée ?

ii. Le cas préoccupant de la Guinée

Sur le flanc est de la Côte d’Ivoire, la Guinée ne laisse pas d’inquiéter non plus. Cinquante ans de dictature de Sékou Touré (1958-1984) et de Lansana Conté (1984-2008) ont laissé le pays exsangue. Après une tentative de coup d’État d’une brutalité extrême suivie d’une période de plusieurs mois de transition militaire, l’élection d’Alpha Condé, opposant de toujours, à la présidence en 2010, ouvrait une fenêtre d’opportunité pour que le pays prenne enfin un autre chemin. Cinq ans plus tard, la situation sur le plan du développement, de la gouvernance politique et de l’institutionnalisation reste cependant des plus critique. Les indices de développement humain restent particulièrement bas, comme on l’a vu, le pays pointant au 179e rang malgré des richesses naturelles exceptionnelles.

En premier lieu, les clivages ethniques continuent de structurer très fortement les divisions politiques et les risques de dérapage sont toujours très vifs. Le dialogue entre gouvernement et opposition n’a cessé d’être heurté, comme les événements qui se sont produits au long de l’année 2014 l’ont abondamment montré, que ce soit autour de l’organisation des prochaines consultations électorales, sur la question du rôle de la Commission électorale nationale indépendante, CENI, à la légitimité contestée par l’opposition, ou lorsque le Président de la république accusait récemment l’opposition de chercher à provoquer un coup d’État.

Comme le souligne un récent rapport de l’ICG (113), un certain nombre de problèmes subsistent qu’il est urgent de régler au risque de voir s’enraciner les conditions d’une crise particulièrement grave. De nombreux affrontements intercommunautaires ont fréquemment lieu et les risques d’extension à la faveur des élections, faute de dialogue apaisé, sont préoccupants. Cela, d’autant plus que les mauvaises conditions politiques, économiques et sociales aggravent les unes et les autres le contexte général. Comme le souligne le rapport de l’ICG, « il ne se passe pas de semaine sans manifestations locales, de faible ampleur mais parfois violentes, à Conakry ou dans certaines grandes villes, autour de l’accès à l’eau et l’électricité, ou des abus des forces de l’ordre », de sorte que « la routinisation de la violence de rue est bien un problème de long terme pour la Guinée. » Le ralentissement de la croissance en Guinée en 2012 et 2013 s’explique, certes pour partie, par la baisse des investissements dans le secteur minier, essentiel pour un pays aussi richement doté, mais aussi par les mouvements de contestation politiques liés à l’organisation des élections législatives (114). S’y ajoute le fait que les tensions interethniques à vif peuvent être facilement aggravées par des imprévus, notamment en Guinée forestière, comme la récente épidémie du virus Ébola qui a mis en lumière le profond manque de confiance des Guinéens envers leur État. C’est dans un tel contexte, aujourd’hui très tendu, que les prochaines élections présidentielles devraient être organisées dans le courant de l’année.

c. Le Mali et l’arc sahélien

Le Mali bénéficiait dans la région d’une image de pays stable et bien positionné dans une trajectoire démocratique, jusqu’à ce que, à la suite du conflit en Libye, des mouvements touareg prennent le contrôle du nord du territoire au cours du premier semestre 2012, puis passent à l’offensive en janvier 2013, avec l’intention évidente de prendre le contrôle de la capitale, Bamako. L’intervention française décidée alors permit de donner un coup d’arrêt à l’offensive puis de libérer les territoires du nord de l’emprise des mouvements terroristes.

Cette opération brillante, soutenue par l’écrasante majorité de la population du Mali, par l’ONU et les pays africains voisins a empêché la création au Sahel d’un État terroriste et a en outre permis au Mali de recouvrer sa souveraineté sur son territoire. Les forces françaises ont pu réduire leur présence à mesure que l’opération de maintien de la paix de l’ONU – la MINUSMA – se déployait. La France a également mobilisé ses partenaires européens dans une opération européenne de formation de l’armée malienne afin que celle-ci puisse prendre en charge la sécurité du territoire. Après les élections de 2013, la sécurisation a permis également à une partie des déplacés et réfugiés chassés par la violence des mouvements touareg de revenir peu à peu dans le nord du pays (115).

Cependant, il est clair qu’il n’est toujours pas envisageable que les forces françaises se retirent complètement du Mali car ni l’ONU ni l’armée malienne ne sont en mesure d’assurer seules la sécurité du pays. Pour notre pays, il y a là, sinon un risque d’enlisement, du moins une question très préoccupante, notamment en raison du risque que la France passe du statut de puissance libératrice à celle de puissance occupante aux yeux de la population.

Par ailleurs, les raisons de fond qui sont à l’origine de la crise, à savoir le sous-développement du nord du pays et le statut de la minorité touareg, n’ont pas disparu. La sortie de crise avance aujourd’hui lentement, conditionnée au processus de paix et à la relance d’une politique de développement inclusive et de décentralisation qui tienne compte des revendications des populations du nord.

À la date de rédaction de ce rapport, l’« Accord pour la paix et la réconciliation au Mali », paraphé début mars à Alger par le gouvernement malien et une partie des mouvements rebelles, la « plateforme Gatia », est toujours refusé par les principaux groupes armés.

Ses chances d’application sont considérées comme faibles par certains observateurs, qui voient la situation dans une impasse (116). La question de la « reconnaissance officielle de l’Azawad comme une entité géographique, politique et juridique ainsi que la création d’une assemblée interrégionale regroupant les régions de Gao, Tombouctou, Kidal » est notamment au cœur de la revendication de la Coordination des Mouvements armés de l’Azawad, CMA, dont les positions ne progressent pas dans ce document, par rapport à l’accord préliminaire de Ouagadougou, signé en 2013.

D’autres analystes pensent toutefois qu’au Mali, suite à la réussite des opérations militaires, le pays est sur la bonne voie, qu’il y a des perspectives très positives concernant la sortie de crise, qu’on est désormais entré en phase de consolidation politique après les élections présidentielles et législatives qui se sont bien déroulées. Ils ajoutent que, même si beaucoup de chemin reste à faire, le processus est apaisé et même assez transparent et exemplaire, que la réconciliation est durablement engagée.

Cela étant, il n’est pas certain que l’accord conclu le 1er mars dernier soit vraiment de nature à apaiser durablement les tensions politiques et sécuritaires entre le nord et le sud du Mali, tant il paraît difficile à faire accepter par les populations concernées.

Par ailleurs, comme le rappelait dernièrement Jeune Afrique (117), au plan sécuritaire, la situation ne laisse pas non plus d’inquiéter : nombre de terroristes ont beau avoir été neutralisés, l’Adrar des Ifoghas a beau avoir été « nettoyé » par les troupes françaises en 2013, le terrorisme continue de sévir, y compris désormais à Bamako même, comme on l’a vu tout dernièrement, et dans le nord du pays les groupes terroristes bénéficient de nombreuses complicités. Les forces de la MINUSMA sont prises pour cible. Quand bien même l’accord de paix serait-il signé, il faudrait encore longtemps pour assécher le vivier qui les reconstitue : « ” Et même, grogne un diplomate sahélien. Imaginons qu’un accord soit trouvé. Cela ne réglera pas le problème de fond. Les jihadistes disposent dans nos pays d’un vivier inépuisable d’apprentis jihadistes. ” Voilà des années qu’Aqmi, le Mujao, Ansar Eddine (au Mali, au Niger et en Libye) et Boko Haram (au Niger, au Cameroun, au Tchad et au Nigeria) recrutent de la chair à canon. Des jeunes désœuvrés, qui habitent souvent des zones abandonnées par l’État central et investies par les mouvements caritatifs salafistes ; des jeunes à qui l’on promet quelques milliers de francs CFA et une arme… ».

De la Mauritanie au Tchad, il n’est pas un seul des pays de la région qui n’ait connu récemment de crise interne. Chacun de ces pays a été le théâtre d’un ou de plusieurs coups d’État au long de son histoire postcoloniale, jusques et y compris dans la période récente. Les gouvernements de la Mauritanie en ont ainsi été victimes à répétition, même si l’on doit reconnaître que les militaires putschistes y remettent souvent le pouvoir aux civils. Ce fut le cas en 2007, année qui vit l’élection pour la première fois depuis près de trente ans d’un civil à la présidence après le coup d’État ayant renversé le colonel Taya. Pour peu de temps, puisque dès 2008, un nouveau coup d’État installait le président Aziz, toujours au pouvoir aujourd’hui, légitimé par les urnes.

Comme on l’a rappelé plus tôt, si le Niger est aujourd’hui politiquement stabilisé, c’est un pays qui a connu au cours de son histoire récente une instabilité politique assez marquée qui a mis à mal ses institutions politiques dans les années 1990 et 2000 (118). Depuis 1974, pas moins de quatre coups d’État militaires ont eu lieu. Les périodes de régime policier ont alterné avec les velléités d’apaisement, la démocratisation des années 1990 a été chaotique sur fond de difficultés économiques et budgétaires, de sécheresses, de rébellions touareg armées ou de contestations sociales. Le dernier coup d’État en date a renversé le président Tandja en 2010. Les militaires ont rapidement rendu le pouvoir aux civils et le président Issoufou est au pouvoir depuis 2011. En outre, indépendamment du fait qu’il est aujourd’hui menacé sur son flanc sud par les attaques de Boko Haram contre sa souveraineté, ses populations et ses intérêts, force est de constater que son évolution interne et les problématiques auxquelles il doit faire face, dès à présent et pour l’avenir, sont d’une redoutable ampleur. Enfin, après plus de trente ans de stabilité, néanmoins traversée de périodes de troubles politiques et sociaux sérieux, notamment ces toutes dernières années, leBurkina Faso vient de connaître un épisode de crise politique qui s’est conclu par le renversement par la rue du président Blaise Compaoré, lui-même parvenu au pouvoir en 1983 par un coup d’État qui avait coûté la vie au Président Sankara.

Ces rapides rappels mettent en lumière que les pays d’Afrique francophone sont finalement très peu nombreux à n’avoir jamais été menacés par des crises politiques internes ou des agressions externes. Il n’y a en effet guère que le Sénégal en Afrique de l’ouest et le Gabon en Afrique centrale, qui en aient été exempts depuis leur indépendance. Peut-on aussi inclure dans cette catégorie des pays dont la stabilité signifie avant tout continuité des autorités politiques au pouvoir, indéboulonnables depuis des dizaines d’années ?

4. Les facteurs de crises aujourd’hui à l’œuvre : un empilement d’héritages aux effets divers et cumulatifs

Cela étant, on ne peut se contenter d’une simple énumération qui pourrait être complétée par d’autres histoires, de celle de Madagascar, des Comores, ou du Congo Brazzaville. Il convient de relever un certain nombre de caractéristiques qui invitent à la réflexion, étant entendu que les facteurs de conflictualité à l’œuvre s’entremêlent fréquemment. Pour la commodité et la clarté de l’analyse, on distinguera trois aspects.

a. L’impact de la colonisation

Il n’est sans doute pas pertinent de distinguer entre la nature des colonisations française, britannique, portugaise ou belge pour déterminer l’impact que telle ou telle aurait particulièrement eu. Certaines ont cependant eu plus de vocation économique que d’autres. Ainsi de la comparaison que l’on peut faire des colonisations du Niger par la France et du Nigeria par le Royaume-Uni. Le processus a été fort différent, et l’empreinte coloniale a façonné le politique et l’économique jusqu’à aujourd’hui. Le Niger a été colonisé a minima, il fallait surtout tenir le territoire militairement mais sans idée de développement, c’était une marche de l’empire, à la périphérie, un pays reculé, très peu peuplé et désertique. L’uranium est venu plus tard, et longtemps, on a consacré au pays peu de moyens, sans y mettre de perspective de développement, et dans une logique de sécurisation du territoire et de ses alentours. D’où le fait qu’il y ait eu peu d’investissements en matière d’infrastructures, d’éducation ou autres jusque dans les années 1960, Niamey est une ville très récente, qui s’est développée sur le tard, sans rien autour. Même si ensuite, le Niger et le Nigeria ont eu chacun leur histoire et leurs logiques propres, le fait que la colonisation du Nigeria se soit faite au contraire dans une logique d’entreprise et de commerce, de partenariat économique fort avec le Royaume-Uni, n’est pas indifférent. On peut faire une même analyse en citant le cas de la Mauritanie, gérée depuis Saint-Louis du Sénégal et qui n’avait quasiment pas de routes asphaltées à son indépendance, ni même de capitale : ce n’est qu’à l’approche de l’indépendance qu’on s’est avisé de la nécessité d’en fonder une, et que la première pierre de Nouakchott fut posée en présence du général de Gaulle en 1958…

Cela étant, comme le faisait récemment remarquer Bertrand Badie (119), si les colonisations ont eu des effets en ce sens, à regarder ce qu’a vécu le continent depuis cinquante ans, les unes sont à l’évidence autant porteuses de conflictualité que les autres, en ce qu’elles ont légué aux pays conquis un certain nombre de caractéristiques communes : « une incertitude institutionnelle grave qui se reproduit à travers des États manqués, des États bien souvent prédateurs, ou ” fantômes “, un contrat social faible qui se vérifie à travers des constructions nationales inachevées, des déséquilibres économiques et des pathologies sociales qui doivent beaucoup aux styles divers de la colonisation. ». Bertrand Badie relativise en revanche la question du caractère arbitraire des frontières africaines définies à Berlin, estimant qu’« on peut trouver de multiples exemples qui semblent indiquer que le tracé des frontières coloniales a conduit à des contentieux et des guerres. Mais après tout, n’est-ce pas vrai sur tous les continents ? Il serait facile de pointer toutes ces frontières pleines de litiges qui ont dessiné au fil des siècles la carte de l’Europe et conduit à des guerres. Je dirai même que l’arbitraire frontalier n’est pas plus dramatique en Afrique qu’ailleurs. Il est comme partout déterminé par les aléas du jeu de puissance. ». En ce sens la colonisation française n’est pas plus condamnable que n’importe quelle autre.

Sur cette question mais avec une autre grille de lecture, Jean-Pierre Dozon, anthropologue, directeur de recherches à l’IRD et directeur d’études à l’EHESS, soutient également (120) qu’il est faux de dire que c’est de l’artificialité des frontières que proviennent les difficultés actuelles des pays africains. Au contraire, au fil du temps, parfois même très vite, elles ont pris de l’épaisseur, au point que des nationalismes, des chauvinismes sont apparus, au point que les mouvements rebelles, pour la plupart, inscrivent leur lutte dans le cadre territorial et national hérité de la colonisation (121). Une conscience nationale a émergé, s’est affirmée dans chacun des pays, parfois jusqu’à finir par être exacerbée, cf. l’« ivoirité », après la « francité » promue par Senghor, ou même la « gabonité ». En outre, si l’idée panafricaniste a très tôt échoué, c’est aussi précisément parce que les leaders se sont repliés sur leurs espaces nationaux, se sont eux-mêmes affrontés, cf. les oppositions entre Senghor et Modibo Keita dès 1960, au moment de la Fédération du Mali. Ces différents aspects – montée des nationalismes, échec du panafricanisme, apparition des mouvements d’indépendance nationale – confirment s’il en était besoin que l’Afrique ne saurait se résumer aux ethnies qui la composent.

Il ne s’agit pour autant pas de nier que l’héritage colonial a parfois durablement bouleversé la donne et entraîné des disparités régionales à l’intérieur des espaces nationaux. Les régions utiles, dans lesquelles il y avait des intérêts économiques, une mise en valeur intéressante à faire, autour du café, du cacao, de l’arachide, ont été privilégiées sur les autres régions, qui ont plutôt servi de réservoirs de main d’œuvre. Cela a induit des disparités fortes, entre nord et sud souvent, comme en Côte d’Ivoire, au Bénin ou au Togo, qui ont marqué durablement l’histoire de ces pays, cf. les problématiques migratoires et foncières articulées sur la base des cultures coloniales en Côte d’Ivoire. Cela a souvent correspondu à la distribution des cartes ethniques par les administrateurs coloniaux. On a nommé les pays sur la base des ethnies – « pays wolof », « pays baoulé », etc. – et on a porté des jugements sur les populations, des « étiquetages ethniques », qui ont fini par faire sens sur la longue durée : comme on le sait, le génocide rwandais est inexplicable sans la racialisation qui a induit des divisions et des oppositions entre Tutsis et Hutus qui autrefois n’étaient pas des ethnies séparées mais de simples groupes sociaux partageant tout, langue, culture, etc. Au final, c’est un « legs singulièrement baroque [qui a été] laissé à des États formellement indépendants. » (122)

On ne peut nier que la fragilité de certains États, leur déséquilibre structurel territorial, leurs inégalités internes, viennent en partie de ce legs qui a forgé l’histoire, que les Pères de la nation n’ont pas corrigé : le repli sur des territoires aux indépendances, la constitution de partis uniques, se sont faits sur l’idée que le multipartisme entretiendrait les divisions héritées de la période coloniale, et les coups d’État qui ont eu lieu parfois assez tôt, ont souvent été la revanche des groupes marginalisés par l’époque coloniale, comme au Togo par exemple.

Pour autant, jusque dans les années 1990, malgré ces fragilités et ces coups d’État, il y avait des perspectives, du développement, des projets parfois très importants, financés par la France ou la Banque mondiale, et qui ont aussi donné des résultats : la formation, la santé s’amélioraient, l’espérance de vie augmentait, l’urbanisation progressait et les capitales et autres villes se développaient ; on avait même déjà un début de classes moyennes, aspirant à un mode de vie occidental. C’était aussi la période de l’affrontement idéologique entre les deux blocs et, consécutivement, de leur surenchère, avec des financements correspondants, qui permettait par exemple au Bénin, marxiste-léniniste, d’utiliser le Franc CFA, comme le Congo Brazzaville ; une période de paradoxes donc, où des visions d’avenir se mêlaient avec des socialismes africains, où les perspectives étaient positives et les attentes très différentes par rapport à celles d’aujourd’hui, où l’Asie n’attirait pas l’attention, souligne aussi Bruno Losch, directeur de recherches en économie politique au Centre de coopération internationale pour le développement (CIRAD) (123), avant qu’en trente ans, la situation se retourne pour des raisons structurelles.

b. Les effets délétères des ajustements structurels se font encore sentir

Même s’il est aujourd’hui banal de mentionner le rôle des institutions de Bretton Wood et l’effet des ajustements structurels dans la manière dont ils ont pesé dans les années 1980-1990 sur la capacité des États à remplir leur rôle, il n’est pas inutile de rappeler ici quelques vérités dans la mesure où l’on est au cœur de la problématique qui intéresse cette Mission. Cela dit sans oublier cependant que nombre de pays africains étaient en quasi faillite lorsque la Banque mondiale et le FMI leur ont imposé les solutions drastiques sous lesquelles ils durent vivre durant de longues années. Des défaillances originelles préexistaient qui ne doivent pas être écartées.

Cela étant, comme le rappelle Bruno Losch, compte tenu d’une colonisation, et partant d’une décolonisation, plus tardives qu’ailleurs, l’ensemble de l’Afrique subsaharienne est la région où les transformations structurelles et économiques sont les plus décalées par rapport au reste du monde. Du fait de ce retard chronologique, ce sont de jeunes États non consolidés, sans expérience dans la durée, qui ont été rattrapés très vite, dès les années 1980, par la libéralisation et les injonctions des ajustements structurels qui ont mis un frein au développement de leurs politiques publiques, de leur consolidation et modernisation. Injonctions en partie justifiées, compte tenu des endettements budgétaires parfois dramatiques, mais fortes pour le désengagement de l’État, la dérégulation, et l’arrêt de politiques publiques autonomes. Nombre d’experts (124) interrogés par votre Mission ont insisté sur cet aspect crucial : au-delà des capacités administratives des États à mener des politiques publiques, ce sont aussi les capacités de régulation politique qui permettaient l’inclusion des différents groupes sociaux qui ont été laminées par les crises économiques et financières et les contraintes imposées par les bailleurs. D’une certaine manière, l’Afrique en paie encore le prix aujourd’hui en termes d’instabilité. C’est une des réalités du problème aujourd’hui dans un continent balkanisé, divisé en 49 États pour ce qui concerne l’Afrique subsaharienne.

L’une des conséquences des politiques de libéralisation, du désengagement de l’État au profit des marchés « régulateurs » s’est traduite par le fait que les administrations publiques peu structurées se sont retrouvées dans l’incapacité de produire des politiques publiques intégrées avec une vision stratégique de développement. L’approche sectorielle de l’APD n’a pas permis de compenser cela, faute de vision intégrée des perspectives globales qui aurait été nécessaire pour prendre en compte l’ampleur des défis d’un pays ou d’une région. Les préoccupations des uns et des autres ne se sont pas recoupées ni coordonnées dans des perspectives nationales ou régionales. Sans ces anticipations, sans les instruments d’alerte pour apporter des réponses aux défis, on s’est inscrit dans une dynamique de crises très fortes qui sont apparues comme inattendues, faute d’avoir été perçues et anticipées.

Le retrait de l’État, vu par la Banque mondiale (125)

« Comme cela arrive souvent avec des changements de cap aussi radicaux, les pays ont parfois eu tendance à aller trop loin. Les efforts de rééquilibrage des dépenses et des emprunts de l’État ont péché par manque de coordination et ont rarement su faire la part des choses. Ainsi, pour régler les intérêts de leur dette, des pays surendettés ont eu autant recours – sinon plus – à l’amputation de programmes d’importance capitale dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’infrastructure qu’à la réduction de crédits destinés à des actions faiblement prioritaires, à une fonction publique hypertrophiée et à des entreprises déficitaires. Ces compressions ont touché surtout les budgets d’équipement et, en Afrique, les dépenses de fonctionnement et d’entretien, réduisant d’autant la productivité des investissements. Le résultat, dont l’Afrique, l’ex-Union soviétique et même certaines parties d’Amérique latine fournissent l’exemple le plus frappant, a été un abandon des fonctions vitales de l’État qui a porté un coup à la protection sociale et sapé les bases du développement des marchés. Cet excès de zèle dans le rejet de l’État a eu pour effet de détourner l’attention du débat stérile opposant État et marché, pour la centrer sur la question plus fondamentale de la crise d’efficacité de l’appareil public. Dans certains pays, la crise a abouti à l’effondrement pur et simple de l’État. Dans d’autres, l’affaiblissement de la capacité d’action de l’État a conduit les organisations non gouvernementales, les associations et autres groupements – autrement dit, la société civile – à essayer de prendre sa place. Dans leur engouement pour le marché et leur rejet de l’interventionnisme, beaucoup en sont venus à se demander si le marché et la société civile ne pourraient pas un jour supplanter l’État. Mais la leçon qui se dégage d’un demi-siècle marqué par plusieurs courants de pensée sur le rôle de l’État dans le développement est plus nuancée. Le développement par l’État a échoué ; mais un développement sans l’État échouera aussi. En effet, un État efficace est indispensable au développement. »


De sorte que l’on peut considérer que les États africains, depuis les indépendances n’ont cessé d’être soumis à de fortes tensions (126), qu’ils ont tenté de surmonter tant bien que mal dès les débuts de leur brève histoire avec des trajectoires et réussites diverses. La remise en cause de leurs rôles et capacités institutionnels s’est cependant renforcée dans les années 1990, c’est-à-dire au moment précis où les attentes et exigences des sociétés civiles se sont accrues à la faveur des processus de démocratisation naissants, où les besoins augmentaient du fait de la pauvreté croissante. La communauté internationale s’est mise à privilégier les secteurs sociaux, en oubliant que les États, comme au Mali pour ne prendre que cet exemple, avaient aussi à assurer des missions régaliennes, et les institutions financières internationales privilégièrent alors les organisations de solidarité pour pallier les déficiences des États (127).

Ce sont autant d’éléments convergents qui ne contribuèrent pas à en renforcer la légitimité, sans participer non plus au soutien des sociétés civiles africaines. Ce sont autant d’aspects aux effets cumulatifs que les États africains, certains particulièrement faibles, n’ont toujours pas réussi à surmonter à l’heure où ils doivent faire face à des menaces et « facteurs de stress » peut-être plus forts que jamais.

À la fin de l’année dernière, The Lancet (128) avait beau jeu de pointer la responsabilité du FMI, en rappelant que s’il avait annoncé un financement de 130 M$ pour lutter contre l’épidémie Ébola (129), la principale raison de la propagation si rapide de l’épidémie résidait dans faiblesse des systèmes de santé de la région, alors que les trois pays sont soutenus par le FMI depuis une vingtaine d’années (130). The Lancet rappelait ainsi que les prêts du FMI sont octroyés moyennant des conditionnalités très strictes qui imposent aux bénéficiaires des objectifs économiques de court terme, prévalant sur les investissements en santé et éducation. En l’espèce, s’agissant précisément des programmes de réformes économiques, le FMI a tout d’abord exigé des réductions dans les dépenses publiques, une priorisation du service de la dette et le renforcement des réserves de change. En second lieu, le FMI demande souvent l’instauration d’un plafonnement des salaires de la fonction publique, sans considération de l’impact de ces exigences sur les secteurs prioritaires, de l’opinion même de ses services d’évaluation interne. En l’espèce, cela a eu des effets très concrets sur l’émigration des médecins : en 1995 et 1996, le FMI a ainsi exigé la réduction de 28 % de la fonction publique de la Sierra Leone, et les limitations salariales se sont poursuivies jusque dans les années 2000 ; de sorte que, entre 2004 et 2008, l’OMS constatait que le taux de professionnels de santé était passé de 0,11 pour 1000 habitants à 0,02. Enfin, le FMI a aussi plaidé au début des années 2000 pour une décentralisation des systèmes de santé, dans le but d’apporter une meilleure réponse locale aux besoins, mais cela a eu pour effet de rendre difficile une mobilisation nationale coordonnée et centralisée, indispensable pour pouvoir faire face à une épidémie de cette nature. Dès 2007, le FMI constatait d’ailleurs une détérioration de la qualité des services de santé décentralisés. Pour les auteurs de l’étude, tous ces effets ont été cumulatifs et ont contribué au manque de préparation des services de santé pour répondre à l’épidémie. Aujourd’hui, comme Lionel Zinsou (131) le soulignait, un pays comme le Libéria, avec des recettes fiscales de 18 % assises sur un PIB annuel d’un milliard de dollars, qui correspond à un jour de celui du Nigeria, ne peut rien faire pour se relever : consacrerait-il 10 % de son budget national à la santé, ce ne serait jamais que 18 millions, c’est-à-dire une somme très insuffisante pour instaurer son système de santé.

Parmi les fragilités internes qui caractérisent les pays africains, notamment francophones, un certain nombre portent sur des aspects institutionnels, entendus au sens large. Comme le faisait remarquer Hugo Sada, ancien délégué à la paix et à la sécurité de l’Organisation internationale de la francophonie, OIF (132), subsistent encore beaucoup de faiblesses, – fragilités, manques de moyens, de crédibilité, etc., y compris sur les institutions de contrôle, Cour des comptes, cours constitutionnelles, etc. – alors même que l’on a assisté depuis les années 1990 à une « prolifération institutionnelle », souvent inspirée des traditions juridiques de notre pays. Les questions constitutionnelles ont retrouvé une acuité particulière ces derniers mois : l’ouverture démocratique s’était traduite par une vague de réformes constitutionnelles dans les pays francophones qui ont consolidé les régimes pluralistes, mais on constate aujourd’hui une vague d’instabilité institutionnelle marquée des volontés de changements ou de révisions post-crise, notamment autour de la question récurrente de la durée et du nombre des mandats présidentiels. Beaucoup de choses sont aujourd’hui remises en question qui tendent à décrédibiliser les institutions, cf. les manipulations qu’on a connues en RDC, ce qui s’est récemment joué au Burkina Faso, et n’est pas encore définitivement réglé dans d’autres pays, comme le Congo, la RDC, le Rwanda, le Burundi, le Bénin, où ces questions sont encore sur la table (133).

Dans ce même ordre d’idées, les problématiques judicaires sont aiguës, qui font que l’on est souvent encore loin d’une justice fiable en Afrique, où la corruption, les pressions politiques et autres sont très fortes. Les exemples que l’on peut glaner de-ci, de-là, de déboires subis par des entreprises françaises tentant de se développer sont nombreux. Les nombreux programmes de réforme et de renforcement des institutions judiciaires, ne donnent que des résultats faibles et de peu d’impact, et tend à se développer une insécurité juridique préjudiciable aux investissements étrangers, comme le faisaient remarquer Etienne Giros, président délégué du CIAN, et Stephen Decam, secrétaire général, lors de leur audition (134).

Enfin, la question des appareils sécuritaires est également majeure. Le Mali a récemment montré que les siens étaient particulièrement inadaptés pour faire face à une crise majeure et d’autres cas, cf. la Côte d’Ivoire, mettent en évidence la difficulté de traiter cette question de manière à retrouver le chemin de la stabilité interne, comme en témoignent les difficultés des programmes de démobilisation et de désarmement. Au-delà de ces deux cas, la problématique de l’état dans lequel se trouvent les armées africaines depuis très longtemps est cruciale. Comme on a pu le dire, « les États africains sont malades de leurs armées. Et les armées victimes de leurs États. ». (135) Nombre de gouvernements ont maintenu leurs forces armées dans des conditions de délabrement total, par crainte, ont constitué en parallèle des unités d’élites et autres « Garde présidentielle », comme au Cameroun, plus fiables car reposant sur un esprit de clan, mieux équipées et entraînées. De l’ancien Zaïre à la Côte d’Ivoire, en passant par la Sierra Leone, la République centrafricaine et d’autres théâtres de crises récents, les exemples sont nombreux où la paupérisation des armées régulières a conduit à l’inefficacité totale de l’outil militaire, mais aussi aux mutineries et aux pires dérives de la part de troupes gangstérisées contre les populations civiles qu’elles étaient censées protégées.

c. Causalités internes et externes se conjuguent étroitement pour fragiliser les pays d’Afrique francophone

Au sein de la communauté des experts et acteurs que votre Mission a entendus au long de cette année, il y a unanimité pour considérer que la faiblesse des États africains héritée des années 1990 pèse toujours lourdement sur leur situation actuelle. Laurent Bossard, directeur du secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’ouest, mettait en avant l’influence extraordinaire de l’affaiblissement des États sur le développement des trafics qui ont trouvé un terrain des plus favorable. Il rappelle que le seul trafic de cigarettes représente aujourd’hui 1 milliard d’euros annuels. S’y ajoutent de nombreux autres : drogues, essence, médicaments, armes, êtres humains, etc., et tout le reste qui participe de l’économie du trafic qui s’est instaurée et a pris un poids disproportionné, suffisant pour pénétrer toutes les sphères de la politique, des forces de sécurité, de l’économie. La corruption généralisée vient de cette situation. Ces données sont à mettre en balance avec le fait que le budget national d’un pays comme la Guinée Bissau, qui ne relève certes pas des pays francophones, équivaut au prix de quatre tonnes de cocaïne. Comment s’étonner qu’un tel pays soit aujourd’hui totalement aux mains des narcotrafiquants ? L’économie mafieuse est pratiquée par tout le monde et elle n’est en outre pas considérée comme anormale par les populations, cf. « l’économie de la route » entre la Tunisie et la Lybie, qui repose sur la satisfaction des besoins des trafiquants et des réseaux, en termes de véhicules, d’approvisionnements divers, de réparations, etc., fait en conséquence vivre beaucoup de monde et représente aujourd’hui un poids considérable. Il en est évidemment de même ailleurs.

L’exemple de la Guinée Bissau illustre le fait que la fragilité des États et les situations conflictuelles sont le produit de facteurs exogènes et endogènes, parfois opportunistes, que les institutions ne réussissent pas à atténuer ou juguler. Toutes zones géographiques confondues, les situations de crise que l’Afrique a connues ces dernières années répondent précisément à ces cas de figure : des institutions faibles qui cèdent sous les coups de boutoir des menaces polymorphes, déstabilisatrices, laissant s’enclencher des cercles vicieux.

Dans ce même ordre d’idées, la piraterie maritime, sur la façade atlantique, dans le Golfe de Guinée a pris une ampleur considérable au point d’être désormais supérieure à ce qu’elle a été dans le Golfe d’Aden en 2012. C’est devenu un problème majeur qui impacte fortement les activités économiques des pays côtiers. Cela participe de ce que Pierre Jacquemot appelle la problématique de la convoitise, comme dans la région des Grands Lacs où les facteurs de conflictualités sont particuliers. Les déterminants en sont l’existence d’une économie minière artisanale autour de ressources très recherchées aujourd’hui, comme le sont le coltan, le tungstène, et d’autres minerais, que différents groupes armés contrôlent, favorisant en retour la récurrence de conflits. (136)

Parmi les facteurs les plus déstabilisateurs, on sait la part qu’ont joué les trafics de drogue dans la déliquescence de l’État malien, démocratique et naguère encore reconnu pour sa stabilité, en le faisant basculer dans les mains des trafiquants et djihadistes ; plus généralement, dans la fragilisation de la gouvernance publique au niveau régional, à mesure que l’effet de contamination progresse, pays après pays, induisant une menace sécuritaire majeure : 17 % de la drogue consommée en Europe transitent aujourd’hui par l’Afrique de l’ouest, soit 21 tonnes et 1,7 milliard de dollars. On sait aussi que cette région n’est plus seulement une voie de passage mais aussi désormais de production, ce qui n’est pas sans susciter des craintes quant au développement d’un marché local, qui viendrait nécessairement renforcer la cohorte des bandes armées qui sévissent d’ores et déjà, d’autant plus plausibles sur fond de chômage et de misère, et que des armes légères sont en circulation.

La régionalisation de cette question illustre la problématique plus générale de l’exportation de la conflictualité, que l’on constate aussi aujourd’hui dans le cas du Nigeria avec Boko Haram, essaimant sur le Cameroun, le Niger et le Tchad. Des conflits intérieurs débordent d’autant plus facilement au niveau régional que les liens et continuités entre pays sont étroits, que les populations et communautés sont identiques, de même que les langues et cultures, les pratiques et les échanges. Les risques de régionalisation des conflits en sont d’autant plus élevés, comme on l’a montré s’agissant du nord Cameroun, en parfaite unité sociale avec l’extrême nord-est du Nigeria.

La menace de l’extrémisme religieux est devenue une problématique majeure aujourd’hui dans des aires dans lesquelles il y a encore vingt ou trente ans, on considérait que le radicalisme n’aurait jamais de prise sur la tolérance portée de tout temps par les congrégations soufies Qadiriyya et Tijaniyya. On sait ce qu’il en est advenu, à la faveur de la configuration des territoires, de la porosité des frontières, du manque de contrôle de leurs territoires par les États, qui ont facilité la mobilité des groupes djihadistes, lesquels ont aussi su profiter des besoins sociaux des populations et pallier les insuffisances des États. Toutes choses égales par ailleurs, ce sont aussi des problématiques de marginalisation économique, culturelle, de pauvreté croissante, d’exclusion, que l’on retrouve comme facteurs récurrents des tensions et conflits autour des Touaregs, depuis l’époque coloniale et même la fin du XIXe siècle. La dimension islamiste s’y est aujourd’hui ajoutée.

Les questions sociales, les inégalités, sont aussi à la base des migrations régionales, qui existent de tout temps, les populations, notamment en Afrique de l’ouest, étant parmi les plus mobiles du monde. Dans des contextes de pénurie, de problématiques foncières accrues, elles ont aujourd’hui des effets certains sur les tensions qu’elles peuvent aggraver ou entretenir, par des phénomènes de marginalisation politique et sociale, de discriminations, de concurrence quant à l’accès à la terre, cf. ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, pour ne prendre que cet exemple, quant à l’accès à l’emploi, à l’urbanisation croissante et sauvage des périphéries.

Ces phénomènes sont d’autant plus aigus sur fond de croissance démographique forte et d’évolution environnementale défavorable, qui se manifestent par exemple dans la problématique de l’accès aux terres agricoles en réduction, en concurrence avec la descente vers le sud des nomades pastoraux en recherche de moyens de subsistance (137).

À cet effet, les problématiques de changement climatique sont en Afrique, et spécialement en Afrique francophone, d’une particulière acuité. Comme le soulignent les Perspectives économiques en Afrique 2014 (138), « l’accélération de la fréquence des catastrophes naturelles liées à l’environnement – changements des schémas pluviométriques, inondations et sécheresses par exemple – affecte la société et l’économie, et les événements climatiques rejaillissent lourdement sur les communautés pauvres et vulnérables qui n’ont que peu de mécanismes de compensation ou de moyens de subsistance alternatifs. ».Des investissements colossaux seront nécessaires pour faire face à ces changements, mais, avant tout, ce sont des populations rurales, pasteurs et cultivateurs, qui sont durement touchées. Des effets collatéraux, induits des impacts climatiques sur l’environnement, en découlent, d’ordre social, économique, et politique.

Le cas de la Côte d’Ivoire : comment les vecteurs de conflits se sont imbriqués pour créer et entretenir un climat propice à la guerre civile (139)
 
Ces nombreux facteurs, dont l’énumération ci-dessus ne prétend en rien à l’exhaustivité, rendent les quelques progrès qui ont pu être faits contre la pauvreté, dans quelque secteur qu’ils se situent et de quelque manière qu’ils aient été obtenus, particulièrement fragiles. Fondamentalement, le contexte général des pays concernés, et ceux d’Afrique francophone en particulier, reste celui d’une vulnérabilité aux chocs externes, d’une déficience des institutions, d’un creusement des inégalités, voire d’une inertie politique peu à même d’apaiser les tensions, de traiter les problématiques de fond et de sortir des crises.

d. Problématiques de la légitimité

Cela étant, l’essentiel, se joue peut-être ailleurs que sur le terrain des aspects purement institutionnels et juridiques, ou des facteurs exogènes de tension : la nature du contrat social au sein des sociétés africaines, et le divorce entre gouvernants et gouvernés.

Depuis les ouvertures démocratiques du début de la décennie 1990, les élections sont logiquement devenues la norme exclusive de transfert du pouvoir. Cela est évidemment heureux. Il reste néanmoins encore beaucoup de problèmes compte tenu des contextes et les processus sont fragiles. Car s’il n’y a plus de coups d’État militaires, ou beaucoup moins, les violences électorales et post-électorales, en revanche, ont augmenté, souvent manipulées, aux effets incendiaires. La raison tient au fait que c’est le contrôle de l’État qui permet encore celui de l’économie et de ses avantages connexes, c’est-à-dire la répartition des rentes et des mannes financières. C’est ce qui explique la difficulté, voire l’impossibilité de l’alternance, dans des systèmes encore aujourd’hui de type féodal, qui fonctionnent fondamentalement sur la base du clientélisme et de la rétribution. Raison pour laquelle, comme le faisait remarquer incidemment Henri-Bernard Solignac-Lecomte (140), ce n’est pas en essayant d’éradiquer la corruption qu’on changera quoi que ce soit au déficit de gouvernance publique.

C’est en abordant la question plus fondamentale du contrat social, de l’intégration sociale, nécessairement ténus dans un tel substrat où l’appartenance à une même communauté politique ne va pas de soi, où la logique de captation du pouvoir et de ses attributs efface celle de solidarité nationale, tant ce sont des solidarités de clientélisme et d’allégeance qui prédominent. (141)

Consécutivement, comme le défend Séverine Bellina, directrice de l’Institut de recherche et de débat sur la gouvernance (142), la recherche d’une voie de sortie efficace et pérenne à la problématique de l’instabilité, doit fondamentalement passer, et en priorité, par la question de la légitimité de l’État, dans ce qui fonde l’adhésion des populations et l’ancrage réciproque entre sociétés civiles et institutions. Or, on est généralement dans des contextes dans lesquels les États ne contrôlent pas leurs territoires, dans lesquels il n’y a pas de liens entre les États « formels » et leurs populations, dans lesquels des gérontocratiesdéconnectées des réalités sociales et générationnelles, s’accrochent au pouvoir, source de la redistribution, orchestrent le clientélisme à tous les échelons de l’État et de la société civile et divisent, sur des bases ethno-régionales, (143) pour mieux régner, et produisent, de ce seul fait, de l’instabilité. L’exemple récent du Burkina Faso le démontre, celui d’autres pays, – le Cameroun, notamment – demain le confirmera probablement. (144)

Sur la légitimation du pouvoir à Madagascar (145)

« Madagascar connaît, depuis près de deux siècles, le retour périodique d’une crise multiforme chaque fois qu’un pouvoir autoritaire, bras armé de l’oligarchie dominante de son époque, arrive à bout de souffle. Régulièrement, la crise fait apparaître la permanence d’un fossé d’incompréhension entre la population et la classe dirigeante. Depuis l’État royal du xixe siècle, les tentatives de construction d’un État-nation sur le modèle occidental se sont heurtées à la résistance d’une culture politique malgache non reconnue, fondée sur la parenté, sur une forme de mission céleste et sur la terre des ancêtres. En se défiant, les deux forces antagonistes se sont perverties mutuellement au point de déboucher sur une situation d’anomie sociale et politique dont on ne voit pas la fin. »

« Quel sens en effet pouvait avoir le vote individuel dans un pays dont le contrat social reposait sur une valeur collective et religieuse telle que la fihavanana, qui ne laisse aucun place au libre choix individuel ? D’ailleurs, le paysan qui constitue plus de 80 % de la population en 1960 ne pense nullement que c’est à lui de désigner celui qui doit exercer le pouvoir, mais à Dieu et aux ancêtres. On n’élit donc pas un individu, mais ces ancêtres. (…) Il faut ajouter que la règle de l’élection à la majorité est très mal acceptée car elle contrevient par trop à l’idéal d’unanimisme qui est recherché. Elle est perçue comme un facteur de division qui peut déboucher sur le tabataba, la perturbation de l’ordre de la société et du monde et le fanjakana baroa, l’anarchie. »


Cette déconnexion n’est pas seulement à l’origine de crises politiques comme celle qui a renversé le président Blaise Compaoré il y a quelques mois, mais aussi de violences plus graves, voire de poussées identitaires et, éventuellement, d’extrémisme religieux. Cela s’inscrit aussi dans des contextes démographiques dans lesquels le gap générationnel, au sein de sociétés pourtant très hiérarchisées, tend à devenir explosif, comme on le verra dans le cas de l’extrême nord-Cameroun, au sein des sociétés Mbororo, en déliquescence (146). Au niveau national, cette question met en évidence que si les crises que connaissent les pays africains sont dues à de nombreux facteurs exogènes connectés entre eux, elles ont aussi chacune, comme le soutenait aussi Richard Banégas, (147) des aspects endogènes profonds, communs, qui relèvent avant tout de la question de la citoyenneté, de situations non réglées, qui sont causes de tensions structurelles internes qui ne pourront être résolues qu’au niveau national.

Cela est d’autant plus important que les problématiques auxquelles les populations sont confrontées sur le terrain entretiennent des sentiments d’injustice profonde et d’abandon lorsque les services sociaux de base sont inexistants, que les divers facteurs de stress, environnemental, par exemple au nord Mali, sur fond de désertification, de sécheresse, de rareté de la terre et de l’eau, sont aggravés par l’affaiblissement des institutions traditionnelles.

Carlos Lopes (148) indiquait que dans le cadre du mécanisme de révision par les pairs, institué au sein de l’Union africaine, sur les questions de gouvernance, le problème n° 1 identifié est précisément celui de la gestion de la diversité, sur lequel se fondent les conflits internes, les problèmes ethniques, religieux, etc. Dans la mesure où les enjeux de demain qui s’annoncent pour les pays d’Afrique francophone ne diffèrent pas de ces caractéristiques, comme on le verra dans les développements suivants, se dessinent d’ores et déjà les inflexions qui pourraient être apportées aux politiques d’aide au développement.

II. LE SCÉNARIO DES CRISES DE DEMAIN S’ÉCRIT AUJOURD’HUI

Depuis des décennies, l’Afrique fait donc face à de nombreux défis qu’elle a du mal à surmonter. Ce constat serait en soi préoccupant s’il ne s’inscrivait en outre dans des perspectives incertaines pour les deux axes de réflexion de votre mission. Sans jouer les Cassandre, on conviendra que les scénarios que l’on peut aujourd’hui lire sur le futur du continent sont inquiétants. Le premier scénario tient à la question démographique, unique, d’une telle magnitude qu’entre dividende démographique et fortes tensions, la balance semble irrémédiablement pencher vers celles-ci, tant l’hypothèque que la démographie fait peser sur le développement et la stabilité de l’Afrique subsaharienne parait élevée.

Le second scénario tient aux incertitudes qui se dessinent quant au futur de certains des pays de la zone francophone : le Niger et le Cameroun, pour ne prendre que ces deux exemples que l’on traitera en détail, sont probablement au seuil de difficultés aggravées qui sont à leur tour porteuses d’instabilité tout en impactant sévèrement le développement. Ces deux pays ne sont pas les seuls qui auront à faire face à ces problématiques, que l’on pourra retrouver peu ou prou ailleurs.

A. LA DÉMOGRAPHIE

« Les sociétés africaines, du fait de leurs conditions écologiques, du niveau très élevé de la mortalité et de leur histoire démographique particulière, jalonnée de séries de catastrophes (traite des esclaves, travaux forcés pour les colonisateurs, épidémies…) sont marquées par une expérience séculaire d’insécurité et ont développé, pour s’en prémunir, une véritable ” culture de forte fécondité “. » (149)

1. Un défi sans précédent dans l’histoire de l’humanité

Le sujet a tellement été traité qu’on a quelque peu l’impression de répéter des choses maintes fois entendues, mais on ne peut éviter de l’aborder dans le cadre d’un rapport sur la stabilité et le développement de l’Afrique francophone, tant la question démographique est unanimement considérée comme la problématique numéro 1 sur le continent.

Certains défendent l’idée que la trajectoire sur laquelle est inscrit le continent africain en termes de démographie le place dans une dynamique favorable qui en fera dans les prochaines décennies l’atelier du monde. De fait, l’Afrique a d’ores et déjà la population la plus jeune du monde, les deux tiers de ses habitants ayant moins de 25 ans, et elle pourrait en conséquence disposer d’une main d’œuvre non seulement très jeune mais de plus en plus qualifiée, bon marché par rapport à celles des pays émergents dont le coût ne cessera dans le même temps de se renchérir ; en conséquence, tout prédestinerait le continent le moins développé à rejoindre enfin le reste du monde. En outre, le dynamisme de la démographie serait plus un atout qu’une fatalité sur un continent encore à peu près vide, à la densité encore très faible. Enfin, c’est aussi un élément qui permettrait au continent de soutenir sa croissance de manière endogène, par augmentation mécanique de la demande et de la consommation.

Tout cela est assurément vrai. Néanmoins, aux yeux de votre Mission, cette lecture se heurte toutefois au fait qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres et qu’un certain nombre de conditions devront être remplies pour que le continent tire parti du dividende démographique, ne serait-ce qu’en termes d’infrastructures, de formation, de créations d’emplois ou d’environnement des affaires, pour que cela se traduise dans les faits et que le continent s’impose.

Surtout, les implications des projections démographiques les plus récentes invitent à tempérer quelque peu cet optimisme, tant le défi paraît redoutable. Il concerne tout particulièrement l’Afrique francophone, et notamment la zone sahélienne.

a. À l’échelle continentale

Le défi démographique auquel est confronté l’Afrique est unique. Les projections sans cesse révisées des Nations Unies montrent que la croissance démographique africaine, toujours forte, va se poursuivre. La baisse de la fertilité étant très lente, cette croissance démographique est même d’ampleur inégalée à l’échelle mondiale : à titre de comparaison, il faut rappeler que, de 1960 à 2010, la population a augmenté de manière équivalente en Chine, en Inde et en Afrique, entre 550 et 600 millions de personnes supplémentaires. Mais, alors que dans les quarante prochaines années la population chinoise va diminuer, que celle de l’Inde va continuer de croître, certes, mais plus lentement qu’auparavant, celle de l’Afrique va doubler : après avoir augmenté de 550 millions d’habitants au cours du dernier demi-siècle, elle augmentera de nouveau d’1,1 milliard de personnes au cours des quatre prochaines décennies. Au total, en un siècle, de 1950 à 2050, la population d’Afrique subsaharienne aura été multipliée par 10 et sera passée de 180 millions d’habitants à 1,8 milliard, sans d’ailleurs que l’on soit certain, à ce jour, que cette hypothèse n’est pas considérablement sous-évaluée. Dans l’histoire de l’humanité, aucune région du monde n’a jamais eu à connaître une croissance de sa population d’une telle magnitude. Au milieu du siècle, la population de l’Afrique subsaharienne pourrait être de l’ordre de 2,1 milliards d’individus et sur une trajectoire de 3,8 milliards en 2100, selon une hypothèse moyenne de baisse de la fécondité. (150) Parmi les vingt pays aujourd’hui les plus peuplés, trois sont africains : le Nigéria, l’Éthiopie et la RDC ; ils seront six en 2050 et dix en 2100.

Cela étant, la question démographique en Afrique est sans doute aussi variée que le continent lui-même : les pays d’Afrique australe ont aujourd’hui quasiment achevé leur transition démographique, ceux d’Afrique de l’est se sont pour la plupart engagés dans cette voie, mais ceux d’Afrique de l’ouest et centrale, francophones pour l’essentiel, sont plus en retard. Plus précisément, ce sont les plus pauvres des pays africains qui connaissent les taux de croissance démographique les plus élevés. D’une part, les PMA, au niveau mondial, ont un taux d’accroissement démographique quasiment double par rapport à ceux des autres pays en développement, mais au sein des PMA, les pays africains présentent des taux nettement supérieurs à la moyenne, qui ont permis à des pays comme le Niger, Djibouti ou l’Ouganda de multiplier par six leurs populations depuis 1950, quand le groupe des PMA ne faisait « que » la quadrupler. Comme ont pu le faire remarquer Jean-Michel Severino et Olivier Ray, « D’autres parties du monde ont eu à gérer une explosion démographique et urbaine. Cependant, les Africains devront compter avec une situation sans précédent au XXIème siècle. Trois facteurs rendent l’équation démographique africaine particulièrement périlleuse : tout d’abord, l’Afrique se verra refuser la soupape de sécurité de la migration lointaine qui était tellement précieuse pour l’Europe du XIXème siècle et l’Asie du XXème siècle. Deuxièmement, cette augmentation prodigieuse de la densité de la population du continent prend place au moment même de l’histoire durant lequel l’humanité découvre l’offre limitée de ressources naturelles. Donner tort à Malthus une nouvelle fois va demander une importante mobilisation… Enfin, l’Afrique subira tous les périls de sa croissance démographique sous les caméras de CNN, le regard hautain de la communauté internationale et un maillage toujours plus serré de normes internationales. ». (151)

b. Un enjeu surtout de l’Afrique francophone et notamment sahélienne

La question démographique est particulièrement aiguë dans la région sahélienne, où les taux annuels d’accroissement naturel sont les plus élevés, entre 2,5 % par an dans un pays comme la Mauritanie et plus de 3,6 % au Tchad et au Niger. Elle risque de l’être d’autant plus à l’avenir que, dans certains pays, la croissance démographique est actuellement en phase d’accélération et va s’amplifier.

La population du Tchad a été multipliée par quatre depuis l’indépendance, de trois millions d’habitants en 1960 à douze en 2012 et elle continue de s’accroître de quelque 400 000 individus chaque année. Surtout, les résultats du dernier recensement montrent uneaccélération de la croissance démographique, contrairement aux projections qui avaient été faites il y a peu : « Sur la base des données anciennes de l’Enquête démographique et de santé réalisée au Tchad en 2004, la Division de la population des Nations unies avait anticipé une baisse de la fécondité et l’avait estimée à 6 enfants par femme en 2010. Les résultats du recensement de juin 2009 (…), indiquent au contraire une augmentation récente de la fécondité, (…) de 7,1 enfants par femme, et les données (…) pour les cinq années précédentes une fécondité de 6,9 enfants par femme. C’est la deuxième fécondité la plus élevée du monde après celle du Niger. La combinaison de ces évolutions de la fécondité et de la mortalité a conduit à une accélération de la croissance naturelle de la population qui est passée de 2 % par an au début des années 1960 à plus de 3 % par an à partir des années 1980. » (152) Selon les recensements de 1993 et de 2009, elle est actuellement de 3,6 %.

Indice de fécondité moyenne (2005-2010) (153)

Jean-Pierre Guengant, directeur de recherche émérite à l’IRD, explique que « l’augmentation rapide de la population totale est la conséquence de la baisse de la mortalité, au moins jusque dans les années 1980, et du maintien sur une période exceptionnellement longue d’une fécondité élevée. Dans ce contexte, l’urbanisation a fortement progressé (154) et elle a été amplifiée par les migrations consécutives aux grandes sécheresses et aux troubles intérieurs qu’a connus le Tchad. Par contre, la seconde phase de la transition démographique, la baisse de la fécondité n’a pas encore commencé. En effet, non seulement la fécondité n’a pas baissé ces dernières années, mais elle a même augmenté. » (155)

Le cas du Niger est tout aussi symptomatique. Ici aussi, en 2012, le dernier recensement a surpris qui a conduit à revoir à la hausse les projections antérieurement faites, compte tenu de taux de fécondité supérieurs à ceux espérés. Le pays, sur la base d’une croissance démographique de 4 % l’an, compte sans doute désormais quelque 19 millions d’habitants (156), contre 3 à son indépendance, à raison d’un accroissement de 700 000 personnes chaque année. Le Mali ne déroge pas à cette règle : on estime que la population a dépassé les 16 millions d’habitants en 2014, elle a donc été multipliée par trois depuis l’indépendance, et le dernier recensement, en 2009, a également montré une population bien plus importante qu’il n’était prévu, ainsi qu’une accélération de la croissance démographique, désormais supérieure à 3 % l’an, soit quelque 500 000 personnes.

Si l’espérance de vie est toujours faible au Sahel, la baisse importante de la mortalité infantile ne s’est toujours pas accompagnée d’une diminution de la fécondité, et le nombre moyen d’enfants par femme est ainsi de 4,4 en Mauritanie, de 4,6 au Sénégal, de 6,5 au Mali, de 7,1 au Tchad. Comme on le sait, c’est le Niger qui détient le taux de fécondité le plus élevé du monde, chaque femme y donnant naissance en moyenne à 7,2 enfants, et l’on ne peut ignorer que les enquêtes sociales montrent que le désir d’enfants y est nettement plus élevé : 9,7 pour les femmes et 11,9 pour les hommes, ce qui renvoie à des pratiques et des perceptions, en matière de contraception et de fécondité (157) qui ne laissent pas augurer une diminution très rapide des taux de fécondité dans ce pays.

Les projections des Nations Unies formulent actuellement des hypothèses sur la base de 4,2 enfants par femme au Mali et 5 au Niger en 2050. Ces données mettent la région sahélienne, aujourd’hui peuplée de 125 millions d’habitants, sur une trajectoire de quelque 330 millions d’habitants en 2050 et de plus de 650 millions en 2100. Concrètement, la population de chacun des pays sahélien sera multipliée par 2 à 4. De sorte que si rien ne change, le Tchad, pour ne prendre que cet exemple, comptera 50 millions d’habitants en 2050. Cette perspective met la région devant un nombre impressionnant de défis qui ne le sont pas moins, d’ordre économiques et sociaux en tout premier lieu, afin de satisfaire les aspirations et besoins des futures générations en santé, éducation, formation, dans des contextes d’urbanisation croissante qui devront être maîtrisés de manière optimale.

Les informations données par le dernier rapport de la CNUCED sur les perspectives que cette croissance démographique représente en matière d’arrivées sur le marché du travail sont impressionnantes : « Au Niger, il y avait 224 000 nouveaux venus en 2005, chiffre qui devrait être multiplié par cinq (1,4 million) en 2050. » (158). Outre le fait que le Niger n’aura évidemment jamais, en tout cas pas à cette échéance, un tissu industriel ou économique comparable à celui de la France qui peine à insérer moitié moins de jeunes chaque année, le défi qu’il doit relever s’inscrit dans un contexte où les handicaps initiaux sont élevés et sont autant de contraintes sur les performances qu’il peut réaliser. Il en est à ce titre du Niger comme des autres pays sahéliens.

Ainsi en est-il de l’agriculture. Dépendante des conditions climatiques qui s’aggravent, compte tenu de l’impact du changement climatique sur les écosystèmes, sa productivité augmente certes, mais insuffisamment pour faire face à l’augmentation des populations. Ainsi en est-il également des performances des systèmes de santé, en déclin, comme le sont de leur côté les systèmes éducatifs. Dans ces conditions, aggravés par un contexte d’insécurité régionale croissante, dans lequel les États ne sont pas capacité à l’heure actuelle d’assumer leurs fonctions sur l’ensemble de leur territoire, on peine à imaginer que le futur de la région sahélienne ne soit pas périlleux, tant il paraît porteur de risques sociaux et partant politiques, nationaux comme régionaux : instabilité, pressions migratoires, etc.  


Zones de pression sur les terres et les eaux (159)

Si les enjeux sont particulièrement forts dans la zone sahélienne, d’autres pays d’Afrique francophone se trouvent dans des configurations qui, pour être peut-être moins aiguës, n’en sont pas moins relativement comparables. Ainsi, les indices de fécondité moyenne sont-ils également très élevés en RDC ou en Afrique de l’ouest. Si la population du Niger ou du Tchad double tous les 20 ans, il n’en faut que 25 au Cameroun pour faire de même, et tous les pays dont les taux de fécondité oscillent dans les mêmes ordres de grandeur sont dans la même situation.

En conséquence, ces divers éléments incitent à conclure que les défis sont d’une ampleur exceptionnelle pour que les pays africains, et spécialement ceux d’Afrique francophone, tirent réellement le profit que la croissance de leur démographie pourrait leur apporter.

2. Démographie et non-développement

Parmi les principaux aspects à prendre en compte pour des prochaines décennies, la question de la démographie africaine est par conséquent cardinale. Elle conditionne directement le développement des pays concernés par des taux de fécondité élevés, au-delà celui de régions entières, et partant, leur stabilité.

a. L’impératif de la baisse de la natalité pour le développement

Comme Jean-Pierre Guengant le rappelait en conclusion de son analyse du cas tchadien, « historiquement parlant, il n’y a pas d’exemples de pays qui se soient développés avec 6 à 7 enfants par femme en moyenne sur longue période. Ainsi, parmi les 10 pays ” en développement ” du G20, tous sauf un avaient au début des années 1960 entre 6 et 7 enfants par femme. En 2005-2010 ces pays avaient entre 1,3 et 3 enfants par femme (pour respectivement la Corée du Sud et l’Arabie Saoudite). Pour cela, ces pays, à quelques rares exceptions près, ont développé l’information sur la planification familiale et l’accès aux services correspondants. Et la maîtrise de la fécondité dans ces pays a été un levier favorisant leur développement, développement qui a leur a permis parallèlement d’accélérer l’utilisation de la contraception, de promouvoir l’émancipation des femmes, et d’améliorer la qualité de leur capital humain. La non-maîtrise de la fécondité au Tchad, conduit (…) au maintien d’une croissance démographique de 3,5 % par an pendant plusieurs décennies. Une telle croissance démographique n’est pas soutenable. Elle compromet les chances du Tchad de réduire significativement la pauvreté et de diversifier son économie afin d’arriver à un développement durable. Dans ce cas en effet, les sommes nécessaires pour simplement faire face à l’augmentation continue du nombre des accouchements, des effectifs d’enfants à vacciner et à scolariser, seraient supérieures à la croissance économique du pays et aux recettes de l’État, ce qui priverait celui-ci de toute marge de manœuvre pour intervenir dans d’autres secteurs (agriculture, infrastructures, etc..). On serait alors dans un scénario du type ” les lions pris au piège ” avec une économie peu productive, dont la croissance dépendrait essentiellement de l’exportation de matières premières, et une pauvreté toujours importante ». (160)

De son côté, lors d’un débat récent (161), Jean-Marc Pradelle, alors directeur de l’agence de l’AFD du Tchad, rappelait que dans un contexte de croissance démographique de 3,5 % l’an, il faudrait quasiment un demi-siècle, 46 ans exactement, avec une croissance économique annuelle de 5 %, pour doubler le niveau de vie par habitant du Tchad, indépendamment du fait qu’une population de 50 millions d’habitants en 2050 serait très lourde de conséquences pour les familles comme pour l’État en termes d’éducation et de santé. Pour mémoire, il s’agit d’un pays dans lequel, selon les derniers Indices de développement humain du PNUD, le RNB moyen par habitant était de 1622$ en 2013, et où 47 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 1,25$ par jour… Les problématiques sont comparables dans les pays voisins : le Mali a réussi à multiplier son PIB par 4,4 entre la fin des années 1960 et 2010, mais ne l’a augmenté que de 65 % par habitant. Dans l’hypothèse d’une croissance démographique de 3 % l’an et avec une croissance économique de 5 %, il faudrait plus de 35 ans pour doubler le PIB par tête.

On touche ici directement du doigt le fait que la théorie de la convergence entre riches et pauvres n’est désormais plus une réalité, sauf à la mesurer en siècles, ainsi qu’un article de The Economist le soulignait récemment (162), qui indiquait que dans les circonstances actuelles, il faudra plus de trois cents ans pour que les pays émergents, compte non tenu de la Chine, rejoignent les niveaux de revenu des pays développés. On n’ose imaginer la durée nécessaire aux pays en développement, a fortiori aux PMA dont fait partie le Tchad, pour réussir cette performance… Ainsi que le fait remarquer Sylvie Brunel, « il est prématuré de parler de rattrapage. L’exemple du Rwanda illustre à merveille la force et les limites du redressement africain : certes le taux de croissance économique de ce pays est supérieur à 8 % par an et son PIB par habitant a été multiplié par trois depuis le génocide de 1994, mais en 2014, il ne dépasse toujours pas 700 dollars. » (163)

Tout cela met en évidence qu’une telle croissance démographique annihile les bénéfices de la croissance économique, quand bien même celle-ci paraît remarquable, comme les afro-optimistes se plaisent à le souligner depuis quelques années. À ce propos, Henri-Bernard Solignac-Lecomte, chef de l’unité Afrique, Europe, Moyen-Orient de l’OCDE (164), faisait remarquer que même si cette croissance économique de plus de 5 % l’an sur plus d’une décennie est nettement supérieure à ce que l’Afrique connaissait auparavant, elle est à comparer avec celle de la Chine, qui a maintenu 10 % de croissance sur trente ans, avec une politique d’enfant unique par famille.

L’Afrique est donc encore très loin des conditions qui ont permis le décollage industriel de la Chine.

b. Enjeu démographique et structure économique et sociale en Afrique

L’urbanisation augmente en Afrique et la croissance des villes s’y fait bien plus vite que ce que l’on a pu connaître en Europe au moment de l’exode rural, puisque, depuis les années 1960, en moyenne, la population des villes a été multipliée par dix. Cela étant, il y aussi de plus en plus de ruraux. Au Bénin, par exemple, comme Lionel Zinsou le soulignait (165), les ruraux sont aujourd’hui cinq millions, soit deux fois la population totale du pays à l’indépendance. Les deux phénomènes sont concomitants et les villes en Afrique ne vident pas les campagnes. Cela n’est pas sans incidences concrètes, d’ores et déjà visibles, comme la crise de 2008 l’a mis en lumière : il y a eu tout d’abord les émeutes urbaines de la faim au premier semestre, dues à l’augmentation historique du prix des denrées alimentaires qui a frappé de plein fouet des populations consacrant parfois la moitié de leurs revenus à l’alimentation. En milieu d’année, une cassure s’est produite, qui a vu la chute brutale des prix du pétrole, ainsi que de ceux des matières premières, qui a entraîné la ruine des campagnes à leur tour, et suscité d’autres troubles. Les intérêts des villes et des campagnes sont donc très différents et leurs populations respectives sont en opposition. Cela est évidemment porteur de tensions sociales, de tensions sur les écosystèmes et consécutivement, facteur d’instabilité.

Cela étant, même si l’on est parti d’un niveau très bas, l’urbanisation de l’Afrique est un phénomène historique unique car il ne s’est pas accompagné d’industrialisation. Comme le fait remarquer Bruno Losch (166), économiste au CIRAD, la structure économique de l’Afrique subsaharienne, basée sur l’extraction des ressources naturelles, du sous-sol ou de l’agriculture, est toujours peu diversifiée. Cela a des conséquences sur la structure de la population active dont plus de 60 %, en moyenne, sont dans le secteur primaire et l’agriculture. S’est surtout développé un tissu économique informel urbain et les économies restent encore aujourd’hui elles-mêmes pour l’essentiel informelles, tant dans le rural que dans l’urbain : l’informel représente 80 % de la valeur ajoutée du Niger et occupe neuf actifs sur dix. Les changements structurels qui se sont faits sur une période de deux siècles dans les autres régions du monde, à partir de la révolution industrielle, l’Afrique doit les faire à marche forcée, dans un contexte mondial différent, en réussissant simultanément le défi inégalé de la transition démographique. Un pays comme le Niger est encore très largement rural, avec le cinquième seulement de sa population vivant en milieu urbain, et il en sera de même sur les vingt ans à venir, même si d’ores et déjà Niamey regroupe plus de 40 % de la population urbaine et que 85 % de la population totale sont concentrés sur le cinquième du territoire, à savoir le sud du pays. Toutes choses égales par ailleurs, la situation est comparable au Mali, aux deux-tiers rural, même si Bamako regroupe à lui seul le tiers de l’habitat urbain, et devrait compter entre 9 et 13 millions d’habitants en 2050.

Or, et il s’agit là de la seconde exception mondiale, la population rurale africaine, toujours majoritaire jusqu’en 2030-2040, va continuer de croître après 2050. Les campagnes africaines vont continuer à se peupler, qui se traduira par une densification de l’ensemble des territoires, ruraux et urbains, unique par son ampleur, laquelle doit être mise en perspective avec la structure des économies africaines.

L’enjeu réside donc dans les capacités d’absorption de cette population : les jeunes actifs en âge de travailler, qui représentent aujourd’hui quelque 17 à 18 millions d’entrants sur le marché du travail chaque année sur l’ensemble du continent, seront 25 millions en 2025, et 30 millions en 2030. Sur la période 2010-2025, le cumul représente 330 millions de nouveaux jeunes actifs à insérer – l’équivalent de la population des États-Unis d’Amérique – dont les deux-tiers sont des ruraux. La mesure est donnée de l’enjeu majeur sur l’espace rural africain pour les prochaines décennies. Selon le rapport précité de la CNUCED sur les PMA (167), « l’enjeu fondamental en matière d’emploi dans les PMA est de créer des emplois productifs et d’assurer des moyens de subsistance pour les millions d’individus qui arrivent chaque année sur le marché du travail. L’ampleur de ce défi ne fera que croître dans les années à venir. Il est utile d’illustrer ce que cela signifie réellement pour différents PMA. Dans 45 des 48 PMA pour lesquels des données sont disponibles, on observe un accroissement du nombre de nouveaux venus sur le marché du travail, et en 2050 cette population continuera d’augmenter. ». Or, à l’heure actuelle, le taux d’activité de la jeunesse dans un pays comme le Niger est globalement faible, marquée par un fort sous-emploi, notamment en zone rurale, un taux d’activité féminin bas, et une forte prégnance du secteur informel. Cela se traduit par un taux de dépendance fort, puisque l’on compte environ trois dépendants par actif.

c. Ce que cette démographie représente de défis sociaux

Pour être tout à fait concret, il importe de souligner précisément ce que signifie pour les pays concernés une telle croissance démographique en termes d’impacts sur leur développement, eu égard aux besoins sociaux à satisfaire, tout en gardant présent le fait qu’à l’heure actuelle, ils n’ont pas été en mesure de répondre à ceux auxquels ils sont confrontés.

Dans un contexte de doublement des populations tous les vingt ans, améliorer la couverture des besoins pour, en outre, atteindre des niveaux leur permettant de combler leurs retards, suppose des efforts qu’on peine à voir à la portée des pays sahéliens, ne serait-ce qu’en matière de santé que d’éducation.

Ainsi, au Niger, cela devrait se traduire par une multiplication par 4 ou 5 du ratio de personnels médicaux et de lits d’hôpital par habitant avant 2030 ; cela signifie multiplier les moyens actuels humains et financiers que le pays consacre au secteur par 8 ou 10, soit une croissance des moyens de 9 à 12 % par an pendant vingt ans. S’agissant de l’éducation, d’ici quinze ans, la population scolarisable du secteur primaire aura augmenté de 70 à 100 %, selon les hypothèses démographiques retenues, et sera multipliée par deux pour le secondaire et le supérieur. Si le Niger, qui consacre actuellement entre 13 et 18 % de son budget à l’éducation, entend former sa jeunesse et atteindre des niveaux de scolarisation comparables à ceux constatés dans les pays émergents, il devra très fortement augmenter les moyens humains et financiers qu’il y consacre, faute de quoi les résultats atteints jusqu’à aujourd’hui, pour faibles qu’ils soient – taux de scolarisation de 54 % dans le primaire et de 11 % dans le secondaire en 2008 – ne pourront que régresser. Plus précisément : ils ne pourront que continuer à régresser. Or, comme Joseph Brunet-Jailly le relevait (168), sans même que l’on parle de formation supérieure, c’est l’éducation de base qui est un préalable au développement, afin que secteur participe à la croissance et à l’augmentation de la productivité.

En effet, la question de l’éducation est d’ores et déjà, et depuis plusieurs années, sinon plusieurs décennies, un sujet particulièrement problématique au Niger : comme le souligne une récente étude réalisée sous l’égide de l’Institut

Français de recherches en Afrique, l’IFRA d’Ibadan, et du Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local, Lasdel, de Niamey (169), l’école publique n’arrive plus à assurer la formation d’une élite et à l’insérer dans la société moderne. Apparaissent d’ores et déjà de vives critiques formulées par une jeunesse qui craint pour son avenir contre l’incohérence des politiques qui sont conduites et l’incompétence des dirigeants, contre les politiques d’emploi et l’organisation du marché de l’emploi. Des « incertitudes explosives » commencent en conséquence à poindre compte tenu de la facilité avec laquelle une jeunesse désœuvrée, déscolarisée, non formée, chômeuse, population durablement précarisée par excellence, peut basculer dans des pratiques délinquantes, extrémistes, la manipulation politique.

Ainsi en est-il aussi de la question de la sécurité alimentaire. Le Niger est également un pays de la bande sahélienne confronté de manière récurrente à une insécurité alimentaire grave, dont témoignent, entre autres, les taux de malnutrition très élevés, qui impactent notamment sur les taux de mortalité infantile : 60 % des 175 000 décès annuels que connaît le Niger touchent des enfants de moins de cinq ans. Cette insécurité alimentaire résulte évidemment de conditions agro-climatiques particulièrement sévères, marquées par une faible pluviosité, des ressources naturelles dégradées, lesquelles ont pour effets des niveaux de productivité pastorales et agricoles insuffisants. S’y sont ajoutées des conditions d’ordre social, politique et économique, qui ont chacune contribué à l’enracinement de cette instabilité alimentaire : pauvreté, notamment en milieu rural ; déséquilibre territorial ; politiques agricoles privilégiant les cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières. Le Plan de Développement économique et social, PDES, actuel, entend corriger le tir en matière de sécurité alimentaire, nutritionnelle et de développement agricole via l’« Initiative 3N » – Les Nigériens Nourrissent les Nigériens – et une loi de programmation triennale vise à « renforcer les capacités nationales de production alimentaire, d’approvisionnement et de résilience face aux crises et aux catastrophes » et couvrir les besoins de 19 millions d’habitants. Les objectifs sont ambitieux qui visent à porter la superficie des terres irriguées à 125 000 hectares en 2015, à augmenter de 10 % la contribution des cultures irriguées à la production alimentaire, à produire quelque 5 millions de tonnes en 2015, contre 3,5 millions en 2011, à accroître de 40 % la production de viande, de 45 % celle de lait. Pour autant, il apparaît qu’un certain nombre de risques existent qui peuvent avoir des impacts sérieux fragilisant les résultats recherchés, au point que le plan pourrait même s’avérer inefficace en cas de crise alimentaire grave (170) .

3. En conséquence, les fragilités à attendre pèseront lourdement sur le développement

La croissance démographique pose donc de redoutables défis, dont celui de l’insertion économique de la jeunesse n’est pas le moindre. Dans les circonstances présentes, la démographie ne peut que peser de manière très négative, si l’on la met en balance avec le taux de croissance économique et les indicateurs sociaux actuels, avec l’urbanisation rapide, si ce n’est exponentielle, et l’exode rural. Or, selon l’étude précitée sur le Niger (171), il apparaît que les autorités politiques tendent à fortement sous-estimer aujourd’hui le risque que représenterait une jeunesse qui resterait durablement désœuvrée. Des recrutements ont été récemment faits dans la fonction publique, qui concernent la jeunesse éduquée, mais la situation des jeunes défavorisés, déscolarisés, voire même n’ayant jamais été scolarisés, est critique, d’autant plus que le marché de l’emploi ne les prend pas en compte. D’ores et déjà, monte une petite délinquance parmi cette jeunesse précarisée et sans avenir ; leur dénuement, entretenu par l’inactivité et la pauvreté, les fait aisément basculer dans la consommation de drogues, colles et autres médicaments frelatés de contrebande, et consécutivement, dans les pratiques antisociales qui accompagnent habituellement de telles addictions : incivilité, violence sociale, criminalité, prostitution, manipulations diverses, cf. les émeutes de janvier dernier à Niamey qui ont visé en quelques heures une soixantaine de lieux de cultes chrétiens disséminés dans toute la ville, et ont été essentiellement le fait de jeunes, équipés et préparés.

À plus ou moins long terme, peut-on exclure des risques de déstabilisation politique ou sociale, dans un contexte d’urbanisation croissante, propice à l’émergence de violences de quartiers, de phénomènes de bandes criminelles ? Peut-on exclure aussi le recrutement de jeunes sans avenir par des mouvements armés djihadistes, d’autant plus que l’on sait que ceux-ci fournissent revenus, logistiques, armes, voire même épouses et statut social ? Ainsi, le report sine die de l’ouverture du site d’Imouraren, qui tient autant à l’état du marché de l’uranium aujourd’hui, qui rend son exploitation non rentable, qu’aux conditions de sécurité qui prévalent sur la zone nord du pays : Areva, qui s’était engagée à investir sur le site plus d’un milliard d’euros et à en extraire 5 000 tonnes d’uranium par an, a procédé fin janvier au licenciement économique de la quasi-totalité des quelque 1 200 employés qui laisse présager que le site ne sera jamais mis en exploitation (172). En outre, ces employés auraient dû être rejoints par plus de 5 000 autres une fois la mine en exploitation (173). Il s’agit donc en premier lieu d’une véritable catastrophe économique et sociale pour une région sinistrée, mais on peut aussi craindre qu’elle soit porteuse de conséquences graves et durables, et se traduise par un inévitable appel d’air pour une main d’œuvre essentiellement touareg, jeune et disponible, qui était en attente de revenus promis et dont on ne voit pas désormais quelles autres perspectives que celles de recrutements par les bandes armées, les trafics mafieux voire autres groupes djihadistes, peuvent s’offrir à elle. Jeune Afrique économie rapportait récemment la réaction des salariés du site en ces termes : « Les syndicalistes sont en colère. Non pas en raison de la fermeture du site – ” on a compris que le contexte est difficile et que l’entreprise va mal “, admet l’un d’eux -, mais parce qu’ils ont l’impression d’être considérés comme de simples objets. Omar Djidji tient à rappeler le contexte dans lequel lui et ses collègues ont été recrutés il y a six ans : ” Areva a sillonné tout le pays, le nord notamment. Ils sont venus nous chercher dans nos villages. Ils ont pris des jeunes de 18-20 ans, à qui ils ont promis un emploi pour 30, 40 ans. À l’époque, c’étaient des célibataires. Aujourd’hui, ils ont une famille. La plupart ont contracté des crédits à la banque pour se construire une maison près de la mine. Comment vont-ils rembourser ? L’entreprise a une responsabilité sociale “. Le syndicaliste n’hésite pas à parler de ” désastre social ” ». (174)

Comme le faisait remarquer Alexandre Marc (175), expert principal de la Banque mondiale sur les pays fragiles, la question cruciale porte sur la capacité de l’économie, y compris informelle, à absorber la population croissante des jeunes, à leur donner des moyens de subsistance et plus de considération sociale et politique. De la réponse donnée à ces aspects dépendra l’évolution de la menace qu’ils peuvent représenter pour la sécurité et la stabilité. Leurs difficultés sont liées à l’insuffisance des systèmes sociaux actuels, notamment éducatifs, au manque de débouchés que la croissance procure, faute de créations d’emplois suffisantes.

B. DEUX CAS PRÉOCCUPANTS, PARMI D’AUTRES

La situation d’instabilité dans laquelle se débattent depuis longtemps un trop grand nombre de pays d’Afrique francophone ne semble malheureusement pas destinée à s’apaiser. Aux indices de fragilités présents, d’autres phénomènes s’ajoutent qui pourraient être redoutables pour le moyen et long termes.

1. L’islamisation de la société nigérienne

Votre Mission a déjà longuement évoqué le Niger à plusieurs reprises au cours de ce rapport, tant il lui semble que ce pays cristallise l’ensemble des défis qui assaillent la région sahélienne et, plus largement, les pays d’Afrique francophone. Les dérives djihadistes de la radicalisation islamiste sont au cœur de nos préoccupations depuis quelques années. On en a récemment vu les effets au Mali, on voit désormais ce qui pourrait se passer avec la dissémination de Boko Haram depuis l’extrême nord-est nigérian.

La génération spontanée n’existe pas plus en cette matière qu’en toute autre, et ces mouvements viennent de loin ; ils nous prennent néanmoins de court et nous obligent à intervenir en urgence, cf. l’opération Serval au Mali, ou l’opération Sangaris en République centrafricaine. Sans doute est-il temps de réviser nos politiques et nos instruments pour être à même de mieux anticiper. À cet égard, le Niger fait partie des pays confrontés à des évolutions profondes qui pourraient être préoccupantes pour le futur proche, si l’on en croit les indices d’ores et déjà visibles. Il convient d’y être attentif.

a. Le courant izala au Niger

Retraçant l’historique de la « déferlante religieuse sur fond de marasmes sociaux et de contestations politiques » (176) qui a touché les pays africains à partir de la fin des années 1970, Jean-Pierre Dozon distingue le mouvement fondamentaliste izala. Inspiré de la théologie wahhabite saoudienne et des principes salafistes, l’izala apparut en 1978 dans les États du nord Nigeria et annonça tout d’abord vouloir s’en prendre aux traditions confrériques, imposer la charia dans l’ensemble du pays, ce, avant que le mouvement millénariste Maiatsine ne surgisse à son tour et commence à massacrer musulmans comme chrétiens. L’izala bascula elle aussi rapidement dans la violence, les heurts avec les populations chrétiennes sous influence croissante des églises évangélistes et pentecôtistes augmentèrent, « ce qui fit de très nombreuses victimes et produisit de nombreuses destructions de mosquées et d’églises dans plusieurs grandes villes de la Fédération. »

D’abord clandestin au Niger, le mouvement prit peu à peu de l’ampleur dans les années 1990, au point que son expression contestataire initiale – articulée sur le rejet des innovations, des coutumes soufies – s’est développée et à imprégné l’ensemble de la sphère sociale dans les années 2000, à la mesure de l’islamisation de la société nigérienne (177). Aujourd’hui, son discours contestataire concerne également le domaine politique dans la mesure où il appelle à un changement radical de la Constitution, condamnée pour être laïque et mécréante, suscitant peu de réactions, montrant ainsi « qu’une partie de la sphère musulmane se désolidarise totalement de l’État », ce qui peut être « un indicateur inquiétant des potentielles fractures à venir au sein de la société nigérienne. » (178)

Dans ce processus, qui a été favorisé par la liberté d’expression et d’association en vigueur dans le pays, le courant izala a été un acteur clef en faveur de la défense de l’identité musulmane au sein d’un Niger laïc, défense qui a pris la forme « d’un moralisme qu’il voudrait imposer à toutes les normes sociales. Les oppositions à la laïcité qui se sont exprimées à travers toutes les tentatives de réforme de la loi fondamentale et qui continuent encore à s’exprimer contre des initiatives de ratification de conventions internationales – jugées trop féministes et par conséquent contraires à l’esprit et même au texte du Coran et des Hadiths – insistent sur le fait qu’une morale laïque fait violence à l’identité religieuse nigérienne. » (179). De fortes mobilisations se sont exprimées pour marquer l’opposition à des normes et pratiques sociales « considérées comme non-islamiques ou anti-islamiques : les campagnes de promotion de la planification familiale invitant à l’usage du préservatif dans le cadre de l’espacement des naissances, les tentatives d’institution d’un Code de la Famille, la ratification de conventions internationales promouvant les droits des femmes, ont ainsi suscité la critique, l’opposition et le rejet de cette société civile islamique qui prend de plus en plus un rôle public. ». (180) Incidemment, on peut estimer que dans un tel contexte, une politique de planning familial et de contrôle des naissances a sans doute peu de chance de se développer au Niger, alors même qu’elle semble pourtant indispensable compte tenu des perspectives démographiques qu’on a présentées plus haut. Ainsi, fin 2012, le projet de loi sur la protection de la jeune fille scolarisée, qui visait à en interdire le mariage, sauf décision judiciaire expresse préalable, a suscité une levée de boucliers des associations islamistes et de femmes musulmanes, et a contraint le gouvernement à céder (181).

b. L’islamisation d’un système éducatif en perdition

L’une des manifestations les plus visibles de cette islamisation de la société nigérienne porte sur l’éducation, et illustre, s’il en était besoin, la problématique de la faiblesse de l’État.

En réponse aux difficultés de l’État nigérien à maintenir un système d’enseignement public de qualité faute de moyens, notamment face à l’explosion démographique, se développe, depuis déjà longtemps, une offre privée, « basée sur l’apprentissage des principes islamiques », officielle – medersas, écoles franco-arabes – ou informelle – écoles coraniques. Cette offre répond à la déception des parents confrontés à l’échec d’un modèle public paupérisé, qui a souffert d’une baisse sensible de qualité. Or, comme le soulignent les chercheurs de l’IFRA/Lasdel (182), cette offre privée se diffuse d’autant plus facilement qu’elle s’inscrit précisément dans ce contexte d’islamisation de la société, et donc d’évolution de la demande éducative, et qu’elle a en outre bénéficié des incitations des plans d’ajustement structurels imposés par les institutions de Bretton Woods qui ont encouragé le développement d’une offre éducative privée et le transfert vers le secteur privé et la société civile d’une partie des prérogatives de l’État en matière de politique éducative.

L’État nigérien tente de garder la main sur les contenus pédagogiques, les medersas privées étant officiellement sous contrôle public, mais son manque de moyens rend ses outils de suivi et d’inspection illusoires (183). On constate des pratiques de contournement de leurs obligations officielles tant en matière de contenu que de forme de l’enseignement de la part des associations religieuses, qui fonctionnent de manière opaque.

L’État est donc confronté à l’explosion d’une demande d’éducation à contenu religieux qui correspond à une réalité sociale qu’il ne peut ignorer alors même qu’il n’est pas en mesure de son côté de simplement faire respecter la législation existante ni bien sûr conforter son propre modèle laïc en crise. Ainsi, pour répondre aux objectifs d’augmentation du taux de scolarisation, un système de recrutement d’enseignants a-t-il été mis en place qui privilégie le nombre et le faible coût, au détriment de la qualité de la formation. Ces « contractuels de l’enseignement » sont recrutés à un très bas niveau, correspondant au BEPC, formés en quelques semaines à peine, sans parfois posséder eux-mêmes les connaissances minimums qu’ils sont censés ensuite dispenser à la centaine d’élèves dont ils sont chargés. (184)

L’attractivité de l’enseignement religieux privé est à la mesure du ressenti des parents vis-à-vis de cet échec : promesse de progrès social, l’école publique restitue l’enfant, qui en outre, a été absent des champs pendant sa scolarité, sans métier, ni même savoir lire et écrire. Les auteurs de l’étude en concluent : « Cette érosion de l’école publique laïque accompagne un mouvement de désengagement de l’État qui souhaite se décharger d’un secteur budgétivore, affecté par la corruption, la dégradation des infrastructures et la forte croissance démographique. À court et moyen termes, le caractère laïc de l’éducation publique au Niger et les valeurs républicaines et démocratiques qui s’y rattachent, ne peuvent qu’en souffrir. » (185)

La faiblesse de l’État pèse de manière dramatique sur sa capacité à répondre aux besoins et attentes de la population – d’autant plus que les financements privés, qu’ils soient nationaux ou internationaux, ne manquent pas : mécènes, ONG ou associations arabes – et alimente le cercle vicieux. On retrouve des problématiques comparables sur d’autres terrains, dans d’autres pays aussi, et Jean-Pierre Dozon fait justement remarquer que l’évangélisme protestant et l’islam prospèrent sur le dos de pouvoirs d’État déclinants pour s’approprier quantité de leurs fonctions dans les domaines de l’éducation et de la santé et tendre à la gouvernance confessionnelle (186). Elles traduisent à leur niveau la difficulté dans laquelle se débattent aujourd’hui même les institutions étatiques pour répondre aux besoins de la population, difficultés qui laissent mal augurer du futur, dans la mesure où les conditions ne feront que s’aggraver avec la croissance démographique. Gilles Holder, anthropologue à l’Institut des mondes africains de l’EHESS et à l’IRD, fait la même analyse concernant le Mali en estimant qu’à la faveur de la démocratisation, « en accédant à l’espace public, les organisations musulmanes vont bénéficier du retrait de l’État à la fois dans son contrôle politique du religieux (effet de la démocratie) et sa capacité à mener des politiques publiques dans les domaines de la santé, l’éducation et la pauvreté, jugés trop coûteux (effet de la libéralisation). Ce délestage programmé de l’action publique vers le secteur privé – ONGs de la société civile inclues – va conduire la société malienne à sortir progressivement du politique et cesser de considérer que l’État libéral peut améliorer ses conditions de vie. Parallèlement, cette même société malienne va adhérer de plus en plus aux discours et aux valeurs des acteurs islamiques, lesquels ne se bornent plus à interpeler l’État, mais s’engagent dans un repositionnement qui les font passer du débat sociétal (les valeurs) au débat social (l’action). » (187)

S’agissant du Niger, cette réalité sociale et religieuse s’est d’autant plus rapidement imposée qu’elle a été portée par le très profond fossé générationnel entre les élites dirigeantes et la jeunesse, pour laquelle, aujourd’hui, le véritable Islam est épuré, salafiste, sans marabouts ni clergé, lequel est perçu comme corrompu. Cela au point que « pour une grande partie des jeunes Nigériens – y compris ceux qui ne se réclament pas du mouvement izala – le wahhabisme est devenu la norme ; la référence à la Sunna et aux Salafs a supplanté les pratiques antérieures, notamment celles de la Tidjaniyya, considérées par cette génération de fidèles comme hérétiques. » (188) Cette perception de la jeunesse participe donc aussi d’une contestation des autorités, des aînés, comme on l’a constaté ailleurs, et du refus de suivre les modèles de la génération précédente, incarnée par les parents, les leaders traditionnels, vus comme dans l’erreur quant à leur pratique de l’islam. Peu à peu, de nouvelles pratiques se sont imposées en matière de mariages, de baptêmes, des formes d’autocensures sont apparues, dans les milieux artistiques et les média. Il y a par exemple désormais des prêches systématiques à la télévision publique, une industrie du prêche s’est organisée à la faveur des évolutions technologiques, qui rencontre un grand écho (189). Dans le même ordre d’idées, la vie étudiante à l’université, où les mosquées se sont multipliées ces dix dernières années, tourne désormais sur un axe religieux. Le courant izala, à la différence de Boko Haram, ne s’inscrit pas contre l’État, ni contre la démocratie et respecte l’État de droit ; il n’en reste pas moins qu’en quelque deux décennies il a contribué à très profondément modeler la société dont la religiosité est aujourd’hui exacerbée.

c. Des craintes pour la stabilité du Niger ?

Fort heureusement, jusqu’à aujourd’hui, le courant izala n’a pas eu au Niger la violence de la branche nigériane originelle, même si, comme le rappelle l’ICG, « sa volonté de purifier la pratique de l’islam et sa critique des confréries soufies engendrent des tensions conduisant à l’incendie de mosquées ou à des affrontements entre croyants. ». (190) Des manifestations musclées et sporadiques se sont aussi produites contre le festival de la mode de Niamey en 2000, l’élection de Miss Niger en 2005, ou encore des actes de vandalisme contre des bars ou des lieux de prostitution de Niamey, (191) mais dans l’ensemble, on considère que les tensions sont apaisées et que le courant izala a clairement choisi une voie politique, et l’on peut même dire qu’il s’est intégré dans le système, s’est institutionnalisé au sein de l’État démocratique et laïc.

Pour autant, peut-être n’est-il pas exagéré de faire quelques rapprochements ou parallèles, quand bien même à ce jour rien de concret n’est venu vraiment les étayer. Mais peut-on ignorer que Boko Haram est d’une certaine manière une forme de dissidence de la branche nigériane de l’izala, résultant de l’expulsion de son fondateur, Mohamed Yusuf, pour cause de divergence théorique, notamment sur les questions d’éducation ? Comme le rappelle aussi l’ICG, de nombreux Nigériens qui étaient fidèles du Maitatsine au Nigeria, ont fui la violente répression du mouvement par l’armée nigériane dans les années 1980 pour revenir au Niger jusqu’aux régions de Maradi et Zinder, où le mouvement izala recrutera ensuite de nombreux adeptes. Malgré l’action des services de sécurité nigériens, on ne doit pas s’étonner que « la région est du Niger est loin d’être imperméable aux idées véhiculées par Boko Haram. En effet, dès 2007, un groupe à l’idéologie similaire s’est formé à Diffa et a tenté de s’imposer, notamment au sein de la mosquée centrale de la ville. La virulence des prêches, dénoncée par des membres des mouvements confrériques, a amené les autorités à interdire l’accès de cette mosquée aux membres du groupe, qui se sont alors retirés dans des villages voisins. Parallèlement à ce phénomène de reproduction dogmatique, il semble que des militants de Boko Haram aient trouvé refuge au Niger, notamment après les actions de répression menées par l’armée nigériane, et composeraient par conséquent des ” cellules dormantes ” du mouvement sur le territoire du Niger. Ceci est d’autant plus vraisemblable qu’il existe des liens socio-économiques anciens et très étroits entre la région de Maiduguri et la région de Diffa, de nombreuses familles étant implantées de part et d’autre de la frontière. Le sud-est du Niger, éloigné de la capitale, échappe déjà dans une certaine mesure au contrôle de l’État (par exemple, la monnaie nigériane y est plus couramment utilisée que le franc CFA) et pourrait donc constituer un nouvel espace de recrutement et/ou de repli pour des mouvements comme Boko Haram, tout particulièrement si la répression au Nigeria continue à faire de nombreuses victimes parmi les populations civiles. » (192)

Ce qui s’est passé dans les villes de Diffa et de Bosso au début du mois de février 2015 met naturellement en évidence ce que cette étude annonçait il y a deux ans, notamment l’activation des cellules dormantes, concomitante des attaques lancées par Boko Haram contre le Cameroun, le Tchad et le Niger. Est-il illégitime d’avoir des inquiétudes sur ce qui peut ressembler aux prémices d’une tentative de déstabilisation qui annoncerait une « boko-haramisation » du sud-est nigérien ? À cela s’ajoute le fait qu’une certaine opposition au pouvoir nigérien n’hésite pas à prendre tout prétexte pour enflammer la société et à jouer la carte de l’affrontement religieux, cf. les manifestations violentes qu’ont connues Niamey et d’autres grandes villes en janvier 2015.

Ces différents éléments s’inscrivent dans un contexte régional plus général. Quand bien même l’État nigérien assure un meilleur contrôle de son territoire immense – près de 1,3 million de km2 – que certains de ses voisins, son environnement immédiat le met d’autant plus à la merci de l’importation de troubles multiples que la topographie contribue à l’implantation aisée de mouvements armés. L’histoire récente depuis le début des années 2000 a montré comment des mouvements comme AQMI ont pu mener des opérations contre les intérêts nationaux ou occidentaux. Les incidents armés ne se comptent plus, les enlèvements ont été jusqu’à frapper la capitale même, ainsi que les attaques contre des sites industriels, ceux d’Areva en premier lieu, enlèvements d’employés en 2010 ou attaque d’un commando suicide en mai 2013 contre le site d’Arlit.

S’y ajoutent quelques faiblesses internes. On a ainsi pu relever des « dysfonctionnements et des déséquilibres préoccupants » (193) au sein des forces de sécurité nigériennes, que ce soit en termes logistiques ou en matière d’encadrement. Dans un contexte régional où le Niger doit faire face sur l’ensemble de ses marches, sans exception, à diverses menaces, cela ne peut manquer de retenir l’attention. En outre, le pouvoir civil doit évidemment compter avec les forces armées qui n’ont cessé de jouer alternativement un rôle d’arbitre ou de perturbateur depuis au moins le milieu des années 1970, et rien n’exclut qu’elles ne décident d’intervenir à nouveau en cas de crise, interne ou extérieure. À l’heure actuelle, la faible qualité du dialogue politique entre la majorité et son opposition, les tensions qui se renforcent, ne permettent pas de qualifier de très saine la situation interne au plan institutionnel. Par ailleurs, si la question touareg peut apparaître mieux traitée qu’elle a pu l’être au Mali voisin, cf. par exemple la nomination d’un premier ministre touareg,Rafini Brigi, elle n’en est pas moins toujours sujet à des tensions qui pourraient resurgir, les racines du malaise étant encore importantes, dont les fondements sont aussi générationnels et religieux.

Quoi qu’il en soit, ces divers éléments ne sont pas de nature à permettre de prévoir un avenir particulièrement serein au Niger dont la stabilité et le développement dépendront inévitablement de sa capacité à surmonter des défis qui seraient difficiles à traiter pour quelque pays que ce soit. Le fait qu’ils menacent le plus pauvre d’entre eux tend à déséquilibrer la balance et à rompre l’équilibre des chances.

Niger : Fragilités internes et menaces régionales (194)

2. Les craintes qui pèsent sur le Cameroun

La situation du Cameroun ne manque pas de préoccuper les observateurs au point que votre Mission a jugé utile d’y consacrer un certain nombre d’auditions et de faire un déplacement sur place.

Quels que soient les pronostics que l’on déduira de ce qui suit, le diagnostic est clair : le sous-développement est la principale fragilité de ce pays et c’est cela qu’il convient de comprendre en tout premier lieu.

i. Les incertitudes politiques

Certes, la situation politique est un aspect du problème à moyen terme, notamment lorsque le président Biya atteindra le terme de son mandat.

Le Cameroun n’a connu que deux présidents depuis son indépendance, Ahmadou Ahidjo et Paul Biya. Aujourd’hui, se pose la question de la succession de celui-ci, âgé de 82 ans et Président depuis novembre 1982, soit plus de 32 ans, après avoir été Premier ministre pendant les 7 ans et demi précédents.

Les vingt-deux ans de la présidence Ahidjo ont été caractérisés par l’installation d’un système centralisé et policier de plus en plus clientéliste, dans lequel la cooptation des élites, la corruption et la répression ont été les trois piliers essentiels, dans un contexte économique favorisé par les revenus de la production pétrolière. (195)

Les trois décennies de présidence Biya ont été de leur côté marquées par une crispation entre le nord et le sud, coïncidant avec une très difficile démocratisation.

Le régime fait face à des explosions régulières mais tient, malgré tout, et se reproduit. Le pouvoir exécutif lui-même, articulé autour du Président de la république et de l’administration publique attire beaucoup de compétences, de jeunes diplômés. Le pouvoir camerounais se maintient aussi grâce au parti présidentiel : le RDPC, hégémonique, dispose de 148 députés sur 180 et de 82 sénateurs sur 100, dont trente nommés par le Président de la République, qui peut ainsi renforcer le poids du parti au sein du parlement (196). Le parti contrôle 305 communes sur 360, la haute fonction publique, la totalité des nominations, ce qui lui permet de s’assurer de la loyauté des fonctionnaires et des élites. En outre, le régime a toujours maintenu un fort appareil de renseignements, de forces spéciales, notamment la Garde présidentielle.

Cela étant, cet apparent monolithisme est traversé de fragilités profondes et de tensions internes fortes qui pourraient d’autant mieux trouver à s’exacerber que les structures susceptibles de canaliser la contestation sont quasiment absentes. Les formations d’opposition sont des micro-partis, incapables de rivaliser avec le RDPC, seule force structurée. Les quelques partis qui ont eu une importance dans le passé, l’UPC en premier lieu, n’ont pas su s’adapter, sont restés sur des schémas anciens et ne représentent plus de forces d’opposition, dont des leaders nouveaux auraient repris le flambeau. On ne voit pas quelle force politique pourrait aujourd’hui faire descendre les gens dans la rue. De leur côté, les églises et organisations de la société civile restent sur des positions très prudentes.

Les éléments de fragilité du Cameroun sont tels que l’on doit se poser la question des scénarios possibles en cas de crise de succession, si Paul Biya ne se représentait pas en 2018, à 85 ans. Un coup de force militaire paraît improbable, mais les Nordistes souhaiteront sans doute revenir au pouvoir après une longue marginalisation. On peut à juste titre s’inquiéter d’un scénario comparable à celui que la Côte d’Ivoire a connu, à savoir une détérioration plus ou moins rapide à la faveur d’une lutte de succession, dans le cadre d’un pays très centralisé.

La situation sécuritaire dans l’extrême nord du pays est une autre fragilité. Comme beaucoup d’interlocuteurs rencontrés sur place le soulignent, nombreux sont ceux qui estiment que les forces armées sont assez mal outillées et peu entraînées, à la différence de celles du Tchad auxquelles il a été fait appel en janvier dernier, pour lutter contre Boko Haram. Ce sont surtout les forces spéciales qui initialement étaient en première position et elles sont aujourd’hui renforcées par des troupes régulières : 4 000 militaires supplémentaires ont ainsi été mobilisés, mais les moyens restent considérés comme insuffisants et cela prendra du temps de reconstruire une armée efficace qui n’a aujourd’hui que de faibles capacités. En outre, si le conflit devait durer, la réactivation des clivages qui existent au nord entre chrétiens et musulmans, où une bonne partie des élites sont musulmanes, ne serait pas à exclure.

ii. Le lent glissement du Nord Cameroun vers l’insécurité faute de développement

Votre rapporteur voudrait insister sur l’analyse des racines de cette crise dans le nord qui remontent à plusieurs décennies. Fort de quelque quarante ans de terrain dans le nord Cameroun, Christian Seignobos (197), directeur de recherche émérite à l’IRD, a fort bien détaillé la lente dérive de la région vers l’insécurité dans laquelle elle a aujourd’hui basculé, pour des raisons conjuguées de non développement et d’islamisation rampante. N’étaient les vols traditionnels de bétail, l’insécurité était inexistante dans les années 1970. Les conflits s’y réglaient traditionnellement. Le phénomène ancestral des coupeurs de route (198) est réapparu à la fin des années 1980, réintroduisant une insécurité qui n’a cessé de se radicaliser, prospérant sur les zones transfrontalières avec le Tchad et le Nigeria, au point que les années 1990 « apparaissent comme l’âge d’or des grandes embuscades sur les routes du Cameroun septentrional. ». (199)

Une alchimie explosive s’est faite à cette époque de plusieurs rencontres et coïncidences. Celles de soldats tchadiens désœuvrés avec les éleveurs Mbororo transhumants en phase de sédentarisation, et de ce fait en situation de stress démographique. En quelques années, la sédentarisation, ayant induit une augmentation du nombre d’enfants par famille, a délité les mécanismes de partage des troupeaux, provoqué une montée de la frustration des cadets, en conséquence leur rancœur, leur révolte, et des affrontements intergénérationnels. Celles de difficultés économiques, de conditions de survie locales avec une« économie du crime » qui a pu d’autant mieux prospérer qu’elle a su s’adapter et se moderniser. Les haches, machettes et autres outils ont cédé la place aux kalachnikovs et aux moyens d’actions plus modernes, telles les motos chinoises bon marché. Les effets de cette dérive se font aujourd’hui sentir non seulement au nord Cameroun mais aussi en République centrafricaine et au Nigeria : ils font partie des éléments constitutifs du surgissement de la Seleka, comme aussi, en grande partie, de Boko Haram dont l’enracinement régional s’explique aussi par ces raisons.

« En définitive, l’embuscade sur les routes du bassin tchadien en général et dans les zones frontalières en particulier est un phénomène ancien. Elle tire ses sources dans la précarité économique qui, au fil des ans, a érigé les déviances de subsistance en modes parallèles d’accumulation. À la timidité de la sanction sociale dans les villages se sont ajoutés d’autres vecteurs de la violence, au nombre desquels figurent en bonne place la dissémination des armes à feu, la colère des millions de sans-emploi et la transmigration de milliers d’anciens combattants ou soldats des armées régulières désœuvrés et disposés à tirer parti de leur expertise dans le maniement des armes. Les modalités des échanges économiques qui s’inscrivent dans la continuité du commerce caravanier précolonial, alliées à l’efficacité tardive ou partielle des mesures de lutte mises en place par les États, ont favorisé la perpétuation de l’agression à main armée. Menée souvent avec un réel sens de la coordination, une division du travail hiérarchisée, une tactique soucieuse de l’efficacité et des modalités de retraite sécurisée après l’attaque, l’embuscade organisée par des bandes imposantes s’apparente à une opération militaire classique. » (Issa Saïbou, 2004)


Pour Christian Seignobos, Boko Haram est en effet arrivé à point nommé pour se greffer tout d’abord sur ce mouvement de coupeurs de routes, en apportant une parole religieuse qui a pu se diffuser et gagner en popularité chez les Kanouri et dans d’autres ethnies de la région. Mais en outre, le discours anticolonial, le retour au XIXe siècle précolonial qu’il prône, voire même à un passé antérieur, a coïncidé avec la radicalisation progressive de l’islam dans la région, d’où la Tijaniyya a progressivement disparu. Cette islamisation profonde date des années 1990 et n’a depuis son apparition cessé de s’étendre très vite jusqu’à aujourd’hui. En ce sens, Abubakar Shekau, leader de Boko Haram, et autres surfent sur la vague d’un salafisme populaire venu de loin, depuis le début des années 1980, par exemple avec le mouvement izala qui a surtout essaimé dans le sud du Niger, comme on l’a vu, et défend des pratiques de plus en plus rigoristes que tout observateur a vu venir : construction de mosquées, conversions de chrétiens, etc.

Les avis sont partagés quant à la nature religieuse ou non de la crise. Pour Christian Seignobos, s’il y a collusion entre Boko Haram (200) et certains leaders politiques, s’il y a une dimension évidemment purement criminelle dans ses activités, il ne faut pas se leurrer : ce mouvement est avant tout de nature religieuse et son discours se diffuse d’autant plus dans la société locale qu’il fait écho à des comportements sociaux anciens, tel le refus de l’école, très ancien dans le nord du Cameroun. La politique du président Ahidjo qui souhaitait le rééquilibrage entre nord et sud et a fait venir pour cela des enseignants expatriés, a été mal vécue tant par le sud, qui y a vu une manière de favoriser exagérément le nord, que par le nord-même pour lequel l’école ne saurait être gratuite : elle se mérite et se monnaie, cf. l’école coranique, et le papier ne peut être que religieux. En d’autres termes, personne n’a vu que la promotion de l’école gratuite risquait de se heurter à des réalités qui rendrait son acceptation difficile. D’autres interlocuteurs (201) analysent également cette évolution dans des termes comparables, et confirment que tout a commencé dans les années 1980, avec la transformation des courants théologiques, la perte d’influence de la Tijaniyyaconcomitante de la montée du mouvement izala dans les années 1980, avant que la radicalisation n’intervienne dans les années 1990. La greffe a d’autant mieux pris que l’on est dans une région de très grandes inégalités sociales, où les écarts de richesse sont extrêmes et fortement visibles. D’une certaine manière, se paient ainsi le déclassement des zones sahéliennes qui existe depuis toujours, et la marginalisation du nord qui n’a jamais cessé, même au temps du président Ahidjo.

Dans un récent entretien à Jeune Afrique, l’ancien ministre camerounais Marafa Amidou Yaya estimait que « ces régions, comme celles qui jouxtent la frontière avec la Centrafrique, ont été laissées à l’abandon ces trente dernières années. Aucun projet économique d’envergure n’y a vu le jour. Il y a des différences, bien sûr, et la situation n’est pas la même dans l’Adamaoua, qui est de plus en plus reliée au reste du Cameroun, que dans le nord ou l’Extrême-nord. Le nord est une région qui pourrait être très riche, mais l’État n’exploite pas ce potentiel. L’Extrême-nord, enfin, est la région la plus peuplée du pays, mais elle est complètement abandonnée à elle-même. Elle subit les affres de la sécheresse, des inondations, de la famine, des épidémies et d’un déficit de scolarisation… Pas étonnant que les jeunes soient sensibles aux sirènes de Boko Haram. ». (202)

Ce ne sont pas seulement des représentants de l’opposition ou des observateurs qui formulent ce constat. Ainsi, l’archevêque de Douala, Mgr Samuel Kleda, originaire de l’extrême nord, confirmait les propos de l’ancien ministre Marafa dans des termes identiques (203) et les membres de l’Exécutif aussi. Ainsi, le vice-Premier ministre, Amadou Ali, également originaire de l’extrême nord et en fonction depuis dix ans, insistait sur le besoin de développement des régions septentrionales, en défendant devant votre mission le plan d’urgence décidé par le président Biya en mai 2014 pour un montant de 925 Mds de FCFA. S’il n’avait pas de précision à apporter, ignorant où en était la mise en œuvre, il balayait l’ensemble des secteurs à prioriser : éducation, formation, agriculture, pêche, élevage, infrastructures et tourisme. (204) De même, le secrétaire général des services du Premier ministre, Louis-Paul Motaze (205), ou encore René Sadi, ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation (206), pour lequel la réponse de long terme à Boko Haram, qui a su profiter de la précarité, du manque de perspectives, du chômage, de la pauvreté, est à chercher dans le développement de la région, étaient sur une tonalité identique. Tout le monde convient sans difficulté qu’oubliée jusqu’à aujourd’hui des schémas de développements nationaux, cette région est devenue le terrain favorable à la diffusion en profondeur de la secte. Cela s’est fait d’autant plus facilement qu’il s’agit aussi d’une région habituée de tout temps à l’illégalité : il y a toujours eu beaucoup de contrebande, de pétrole avec le Nigeria, de coton, etc. Comme le faisait remarquer Marie-Emmanuelle Pommerolle (207), aujourd’hui directrice de l’IFRA de Nairobi, appartenir à Boko Haram n’a rien d’extraordinaire dans un tel contexte, même si la violence extrême dérange aujourd’hui dès lors que les recrutements ne se font plus seulement sur des bases volontaires, mais contraintes. Quoi qu’il en soit, cette situation contribue aussi à entretenir le ressentiment des populations contre un État qui n’a jamais été protecteur.

Dans ce contexte, la question de la nationalité nigériane ou camerounaise des acteurs est un faux problème. Comme on l’a souligné, les liens communautaires de chaque côté de la frontière sont toujours très forts ; historiquement, il y a toujours eu des transfuges, car ce sont les mêmes communautés musulmanes, Fuldé, Haoussa, Kanouri et autres, qui vivent dans cette région. En outre, cet extrême nord-est du Nigéria appartenait autrefois au Cameroun, le « Cameroun britannique nord » n’ayant rejoint le Nigeria qu’en 1961, au moment de la consultation organisée par les Nations Unies. En d’autres termes, au nord, tout conflit ne peut être que transnational, toute rébellion est par nature transnationale, et il ne peut y avoir de tension forte au nord-est du Nigeria sans qu’il y en ait aussi dans l’extrême nord du Cameroun. Tout cela explique qu’il y ait aujourd’hui beaucoup de Camerounais au sein de Boko Haram : le n° 2 de la secte est sans doute Camerounais, et il n’est pas exclu qu’Abubakar Shekau lui-même soit d’origine camerounaise. Auparavant, Mohamed Marwa, prêcheur radical qui fonda au Nigeria la secte millénariste Maitatsine, était également camerounais.

En revanche, le vice-premier ministre du Cameroun, Amadou Ali (208), originaire de l’extrême nord, voit plutôt dans ce qui se joue sur le terrain la répétition de ce qui se produit ailleurs sur des schémas identiques, à savoir notamment une évolution des affrontements traditionnels dus à des rapports de forces locaux, la dimension religieuse n’étant pour lui qu’un alibi, la résistance, et notamment, le refus de l’école occidentale, par exemple, ayant toujours existé de la part de nombre de familles musulmanes.

Le fait que cela se soit accru ces vingt dernières années a renforcé l’acuité d’un problème très ancien : « Boko Haram » est par exemple une expression qui existe depuis très longtemps, au moins depuis le début des années 1950, qui désignait tout ce qui, provenant de la colonisation, était prohibé (209). En résumé, ici comme ailleurs, les éléments qui allaient devenir quelques années plus tard constitutifs d’une crise majeure se sont installés, ou réinstallés, progressivement, sur la longue durée. Amadou Ali rappelait par exemple que les années 1880-1900 avaient également connu une guerre sur la même zone qui ambitionnait un califat à Kousseri, et témoignait aussi qu’enfant, au début des années 1950, il y avait déjà une certaine violence, que le phénomène des coupeurs de route existait, et qu’avec sa réapparition ces dernières années, on assistait ni plus ni moins qu’à la récurrence de problématiques anciennes non suffisamment traitées.

Quoi qu’il en soit, force est de constater qu’on les a laissées venir et s’enraciner sans apporter d’autres réponses qu’erronées ou inefficaces. En premier lieu, la réponse du gouvernement camerounais et des pays voisins à la fin des années 1990 a été exclusivement répressive, car, il y a une dizaine d’années, ce phénomène paraissait faire partie du paysage.

Aucune autre stratégie, de prévention ou d’anticipation, n’a été entreprise pour renforcer le tissu économique, alors même que la région est en proie à des troubles politiques et sociaux récurrents, ou que des mouvements, aujourd’hui Boko Haram, Maitatsine dans les années 1980, Yan Shi’a dans les années 1990, avaient commencé de s’installer et d’essaimer dans le voisinage nigérian immédiat, à la faveur notamment d’un discours religieux et d’un appui aux revendications sociales des populations les plus défavorisées.

La réponse internationale à l’aggravation de la menace de Boko Haram

En mai 2014, le sommet de Paris a précisé et coordonné la réponse sécuritaire à apporter à Boko Haram : il a réuni les chefs d’État de la région pour renforcer la coopération régionale contre Boko Haram, et obtenir la libération de jeunes filles enlevées à Chibok. L’organisation de patrouilles conjointes a été prévue entre forces des pays de la région, ainsi que le partage de renseignements. La Commission du bassin du Lac Tchad devait être réactivée pour définir une stratégie de lutte contre le terrorisme. Les pays occidentaux sont convenus de coordonner leur action, et les bailleurs de fonds ont été invités à se mobiliser pour des programmes en faveur des populations des régions affectées.

Le 20 janvier s’est tenue à Niamey une première réunion régionale consacrée à la question de Boko Haram, afin de définir une solution internationale, suite à l’ampleur et aux implications de l’attaque sur Baga. Le sommet de l’Union africaine d’Addis-Abeba a ensuite confirmé les orientations définies à Niamey : création d’une force multinationale de 7500 hommes, composée des pays membres de la commission du bassin du Lac Tchad : Cameroun, Tchad, Nigeria et Niger plus Bénin ; demande d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies ; mise en place d’un trust fund pour le financement.

Devant l’aggravation de la situation en février 2015, le Tchad a déployé ses forces armées et des combats ont été engagés. Le Cameroun avait jusqu’alors une position purement défensive de « containment » de Boko Haram hors de son territoire, a renforcé ses positions le long de la frontière avec 4000 hommes.

Lors d’une réunion à Yaoundé, début février, le Tchad, le Niger, le Nigeria, le Cameroun et le Bénin se sont mis d’accord pour mobiliser une force qui sera finalement de 8700 hommes et non de 7500, policiers, civils et militaires. Les détails concrets devaient être transmis au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine pour approbation et transmission au Conseil de sécurité des Nations Unies. En l’état actuel des informations, le Nigeria et le Tchad devraient apporter chacun entre 3 200 et 3 500 hommes, tandis le Cameroun et le Niger mettront 750 soldats chacun. La contribution du Bénin n’a pas encore été précisée.

Cette force aura une zone opérationnelle recouvrant les pays du bassin du Lac Tchad (Niger, Nigeria, Cameroun et Tchad), et les soldats de la force pourront se déplacer sur l’ensemble de ce territoire sans requérir d’autorisation, réglant ainsi en partie l’épineuse question du droit de poursuite entre le Cameroun et le Nigeria. Le QG sera basé à Ndjamena, et le principe d’un commandement tournant a été retenu, chaque pays conservant sa liberté de manœuvre sur son propre territoire.


En second lieu, les réponses des bailleurs de fond n’ont cessé de fluctuer, dans cette région comme ailleurs. De décennie en décennie, les projets économiques ont succédé à des projets agronomiques eux-mêmes remplacés par d’autres quelques années plus tard sans que les réalités sociales, concrètes, de terrain soient jamais prises en compte, proposant des axes insistant sur de supposées problématiques régionales correspondant surtout à nos propres préoccupations. Ainsi de la dimension « écologiste » des projets pour lutter contre les phénomènes d’érosion naturelle, tels que promus par la Banque mondiale, non appropriables par les populations Kanouri locales, supposément bénéficiaires, lesquelles, n’en percevant pas l’intérêt ne pouvaient, a fortiori, en garantir le succès. (210)

III. POUR UNE RÉVISION DE LA POLITIQUE AFRICAINE DE LA FRANCE

A. TOUT D’ABORD, UN REGARD CRITIQUE

Au vu de ces bilans et constats, contrastés, la question qui se pose pourra paraître brutale : en quoi notre politique africaine a-t-elle répondu aux objectifs de développement et de stabilité de nos partenaires d’Afrique francophone ?

Ces pays sont pour la plupart d’anciennes colonies, avec lesquels nous avons des liens privilégiés, politiques, culturels et commerciaux. Depuis que notre pays s’est doté d’une politique d’aide au développement, ce sont ces mêmes pays qui sont « notre cœur de cible ». Que ce soit au sein de l’ancienne zone de solidarité prioritaire ou aujourd’hui, ils ont toujours été parmi nos premières priorités, destinataires de l’essentiel de nos financements. Près de soixante ans après leur indépendance, ils n’ont cependant toujours pas réussi à sortir du sous-développement dans lequel ils sont englués.

La situation est telle que, malgré ces aides, aucun d’entre eux n’est en effet jamais sorti de la catégorie des PMA de laquelle ils relèvent pour la plupart, comme on l’a vu.

À moyen terme, mis à part le cas particulier de la Guinée équatoriale, aucun ne devrait non plus en sortir. Depuis la création des PMA par les Nations Unies en 1971, seuls quatre pays ont réussi à le faire : le Botswana (1994), le Cap-Vert (2007), les Maldives (2011) et les Samoa (2014). D’ici 2021, on considère que la Guinée équatoriale et Vanuatu – si tant est que le désastre que le typhon Pam a provoqué à la mi-mars n’ait pas ruiné durablement ses efforts – en sortiront, ainsi que, probablement, Tuvalu. L’Angola et Kiribati semblent pouvoir prochainement remplir les conditions pour être admissibles au processus ; les îles Salomon commencent à répondre à certains des critères. Le Timor-Leste et le Bhoutan pourraient également devenir admissibles. Ainsi, sur la présente décennie, dix des 49 PMA, en incluant les Maldives et les Samoa, pourraient avoir rempli les critères de sortie, mais aucun pays d’Afrique francophone n’en fait partie (211). Consécutivement, plus de 40 % des PMA seront alors des pays d’Afrique francophone, contre moins d’un tiers aujourd’hui. Il y a dans ce constat et ces perspectives une coïncidence malencontreuse qui interpelle inévitablement notre action et invite à s’interroger sur son utilité, sa finalité, la pertinence des axes par lesquels elle intervient, les moyens qu’elle y consacre et leur adéquation aux besoins de nos partenaires africains : ce sont précisément sur les secteurs que nous privilégions que ces pays prioritaires sont les plus mal classés, la santé, l’éducation, pour ne prendre que ces deux seuls critères.

Ce n’est pas le lieu ici de reprendre en détail les débats mille fois engagés sur l’efficacité de l’aide, sur ses conditions et modalités. On sait, comme le rappelait Jean-Marc Châtaignier (212), que la mesure de l’efficacité de l’APD est particulièrement difficile, que des conditions très variées jouent sur son impact et son rôle concret dans le développement d’un pays, parmi les multiples sources de financement qu’il reçoit et qui peuvent contribuer à son décollage. Néanmoins, il n’est pas illégitime de se demander en quoi les instruments que l’on a mis en place ont été à la hauteur des enjeux. En ce sens, il n’est pas inutile de garder en mémoire quelques-unes des analyses qui ont été faites ces dernières années de l’APD de la France, qui sont toutes arrivées à des conclusions identiques, aux termes desquelles on observe une véritable distorsion entre les priorités géographiques et sectorielles que notre pays affiche et promeut sur la scène internationale et ce qu’il fait concrètement. Ce à quoi on pourrait aussi ajouter un dernier axe de réflexion, tout aussi important, celui de savoir si nos politiques ont contribué comme elles l’auraient dû à la défense et à la promotion de nos intérêts politiques et économiques, spécialement dans les pays d’Afrique francophone.

L’impression ressort que les réorientations qui ont été décidées dans les années 1990 n’ont pas été les plus heureuses : la France s’est alors alignée sur les thèses dominantes et pour diverses raisons, a abandonné des secteurs qui faisaient sa force, comme le rural, a changé de stratégies, comme en matière de santé, alors qu’elle y avait développé un travail de terrain unanimement salué qui lui permettait en outre d’exercer un véritable leadership international qu’elle a aujourd’hui perdu. C’est l’époque où ses modalités de financement ont évolué, et transité beaucoup plus qu’auparavant par le canal multilatéral, ne laissant finalement plus qu’une part résiduelle et insignifiante au bilatéral à disposition des postes diplomatiques. C’est aussi l’époque où son assistance technique a commencé de diminuer de manière drastique, ce qui a conduit, en quelques années, à une perte de proximité et d’intelligence du terrain, de connaissance. Autant de points qui ont contribué à affaiblir sur la durée un positionnement et une visibilité aujourd’hui moins bons.

Ces différents aspects appellent une analyse critique de notre APD et des autres instruments de la politique africaine car, au-delà de la seule question du développement économique et social de nos partenaires, la plupart, si ce n’est la totalité des crises récentes, sécuritaires ou humanitaires, sur lesquelles la France et la communauté internationale ont dû intervenir en urgence, n’étaient pas des surprises. Bien au contraire, elles étaient annoncées depuis longtemps, les déterminants de leur déclenchement ont mis du temps à s’installer, à se développer ; on n’a pas pu ne pas les voir venir et monter en puissance, mais pour autant, ce que l’on a mis en place pour prévenir le surgissement des crises a souvent été de peu d’effet.

1. Le bilan mitigé des politiques d’aide au développement

N’en déplaise au discours officiel, la politique d’aide au développement, telle qu’elle est conduite depuis des années, prête le flanc à la critique. Il y a en effet maintenant longtemps que de nombreuses voix se font entendre pour dénoncer un certain nombre de ses caractéristiques. La représentation nationale n’est pas la dernière sur ce sujet. Elle n’a malheureusement jamais réussi à se faire entende de l’Exécutif, qui continue, débat budgétaire après débat budgétaire, à camper sur des positions de plus en plus intenables et à rester sourd aux invitations qui lui sont faites de réorienter certains axes et instruments. Le présent rapport est l’occasion de revenir sur ces questions cardinales, eu égard aux situations constatées sur le terrain.

Il ne s’agit évidemment pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, de soutenir que l’APD est inutile et coûteuse et que du passé il faut faire aujourd’hui table rase. Évidemment excessif, un tel discours serait non constructif, inaudible, et surtout, irresponsable : tout au contraire, c’est précisément parce que l’Afrique est dans cet état, faute de développement ou de mal développement, et face à ces défis majeurs, que l’APD est plus que jamais nécessaire. Plus modestement, il s’agit d’inviter à une réflexion collective en mettant le doigt sur ce qui doit être revu.

a. Le cadre et l’ambition de la politique française d’aide au développement

i. Les documents d’orientation qui fondent la politique d’aide au développement

La France, longtemps critiquée pour son manque de vision stratégique en matière d’APD a comblé cette faiblesse en publiant tout d’abord un document-cadre fin 2010, « Coopération au développement : une vision française » (213), définissant les enjeux stratégiques, l’approche et la méthode, destiné à maximiser l’impact des actions de notre pays.

Ce document partait du constat selon lequel les bénéfices de la mondialisation étaient inéquitablement répartis, faute d’une gouvernance suffisante. La France plaidait pour une mondialisation maîtrisée, porteuse de valeurs, et sa politique d’aide au développement devait y contribuer, en tenant compte à la fois de la diversification croissante des trajectoires économiques des pays en développement et de l’interdépendance, également croissante, des sociétés, qui imposait la recherche de consensus sur les enjeux globaux. Notre pays en privilégiait quatre, considérés comme complémentaires : une croissance durable et partagée ; la lutte contre la pauvreté et les inégalités ; la préservation des biens publics mondiaux ; la stabilité et l’État de droit.

Pour les atteindre, le document-cadre soulignait la nécessité d’une approche globale du financement du développement, qui ne devait pas se limiter aux ressources de l’aide publique, mais prendre aussi en compte l’ensemble des autres modalités concourant au développement des pays bénéficiaires : financements innovants, cohérence des politiques publiques, promotion des droits et normes, de la gouvernance, circulation des idées. Compte tenu de la diversité des situations au sud, la France faisait le choix d’une allocation différenciée de ses financements, et distinguait quatre groupes de pays ou zones géographiques – l’Afrique subsaharienne, priorité de la politique de coopération, « en raison de sa proximité géographique et culturelle, notamment linguistique, et de l’ampleur des enjeux communs » ; le monde méditerranéen ; les pays fragiles et les pays en crise ; les pays émergents -, étant entendu que cette différenciation se traduisait sur le plan financier en termes de choix d’instruments et de degré de concessionnalité. C’est en vertu de ce principe que 60 % de l’effort financier de l’État se trouvaient concentrés sur l’Afrique subsaharienne, quatorze pays pauvres prioritaires bénéficiant de plus de 50 % des subventions octroyées par notre pays : Bénin, Burkina Faso, Comores, Ghana, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, RDC, Sénégal, Tchad et Togo.

Les décisions qui furent prises ultérieurement par le gouvernement ont consolidé plus que modifié ces orientations générales, malgré un ample débat de société.

Ainsi, les décisions du CICID du 31 juillet 2013, réuni quelques mois après la clôture des Assises de la solidarité et du développement international, que le Président de la République avait convoquées, ont été présentées comme la traduction de la « rénovation de notre politique de développement appuyée sur quatre axes : – redéfinir nos priorités géographiques et sectorielles ; - renforcer la cohérence de cette politique avec les autres politiques publiques ; – assurer une plus grande coordination de l’ensemble des acteurs du développement ; - améliorer l’efficacité, la redevabilité et la transparence de notre politique, domaines dans lesquels la France a réalisé d’importants progrès depuis un an. » (214)

Cela étant, en fait de redéfinition des priorités géographiques, à part la suppression de la ZSP, officiellement confirmée, le gouvernement décidait surtout de « fonder l’attribution des aides sur des partenariats différenciés, reposant en particulier sur le niveau de revenu et la proximité géographique, culturelle et linguistique avec la France ». Se retrouvait en conséquence le même schéma que précédemment, sans différence de fond avec le document-cadre de 2010 : la concentration des subventions sur un nombre limité de pays pauvres prioritaires, aujourd’hui au nombre de seize (215) bénéficiant d’au moins la moitié des subventions de l’État et les deux tiers de celles mises en œuvre par l’AFD ; la priorité à l’Afrique et à la Méditerranée, pour lesquels le gouvernement décidait de consacrer au moins 85 % de l’effort financier de l’État en faveur du développement ; le voisinage du sud et de l’est de la Méditerranée ; les pays en crise et en sortie de crise ou en situation de fragilité ; le reste du monde, notamment les pays d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes, majoritairement des pays à revenu intermédiaire à croissance rapide ou émergents.

À son tour, indépendamment des réformes de structures du dispositif auxquelles elle a procédées (216), la loi du 7 juillet 2014 n’a pas dit autre chose et son rapport annexe a notamment repris ces questions dans les mêmes termes. Les objectifs de la politique d’aide au développement et les principes sur lesquels elle est fondée réaffirment la recherche de cohérence avec les autres politiques publiques pouvant avoir un impact sur les pays en développement, de complémentarité entre les divers instruments multilatéraux, une meilleure concentration des actions, géographiques et sectorielles, visant à l’efficacité de l’aide justifie celle des ressources et le choix des instruments sur la base de critères de différenciations, également géographiques et sectoriels.

ii. Le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD

Dans le même ordre d’idées, le contrat d’objectifs et de moyens qui lie l’Agence française de développement à ses tutelles opérationnalise la feuille de route ainsi définie. En cohérence avec la volonté d’œuvrer à une mondialisation plus juste, à l’introduction d’une relation de partenariat entre donateurs et bénéficiaires et de concentrer les ressources publiques sur un nombre restreint d’enjeux, le premier COM mettait l’accent sur la croissance durable et partagée, sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités, la préservation des Biens publics mondiaux et la promotion de la stabilité et de l’État de droit. Il entendait ainsi répondre aux problématiques globales qui constituaient l’architecture du document-cadre de 2010. Les secteurs d’intervention de l’AFD se voyaient ramenés à cinq : la santé, l’éducation et la formation professionnelle, l’agriculture et la sécurité alimentaire, le développement durable et le soutien à la croissance. L’AFD recevait mandat d’intervenir dans quatre zones géographiques, en conformité avec les partenariats différenciés, – à savoir l’Afrique subsaharienne, la Méditerranée, les pays en crise ou en sortie de crise et les pays émergents -, tout en adaptant le degré de concessionnalité de ses instruments financiers à la situation de ses partenaires.

De la même manière, le deuxième COM de l’agence tient compte des évolutions intervenues depuis lors, de sorte que l’accent est porté sur les priorités géographiques et sectorielles, sur la cohérence de l’aide avec les autres politiques publiques, la coordination de l’ensemble des acteurs et l’amélioration de l’efficacité, de la redevabilité et de la transparence. En d’autres termes, les réelles innovations en termes d’approches résident essentiellement dans les thématiques relatives à la diplomatie économique et dans le rayonnement de la France à laquelle l’action de l’AFD participe.

b. Des moyens, des instruments et… des effets d’affichage

i. Des montants considérables mais pour partie artificiels

La France ne cesse de mettre en avant urbi et orbi sa générosité et le niveau des financements qu’elle consacre à l’aide au développement. En fait, même s’il paraît considérable au regard des sommes annoncées – 8,5 Mds€ nets déclarés au CAD pour l’année 2013 (217) -, l’effort global que notre pays consacre à cette politique publique est en baisse constante depuis plusieurs années. Ses moyens se réduisent comme peau de chagrin, et il s’agit même de l’un des budgets de l’État qui contribuent le plus, et de loin, à l’effort de réduction des déficits publics, comme l’a montré notre collègue Hervé Gaymard dans son dernier avis budgétaire (218). Après avoir atteint 0,5 % en 2010, l’APD de la France se rapproche désormais de la moyenne des pays du CAD, puisqu’elle n’a plus représenté que 0,37 % de notre PIB dans l’exercice 2014. Elle diminue désormais non seulement en pourcentage mais aussi en volume.

On ne redira jamais assez que la comptabilisation particulièrement extensive de notre aide publique au développement qui intègre dans la déclaration faite au CAD des dépenses qui parfois n’ont que peu à voir avec les supposés destinataires et pour certaines, ne contribuent même en rien à leur développement, vise avant tout à un affichage sur la scène internationale destiné à permettre à notre pays de continuer de figurer dans le peloton de tête des bailleurs internationaux. Ainsi en est-il des dépenses consacrées à l’accueil des réfugiés en France, qui ont représenté plus de 340 M€ dans la déclaration APD pour 2013. À titre de comparaison, on rappellera que le Royaume-Uni déclare à ce titre un montant dix fois moindre, alors que notre pays n’accueille que deux fois plus de réfugiés que lui. Ainsi également en est-il des dépenses d’écolage, – 641 M€ ont été comptabilisés à ce titre en 2013 -, soit près des deux-tiers de l’APD française du secteur. On sait cependant que cela n’est désormais plus suffisant pour masquer l’évolution préoccupante de notre effort : alors même que la France, à l’encontre de ce qu’elle a toujours défendu, et continue même encore de proclamer (219), inclut désormais dans sa déclaration au CAD les recettes de ses financements innovants, notre APD chute brutalement, bien plus, proportionnellement, que celle d’autres pays, parfois même dans ces conditions budgétaires au moins aussi contraintes que les siennes, le Royaume-Uni en premier lieu. Il importe de sortir enfin d’une situation qui ne peut qu’affecter la crédibilité de notre pays et notamment vis-à-vis de nos partenaires africains, et finira par rendre les plaidoyers de la France inaudibles.

Indépendamment du fait que ces deux rubriques pèsent près d’un milliard d’euros dans notre déclaration d’APD, on rappellera sans plus insister, qu’elles sont régulièrement considérées par les pairs du CAD comme abusives.

Ainsi, la revue quadriennale de 2013 a-t-elle donnée lieu au commentaire suivant : « La manière dont la France déclare son aide au CAD et l’utilisation qu’elle fait de l’APD au sens du CAD pour piloter son aide au développement présentent pourtant des défauts pour son efficacité et pour sa crédibilité. Tout d’abord la France fait le choix de déclarer certains éléments considérés comme ne favorisant pas effectivement le développement économique et l’amélioration des conditions de vie dans les pays concernés (les frais de scolarité en France des étudiants étrangers, les aides aux TOM ou encore le coût d’accueil des réfugiés issus de pays en voie de développement), qui tendent à décrédibiliser la réalité de l’effort fourni par la France en faveur du développement. » (220)

ii. Des instruments diversifiés mais déséquilibrés, aux effets contradictoires

C’est aussi sur le choix des instruments que notre pays utilise pour mettre en œuvre sa politique d’aide au développement qu’il est critiqué, dans la mesure où ils sont nettement déséquilibrés, ce qui induit de fortes contradictions entre les objectifs annoncés, les plaidoyers auxquels notre pays se livre sur la scène internationale, et la réalité de son action.

Si la qualité des équipes d’experts et le travail de terrain de l’AFD, opérateur principal de notre politique d’APD, sont unanimement reconnus et loués, la politique générale de l’agence n’est pas sans appeler de fréquentes observations, dans la mesure où ses tutelles l’ont encouragée à étendre son offre de prêts à mesure que les moyens de l’État d’intervenir en subventions diminuaient drastiquement. L’AFD a désormais un champ d’intervention géographique non limité et si ses instruments les plus concessionnels sont destinés aux pays les plus pauvres, il n’en reste pas moins que l’enveloppe des subventions est aujourd’hui à son étiage, comme le confirme le tableau ci-dessous.

Répartition des subventions bilatérales 2011-2013 (221)

Dans le même ordre d’idées, la répartition des moyens entre instruments bilatéraux et multilatéraux est aussi sur la sellette, dès lors que le choix du multilatéralisme pour le financement quasi-total de certains secteurs dans lesquels notre pays avait naguère une influence et une renommée d’efficacité à peu près unique – en d’autres termes, la santé en pays d’Afrique francophone – a conduit à une dilution de la spécificité de notre pays, désormais invisible (222) au sein d’opérateurs que, malgré son effort financier, il ne maîtrise en rien. Ces questions ont été largement traitées par les travaux de la Commission des affaires étrangères ces dernières années, rapports d’information ou avis budgétaires (223).

De sorte que, combinant effets d’affichage obtenus par la prise en compte de dépenses abusivement considérées comme de l’aide au développement, et politique extensive de prêts qui, quoi qu’en dise le gouvernement, flèche mécaniquement les destinataires de notre APD, on arrive à des situations difficilement compréhensibles et fortement contradictoires. On conviendra ainsi que la politique d’aide au développement perd de sa lisibilité lorsque des pays comme le Brésil et la Chine figurent parmi ses principaux bénéficiaires ; que la priorité donnée à l’Afrique subsaharienne, et notamment aux seize pays les plus pauvres, ne saute pas aux yeux lorsqu’un seul d’entre eux, la RDC, figure parmi les dix premiers bénéficiaires, comme la Cour des Comptes avait beau jeu de le souligner dans sa dernière analyse d’exécution budgétaire : « Parmi les dix premiers pays bénéficiaires de l’APD au sens du CAD, la Chine occupe la quatrième position, et le Brésil, la sixième position (contre la deuxième en 2012). Quatre pays d’Afrique subsaharienne figurent parmi ces dix bénéficiaires. Parmi eux, seule la République démocratique du Congo figure dans la liste des pays pauvres prioritaires arrêtée par le CICID en juillet 2013. » (224)

Il y a déjà quelque temps que la Cour est dubitative sur la priorité africaine de l’aide au développement de notre pays et le réalisme des objectifs qu’il s’est donnés. Dans son rapport public de 2012, elle avait déjà souligné que malgré l’effort de concentration affiché dans le document-cadre de 2010, l’Afrique ne représentait que 45 % du total de l’aide bilatérale française en 2010, à mi-chemin de ce que l’Union européenne (33 %) et la Banque mondiale (58 %) consacraient alors au continent. D’autres études et évaluations ont peu ou prou conclu dans les mêmes termes.

c. Deux exemples pour étayer la démonstration

Ce rapport a notamment traité de l’importance des problématiques de santé et d’éducation pour le sujet qui intéresse cette Mission. Un éclairage plus particulier sur ces deux secteurs mettra en lumière les contradictions que l’on vient d’évoquer.

i. L’action de la France en matière d’éducation

On estime que plus de 170 millions de personnes pourraient sortir de la pauvreté si l’ensemble des élèves des pays à faible revenu quittaient l’école avec des compétences de base en lecture, ce qui permettrait un recul de la pauvreté mondiale égal à 12 %. De même, les progrès réalisés dans l’éducation des femmes au niveau mondial au cours des quarante dernières années ont évité plus de 4 millions de décès d’enfants, un enfant né d’une mère sachant lire ayant 50 % de chances en plus de survivre au-delà de ses 5 ans. En outre, si l’impact sur l’égalité hommes-femmes est également fort, chaque année de scolarisation supplémentaire fait progresser le PIB annuel de 0,37 %. On a vu en présentant la problématique de l’éducation au Niger, à quel point cet enjeu est effectivement crucial pour le développement de pays bénéficiaires. Mais le Niger n’est aujourd’hui plus en mesure de maintenir à flot un système éducatif de qualité qui puisse répondre aux besoins de formation de sa jeunesse, spécialement de ses enfants, eu égard aux moyens dont il dispose dans le contexte d’explosion démographique que l’on a décrit. Face à l’islamisation croissante et rapide de la société, le modèle public et laïc est désormais fortement concurrencé par une offre privée au contenu religieux affirmé, que le gouvernement n’a pas non plus les capacités de contrôler.

Cette situation critique est porteuse de risques importants pour l’avenir du pays dans la mesure où, conditionnant le niveau d’alphabétisation de sa jeunesse, elle impacte directement toutes les composantes de son développement : développement économique, qui requiert évidemment des ressources humaines formées et compétentes ; développement social, et l’on sait à cet égard l’étroite articulation entre niveau d’éducation, notamment des filles et des femmes, et progrès sanitaires ; développement politique et démocratique apaisé, une jeunesse désœuvrée et non éduquée étant aisément manipulable et utilisable, a fortiori dans un contexte d’instabilité régionale, de chômage généralisé, de présence de mouvements mafieux et extrémistes.

C’est à cette aune qu’il convient de regarder la question de l’aide au développement de notre pays dans le secteur éducatif. La France a opportunément fait de l’éducation une des « priorités majeures » de sa politique d’aide au développement, « choix de solidarité », « choix stratégique ». Adoptée par le CICID en 2009 pour la période 2010-2015, sa stratégie se donne deux objectifs en direction des seize pays pauvres prioritaires : l’accès à une éducation primaire de qualité pour l’ensemble des filles et des garçons, à parité, et la promotion d’une vision intégrée de l’éducation, qui inclut l’enseignement et la formation professionnelle pour répondre aux défis de la jeunesse. En outre, la France dit articuler cette politique sectorielle avec la promotion du français, notamment dans les pays d’Afrique francophone, ainsi qu’elle l’a encore précisé devant le CAD de l’OCDE lors de la dernière revue par les pairs en 2013. Si la loi de juillet 2014 a tenu à confirmer fortement ces orientations en argumentant sur les raisons faisant de l’éducation de base une priorité majeure (225), le CICID de juillet 2013 les a cependant quelque peu infléchies en mettant l’accent sur l’enseignement supérieur, sur l’articulation entre politique d’enseignement et formation professionnelle, sans même mentionner l’éducation primaire.

De fait, l’éducation de base ne reçoit que le dixième de ce que notre pays déclare consacrer à l’éducation. C’est une constante depuis plusieurs années. La revue du CAD de 2013 notait que l’éducation constituait le premier poste de dépenses de l’APD bilatérale, soit 17 % en moyenne et quelque 1,6 Md de dollars, mais ce montant est en grande partie destiné à couvrir les frais d’écolage. En revanche, soulignaient les pairs, « seulement 10 % des fonds alloués à l’éducation (166 millions USD) financent l’éducation de base en 2010-2011. », (226) après avoir chuté drastiquement depuis 2008, et continué de le faire jusqu’en 2013. Si l’on en croit les statistiques de l’OCDE (227), depuis une dizaine d’années, la tendance est en effet nettement orientée à la baisse, et en cinq ans, de 2008 à 2013, les dépenses consacrées à l’éducation de base ont perdu 246 millions d’euros, soit une diminution de près de 60 %. Les derniers chiffres indiquent un étiage inférieur à 102 M$ en 2012, qui remonte légèrement en 2013, à 114,4 M$, toutes modalités de financements confondues, sur un total sectoriel de 1 440 M$. On ne peut voir dans ces données qu’une contradiction forte avec la stratégie qui a été adoptée. S’agissant du cas particulier du Niger, cette même année 2013, l’APD de la France à l’éducation, au sens large, s’est élevée à 6,06 M$ (en engagements), dont les deux-tiers, plus de 3,9 M$ ont été consacrés à l’enseignement supérieur. La différence, 2,14 M$, a été répartie entre divers postes, notamment la formation professionnelle, et la part consacrée à l’éducation de base s’est élevée à 623 000 dollars, soit 469 000 euros… À titre de comparaison, cette même année, l’Allemagne consacrait 2,68 M$ à l’éducation de base au Niger. On notera en outre que 2012 a été une année exceptionnelle pour le Niger puisque, alors que la moyenne annuelle de l’APD française en éducation y oscillait entre 7 et 8 M$, notre pays a alors engagé 23,3 M$ pour ce secteur ; néanmoins, l’éducation de base n’a reçu que la portion congrue, et même proportionnellement bien plus faible, puisque 888 000 dollars seulement y ont été consacrés, soit 3,8 %. En termes de priorité… Cette année-là, la RFA engageait de son côté 12,17 M$. (228)

Cette contradiction entre la stratégie et la réalité des faits est d’autant plus dommageable que, en parallèle, elle s’accompagne désormais de renoncements de la part de notre pays, qui ne peuvent que nuire à son image. Ainsi que le rappelait notre collègue Hervé Gaymard dans son avant-dernier avis budgétaire, notre pays a été l’un des premiers soutiens du Partenariat mondial pour l’éducation lancé en 2002 pour appuyer la réalisation de l’OMD 2 relatif à la scolarisation primaire universelle d’ici à 2015. Au 31 décembre dernier, la France figurait au dixième rang des donateurs du PME, avec un total de contributions de quelque 97,6 M$, très loin toutefois du Royaume-Uni, premier financeur (851,3 M$), et des Pays-Bas, deuxièmes (645,4$) (229). L’action du PME, unanimement jugée comme remarquable, a été consacrée au soutien à l’éducation dans les pays les plus pauvres ; elle a notamment permis de financer la scolarisation de 23 millions d’enfants supplémentaires, de construire 37 000 salles de classe, de fournir 220 millions de manuels scolaires, de former plus de 400 000 enseignants et de servir chaque jour 700 000 repas aux élèves. Le nombre d’enfants scolarisés dans les pays africains soutenus par le PME a progressé de 64 %, soit le double du rythme d’accroissement enregistré dans les autres pays. Ses actions mettent notamment l’accent sur la scolarisation des filles pour leur permettre d’achever le cycle primaire dans les pays concernés, et les demandes exprimées par les pays en développement sont très fortes : en 2013, elles ont représenté plus de 1,2 Md$ pour une soixantaine de pays. Pourtant, arguant du contexte budgétaire difficile, la France a choisi de ne pas reconduire son engagement lors de la dernière reconstitution financière du PME pour la période 2015-2018, alors même que, comme le soulignait la Coalition française pour l’éducation pour tous, relais français de la Campagne mondiale pour l’éducation, « le poids actuel du PME, ses articulations avec les pays d’Afrique, notamment francophones (pays de coopération prioritaire de la France) et ses priorités stratégiques « épousées » par la France dans sa déclaration (la qualité, l’accent sur les apprentissages, la formation des enseignants)… justifieraient un engagement accru de la France dans ce Partenariat. » (230)

Il se confirme donc que notre pays a beaucoup de mal à respecter les priorités qu’il s’est lui-même fixées et que son soutien direct à l’enseignement de base est finalement des plus réduits. Cela est d’autant plus préoccupant que ce très modeste effort consacré à ce qui continue d’être présenté comme une priorité, se traduit par un saupoudrage dont on peut questionner la pertinence et l’intérêt lorsque, s’agissant des pays francophones, l’examen des données du CAD de l’OCDE permet de constater que, à l’instar de la RFA comme on vient de le voir dans le cas du Niger, les États-Unis, finançant de manière nettement supérieure l’éducation de base dans des pays comme le Mali, le Sénégal et surtout la RDC, défendent mieux la francophonie que la France, comme le montre le tableau ci-dessous :

Pays

2008

2009

2010

2011

Mali

France

0,8

5,5

0,7

1,2

États-Unis

15,4

9,6

2,4

12


RDC

France

0,9

7,7

0,7

0,6

États-Unis

11,6

12,6

11,5

20,7


Sénégal

France

3,4

1,6

2,3

3,1

États-Unis

13

11,5

11,4

11,8

Engagements de la France et des États-Unis en éducation de base,

au Mali, en RDC et au Sénégal, de 2008 à 2011, en M$ (231)

ii. La politique d’aide au développement en matière de santé

Comme l’éducation, la santé figure parmi les premières priorités de la politique d’aide au développement de notre pays, qui y consacre depuis longtemps des financements très importants : les montants déclarés au CAD à ce titre ont parfois dépassés les 800 M€ (en 2010). S’ils sont depuis un peu moins élevés, ils en restent encore proches. Ils transitent à plus de 80 % par le canal multilatéral, ce qui traduit clairement les choix stratégiques que notre pays a faits au tournant des années 2000 concernant un secteur pour lequel les effets de leviers que permettent les instruments multilatéraux sont opportuns eu égard aux coûts exigés par la lutte contre les grandes pandémies ou les principaux fléaux sanitaires et sociaux contemporains. Dans les quelque 150 M€, à peine, que la France continue de dépenser en bilatéral dans le secteur, les crédits consacrés aux seize pays pauvres prioritaires sont nettement résiduels, comme le montre le tableau ci-dessous, la santé étant parmi les moins dotés : moins de 2M€ par an et par pays.

Versements en M€

2 008

2 009

2 010

2 011

2 012

Éducation

193

202

204

209

196

Santé

27

33

29

29

31

Développement durable

35

53

47

47

40

Agriculture et sécurité alimentaire

63

42

49

45

50

Soutien à la croissance

23

17

22

17

18

Gouvernance

39

33

31

35

31

Total

380

381

382

383

366

Dons de la France consacrés aux OMD dans les 16 PPP, hors opérations de dette (dépenses bilatérales)

Depuis plusieurs années, la France a défini une stratégie spécifique pour le secteur, révisée en 2012. Ses priorités thématiques sont les suivantes : le « renforcement des systèmes de santé les plus fragiles (extrême pauvreté, situations de crise), notamment en Afrique francophone, via l’appui au financement durable et solidaire de la santé, la formation de ressources humaines compétentes et motivées, et le développement de systèmes d’information sanitaire fiables » ; la santé des femmes et des enfants, via la promotion de la santé, des droits sexuels et l’accès au planning familial, le soutien aux OMD 4, 5 et 6 (232), la lutte contre la malnutrition ; les maladies transmissibles, pour lesquelles la France met un accent particulier sur la lutte contre le VIH Sida, le paludisme, la tuberculose et les maladies tropicales négligées ; les maladies (ré)émergentes et l’approche « One Health », sur les maladies non transmissibles. Au plan géographique, les priorités définies ici mettent en avant en premier lieu les seize pays pauvres prioritaires d’Afrique francophone, les pays en crise et en sortie de crise, la zone méditerranéenne, l’outre-mer ; enfin, la coopération scientifique et universitaire avec les pays en développement est également soulignée.

Ces priorités amènent à trouver surprenant que la décision du CICID de juillet 2013 relative au secteur santé se contente d’indiquer que « La France met un accent particulier sur l’aide au développement dans le domaine de la santé. Le gouvernement français réitère son engagement pour combattre les trois grandes pandémies, notamment via le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, pour lutter contre les maladies négligées, améliorer la santé des mères et des enfants et pour promouvoir la couverture sanitaire universelle. La France entend maintenir son engagement parmi les tout premiers contributeurs mondiaux à l’aide au développement en matière de santé. » Le renforcement des systèmes de santé, pourtant première priorité de la stratégie, dont on a revu toute l’importance avec l’épidémie d’Ébola, est ici absent.

Ce constat invite à revenir sur l’évolution de cette politique sectorielle. Depuis plusieurs années, la représentation nationale comme de multiples experts et observateurs, ne cessent de critiquer le sort exceptionnellement favorable qui est réservé à un seul instrument multilatéral, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Sans revenir sur le détail de la question qui excède le propos de ce rapport, on rappellera simplement que depuis la création du Fonds, la France fait partie des tout premiers contributeurs, puisqu’elle se classe au deuxième rang des donateurs derrière les États-Unis, avec un cumul de quelque 3,8 Mds$ versés entre 2002 et 2012, auquel s’est ajouté un engagement supplémentaire de 1,4 Md$ pour la période 2014-2016.

La critique portée à ce financement ne vise pas l’instrument lui-même, même s’il a pu faire lui aussi l’objet de questionnements lors des évaluations qui en ont été faites. Elle porte sur l’incohérence de notre politique. En consacrant des montants aussi élevés, qu’au demeurant elle sanctuarise maintenant au prix du non-respect de ses engagements envers d’autres actions et instruments multilatéraux, comme l’Alliance GAVI ou le Fonds pour l’initiative Muskoka, dernièrement amputés de fonds qui leur avaient été promis, notre pays privilégie un nombre très réduit de pathologies qui sont très loin d’être les plus responsables de la mortalité maternelle et infantile dans les pays en développement : selon l’OMS, c’est en effet la prématurité qui est la première cause de décès d’enfants de moins de cinq ans en 2013, environ la moitié de ces décès étant dus à des maladies infectieuses. Pour le dire autrement, les seules pathologies infectieuses sont cause du tiers de la mortalité infantile dans le monde, soit quelque 2,5 millions de décès d’enfants chaque année, plus de la moitié, 1,3 million, étant dus à la pneumonie. Les données de l’OMS montrent en outre que la situation dans les seize pays prioritaires de l’APD française, ne diffère pas de ce tableau général : 27 % des décès des enfants de moins de cinq ans au Bénin sont dus à deux pathologies seulement, la diarrhée et la pneumonie ; c’est aussi le cas de 30 % des causes de mortalité infantile au Burkina Faso, de 33 % de ceux constatés aux Comores, de 34 % au Burundi ou au Mali, et jusqu’à 36 % au Niger, qui n’est surpassé en Afrique que par la Somalie. (233) Plus largement, plus de 40 % de la mortalité en Afrique continuent de résulter de maladies infectieuses et d’infections respiratoires. Indépendamment du fait que l’évolution de certains indices relatifs à la mortalité néonatale en Afrique est préoccupante, qui nécessite que les efforts ne soient pas diminués, on doit aussi faire remarquer, par comparaison, que le sida tue aujourd’hui 1,7 million de personnes par an, la tuberculose 1,4 million et le paludisme 660 000.

Est ainsi mis en évidence le fait que l’allocation de nos ressources au profit d’un instrument ne permet pas de soutenir nos priorités stratégiques. Ce faisant, notre pays privilégie aussi un instrument critiqué pour ne pas contribuer au renforcement des systèmes de santé ; pour financer prioritairement des actions dans des pays non francophones, qui reçoivent déjà beaucoup d’aides, notamment anglo-saxonnes, publiques et privées, alors même que l’Afrique de l’ouest n’a pas bénéficié d’aides à la hauteur des enjeux auxquels elle fait face. Sans qu’il s’agisse de remettre en question l’utilité du Fonds mondial sur son créneau, on doit dénoncer l’incohérence que le soutien que la France lui porte traduit dans la conduite de sa politique. Cela d’autant plus que malgré l’unanimité des avis d’experts, y compris ceux sollicités par le gouvernement lui-même, notre pays persiste et signe en augmentant ses financements de 20 % depuis 2011. Or, pour Dominique Kérouédan (234), qui rappelait qu’on ne comptait plus les rapports – Morange, Gentilini, Kourilsky, etc. – qui avaient lancé des alertes sur la situation sanitaire de l’Afrique francophone et sur les insuffisances de notre politique d’aide au développement, sur ses déséquilibres, cette politique n’est finalement d’aucune efficacité, car il ne sert à rien de cibler trois maladies si dans le même temps on ne soutient pas les systèmes de santé des pays.  


Causes de mortalité des enfants de moins de 5 ans (235)

Comme on l’a vu, l’épidémie d’Ébola est venue confirmer que l’essentiel réside effectivement dans les systèmes de santé robustes si l’on entend que les pays africains soient en mesure de faire face à une crise sanitaire comme celle-ci, qui ne manquera pas de se reproduire. Pour Dominique Kérouédan en effet, ce n’est pas le nombre de projets et de financements qui sont consacrés à quelques pathologies qui importent : les pays qui devraient bénéficier de plus d’attention sont ceux qui sont les plus vulnérables en termes de pauvreté, de menaces, c’est-à-dire de maladies mais surtout de manque de capacités, de professionnels, de gouvernance, etc., dans lesquels, au demeurant, les progrès des OMD sont également les plus en retard.

Une analyse historique de la coopération française en matière de santé :

« L’assistance technique de la coopération sanitaire française » (236)

« La caractéristique la plus singulière de la coopération française pendant toutes ces années a été de disposer d’un atout et d’un instrument majeurs qui la distinguent des autres coopérations : son assistance technique (…). Les assistants techniques, plongés dans les réalités quotidiennes et les contradictions nationales de l’entreprise du développement, acquièrent au fil des années auprès de partenaires nationaux, souvent exceptionnels, une expérience unique et irremplaçable. Véritables experts du développement, ils sont une source précieuse de connaissance des problématiques sanitaires et sociales de terrain au service de la décision en santé publique à l’échelle nationale, et de la définition des orientations politiques de la France et à l’échelle internationale. En 1982, l’assistance technique française sur le terrain représente à elle seule 50 % de l’assistance technique mise à disposition des pays en développement par les pays développés.

C’est grâce à la diversité et à la souplesse de cette assistance technique qu’ont pu être initiées, à la fin des années 1980, des expériences novatrices, qui ont, depuis lors, fait leurs preuves et constituent aujourd’hui des piliers du développement des systèmes de santé :

- la création des centres de santé communautaires, qui assurent la réalisation du service public de santé, dans le cadre du partenariat public-privé ;

- de manière prometteuse, et dans une approche pilote, l’installation de médecins de campagne qui ouvrent la voie à la médicalisation des zones rurales par des professionnels n’appartenant pas à la fonction publique, projet fortement soutenu par l’association Santé Sud dans de nombreux pays d’Afrique francophone ; Santé Sud Mali a reçu un prix pour ces initiatives à la Conférence mondiale sur les personnels de santé réunie à Bangkok en janvier 2011 sous l’égide de l’OMS.

- la mise en place de mutuelles de santé, destinées à assurer une protection sociale en complément des financements publics.

(…) l’Association des professionnels de santé en coopération, (…) prendra des positions remarquées dans les années 2000 auprès du Haut Conseil de la coopération internationale, de l’Assemblée nationale, du Conseil économique et social, du réseau Coordination Sud, auprès d’autres instances nationales, ainsi que des institutions européennes et internationales, y compris de l’OMS. »

La réforme de la coopération française

« La dynamique novatrice et pertinente des années 1990 subit une inflexion soudaine à la fin de la décennie, liée à la réforme de l’aide publique au développement. (…) Privée de ses moyens humains et financiers, l’aide bilatérale française voit sa voilure considérablement réduite. Ceci nuit considérablement à la visibilité politique de la France là où sa coopération sanitaire est reconnue et attendue sur le continent africain en même temps qu’à l’échelle internationale, comme en préviennent et le déplorent à l’unanimité les rapports indépendants cités plus loin. Notons qu’en même temps que la France réduisait comme peau de chagrin sa contribution bilatérale en faveur des systèmes de santé, les coopérations techniques belge, allemande, canadienne et européenne diminuaient de manière substantielle leurs aides bilatérales aux pays d’Afrique francophone. »

d. Dans la région sahélienne, le cas du Mali

Si l’on regarde à présent une priorité géographique et non plus sectorielle, celle qui est menée en région sahélienne, les conclusions ne sont pas moins critiques.

i. Une aide conséquente depuis longtemps

Notre pays a toujours été un acteur important dans la région sahélienne, où son action de développement a notamment visé six pays d’Afrique de l’ouest : Mali, Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Sénégal et Tchad, pour ce qui concerne la partie ouest-africaine de l’arc sahélien. Ce sont des pays qui n’ont jamais été des « orphelins de l’aide », puisque sur les dernières années, plusieurs d’entre eux, tels le Sénégal, le Burkina Faso, le Mali, recevait en moyenne environ un milliard de dollars, comme en témoigne le tableau ci-dessous, construit sur la base des données statistiques de l’OCDE (237).

Année

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Burkina Faso

953,87

1018,97

1071,92

1081,36

993,2

1155,12

1040,14

Mali

1018,27

963,65

997,2

1154,13

1284,3

995,18

1382,15

Mauritanie

357,84

450,68

351,68

422,07

438,08

711,42

416,44


Niger

546,89

609,53

453,05

726,38

628,46

895,94

780,43

Sénégal

849,87

1191,03

1099,21

917,08

1019,21

1122,9

947,47


Tchad

363,37

395,28

553,7

518,96

475,35

504,74

397,42

Montant d’APD pour six pays sahéliens (2007-2013), en millions de dollars

Parmi ceux-ci, on voit que le Mali était souvent le mieux doté, bien mieux que la Mauritanie ou le Tchad notamment, et la totalité des bailleurs internationaux était auprès de lui : la Banque mondiale, via l’Association internationale de développement, AID, l’Union européenne, la Banque africaine de développement, ainsi que les institutions onusiennes, PNUD, UNICEF, Programme alimentaire mondial (PAM) ou Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP). L’Union européenne, via le 10e FED, était le premier bailleur dans la région, avec des moyens destinés aux six pays de la région supérieurs à 2,7 Mds€. Une stratégie intégrée pour le Sahel en 2011, notamment centrée sur le Mali, la Mauritanie et le Niger, était articulée sur le développement, la bonne gouvernance et le règlement des conflits internes ; la politique et la diplomatie ; la sécurité et l’État de droit ; la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation.

De la part de la France, les pays de la région recevaient également des financements fort importants, que retrace le tableau ci-dessous.

APD bilatérale nette

APD multilatérale imputée nette

2006

2007

2008

2009

2010

2006

2007

2008

2009

2010

Sahel (périmètre restreint)

Burkina Faso

131,4

114,8

142,0

77,4

63,8

53,7

58,8

58,3

79,3

69,4

Mali

81,6

214,0

81,9

74,7

77,6

61,0

52,1

54,2

40,0

41,7


Mauritanie

31,6

37,9

29,4

35,0

32,2

23,7

26,1

16,7

12,2

14,8


Niger

88,8

56,7

67,8

57,4

50,0

43,1

36,6

44,9

25,1

42,1

Tchad

42,1

47,9

39,5

41,0

40,7

14,4

20,1

33,2

32,2

30,0

Sénégal

287,5

176,7

189,0

140,9

157,2

49,2

35,8

57,5

80,4

43,6

Évolution des montants d’APD bilatérale nette et multilatérale imputée de la France pour les pays du Sahel entre 2006 et 2010 (238)

Sur les dernières années, l’aide de la France au Mali intervenait en application d’un document-cadre de partenariat qui avait fléché cinq objectifs pour les années 2006-2010, articulés sur les OMD : lutte contre la pauvreté et atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement, avec une priorisation des secteurs de l’éducation et de la formation, de l’eau et de l’assainissement, de la sécurité alimentaire ; développement économique, moyennant des appuis au secteur productif, notamment aux filières agricoles, aux services financiers (microfinance), aux coopérations décentralisées et aux actions des ONG, à l’insertion socioprofessionnelle des jeunes dans les grandes villes, (Kayes) ; maîtrise du français dans le système scolaire, et environnement francophone dans les domaines culturels et audiovisuels ; consolidation de la gouvernance : soutien à la réforme et à la modernisation de l’État, dans la perspective de l’établissement d’un environnement stable et sûr, nécessaire au développement du pays, avec des actions au bénéfice de l’état civil, de la modernisation de la gestion des finances publiques et un soutien à la loi d’orientation agricole. L’essentiel des crédits bilatéraux, 80 %, concernaient l’éducation et la formation, l’eau et l’assainissement ainsi que l’appui au secteur productif. La France soutenait également le « Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du nord », PSPSDN, du gouvernement malien ; on peut également mentionner un Fonds de solidarité prioritaire, FSP, « Renforcement de la gouvernance au Mali », piloté par le MAEE.

Néanmoins, ces soutiens conséquents qui couvraient l’essentiel du champ défini par le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, CSLP, que le Mali avait adopté en 2002, ne lui ont pas permis de présenter des indices sociaux moins désastreux que ceux qu’on a rappelés plus haut, ni d’atténuer l’incidence de son taux de natalité sur ses perspectives de développement, ou encore d’améliorer un réseau d’infrastructures particulièrement étique, notamment dans le grand nord. (239)

En outre, à la surprise générale, ce pays considéré comme le parangon de la démocratie en Afrique, jusqu’au renversement du président Amadou Toumani Touré, le modèle à suivre par tout le continent, du moins les pays d’Afrique de l’ouest, a littéralement implosé sous les yeux incrédules de la communauté internationale. Certes, le renversement du colonel Kadhafi en Libye a libéré des forces qui ont pu déferler sur le Mali ; certes, des revendications insatisfaites des communautés du nord n’attendaient sans doute qu’une occasion pour être réactivées, – la rébellion touareg n’avait d’ailleurs pas attendu si longtemps en reprenant les armes dès 2006 -, et ces acteurs ont su opportunément profiter d’une conjoncture plus favorable ; certes la situation régionale s’était dégradée avec l’arrivée des trafiquants de drogue latino-américains depuis quelques années et avait introduit des germes de fragilité, notamment au sein des institutions…

Mais au-delà des facteurs externes qui ont contribué à faire tomber le pays comme un fruit trop mûr, ce qui s’est passé en 2012, et la brutalité avec laquelle cela s’est passé, révèle surtout des fragilités internes aux racines profondes.

En d’autres termes, les chocs externes ont été d’autant plus efficaces que le terrain leur était favorable. Il l’était d’autant plus que l’aide internationale n’avait pas contribué au traitement de la problématique majeure de la faiblesse de l’État et de l’artificialité des constructions institutionnelles qu’elle promouvait depuis une vingtaine d’années. En cela, les analystes sont unanimes (240). Il y a longtemps que l’on sait la récurrence des rébellions touarègues, qui ont éclaté dans les années 1962-1964, puis en octobre-décembre 1990, en 1994-1995, encore en 2006 ; que l’on sait que les revendications nordistes se fondent sur des sentiments de marginalisation, de relégation économique ; que la problématique de la décentralisation comme réponse aux promesses faites d’autogestion et d’autonomie régionale a longtemps tardé à se mettre en place, et de manière insatisfaisante ; que l’on sait aussi comment les problèmes de carence des infrastructures étatiques dans les régions nord a contribué à alimenter le ressentiment des populations pastorales, dans un contexte environnemental et climatique où les cheptels disparaissaient. (241) Ces questions, évidemment toujours présentes aujourd’hui, mettent en évidence une crise profonde, à la foisinstitutionnelle, dans laquelle l’État n’est pas en mesure de contrôler son territoire, de répondre aux attentes de ses populations dans leur diversité, mais aussi d’ordre sociétal où se constatent de forts décalages entre l’État, déconnecté des populations, avec lesquelles il n’a plus de lien formel et auprès desquelles il perd toute légitimité (242). Là résident précisément les fragilités profondes, connues, sur lesquelles il aurait été essentiel d’anticiper pour prévenir les risques de crises, d’instabilité, comme celle qui a mis à bas le pays.

ii. Les orientations prises dans le cadre de la reconstruction tiennent-elles compte du passé ?

Or, à voir les orientations prises pour soutenir le Mali dans son processus de sortie de crise, tout semble se passer comme si la communauté internationale avait, à peu de choses près, repris le fil de son action comme avant la crise, sans prendre la véritable mesure des enjeux.

Certes, selon ce que Pierre Duquesne, alors ambassadeur chargé des questions économiques de reconstruction et de développement, rappelait (243), le monde entier s’est porté au chevet du pays à la Conférence de Bruxelles de mai 2013. Des innovations méthodologiques opportunes ont été introduites dans l’élaboration de la feuille de route de la reconstruction du pays, dans la simultanéité des actions sur tous les axes afin de mieux prendre en compte les interactions entre les différentes problématiques. Les autorités de transition ont elles-mêmes élaboré le plan pour la relance durable du Mali, qui couvre pour la première fois tous les aspects, sécuritaires, politiques, culturels, au cours d’un processus où tous les courants étaient représentés, dans une perspective de projection au-delà des échéances immédiates, et une stratégie post-électorale a été définie. Les collectivités territoriales, la diaspora, la société civile et les ONG internationales, ainsi que les entreprises nationales et internationales ont été associées dans un processus participatif. Les acteurs ont coïncidé sur le fait que la crise n’était pas un accident de parcours, et qu’aux causes exogènes des aspects structurels propres au Mali s’étaient ajoutés qui avaient conduit à la situation actuelle, qui supposait d’éradiquer la corruption, de décentraliser le pays avec des transferts réels et efficaces de ressources, de l’ordre de 30 % à l’horizon 2018 et d’améliorer la gestion publique au niveau des recettes et des dépenses, via la réussite d’une réforme fiscale.

Pierre Duquesne se montrait optimiste, soulignant le bilan et les progrès faits depuis la Conférence de Bruxelles. Sans nier les interrogations qui persistaient, il voyait dans le fait que les élections aient eu lieu, dans l’accord de réconciliation de Ouagadougou, dans les premiers décaissements des fonds promis par les bailleurs, de son point de vue mieux coordonnés, des indices très positifs. Il mettait en avant la capacité de l’administration malienne, faible mais néanmoins réelle, qui permettait au pays, à la différence d’autres, d’absorber cette manne dont une bonne partie était versée par aide budgétaire (244). En outre, l’opération Serval avait provoqué un choc positif et lancé une dynamique : il y avait désormais une population et une élite désireuses de changer les choses. En parallèle, les Maliens prenaient des initiatives concrètes, comme en témoignait la loi contre l’enrichissement illicite, la lutte, engagée au plus haut niveau, contre la corruption des magistrats, l’institution d’un vérificateur général, les avancées en matière de décentralisation, le Président de la République en ayant la vision et la volonté. Malgré des difficultés, en matière de gestion des finances publiques, beaucoup de choses progressaient, comme dans le secteur agricole, autour de l’idée d’agropoles, avec les PME et les industries de transformation, une réflexion était en cours sur le développement urbain de Bamako, sur la politique éducative ou d’autres. Dans le nord même, à Tombouctou, on constatait un changement de perception dans la population et même si l’on n’était pas encore revenu à la situation antérieure à la crise, on était néanmoins sur la bonne voie.

Un an plus tard, des questions fortes continuent de se poser qui laissent penser que les leçons n’ont pas forcément été tirées des échecs précédents de l’aide au développement ou des solutions politiques apportées aux différends. S’agissant de l’aide de la coopération internationale, une forme de consensus s’est dégagée après la crise de 2012 sur le fait que le processus politique contre la dictature, au début des années 1990, avait pour partie conditionné le regard de la communauté internationale sur le pays. Comme le rappelait Alain Antil, directeur du programme Afrique subsaharienne de l’IFRI (245), on a finalement admis que cela avait incité à fermer les yeux sur beaucoup de dérives, notamment sur une évaporation massive des crédits de l’APD, de notre pays comme des autres bailleurs, alors même que Bamako faisait preuve d’une grande capacité à détourner les objectifs de ses destinataires. La récurrence des problèmes du nord, qui n’a cessé d’être délaissé depuis très longtemps, n’est bien sûr pas étrangère à cet état de fait. Si le nord a été destinataire de projets de développement, au demeurant assez nombreux, les intermédiaires locaux cooptés par le pouvoir central ont joué leur partition pour des raisons de clientélisme sans souci de développement, cependant que les acteurs occidentaux se sont laissés aveugler sans réagir, alors que tous les signaux étaient au rouge. Ni la répétition et l’accélération du problème touareg, ni la radicalisation religieuse depuis quinze ans, ni l’ambiguïté d’ATT quant à son pacte de non-agression, ni les risques d’exportation des problèmes maliens vers le Niger et la Mauritanie n’étaient ignorés.

La décentralisation au Mali, entre autres problématiques complexes (246)

La consolidation de l’État se présente effectivement comme le point aveugle de la réforme de décentralisation, d’autant que cette dernière a été présentée dans les localités comme « le retour du pouvoir à la maison ». Dans les villages, cette expression a été notamment comprise comme un retour à l’ordre ancien, celui des chefferies de canton, voire des chefferies précoloniales, notamment au niveau territorial. En termes politiques, les élus communaux ont été lors du premier scrutin généralement choisis dans les familles détenant la chefferie traditionnelle locale, mais la diversité des stratégies politiques et l’emprise grandissante des partis au niveau local ont permis à toutes les composantes de la société (nobles et hommes de caste) d’accéder au statut de conseiller communal lors des derniers mandats (hormis les jeunes et les femmes qui restent minoritaires dans ces assemblées). Dans les communes rurales, les stratégies pour l’accès au pouvoir mêlent logiques politiques, sociales et territoriales avec des configurations de conseils communaux allant parfois à l’encontre des résultats des urnes, le jeu des alliances pour l’élection du maire et de ses adjoints se réalisant dans un second temps, indépendamment du choix des électeurs. Ce soupçon sur la légitimité des pouvoirs se décline ainsi à tous les niveaux, depuis la faiblesse des taux de participation aux élections jusqu’aux accords entre partis allant à l’encontre des voix des électeurs. Quid alors du sens de la démocratie et de son apprentissage quand les rapports de pouvoir et de contre-pouvoir se négocient hors des arènes classiques ? Si cette question vaut pour toutes les démocraties, elle se pose avec une acuité plus forte dans le cas du Mali où d’autres notions, notamment celles de société civile et de consensus, sont tiraillées entre différentes logiques. Par exemple, si la société civile malienne a été largement soutenue par les institutions internationales ces vingt dernières années, en référence à son rôle dans la chute de la dictature en 1991, son implication a davantage été recentrée sur la problématique du « développement » et moins sur sa fonction de contre-pouvoir dans l’arène politique. À cela s’ajoute l’injonction de consensus promu ces dix dernières années par le gouvernement d’ATT, qui participe non seulement à l’affaiblissement politique de l’État mais aussi des pouvoirs locaux, dont la légitimité (basée sur la compétition entre partis) se retrouve elle-même diminuée malgré la décentralisation.

Les faiblesses de la société malienne (analphabétisme, corruption, clientélisme) ont produit de nouvelles fractures sociales et spatiales qui sont présentes dans tout le pays, et pas seulement au Nord. Comment redessiner un horizon commun et sur quelles bases territoriales ? (…) la voie de la décentralisation est une voie réaliste (entre une restauration du régime antérieur et la création d’une République islamique), une plus grande autonomie des régions supposant aussi, au niveau national, un travail qui consiste à « redéfinir un autre roman (national) qui mêle plusieurs épopées dont les uns et les autres pourraient être fiers ». Encore faudrait-il que les assises politiques de cette reconstruction par le haut et par le bas acquièrent une légitimité, non seulement issue des urnes, mais aussi basée sur un renouvellement du pouvoir au sein de la Nation.

Tout se passe comme si l’on avait besoin de céder à la facilité, pour pouvoir présenter un exemple gratifiant au sein de l’espace francophone, en complément de celui du Sénégal. Le refus d’écorner la belle image rend sourd aux signaux d’alerte, pourtant très nombreux.

« Il y a moins de dix-huit mois, Bamako était l’une des capitales africaines les plus prisées par les sommets internationaux qui venaient y célébrer une démocratie exemplaire, une économie en croissance, une société tolérante et une culture ouverte au monde. En dépit de l’activité du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), devenu Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui organisait ses opérations dans le Sahel à partir de son sanctuaire malien depuis 2003, en dépit aussi de l’atterrissage d’un cargo rempli de cocaïne dans la région de Gao en 2009, révélant l’une des principales plaques tournantes de la drogue en direction de l’Europe, le Mali était présenté, jusqu’à la fin de l’année 2011, comme un modèle africain – et francophone – de stabilité démocratique se préparant à des élections générales en toute transparence. (…) Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi n’a-t-on vu dans le Mali qu’une république paisible qui sentait bon la démocratie et la laïcité et fermé les yeux sur un pays musulman profondément travaillé par un déni du politique ancré sur un malaise social et sociétal pointé par toutes les statistiques de ces dernières années ? En réalité, la réponse est sous nos yeux. La communauté internationale organise, en ce moment même, une magistrale occultation de ces dix-huit derniers mois en imposant une élection présidentielle le 28 juillet prochain, au prétexte de mettre en place un pouvoir qui, s’il sera peut-être légal, ne sera en rien légitime. En effet, l’État malien semble n’être désormais qu’une production de la communauté internationale – entendez le jeu d’intérêts multiples mais convergents entre les États-Unis et la France – qui, à travers les outils techniques et financiers que constituent la Banque mondiale, le Fond monétaire international, les Nations Unies, ou encore l’Union européenne, s’attache à stabiliser juridiquement cet espace économique qu’est l’Afrique de l’ouest. » (247)

Les choses ont-elles changé sur ces points ? Rien n’est moins sûr et le tonneau des Danaïdes continue de recevoir des financements plus considérables que jamais : aux 3,5 Mds€ promis au Mali à la conférence de Bruxelles se sont ajoutées fin 2013, de nouvelles promesses pour un montant cumulé de 20 Mds€ pour les cinq pays sahéliens. Ces montants massifs sont à mettre en balance avec le fait que le PIB d’un pays comme le Mali, est équivalent à 2 Mds, comme le rappelait Laurent Bossard, directeur du secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’ouest (248).

Les informations recueillies de diverses sources et experts rencontrés par votre Mission lui font croire qu’à ce jour, rien n’est intervenu pour contrebalancer la faillite de la coopération ni apporter des instruments nouveaux, et l’on ne voit pas comment les mêmes causes ne produiraient pas finalement les mêmes effets. L’impression prévaut que l’essentiel pour la communauté des bailleurs est d’afficher ses engagements, de mettre en évidence aux yeux de l’opinion publique que l’on n’abandonne pas le Mali, et que tout le monde se précipite à son secours. Le contexte opérationnel reste cependant toujours problématique, cf. la question de la coordination inter-bailleurs : les Nations Unies ont leur secrétariat en Algérie, l’Union africaine le sien à Niamey, pour ne prendre que ces exemples, et les initiatives et les stratégies sur le Sahel se sont multipliées plus que jamais, au point que chacun à la sienne : les Nations Unies, l’UE, la BAD, la Banque mondiale, l’Union africaine…

De fait, force est de constater que, malgré l’enthousiasme initial, les problèmes sont plus que jamais à vif : tout d’abord, au plan de la situation des populations sur le terrain, qui conduit un coordonnateur de Médecins sans frontières au nord Mali à déclarer en mars 2015 qu’« Une grande partie de la population malienne a un accès limité aux soins. Aujourd’hui, l’aide humanitaire est plus que jamais nécessaire. Actuellement, au Nord Mali, les besoins sont nombreux. La santé, mais aussi l’éducation, le manque d’eau potable… Par exemple, les centres de santé sont souvent non fonctionnels, mal équipés et manquent de personnels ou même de médicaments de base. Les écoles n’ont plus d’infrastructures ni d’enseignants pour accueillir les élèves. L’eau potable se fait rare car les points d’eau (forages) existants sont abîmés faute d’entretien, ce qui oblige les populations à utiliser des eaux impropres à la consommation avec tous les risques liés à l’hygiène que cela induit. » (249)

2. Une politique africaine qui réagit plus qu’elle n’anticipe

a. Le paradoxe français

Il résulte de cette analyse que l’un des aspects les plus frappants tient à l’incapacité de notre pays et de la communauté internationale à anticiper les crises qui surviennent en Afrique francophone. S’agissant de la France, cela semble une surprenante faiblesse compte tenu de sa connaissance particulièrement fine des réalités de terrain.

i. À quoi sert donc la connaissance que l’on a de l’Afrique ?

Comme on l’a dit, les crises qui ont surgi étaient écrites, des signes avant-coureurs les avaient les unes et les autres annoncées : la crise sécuritaire qui a frappé le Mali en 2012 n’est pas autre chose que la nième récurrence d’épisodes antérieurs que la communauté internationale avait tenté tant bien que mal de résoudre ; les éléments de la crise qui décompose en ce moment la République centrafricaine sont également installés depuis longtemps, et il n’y a jamais qu’une quarantaine d’années que le virus Ébola a commencé à frapper diverses régions africaines. Il en a été de même en Côte d’Ivoire, comme auparavant sur de précédents théâtres de crise. Il en sera peut-être de même demain ailleurs.

Comme on l’a rappelé en décrivant l’évolution du nord Cameroun, celles de la Côte d’Ivoire, de la République centrafricaine ou du Niger, nombre d’analystes et d’observateurs ont depuis longtemps étudié les effets directs du non-développement de régions entières sur la montée de l’insécurité, sur l’aggravation des tensions traditionnelles du fait de la modification de certains facteurs, qui auraient dû alerter les décideurs, les inviter à réviser des politiques inefficaces ; leurs travaux sont restés à peu près lettres mortes. De même, nombre de chercheurs ont perçu et analysé très tôt les évolutions au sein de l’islam africain. Ainsi, pouvait-on lire dans un des tout premiers numéros de la revue Politique africaine, il y a près de 35 ans que « la menace la plus sérieuse pour le pouvoir des confréries ne vient pas des socialistes ou des nationalistes africains occidentalisés, mais de l’intérieur du monde de l’islam. Lorsqu’on regarde les courants réformistes dans le monde musulman contemporain, et en particulier au Maghreb, on comprend qu’il y a de bonnes raisons de penser que les idéaux islamiques fondamentalistes peuvent s’affirmer de nouveau en Afrique noire. L’islam y est d’abord venu à travers le Sahara, depuis le Maghreb. Ce furent les Arabo-Berbères qui, à l’origine, ont porté l’islam en pays noir (à partir du XIe siècle) ; et en conséquence l’Afrique noire est toujours demeurée dans une certaine mesure sensible au développement de la pensée et des pratiques musulmanes du Nord. Dans ces conditions, le développement de la Salafyya, mouvement réformiste fondamentaliste, au Maghreb pourrait être de mauvais augure pour les confréries soufies d’Afrique noire. Au Maghreb, l’islam fondamentaliste se répand en dehors des cités et villes coloniales, et son programme réformiste part à l’attaque, de façon déterminée et avec un certain succès, contre l’hégémonie spirituelle et temporelle des confréries soufies. ». (250) De nombreux anthropologues et sociologues ont également montré que les crises, violentes, au sein de l’islam burkinabè dans les années 1970, sont apparues après que le réformisme wahhabite avait commencé de monter dans la société dès le milieu des années 1960, (251) ou encore comment les associations islamistes ont commencé à connaître de plus en plus de succès auprès de la jeunesse dakaroise dès les années 1970-1980. (252) On a vu plus haut que l’islamisation progressive de la société nigérienne, ses incidences politiques profondes, en matière familiale, sociale, éducative, la pression qu’elle exerce dangereusement sur l’État laïc, sont des questions également, et depuis longtemps, fort bien documentées. On les constate aussi au Mali : « Ce n’est pas au Nord seulement que la religion a un bras politique. Au Sud, l’islamisme peut mobiliser 50 000 personnes contre un code de la famille qu’il juge trop éloigné de la charia et prendre la tête de la commission électorale indépendante dans la foulée. Si on en est là, c’est que l’État s’est montré si obstinément prédateur que la population ne le supportait plus, et ceci, aussi bien au Sud qu’au Nord. » (253)

Tout cela n’a pas empêché qu’une forme de discours lénifiant prévale longtemps sur l’Afrique de l’ouest selon lequel l’islam traditionnel porté par les confréries soufies constituait un rempart « naturel » contre les influences wahhabites et que la greffe de la radicalisation n’aurait jamais aucune chance de prendre sur les sociétés d’Afrique subsaharienne… Jean-Pierre Dozon (254) souligne au contraire le fait que cette islamisation est très forte malgré l’implantation du catholicisme sur les zones côtières, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, etc., le wahhâbisme tendant à s’imposer partout contre l’« Islam noir » confrérique ; il relève en outre qu’il y a simultanément une prolifération d’églises évangélistes, au point qu’il n’y a plus de cinéma à Abidjan, tous sont occupés par des églises évangélistes !, cela ne cessant de croître. Logiquement, cette montée de la religiosité induit celle d’un néo-conservatisme africain qui impose une moralisation forte se traduisant entre autres par la montée de l’homophobie, qui se développe autour de traditions réaffirmées, avec de nouvelles législations, mais aussi de la violence, sur fond d’anti-occidentalisme. En ce sens, le sida a joué comme un révélateur, autour de l’idée, que l’on retrouve aujourd’hui avec l’épidémie d’Ébola, d’un Occident décadent et coupable, en contrepoint duquel se développe un afro-centrisme articulé sur la thématique de la pureté…

Quoi qu’il en soit, grâce notamment à un dispositif d’expertise très dense, notamment universitaire, sur les différentes problématiques qui intéressent le continent africain, la France dispose d’une connaissance particulièrement fine des réalités de terrain. Les centres français de recherches africanistes sont en effet nombreux, leurs équipes pluridisciplinaires jouissent d’une renommée indiscutée, le réseau des Instituts français en Afrique, institutions sans équivalent en Europe, est remarquable. Son directeur, Justin Vaïsse (255), indique que le Centre d’analyse, de prospective et de stratégie, CAPS, du ministère des affaires étrangères, consulte ces chercheurs français, mais aussi étrangers, spécialistes de l’Afrique, notamment ceux travaillant sur les domaines sociaux, religieux, politiques et économiques, qu’il est aussi en contact avec les IFRE à l’étranger, comme avec les ONG, les journalistes, et partage ses informations de manière informelle avec les autres instances en interministériel. Néanmoins, parmi les chercheurs et observateurs que votre Mission a pu interroger, plusieurs trouvent regrettable que le gouvernement ne fasse pas un meilleur usage de leurs travaux et voient un découplage dommageable entre l’analyse, l’expertise scientifique et la décision politique qui semble finalement n’être pas informée ou essentiellement basée sur des impératifs de court terme. Il en résulte un certain sentiment d’inutilité à voir leurs connaissances non utilisées, quand bien même la finalité de leurs travaux, financés sur fonds publics, n’est le plus souvent pas immédiatement opérationnelle, sentiment d’autant plus fort que les exemples étrangers montrent qu’il peut en être autrement : au Canada, par exemple, la circulation de l’information et les échanges entre les décideurs politiques et la recherche universitaire sont selon eux notablement supérieurs à ce qu’ils sont en France.

À cette connaissance scientifique très importante, qui pourrait constituer un atout majeur, si ce n’est unique, pour la définition d’une politique africaine sur le long terme, notre pays pouvait ajouter celle de ses assistants techniques qui, dans les secteurs qui étaient les leurs, sociaux notamment, étaient aussi de remarquables informateurs des réalités concrètes. La réduction progressive de cette coopération s’est traduits par une moins bonne connaissance du terrain, pourtant essentielle. Pour Dominique Kérouédan (256), dans le domaine de la santé, cette évolution s’est révélée tragique à la fois pour la qualité de notre politique d’aide au développement et pour notre influence. Aujourd’hui, nous sommes en retrait sur tous les plans, en premier lieu, en ce qui concerne notre présence ; l’assistance technique n’est plus que résiduelle, les intéressés ne sont plus en poste sur le terrain mais dans les ambassades, ce qui induit une perte d’expertise dont découle une impossibilité d’anticiper et d’avoir un regard prospectif, et pèse sur la prise de décisions politiques. Pour Dominique Kérouédan, des problématiques majeures, telle que la manière dont les enjeux sanitaires de la région ouest-africaine, vont affecter le social, l’emploi, dans les années à venir, la manière dont les États s’y préparent, dont nous-mêmes nous y préparons, etc., sont désormais ignorées, faute de documentation et de dispositifs permettant d’ajuster les politiques et de répondre à des phénomènes aux dimensions démographiques, urbanistiques, sécuritaires, nutritionnelles, etc., que l’on ne peut plus comprendre, faute de présence sur le terrain. Les orientations prises dans le cadre de la MAP santé ou dans l’évaluation de la contribution de la France à l’initiative Muskoka en témoignent déjà.

Cette question est cruciale et se répète ailleurs. Évoquant d’autres secteurs, des experts comme Olivier Lafourcade (257), ancien directeur des opérations de la Banque mondiale, président du Conseil d’administration d’« Investisseurs et partenaires », ou Jean-Marc Châtaignier (258), tenaient des propos identiques en rappelant que la France avait par exemple un avantage comparatif unique sur les problématiques agricoles sahéliennes, elle disposait probablement des meilleurs centres de recherche en agriculture sahélienne et tropicale au niveau mondial, tels que le Centre de recherches Agropolis à Montpellier, qui compte 2 500 scientifiques, l’Institut des régions chaudes, le CIRAD, l’IRD et d’autres, qui ne sont malheureusement pas suffisamment utilisés alors qu’ils représenteraient un apport indispensable. Opinions que partage Bruno Losch (259), pour lequel s’il n’y a pas d’anticipation ni d’instrument d’alerte pour apporter des réponses aux défis « d’ampleur tectonique » comme le sont les enjeux démographiques africains, on ne peut que s’inscrire dans une dynamique de crises généralisées et de conflits très forts auxquels on ne s’attend pas ; ou encore Thierry Vircoulon (260) sur les problématiques purement sécuritaires, qui soulignel’impératif d’investir dans la connaissance pour comprendre ce qui se joue et être en capacité de faire de la prévention.

On ne peut donc que regretter que notre pays prenne le chemin exactement inverse, cf. le projet de suppression de deux IFRE sur quatre, l’IFRA du Nigeria et le CFEE d’Addis-Abeba, qui mobilise et inquiète vivement la communauté scientifique. De l’avis de votre Mission, il ne s’agit pas seulement de la suppression de pôles de recherche scientifique, ce qui en soit est très regrettable, ce sont aussi les capacités à anticiper de notre outil diplomatique et partant, notre politique et, eu égard au contexte et aux enjeux, notre sécurité qui peuvent en être affectées.

À cet égard, Olivier Ray (261), responsable de l’unité « Prévention des crises et post-conflit » de l’AFD, invitait à prendre garde aux coûts de l’inaction en matière de situations de tensions, qui pourrait être d’autant plus élevés que l’on est aujourd’hui confrontés à des problématiques graves en termes géostratégiques. Éviter que l’Afrique ne bascule dans les pires scénarios suppose de gérer les risques et les interdépendances entre le nord et le sud qui ont des enjeux communs. Cela suppose d’une part de clarifier les objectifs de notre politique d’aide au développement, on y reviendra, mais aussi d’investir dans la prévention, dont le coût devrait être utilement mis en balance avec celui des OPEX que la France a engagées ces dernières années, Serval, Sangaris ou Barkhane aujourd’hui, qui représentent chacune des dizaines de millions d’euros, ainsi que celui des OMP onusiennes auxquelles la France participe. Ainsi, selon les données pour 2015 (262), la France a tout d’abord budgété un total de 378,5 M€ au titre des OMP de l’ONU, dont 73,3 M€ au titre de la MONUSCO (RDC) ; 57,8 M€ au titre de la MINUSMA (Mali) ; 27 M€ au titre de l’ONUCI, (Côte d’Ivoire) ; 25,4 M€ au titre de la MINUSCA, (République centrafricaine), soitquelque 183,5 M€ pour les quatre OMP relatives à des pays d’Afrique francophone. Si l’on y ajoute le coût des opérations bilatérales engagées sur les crédits du ministère de la défense, l’avis budgétaire de notre collègue Guy Teissier nous rappelle qu’en 2014 la France avait des effectifs d’OPEX s’élevant à 770 hommes en Côte d’Ivoire, 1 161 au Tchad (Épervier), 2 331 au Mali, 2 294 en République centrafricaine dans le cadre de Sangaris, auxquels s’ajoutaient 86 personnels affectés à l’EUTM Mali et 162 sur EUFOR RCA. Notre collègue relevait que les budgets initialement programmés à ce titre sont systématiquement sous-évalués et que les surcoûts sont considérables : 1,25 milliard en 2013, 1,13 Md€ en 2014.

ii. Des réactions au coup par coup

Doit-on s’étonner dans ces conditions que la diplomatie française donne aujourd’hui l’impression de subir en Afrique plutôt que d’agir ? À entendre les nombreux diplomates que votre Mission a rencontrés, se dégage en effet comme un sentiment d’impuissance ou d’inefficacité. Certains argumentent que le ministère essaie d’anticiper, de voir les signaux annonciateurs, mais l’on n’est jamais que sur le court terme. Les crises sont parfois soudaines, nous dit-on, le déferlement d’une rébellion ancienne sur une capitale peut être imprévisible, le décryptage de ses intentions, de ses financements, de ses ambitions immédiates est parfois difficile, et, finalement, même si cette crise n’est pas une nouveauté, « on s’adapte plus qu’on anticipe », comme certains le reconnaissaient. A cet effet, on peut rappeler que le Centre d’analyse, de prospective et de stratégie du MAEDI travaille sur trois horizons de temps différents : le long terme, à quinze ou vingt ans, qui n’est toutefois pas la priorité dans la mesure où l’essentiel de l’activité porte sur les crises que le ministre doit gérer ; le moyen terme, entre deux et six ans, qui permet d’établir une sorte de cartographie donnant un indice des fragilités potentielles, sans caractère prédictif, sur la base des données transmises par les postes diplomatiques, prenant en compte les intérêts français et les possibles répercussions sur la sécurité intérieure ; le court terme, enfin, entre deux et six mois, avec un outil d’alerte précoce en place depuis l’été 2014, sur la base de données qualitatives, mêlant information de terrain et intuition, pour donner au ministre et au Président de la République une estimation des évolutions des crises en cours ou probables. Les préoccupations actuelles portent par exemple sur la volatilité politique des régimes africains et les évolutions prévisibles dans un contexte « post-Compaoré », avec les nombreuses élections présidentielles et législatives à venir sur la période 2015-2016, les événements burkinabè ayant montré la mobilisation des populations.

Sur ce plan, il est sans doute utile de travailler sur les scénarios possibles de la succession de Paul Biya mais la question peut se poser de savoir si cela est suffisant eu égard aux enjeux. Alain Antil, directeur du programme Afrique subsaharienne de l’IFRI, confirmait que de son point de vue, sur le Cameroun, on ne travaille effectivement que sur le court terme, sans voir le « post-Biya » et les risques majeurs y compris en termes de cohésion du pays. Même si des choses sont faites en coulisse, comme sur différents pays, il estimait qu’il y a un déficit fort de notre action s’agissant du Cameroun, et que le fait que nous soyons parfois prisonniers de certaines amitiés prive d’une capacité critique, induit une bienveillance quelquefois inquiétante. Des messages plus forts seraient parfois opportuns, qui grandiraient la France, comme François Hollande avait su le faire à Kinshasa.

De même, s’agissant des questions plus transversales de sécurité, la réflexion au sein du CAPS semble surtout porter sur la gestion de crise, que la France est en fait à peu près seule à pouvoir maîtriser dans la région, raison pour laquelle elle intervient, bien plus que sur la prévention de moyen terme.

Pour votre Mission, se paie peut-être ici, outre la déconnexion avec la recherche, un manque certain de coordination entre les différents instruments que plusieurs interlocuteurs ont souligné. On a ainsi eu confirmation que le CAPS du MAEDI, la DAS du ministère de la défense travaillaient de manière isolée, sans échanger sur leurs analyses, ignorant parfois les sujets qu’ils étudient. Ce manque de coordination au niveau de l’analyse institutionnelle se retrouve aussi au niveau opérationnel : que l’on sache, les dispositifs interministériels de réaction aux crises et de suivi et d’anticipation à moyen terme, qui avaient été mis enœuvre à l’orée des années 2000 à la demande du Premier ministre Lionel Jospin, réactivées dix ans plus tard, semblent être restées lettres mortes. En ce sens, notre pays semble peiner à réformer ses outils de prévention et gestion de crises. Comme le remarquait Thierry Vircoulon, l’intérêt politique à agir avant que les crises n’éclatent est en fait quasi-inexistant, quel que soit le coût qu’on doive supporter ultérieurement, la difficulté étant aussi de mobiliser des outils et des crédits avant que la crise ne surgisse…

Votre Mission voit dans cette absence d’anticipation, de vision préventive l’une des raisons qui conduit de manière regrettable, à ce que l’on peut qualifier de militarisation coûteuse de notre politique africaine.

b. Une politique africaine de la France par trop militarisée ?

i. Le ministre de la défense, ministre de l’Afrique ?

Certains observateurs se demandent si le ministère de la défense n’a pas pris une trop grande place dans notre politique africaine. Jeune Afrique titrait l’an dernier : « France-Afrique : comment l’armée a pris le pouvoir » (263). Pour Christophe Boisbouvier, les nécessités de la realpolitik, cf. le devoir de réagir en urgence aux crises malienne et centrafricaine, ont renforcé la très étroite relation qui unit le Président de la République à Jean-Yves Le Drian, qui a joué dans la part que le ministère de la défense a pris dans la gestion des affaires africaines. Les relations particulières qui, du fait des circonstances se sont nouées au fil des mois avec le président tchadien, principal allié militaire sur le terrain, auraient contribué à déplacer le curseur vers le ministère de la défense, si ce n’est le ministre, comme interlocuteur privilégié des pays africains.

Selon les analyses de Jeune Afrique (264), pour beaucoup de chefs d’État d’Afrique de l’ouest, le ministre de la défense est devenu l’interlocuteur français numéro 1, d’autant plus aisément que la sécurité est la priorité de la sous-région. À titre d’exemple, on peut relever que, à peine le président Ismaïl Omar Guelleh se plaint-il dans les colonnes de Jeune Afrique que « La France ne nous considère pas » (265), que Jean-Yves Le Drian annonce dès le lendemain (266) être prêt à se rendre à Djibouti dans les premiers jours d’avril. Si le ministre de la défense se rend très souvent sur le terrain, en revanche les autres acteurs de la politique africaine se déplacent moins. Le reproche en a été exprimé par certains de nos interlocuteurs lors de notre déplacement au Cameroun, ce dont Sébastien Minot (267), sous-directeur Afrique centrale, était convenu : il y a peu de visites gouvernementales au Cameroun, avec lequel manque un dialogue politique fort, et l’on regrette sur place que les plus hautes autorités de l’État ne viennent pas plus souvent ; la dernière visite du Premier ministre français remonte à 2009, celle d’un Président de la République à 1999. Au-delà du cas du Cameroun, c’est l’ensemble des pays de la région d’Afrique centrale qui expriment une grande attente de visites, qui seraient utiles pour traiter des évolutions négatives que connaissent certains d’entre eux, même s’il est entendu que l’exercice est difficile, cf. les questions constitutionnelles abordées avec les présidents congolais ou burkinabè au cours des derniers mois.

De fait, comme le souligne entre autres observateurs attentifs, Laurent Bigot (268), ancien sous-directeur Afrique de l’Ouest du MAEE, désormais consultant indépendant, il y aurait aujourd’hui une surreprésentation des militaires dans la prise de décision sur les questions africaines, qui ont pris une place laissée vacante par les diplomates du Quai d’Orsay ou même de l’Élysée. L’État-major particulier du Président de la République occupe aussi un espace sans cesse croissant et beaucoup de décisions sont prises par des acteurs hors la sphère diplomatique. Cette surreprésentation tiendrait aussi à l’évolution de la sociologie interne au Quai, et au fait que les compétences traditionnelles que le ministère avait sur l’Afrique francophone ont peu à peu été remplacées par d’autres, tenues par des diplomates qui n’ont pas la même fibre, issus de la filière swahiliphone, plus naturellement tournés vers l’Afrique de l’est que vers l’Afrique de l’ouest. À ce sujet, Aline Lebœuf et Hélène Quénot-Suarez dans une étude récente de l’IFRI (269) soulignent « la volonté marquée de normaliser le recrutement des « Africains » du gouvernement et des administrations a conduit à privilégier la mise en poste de diplomates africanistes. Ayant passé le concours d’Orient, ils sont donc swahiliphones. C’est un remarquable atout pour l’ouverture de la France à des pays africains qu’elle connaît encore peu. Dans le même temps, l’Afrique de l’Est, où le swahili est utilisé, est une zone où la France a un faible avantage comparatif et peu d’intérêts stratégiques. Il reste donc finalement peu de spécialistes pour traiter de la zone Afrique de l’Ouest et les rares en poste n’ont pas toujours la possibilité, nous l’avons dit, d’aller sur le terrain et de se créer un réseau de contacts dans leur zone de travail. » Or, c’est précisément dans cette zone que le besoin d’expertise est aujourd’hui le plus criant. Au point qu’Alain Antil (270) estime même que le Quai d’Orsay ne pèse plus sur le Sahel, le fait que l’on ait envoyé 3 000 militaires au Mali mais un seul diplomate de renfort à l’ambassade de France à Bamako contribuant à le prouver…

ii. Les risques de cette évolution

Le risque de cette évolution est pluriel. De la même manière que l’on s’est interrogé plus haut sur l’efficacité des politiques d’aide au développement telles qu’elles étaient conduites, le bilan en matière de stabilité d’une telle politique appelle aussi plusieurs remarques.

Tout d’abord, comme on l’a vu, les interventions militaires successives n’apportent pas par elles-mêmes d’apaisement durable, encore moins de paix définitive.

Ensuite, sur la longue durée, les pressions internationales pour arracher les accords de paix ont accouché de solutions fragiles. Sans l’adhésion de la « base », qu’elle soit partisane, ethnique, religieuse ou autre, les accords obtenus par la communauté internationale avec des acteurs réticents à les signer ou les respecter, risquent fortement d’achopper au moment de leur ratification.

La France est louée pour oser, seule parmi les puissances occidentales, engager ses hommes sur le terrain dans les moments les plus difficiles pour l’Afrique, mais elle ne doit pas donner uniquement cette image. Le problème est aujourd’hui que, quoi que la France fasse, elle se retrouve facilement montrée du doigt : qu’elle intervienne et elle est accusée de néocolonialisme, d’ingérence ; qu’elle s’abstienne, et son indifférence lui sera reprochée. On en voit aujourd’hui les illustrations dans des pays aussi divers que le Mali, la République centrafricaine ou le Cameroun.

Cette situation n’est pas soutenable durablement, tant en termes politiques que militaires, tant en termes budgétaires que d’image de notre pays, même si la France est la seule à pouvoir agir sur le continent comme elle le fait. Elle l’est d’autant moins aussi, que malgré tous les efforts, par exemple concernant la reconstruction de la République centrafricaine où tout reste à faire, les résultats ne sont pas au rendez-vous. S’il est heureux que l’on réussisse à entraîner dans l’aventure d’autres pays européens et organisations internationales, force est de constater la difficulté, si ce n’est l’impasse, dans laquelle on se trouve aujourd’hui.

Cela étant, la sortie de la phase militaire pour aborder la reconstruction est un processus complexe qu’un pays seul ne peut réussir. Cela renvoie à la nécessité de nouvelles approches, complémentaires, à la question de la coordination entre projets des bailleurs, qu’on a abordée s’agissant du Mali, à celle du leadership que la France entend conserver sur une région clef pour elle. On y reviendra dans la toute dernière partie de ce rapport.

3. Qu’en est-il des intérêts de la France ? Une politique africaine qui ne permet pas à notre pays d’améliorer ses positions

Au-delà de la question de la stabilité et du développement de l’Afrique francophone, se pose aussi celle de savoir dans quelle mesure notre politique contribue à conforter nos intérêts sur le continent. Sous cet angle, votre Mission a choisi de se pencher sur deux aspects : celui de la relation économique ; celui de l’image de notre pays.

a. Le positionnement économique de la France en Afrique

Cette question est de celles qui ont été les plus débattues au cours des dernières années, sur la base du constat selon lequel la France serait aujourd’hui en train de décrocher dans le paysage économique africain, que quelques nouveaux venus, la Chine en premier lieu, viendraient lui tailler des croupières sur ses terres de prédilection, sans égard pour l’ancienneté de ses positions. De fait, partant des situations monopolistiques qui étaient les siennes autrefois, l’évolution aurait difficilement pu être différente.

Au demeurant, comme on l’a rappelé, pour diverses raisons, tenant à son poids démographique, l’Afrique francophone pèse d’un poids relativement faible, d’environ 240 Mds$ de PIB global pour une population inférieure à 300 millions d’habitants. Les géants économiques et démographiques du continent sont ailleurs. Cela ne l’empêche pas d’avoir des taux de croissance plutôt légèrement supérieurs à ceux d’autres zones géographiques, dans un contexte général où les forces et faiblesses des uns et des autres sont grossièrement les mêmes : fondamentaux économiques et perspectives à peu près comparables ; forces et faiblesses également proches.

Cela étant, on peut difficilement suivre les observateurs, comme Yves Gounin (271) qui se plaisent à relativiser l’intérêt économique de la France sur l’Afrique, compte tenu de la faiblesse de ces échanges. Dans la conjoncture que l’on connaît, on ne peut ignorer l’importance que l’Afrique francophone représente pour notre commerce extérieur. En 2014, les exportations françaises vers l’Afrique subsaharienne dans son ensemble ont représenté 12 Mds€, dont 7 Mds à destination des pays francophones, malgré leur poids économique inférieur. En outre, comme Arnaud Buissé (272) le rappelait, la part de marché française dans les deux plus grosses économies africaines, l’Afrique du Sud et le Nigeria, n’est que de 2,5 % et 3,5 % respectivement, nos exportations ne pèsent que 0,6 % et 0,25 % de leur PIB, alors que les données sont nettement en notre faveur dans les pays de l’aire francophone : la France détient ainsi quelque 28 % de parts de marché au Gabon, 19 % au Congo, 16 % au Tchad ou 15 % au Niger.

Ces relations commerciales nous permettent de réaliser un excédent enviable d’1 Md€ sur l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, et, si l’on considère uniquement les pays francophones, de 4,5Mds€. Nos excédents commerciaux se retrouvent par exemple vis-à-vis du Togo (700 M€), du Sénégal (650 M€), du Gabon (550 M€), du Cameroun (425 M€) ou encore du Mali (340 M€). L’Afrique francophone représente un enjeu commercial d’autant plus important lorsqu’on met ce bilan en balance avec le déficit commercial global de notre pays, de 70Mds€ l’an dernier.

Pour autant, on fera aussi remarquer que dans la liste des cinquante pays prioritaires du commerce extérieur que la stratégie de décembre 2012 (273) a définie, l’Afrique brille par sa discrétion : il n’y a en tout et pour tout que quatre pays d’Afrique subsaharienne qui y figurent : l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Kenya et le Nigeria. La Côte d’Ivoire est donc le seul pays d’Afrique francophone considéré comme suffisamment prometteur pour justifier d’une attention particulière de la part des services du commerce extérieur. Ces quatre pays dans leur ensemble sont perçus comme intéressants eu égard à leurs besoins en infrastructures, et aux fortes perspectives d’augmentation des achats de biens de consommation, possiblement la plus forte au niveau mondial. Dans ces pays, comme dans les pays émergents, l’objectif affiché est de « sortir du seul prisme des grands contrats et conquérir des parts de marché dans le commerce courant. » La mise en œuvre de la stratégie se déclinera par une « démarche verticale, de contacts entre gouvernements, puisque les États y conservent souvent des responsabilités importantes en termes de définition des normes, de commandes et politiques publiques. » Pour autant, aucun de ces quatre pays africains n’est considéré comme cible pour notre secteur de « produits agricoles et agroalimentaires », ni pour celui de l’équipement agricole. Ils ne figurent pas non plus parmi ceux qui sont ciblés pour les secteurs « santé et bien-être », « haute technologie électronique et numérique » ou « ville durable » : ce dernier point est peut-être celui qui surprend le plus, dans la mesure où les problématiques d’infrastructures urbaines, d’assainissement, de gestion des déchets, de traitement des sites pollués, ainsi que l’urbanisme, la construction, l’efficacité énergétique ou la mobilité urbaine, sont aujourd’hui au cœur des stratégies mises en œuvre par l’AFD, notamment dans les pays émergents. Finalement, aucun des quatre axes de la stratégie de commerce extérieur ne vise concrètement l’un ou l’autre des quatre pays africains. À l’évidence, ce n’est pas sur l’Afrique, ni surtout l’Afrique francophone, que le gouvernement compte pour rééquilibrer notre commerce extérieur.

Reste que dans ce tableau, la France perd effectivement des parts de marchés en Afrique subsaharienne, au profit des émergents les plus importants que sont la Chine et l’Inde, mais aussi d’autres pays : le Brésil, la Turquie, la Malaisie, l’Iran, les États-Unis et bien d’autres. Selon le rapport qu’Hubert Védrineet ses cosignataires avaient remis au ministre de l’économie et des finances en décembre 2013 (274), la part de marché de la Chine en Afrique est passée de moins de 2 % en 1990 à plus de 16 % en 2011, tandis que celle de la France déclinait de 10,1 % en 2000 à 4,7 % en 2011. Sur l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, la Chine fait désormais jeu égal avec nous dans les quatorze pays de la zone Franc. En revanche, en volume et en valeur, nos exportations continuent d’augmenter, multipliée par deux dans le même temps, et notre stock d’IDE progresse fortement, multiplié par quatre entre 2005 (6,4 Mds€) et 2011, année où il a atteint 23,4 Md€. Ce qui fait dire à Etienne Giros (275) qu’il n’est pas juste de dire que la France perd pied en Afrique. Au demeurant, le président délégué du CIAN soulignait qu’il était nécessaire de tenir compte des caractéristiques propres aux positions de notre pays vis-à-vis de l’Afrique : d’une manière générale, les entreprises françaises sont plus dans des stratégies d’implantation que d’exportation, ce qui fait que des groupes comme Bolloré, gestionnaire, entre autres, de quatorze grands ports africains, ou Castel, réalisent des opérations majeures, en termes d’investissement, sur fonds propres, qui n’apparaissent pas dans les statistiques du commerce extérieur. Dans le même esprit, on peut aussi citer le cas de l’usine Renault de Tanger qui fournit le marché africain.

Les graphiques ci-dessous montrent l’évolution comparée des parts de marché de notre pays et de quelques autres, dont la Chine et les États-Unis, en Afrique centrale sur la période 2000-2012 (276) : la France et les pays européens déclinent clairement au profit des émergents.

Cela étant, il est préoccupant de voir que dans un pays comme le Cameroun, par exemple, la réduction de nos parts de marché est plus rapide que celle de quiconque. Comme le souligne Pascal Maccioni, chef du service économique régional de Yaoundé, la France est le principal perdant dans ce jeu de la concurrence, sa part s’érodant sur tous les marchés, même si elle reste deuxième fournisseur avec un peu plus de 15 % du marché en 2012, et cette érosion de notre présence relative doit inciter à chercher quel dividende il serait possible de tirer de l’arrivée de nouveaux partenaires, commerciaux comme investisseurs.  


On ne doit cependant pas oublier que le grignotage de nos parts de marché s’accompagne aussi de la montée des IDE de la part des émergents, et d’implantations d’entreprises. En d’autres termes, si les positions françaises en Afrique francophone bénéficient encore de la proximité et de la coopération de notre pays avec ces différents pays, sans doute convient-il de rester attentif aux évolutions.

Il est donc important que notre pays réussisse à maintenir une relation privilégiée avec les pays francophones. Sans s’interdire les incursions opportunes sur des régions du continent auxquelles notre pays est moins accoutumé, comme les émergents anglophones, par exemple, il serait suicidaire de lâcher la proie pour l’ombre. À cet égard, le rapport Védrine concluait aussi sur la mise en retrait de l’État français sur la dernière décennie, et appelait à une relance des relations administratives et politiques de haut niveau. Il n’est pas certain que depuis lors de grands changements soient intervenus. Il n’est pas fréquent que le Premier ministre, ou le ministre de l’économie se rende en Afrique, et l’on a vu ce qu’il en était de la dernière période où c’est surtout le ministre de la défense qui est sur le terrain, plus que le ministre des affaires étrangères. L’actualité sur le front des tensions sécuritaires a aidé cette évolution, mais on aurait sans doute avantage à s’inspirer des pratiques de quelques gouvernements européens en matière d’impulsion politique.

Les échanges commerciaux entre la France et le Cameroun :

le point au premier semestre 2014 (277)

Entre les premiers semestres 2013 et 2014, les échanges franco-camerounais (selon les douanes françaises) ont enregistré une nouvelle baisse, après celle enregistrée entre les premiers semestres 2012 et 2013 (-1 %) passant de 458 M EUR à 420,7 M EUR (-8,2 %). Cette diminution des flux commerciaux échangés entre le Cameroun et la France pendant le premier semestre 2014 est liée à une baisse de 8,1 % des exportations françaises, couplée à une baisse de 8,2 % des importations. La France reste parmi les grands clients du Cameroun. Historiquement premier fournisseur du Cameroun, la France occupe depuis 2013 la troisième place, derrière le Nigeria et maintenant la Chine. Sa part de marché s’est érodée au cours des vingt dernières années, passant de 38 % en 1990 à environ 14,1 % en 2013, et s’établit à 18,1 % hors hydrocarbures en 2013. Les exportations françaises sont essentiellement constituées de biens intermédiaires (produits pharmaceutiques), de biens d’équipement et de produits agricoles.

Cela étant, des initiatives intéressantes sont prises aujourd’hui, en premier lieu le Forum AfricaFrance pour une croissance partagée, lancé en février dernier. Pour autant si les partenariats entre l’Afrique et la France, entre leurs entreprises, leurs communautés sont indispensables, qui contribuent à leurs prospérités respectives, il convient de ne pas oublier que la relation économique sera d’autant plus étroite et fructueuse pour chaque partie que ce ne sera pas seulement sous l’angle de la « diplomatie économique » que la France l’articulera. À ce propos, Laurent Bigot (278) estimait que l’on serait dans l’erreur à trop centrer notre politique africaine sur ce volet car cela revient à tendre nous-mêmes les verges pour nous faire fouetter par une concurrence très forte qui joue contre nous. Le marché est ouvert, et ceux qui se sentaient autrefois dans une relation privilégiée avec nous n’ont pas de scrupule à faire jouer la concurrence, chacun d’entre nous a pu le constater lors de ses déplacements sur le terrain. Il ne faut donc pas perdre de vue que notre influence est assise avant tout chose sur nos avantages comparatifs, sur nos valeurs, grâce auxquels les Africains nous perçoivent différemment que comme un partenaire commercial. Pour l’ancien sous-directeur d’Afrique de l’Ouest du MAEDI, c’est précisément la défense de ses principes et de ses valeurs, c’est son influence sur le terrain de l’idéal, d’un projet de société, qui peuvent permettre à la France de décrocher des contrats, c’est de cela que devrait découler la politique économique.

À cet égard les représentants de la communauté française des affaires que votre Mission a eu l’occasion de rencontrer lors de son déplacement à Douala et à Yaoundé en janvier dernier, ont considéré que ce n’était pas tant d’instruments complémentaires, telle qu’une banque du commerce extérieure, ou de financements, que les entreprises françaises avaient besoin, elles les trouvent aisément sur le marché local ; ce qui fait défaut, assument-ils, c’est en premier lieu l’envie de venir se frotter aux réalités de terrain de la part des entreprises, ce qui renvoie aux raisons fondamentales pour lesquelles il leur est si difficile de percer à l’international, toutes géographies confondues. Ils estiment en revanche que notre pays dispose de certains atouts pour résister à la concurrence, notamment chinoise. La promotion de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, notamment, permet de durcir le niveau de la compétition et ne peut qu’être positive, comme le rapport « Un partenariat pour l’avenir » l’avait d’ailleurs souligné (proposition n° 8 : Promouvoir l’économie responsable et l’engagement sociétal des entreprises).

b. Un sans-faute diplomatique…

Comme le souligne Jean-Christophe Belliard, directeur Afrique du MAEDI (279), sur la scène diplomatique internationale, et notamment sur le continent africain, l’image de la France est aujourd’hui unique. Elle permet à la France de pouvoir convoquer la Conférence de Bruxelles de mai 2013 pour la reconstruction du Mali, de réunir au sommet de l’Élysée en décembre 2013 plus de participants qu’il n’en viendra au sommet Union européenne-Afrique en avril 2014, ou encore, au Président François Hollande d’être l’unique invité d’honneur au cinquantenaire de l’Union africaine, ainsi qu’au 100e anniversaire du Nigeria, alors même que la France avait soutenu le Biafra dans sa guerre d’indépendance.

Ces succès sont les fruits indiscutables de l’engagement de notre pays sur le front des crises. La France fait des efforts militaires que d’autres ne font pas, au Mali, en République centrafricaine, plus généralement dans le Sahel où elle est présente continument. Elle est dans une phase où les circonstances lui permettent de montrer son savoir-faire militaire, ses capacités de projection sur la scène internationale, et cela est porté à son crédit par des pays comme la Chine ou la Russie.

Sur d’autres théâtres ou face à d’autres menaces, la France est sans doute moins directement exposée, mais elle n’en joue pas moins sa partition. Ainsi en est-il de la problématique de la piraterie dans le Golfe de Guinée qui touche l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale, et notamment des pays comme le Gabon, le Cameroun, le Congo. La France soutient les efforts de la Communauté économique des États d’Afrique centrale, CEEAC, qui coordonne son action avec la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest, CEDEAO. Après les opérations menées depuis Djibouti par l’Union européenne sur la façade est du continent avec l’opération Atalante, sur initiative de la France, la préoccupation s’est reportée ces derniers temps sur la côte atlantique où la piraterie est devenue un fléau majeur, compte tenu des connexions désormais avérées entre groupes terroristes et mafieux de diverses origines, et des potentialités de déstabilisation, de risques de dommages considérables pour les économies régionales dont les importations et exportations, par exemple d’hydrocarbures, transitent par le Golfe, qu’il s’agisse des pays côtiers ou des pays enclavés de l’intérieur, Tchad et Niger notamment. Lors de son déplacement au Cameroun, votre Mission a eu l’occasion de visiter le Centre interrégional de coordination, qui met en œuvre la stratégie de sécurisation maritime du Golfe, de s’entretenir longuement avec ses responsables (280) et de constater l’implication durable de notre pays, – l’opération Corymbe a été lancée il y a plus de vingt ans -, tant en présence qu’en assistance technique.

D’une manière générale, cette politique d’intervention rencontre l’assentiment des populations et des autorités des pays africains, au-delà de la sphère francophone. Elle permet globalement à notre pays d’avoir un dialogue politique et d’être en accord sur de nombreux sujets avec divers partenaires, comme c’est le cas avec le Nigeria. Il importe de capitaliser ce crédit pour en tirer profit sur le long terme.

c. … Qui n’empêche pas l’image de notre pays de se ternir dans le regard des populations

Cela étant, malgré ces succès diplomatiques, les pays dans lesquels la France est aujourd’hui mal vue ne sont pas rares. Cela se constate à plusieurs niveaux, pour diverses raisons, et se traduit de manière parfois spectaculaire, comme au Cameroun, comme votre Mission a pu le constater.

i. La France aujourd’hui mal vue en Afrique

Dans ce qui se joue autour de la relation bilatérale de la France avec les différents pays, l’histoire pèse aujourd’hui encore d’un poids majeur. Ainsi en est-il au Cameroun, pays dans lequel la France fait actuellement les frais de campagnes de presse étonnamment agressives. À l’heure où le pays fait face aux assauts de Boko Haram, les accusations de soutien que la secte terroriste recevrait de la part de notre pays sont fréquentes. On voit derrière Boko Haram la main de la France, qui serait obnubilée par la déstabilisation du président Biya.

À écouter Mathias-Éric Owona-Nguini (281), par exemple, c’est en fait depuis l’indépendance que le rapport avec la France est compliqué et conflictuel, et tant que le Cameroun n’aura pas réussi à dépassionner cet épisode, cet amour-haine sera difficile à combattre (282). L’idée est encore présente aujourd’hui de l’usurpation du pouvoir par la France au moment de l’indépendance. Ce sont d’ailleurs des partisans ou anciens membres de l’UPC, écartée alors, qui mènent campagne dans certains média, comme Afrique Media, chaine de télévision qui diffuse des « débats » d’opinion, dans lesquels un délire antifrançais est déversé à longueur de soirées, dans l’objectif de faire le buzz pour la population sur un discours probablement supposé rassembleur.

Quoi qu’il en soit, de très nombreux interlocuteurs rencontrés à Douala et Yaoundé ont confirmé la diffusion de ce type de discours et la prégnance de cette mauvaise perception de notre pays. Ainsi, Bolloré, gestionnaire du port, a-t-il été accusé d’importer des armes pour les fournir à Boko Haram ; le moindre prétexte est sujet à manifestation d’aigreur et certains évoquent un climat parfois tendu, soupçonneux, et estiment qu’il ne faudrait pas qu’un élément déclencheur mette le feu aux poudres.

Cette relation compliquée, alimentée par la rumeur incessante et irrationnelle, part du postulat selon lequel la France doit faire plus pour le Cameroun, et que si elle ne répond pas à cette attente, c’est que d’autres intérêts l’en détournent. En même temps, si elle intervient quelque part sur le continent, la réaction positive cédera vite la place au soupçon de néocolonialisme. Dans ce contexte, de quelque manière que la France agisse, elle suscite jalousie, rancœur ou méfiance. Si Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, avait naturellement tendance à relativiser les risques (283), votre Mission doit indiquer avoir senti une réelle préoccupation, qui ne vire certes pas à la psychose mais justifierait qu’un message soit passé aux autorités gouvernementales du pays pour éviter les dérapages éventuels, d’autant plus que, selon Marie-Emmanuelle Pommerolle (284), on perçoit ce sentiment dans tout le pays, pas uniquement chez les jeunes urbains ou dans les populations campagnardes, mais aussi chez les élites, et cela est lié aux manipulations internes au sein du RDPC ; ce pourrait être potentiellement dangereux en cas de crise, mais cela participe aussi d’une forme de ciment et joue comme un élément de la solidité du régime sur une thématique nationaliste.

Le fait que notre pays ait actuellement une excellente image dans les cercles diplomatiques africains ne doit donc pas être considéré comme suffisant et la perception des populations est un élément qui doit être valorisé très soigneusement. La question du regard porté à nos forces armées sur le terrain, libératrices dans un premier temps, forces d’occupation dans un second, et rapidement, est un sujet important, si ce n’est majeur, sur lequel il faut porter une extrême attention, dans la mesure où elle conditionnera l’adhésion des populations africaines à la France, ou leur aliénation, pour des années. À cet égard, Laurent Bigotfaisait remarquer qu’il nous est reproché d’apporter une réponse exclusivement militaire au terrorisme que, sur notre territoire, nous combattons par le droit. De sorte que la France est vue comme déniant le droit de se défendre à ceux qu’elle considère comme terroristes, alors que ces derniers ne sont pas perçus comme tels par les populations en raison de leurs actions en matière sociale, économique, sanitaire, etc., effectuées en substitution à l’État défaillant. Ce qui leur confère une véritable légitimité.

Sur le long terme, notre politique risque de nous faire perdre la collaboration et l’adhésion des populations locales dans cette lutte. Au Mali, une partie des populations du Nord choisit d’ores et déjà son camp, qui n’est pas le nôtre, car nos moyens ne correspondant pas à notre discours.

De même Jean-Pierre Bat (285), historien, responsable du fonds Foccart aux Archives nationales, attire l’attention sur le fait que la bataille de l’opinion publique est très souvent perdue par la France, – cf. chez les militants pro-Gbagbo en Côte d’Ivoire – et que dans son « kit » intervention militaire + soutien à la démocratie, c’est de loin le premier élément qui domine largement dans la perception des populations. Notre pays apparaît comme facteur d’immobilisme, comme un frein à l’évolution souhaitée des sociétés.

En d’autres termes, la réponse militaire, indispensable, ne doit être que celle de l’urgence. Sur le long terme, il est essentiel de revenir à la racine des problèmes, à l’origine politique de la crise et non aux symptômes, sur lesquels il faut surtout agir, au risque de graves difficultés.

ii. Problématique de la jeunesse

Sans doute d’une manière générale, faut-il y voir aussi le fait que notre pays ne semble pas avoir tenu compte de l’évolution des sociétés africaines, de la montée de nouvelles aspirations de la part de la jeunesse, avec laquelle les gérontocraties au pouvoir ne sont plus en contact, si tant est qu’elles l’aient jamais été. Notre pays n’a pas su se distancier des classes dirigeantes qu’il a toujours soutenues, et surtout, ne s’est pas encore connecté avec les jeunes générations, qui feront l’Afrique de demain.

Cet aspect est d’autant plus important que les crises qui éclatent aujourd’hui, comme celles qui éclateront demain, sont aussi et avant tout des crises de citoyenneté, dans le cadre de sociétés fortement hiérarchisées, où des situations non réglées perdurent, où des gérontocraties hégémoniques au pouvoir depuis plusieurs décennies parfois, cf. le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, le Tchad, occupent toutes les positions politiques et institutionnelles sans laisser d’autre voix que celle de la rue aux « cadets du bas », pour reprendre une expression de Richard Banégas (286), actuellement sans aucune espérance. Cette réalité nous a également été très largement confirmée par nombre d’entretiens au Cameroun au cours desquels nos interlocuteurs ont exprimé leur inquiétude devant le fossé aujourd’hui infranchissable entre une jeunesse nombreuse et non intégrée, sans aucune perspective, et une génération de seniors qui l’ignore, ne sait rien de ce qu’elle pense et prépare, et continue de manipuler sans partage les leviers de pouvoirs politiques et économiques aux échelons supérieurs et intermédiaires. Cet « autisme » est d’autant plus explosif que le gâteau de la croissance est réparti de la manière la plus inégale qui soit, que les conditions de vie se dégradent pour la majeure partie de la population. Lors d’une rencontre avec un groupe d’étudiants camerounais (287), anciens boursiers en France, il était frappant d’entendre un discours univoque de leur part dont il ressortait la conclusion simple et désabusée, que le gouvernement ne croyait pas en la jeunesse du pays.

Même dans des pays de faible tradition revendicatrice ou contestatrice, comme le Cameroun, le fossé générationnel est tel que des dynamiques s’inscrivent dans la longue durée dont il faudra tenir compte : ce qui s’est passé ces dernières années dans les pays arabes, plus récemment au Burkina Faso, commence à les mettre en évidence. Si nous entendons ne pas perdre tout lien avec les futures élites, il serait urgent de s’y intéresser pour ne pas être en position d’avoir à nouer un dialogue avec une jeunesse qui, tôt ou tard, sera par la force des choses aux commandes. Dans cette optique même si une nouvelle classe politique ne peut encore émerger compte tenu des règles pipées du jeu interne, élargir le spectre de nos contacts et connaissances est une nécessité qui contribuera aussi, dans un premier temps, à atténuer le discours anti-français qui monte en puissance. Assane Diop, journaliste à RFI (288), était de ceux de nos interlocuteurs qui insistaient sur le fait qu’il y aujourd’hui une incompréhension forte entre la France et la jeunesse africaine, dont la perception a totalement changé : notre pays est vu comme passéiste, n’intervenant que pour la défense de ses intérêts ; de quelque manière qu’il agisse, son action diplomatique est contestée, perçue comme instrumentalisant les nationalismes pour mieux manipuler et dominer ses ex-colonies.

À cet égard, on ne peut manquer de souligner une nouvelle fois que la politique de visas que nous avons mise en place ces dernières années s’est révélée dramatique pour l’image de notre pays. Quand bien même, par exemple, la France donne encore plus de visas d’étudiants que les États-Unis, elle est perçue comme plus chiche, tant l’évolution a été brutale et traumatisante pour les intéressés. Au-delà du seul cas camerounais, Jean-Pierre Dozon (289) rappelle à ce sujet que l’anti-occidentalisme a commencé de se développer dans la décennie 1990, notamment vis-à-vis de la France, précisément en 1994 avec la dévaluation unilatérale du franc CFA, qui a été perçue comme la perte du lien bilatéral unique, juste après la mort du président Houphouët-Boigny « qui n’aurait jamais accepté ça ». Ultérieurement, la problématique de l’immigration s’y est ajoutée, qui a été vécue comme un rejet : la France était autrefois la deuxième patrie ; en 1946, les Africains sont devenus citoyens ou quasiment et si en 1960, ils ont accédé à l’indépendance, l’imaginaire est resté intact et, jusque dans les années 1990, il n’y avait pas besoin de visa pour venir en France. Le coup d’arrêt a été d’autant plus violent et mal compris, jusque parmi les élites, et la double appartenance qui avait été entretenue jusque-là par la France a disparu.

Cela étant, d’une manière générale, on souligne aussi le défaut de communication qui contribue à entretenir cette mauvaise perception aujourd’hui bien enracinée. D’une manière plus générale, plusieurs de nos interlocuteurs camerounais tenaient des propos comparables, faisant d’ailleurs remarquer que la France était incapable de savoir profiter de ses positions, de communiquer sur ses avantages comparatifs, pourtant nombreux, et ne savait pas non plus profiter des erreurs de ses adversaires, ne serait-ce que des désillusions que provoquent par exemple la mauvaise qualité des produits chinois. Elle laisse ainsi béants des espaces qu’elle pourrait combler en s’exprimant plus et mieux, que ce soit sur les projets d’aide au développement qu’elle finance via l’AFD mais dont la visibilité ne lui profite en aucune manière – ainsi de ce tronçon routier aux abords de Yaoundé, financé par la France mais connu de tout le monde sous le nom de « route des Chinois », que ce soit sur d’autres sujets : un observateur très attentif comme Mathias-Éric Owona-Nguini (290) considère même que la France est invisible et que cela participe de l’entretien de l’hostilité générale dont elle est victime.

B. REFORMULER LA RELATION FRANCO-AFRICAINE ET REFONDER SES INSTRUMENTS

« La France, pas plus que l’Europe, ne retrouvera la prospérité et le progrès si, à quelques centaines de kilomètres de ses côtes, règnent la misère et le désespoir. (…) Nous ne pouvons accepter qu’une crise sociale, morale et militaire se généralise dans une région si proche de nous. La faillite de l’Afrique serait aussi la nôtre. Nos intérêts sont durement touchés par les crises africaines, qu’il s’agisse du développement du commerce, de la sécurité de nos approvisionnements en matières premières, de risques d’immigration incontrôlée ou encore de conflits qui menacent de mettre en cause l’équilibre du continent tout entier. Nos intérêts ne sont pas le seul enjeu : si l’Afrique devait basculer tout entière dans les troubles, ce serait pour la France et l’Europe l’échec des modèles de développement que nous avons contribué à définir pour ces pays, mais surtout l’échec d’un devoir moral de solidarité (…) » (291)

Ces propos de l’ancien Premier ministre Édouard Balladur ont à peine vieilli : en introduction de la Fondation AfricaFrance qu’il préside depuis février dernier, Lionel Zinsou écrit de son côté que « pour leur sécurité et leur paix intérieure, ni la France, ni l’Afrique ne peuvent différer de se mobiliser pour leur croissance partagée. ». (292)

Toute l’analyse qui court au long de ce rapport a mis en évidence que, pour diverses raisons, non seulement le résultat espéré des politiques qui ont été menées jusqu’à aujourd’hui n’est malheureusement pas encore au rendez-vous, tant en terme de développement que de stabilité, mais que, d’autre part, malgré la gravité des crises actuelles et malgré les perspectives qui se dessinent, tout continue à peu près comme avant, étant donné qu’il est encore prématuré pour porter un jugement avec le recul suffisant sur les dernières initiatives prises en matière économique.

Pour le reste, il apparaît à votre Mission qu’il est urgent d’engager une réorientation de notre action vers l’Afrique francophone, ainsi qu’une refonte de nos instruments.

1. Le projet ? Redéfinir une politique africaine ayant le développement pour axe central

a. Mettre les problématiques de développement au cœur de notre politique africaine

i. La nécessité d’une vision stratégique de long terme pour l’Afrique

La première piste de réflexion que votre Mission propose d’explorer porte sur la recherche d’une vision stratégique globale et coordonnée qu’il conviendrait de définir.

On a fait le constat d’une multiplicité de défis d’une grande complexité aux effets cumulatifs. On sait aussi que le contexte international est marqué par un accroissement des enjeux auxquels tentent de répondre des acteurs du développement, de plus en plus nombreux, publics et privés, dont la coordination reste infructueuse, malgré les tentatives qui sont faites depuis plus d’une décennie. On sait enfin que la communauté internationale est surtout aujourd’hui en position de réagir aux crises dues au non-développement faute de savoir les prévenir et les anticiper. Cela vaut pour la politique africaine de la France comme pour celle de bien d’autres pays, en général moins impliqués.

Ce constat, partagé, appelle la nécessité de reprendre position dans une perspective de long terme, sur la base d’une approche qui aurait pour finalité la définition d’une stratégie politique pour l’Afrique, qui aurait le développement économique comme axe central. Aux yeux de votre Mission, sauf à répéter indéfiniment l’apposition de solutions de court terme dont on ne peut que constater l’inefficacité sur des facteurs profondément enracinés de crises récurrentes, sauf à renouveler indéfiniment les conférences internationales, – un jour pour la reconstruction du Mali, un jour pour la sécurité de l’Afrique, un autre pour celle du Nigeria, de la République centrafricaine, demain sans doute pour un autre pays -, il est désormais indispensable de se projeter sur l’Afrique de demain, à savoir sur le moyen-long terme, l’horizon 2030-2050 qui verra la démographie faire peser sur le continent des pressions extrêmes porteuses de tous les dangers.

Cela suppose en conséquence de travailler à une approche définie en commun, qui se traduise par l’élaboration de stratégies de développement pour les États et les sous-régions d’Afrique, où l’un des enjeux majeurs sera celui de la réduction des déséquilibres, et partant, de l’intégration. Comme le soulignaient Bruno Losch (293) ou Olivier Lafourcade (294), par quelque biais que l’on prenne les problèmes, ces questions devront être abordées, même si les processus de coordination inter-bailleurs portent jusqu’à aujourd’hui sur les problématiques sectorielles, de partage du travail, sans autre vision que segmentée.

L’enjeu est donc de première importance et suppose un bouleversement des pratiques. Il suppose aussi de la part de notre pays une capacité forte de plaidoyer qui permettrait d’entraîner la communauté internationale, et la communauté des pays d’Afrique en premier lieu, vers cette réflexion destinée à définir vers quel avenir la communauté internationale accompagne l’Afrique.

ii. Concentrer la politique d’aide au développement de notre pays

On l’a vu avec l’épidémie due au virus Ébola, ce sont les points de faiblesse qu’il convient de renforcer pour éviter que toute une chaîne ne se brise. En ce sens, s’agissant de notre pays, votre Mission considère qu’il serait très opportun d’entreprendre rapidement une réflexion sur notre politique africaine et notre politique d’aide au développement.

Les orientations qui ont été prises ces dernières années sont opportunes, avec la suppression de la ZSP et l’introduction des partenariats différenciés, et la désignation de seize pays pauvres prioritaires. Cela étant, eu égard aux enjeux le moment semble venu de réfléchir à un resserrement sur ces priorités géographiques, dans la mesure où les moyens aujourd’hui disponibles imposent de faire des choix, quand bien même on réussirait à les réorienter pour partie, sur la base des propositions qui seront présentées plus loin. Il conviendrait en conséquence de concentrer les moyens bilatéraux de l’aide, en réduisant, voire en supprimant, ceux destinés aux pays hors zone francophone, sur lesquels notre pays interviendrait via sa participation aux instruments multilatéraux, FED, Banque mondiale, BAD, Nations Unies. En outre, une réflexion pourrait être engagée sur la question de savoir s’il n’est pas opportun d’envisager deréduire également les moyens concessionnels destinés aux pays non prioritaires ou non PMA, afin de les reporter sur nos priorités géographiques pour renforcer l’impact de notre action. Pour brutale qu’elle puisse paraître, cette proposition répond à une nécessité due aux contraintes budgétaires dans lesquelles se débat notre pays. En outre, elle coïncide avec les réflexions de nombre d’analystes, tel Paul Collier, (295) professeur d’économie à l’université d’Oxford, ou Serge Tomasi, (296) directeur-adjoint de la coopération au développement à l’OCDE, pour lesquels dans un monde changeant, dans lequel les pays connaissent des trajectoires diversifiés, ce ne sont plus des objectifs qu’il importe de poursuivre, tel le 0,7 % d’APD, mais des cibles particulières et adaptées aux contextes rencontrés. Les risques dont sont porteurs les PMA, les défis auxquels ils sont confrontés justifient cette réorientation.

Les principaux bénéficiaires de notre politique d’aide au développement devraient être ceux dont les perspectives en termes de déstabilisation, internes et consécutivement régionales, sont les plus fortes ; ce sont au demeurant les pays qui sont aussi les plus pauvres. Ces pays « ultra-prioritaires »devraient bénéficier de toute notre attention. On verra plus loin les axes sur lesquels le recentrage devrait porter.

iii. Et revenir aux fondamentaux

Il convient en effet de rappeler que l’aide publique au développement n’a pas été inventée uniquement pour alléger la pauvreté du monde. Que ce soit dans l’esprit de Truman, de Marshall ou de Michel Debré, l’aide au développement répond avant tout à des raisons de sécurité. Cette position n’était pas uniquement celle de dirigeants occidentaux préoccupés de contenir les assauts du communisme à l’aube de la guerre froide. C’était aussi celle de l’Assemblée générale des Nations Unies qui, résolution après résolution, n’a cessé de mettre en avant l’impératif du développement pour la paix et la sécurité internationales : Larésolution 1710 du 19 décembre 1961, qui lança la « Décennie des Nations Unies pour le développement » s’ouvrait par exemple en « considérant que le développement économique et social des pays économiquement peu développés est non seulement d’une importance capitale pour ces pays, mais aussi essentiel pour la paix et la sécurité internationales (…) ». (297) Les arguments que les Nations Unies mettent en avant pour légitimer les efforts demandés aux pays riches pour qu’ils aident les plus pauvres à se développer ont ensuite toujours été les mêmes : dès le lancement de la deuxième Décennie du développement, en 1970, l’Assemblée générale évoquait entre autres le danger d’une jeunesse partout en effervescence (298)… Ce n’est pas non plus pour d’autres raisons que plusieurs pays ont clairement, et parfois depuis longtemps, articulé aide au développement et intérêts de sécurité nationale : c’est le cas du Japon, qui a inscrit ce principe dans la loi, ou du Royaume-Uni, où l’une des toutes premières décisions de David Cameron en mai 2010 fut de créer un Conseil national de sécurité auquel participent à égalité de rang le Foreign Office, les ministères de la défense, de l’intérieur, de l’énergie et le DFID.

Cela ne signifie évidemment pas que la dimension compassionnelle de l’APD doive disparaître pour qu’elle ne devienne qu’un instrument de « containment », hier contre le communisme, aujourd’hui contre le terrorisme. La lutte contre la pauvreté doit rester au cœur de l’aide au développement, mais l’articulation entre les deux doit être renforcée. Plusieurs rapports de notre commission, sous la précédente législature, ceux de Nicole Ameline (299), de François Loncle et Henri Plagnol (300), avaient déjà eu l’occasion d’insister sur cet aspect de la question, sans être suivis sur ce terrain. Quel est par exemple l’apport de la loi de juillet 2014 à la lumière de ce qui apparaît à tous aujourd’hui essentiel pour le futur, c’est-à-dire l’articulation étroite entre stabilité et développement ?

L’aide publique au développement ne doit pas être considérée comme exclusivement destinée à lutter contre la pauvreté et à promouvoir les biens publics mondiaux, pour incontournables que soient ces objectifs. Elle doit aussi viser à d’autres finalités, d’ordre géopolitique et être considérée, eu égard aux enjeux qui nous font face, comme ayant pour principal objectif de venir en appui de notre politique étrangère, en particulier dans les pays en crise, et particulièrement ceux dans lesquels interviennent nos forces armées. L’évolution que l’Afrique a prise depuis la publication de ces rapports, la montée des périls dans les dernières années et surtout, les perspectives qui s’annoncent, justifient que cette orientation soit résolument prise : l’Afrique est face à des défis lourds de potentialités de tensions généralisées, à tout le moins au niveau de l’Afrique de l’ouest et du Sahel où notre pays a des intérêts, un rôle majeur à jouer, ne serait-ce que parce que la région comporte une dizaine de pays francophones dans lesquels vivent un nombre important de nos compatriotes.

L’Afrique francophone a besoin plus que jamais de retrouver des perspectives de stabilité, et par conséquent, de développement. Il est impératif pour la France de repenser sa politique d’aide au développement de façon à la recentrer sur les pays les plus fragiles, sur lesquels seront concentrées les subventions bilatérales qui devront être destinées à des actions visant à renforcer leur stabilité, dans le cadre de partenariats définissant des objectifs communs vers lesquels notre pays se propose de les accompagner à horizon de cinq, dix et quinze ans. C’est aussi le moyen de renforcer la pertinence, l’efficacité et garantir la légitimité sur le long terme.

b. Mener une politique d’influence

La France ne peut évidemment se désintéresser de l’Afrique. Il en va de ses intérêts et de sa sécurité. Elle doit proposer à ses partenaires africains une relation exigeante et sans complaisance.

i. La prise en compte de nos intérêts

La repentance a trop souvent marqué le discours sur la responsabilité de la France dans la situation de l’Afrique. Il convient d’affirmer sans fausse pudeur que la France a des intérêts à défendre en Afrique et vis-à-vis de l’Afrique.

Elle ne peut tout d’abord pas se désintéresser d’un contexte général complexe mais polymorphe : pour partie menaçant ; pour partie prometteur en termes de relations économiques et de retombées pour notre propre croissance ; pour partie incontournable, compte tenu des relations culturelles et linguistiques historiques et des liens indissolubles qui unissent notre pays à une grande part de ce continent.

Elle ne peut évidemment pas se désintéresser du Sahel ni de l’Afrique centrale, notamment, ne serait-ce que pour les effets toxiques des crises qui les touchent. La France entretient depuis toujours avec ces pays des relations profondes et ce qui les affecte a potentiellement des incidences directes sur ses intérêts, de quelque nature qu’ils soient, comme sur ceux de ses partenaires : humains, compte tenu des populations françaises importantes y résidant et des communautés immigrées originaires d’Afrique francophone résidant sur notre sol ; économiques, compte tenu des investissements importants de nombreuses grandes entreprises de notre pays, Bolloré, Total, Areva, notamment ; stratégiques, compte tenu de la sécurisation nécessaire de certains de nos approvisionnements en ressources naturelles ; commerciaux, qu’il importe de développer pour un bénéfice réciproque, quelque modestes que puissent être encore les échanges bilatéraux par rapport à ceux que nous entretenons avec d’autres régions du monde ; culturels, et l’on sait la part que pourrait prendre l’Afrique dans le futur de la francophonie dans les décennies à venir grâce au poids démographique qu’elle représentera au mitan du siècle.

Ainsi que le rappelait Hubert Védrine (301) devant votre Mission, toute politique étrangère est en premier lieu destinée à la préservation des intérêts du pays qui la met en œuvre. C’est à elle-même que la France doit penser en définissant sa politique africaine, laquelle doit en conséquence développer des axes qui y répondent. Cela est d’autant plus important, s’agissant de notre pays, que, de manière indéniable, sa position et son rôle géostratégique par comparaison avec les autres puissances européennes moyennes, tient précisément à sa relation avec l’Afrique. Il serait par conséquent de très mauvaise politique d’oublier cette dimension cruciale. Comme le relevait Laurent Bigot, c’est uniquement pour sa place en Afrique francophone, pour sa proximité avec cette partie du continent que l’Afrique anglophone s’intéresse à la France, comme nos collègues Noël Mamère et Michel Zumkeller l’avaient expressément confirmé dans leur rapport sur les émergents de l’Afrique anglophone (302). Consécutivement, au motif que cette partie du continent est peut-être aujourd’hui plus stable et prometteuse que les pays d’Afrique francophone, il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, de se détourner de notre histoire et de notre héritage, au risque de perdre une part de ce qui fait la singularité de notre pays et participe de son poids géopolitique. Cet héritage, cette histoire et cette langue communes, sont au contraire à consolider. Si normalisation des relations franco-africaines il doit y avoir, ce ne peut être que par une attention plus soutenue au développement de régions sur lesquelles nous sommes traditionnellement moins présents, mais sans doute moins attendus, sans que cela se traduise en aucune manière par un retrait de ce qui constitue le soubassement de la position géopolitique de notre pays.

En ce sens, s’agissant du terrain économique, notre pays a raison de développer une diplomatie économique et de soutenir nos entreprises à l’international grâce aux nouveaux instruments qui se mettent progressivement en place. La responsabilité sociale et environnementale est à cet égard particulièrement pertinente de par sa dimension structurante. Il est d’autant plus important de soutenir nos entreprises qui ont tendance à perdre des parts de marché que les pays africains sont fortement demandeurs d’investissements et se montrent désireux de ne pas avoir de relations exclusives avec un partenaire unique. Notre présence sur les marchés africains est souhaitée, même si ses modalités évoluent, mondialisation oblige. Le fait que l’Afrique francophone présente aujourd’hui plus de risque d’instabilité que les principaux pays du continent, invite à renforcer les politiques de long terme que l’on a évoquées plus haut.

S’il faut une politique africaine économique différenciée selon les géographies, cela invite aussi à renforcer les instruments que la coopération française a eu l’occasion de promouvoir avec succès et qu’il convient de ne pas délaisser, tel que l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, OHADA, qui vise depuis plus de vingt ans maintenant, à l’intégration juridique des pays, pour la quasi-totalité francophones, qui en sont membres (303), afin de faciliter les échanges et les investissements, ainsi que la sécurité juridique et judiciaire des activités des entreprises. L’intégration juridique est ainsi utilisée pour propulser le développement économique et créer un vaste marché intégré, essentiellement francophone, afin de contribuer à faire de l’Afrique un pôle de développement. Cette institution internationale participe directement de la consolidation de l’espace économique francophone en Afrique et de la politique d’influence sur le long terme.

ii. Définir un nouveau discours de vérité et promouvoir nos valeurs

Il y a longtemps que la France n’a plus de chasse gardée sur aucun des territoires qu’elle considérait comme tels naguère encore. Elle agit dans un monde désormais globalisé, et on ne l’attend plus particulièrement parce qu’elle est la France. Elle est jugée sur pièce et sur acte. La communauté d’affaires représentant les grandes entreprises françaises installées dans nombre de pays depuis parfois des décennies peut en témoigner. Il en est de même en matière d’aide au développement où, la concurrence étant des plus âpre sur ce marché désormais ouvert et fortement concurrentiel, ce n’est plus le lien historique francophone qui permet d’emporter la décision.

Il faut donc être à la hauteur des enjeux et de la compétition, et savoir faire entendre sa logique. Cela suppose entre autres que la France ait une idée claire de ce qu’elle souhaite, qui lui permettra de pouvoir exercer une véritable influence. D’où l’impératif de la vision stratégique initiale, d’un projet politique à proposer et à défendre, en lieu et place d’une posture d’attente passive face au déroulé des événements.

Cela peut conduire dans certains cas à afficher les conditionnalités qui sont parfaitement entendues, personne n’étant dupe des logiques d’intérêts économiques ou politiques. Cela peut aussi signifier d’élever les exigences. Pour ne prendre que l’exemple de la gouvernance démocratique, certains changements opportuns ont pu être relevés ces derniers temps : le discours du Président de la République au président Kabila en marge du sommet de la francophonie en 2012 ; les messages délivrés, mais non entendus, au président Compaoré. Mais il semble que prévale toujours une certaine tolérance : nombre d’observateurs alertent par exemple sur le processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire, qui n’aborde pas comme il le devrait les déterminants de la crise et reste marqué par une forte corruption. La France soutient le gouvernement ivoirien ; il serait d’autant plus légitime qu’elle parle franchement à ce pays ami qu’elle y consacre un appui politique conséquent ainsi que des moyens importants. Si l’on se place dans la perspective, évoquée précédemment, des changements générationnels à venir en Afrique, notre pays ne doit pas oublier que la nouvelle génération pourrait lui demander des comptes.

Il y a aussi une singularité française forte et notre pays est attendu sur la défense des valeurs démocratiques qu’il n’a cessé de porter au long de son histoire. Or, on peut considérer que la realpolitik, sous la pression indéniable des circonstances, nous conduit aujourd’hui à des fréquentations africaines qu’on aurait vues naguère avec réticence. Pour important qu’aient été l’engagement et le prix payé par les forces armées tchadiennes en soutien des opérations militaires françaises sur le théâtre sahélien, on ne peut ignorer certaines réalités du régime. Mais tout se passe comme si on préférait aujourd’hui éviter tout sujet de friction. Dans leur étude, Aline Lebœuf et Hélène Quénot-Suarez voient d’ailleurs dans la difficulté que nous avons à mobiliser nos partenaires européens sur les problématiques africaines cette trop grande proximité avec les caciques du pré carré dont nous avons quelque difficulté à nous distancier : la France est perçue comme cherchant à instrumentaliser l’Union européenne au profit de la Françafrique, et notamment de son « soutien inconditionnel à la dictature tchadienne » (304). Les deux auteurs invitent en conséquence notre pays à davantage s’interroger sur les raisons pour lesquelles les réticences de Bruxelles sont si importantes.

Dans le même ordre d’idées, la diplomatie française reste aujourd’hui étonnamment discrète face à certains événements : pour ne prendre qu’un exemple récent, comment justifier que le Quai d’Orsay n’ait fait aucune déclaration officielle à la mi-mars lorsque des militants de mouvements citoyens congolais, sénégalais et burkinabè ont été arrêtés à Kinshasa et à Goma lors de réunions de sensibilisation de la jeunesse à la démocratie, en compagnie de journalistes, dont trois Français, et d’un diplomate américain ? Si ces derniers n’ont été retenus que quelques heures, les militants africains congolais sont restés détenus plus longtemps et pour certains le sont encore à la date de rédaction de ce rapport. L’un a même disparu et des actes de torture ont été dénoncés. La réaction du MAEDI s’est borné à une réponse à une question lors du point de presse quotidien le 17 mars (305) ; elle n’avait pas été beaucoup plus forte lors des premiers troubles, en janvier, qui avaient éclaté autour de la question de la modification de la loi électorale et avaient provoqué la mort de 27 à 42 personnes selon les sources (306).

Non seulement ces réactions sont des plus insuffisante, mais on peut considérer qu’elles ne peuvent que conforter encore le déclin de l’image de notre pays aux yeux de la jeunesse qui constate avec amertume qu’il reste aveugle et sourd à ses plus profondes aspirations.

ii. Le vecteur francophone

S’agissant de l’Afrique francophone, il ne devrait pas être nécessaire de traiter dans un tel rapport la nécessité pour notre pays de se mettre en position de soutenir la francophonie sur le continent. Chacun sait cependant la déshérence désolante dans laquelle se trouve la défense de la langue française dans les instances internationales, chacun sait la réduction constante des moyens que notre pays consacre à cette question, son manque de leadership politique qui a conduit à l’élection de Michelle Jean au secrétariat général de l’OIF il y a quelques mois. Les propositions formulées par notre collègue Pouria Amirshahi (307)dans son rapport d’information restent évidemment valables et votre Mission les fait siennes.

La langue française devrait être le premier des axes de notre politique sur le continent africain pour conserver intact notre principal véhicule d’influence politique et culturelle. Comme le soulignaient aussi Laurent Bigot ou Christophe Boisbouvier (308), notre erreur en ce sens est d’autant plus dommageable que le français est perçu avant tout comme porteur des valeurs sur lesquelles les Africains nous attendent, de démocratie, de Droits de l’Homme et le partage de la langue est vécu comme un vecteur de paix, ainsi que le soulignent aussi Aline Lebœuf et Hélène Quénot-Suarez (309). Cette attente sur ce qui relève du culturel et de la langue devrait être au cœur des instruments de notre « soft power ». Si la France reste le premier contributeur de l’OIF, il n’en reste pas moins que la tendance est à la diminution constante de sa contribution. Or, on rappellera que c’est précisément dans le cadre de l’OIF que la Déclaration de Bamako de novembre 2000 a proclamé que « la démocratie, cadre politique de l’État de droit et de la protection des droits de l’Homme, est le régime qui favorise le mieux la stabilité à long terme et la sécurité juridique ; par le climat de liberté qu’elle suscite, la démocratie crée aussi les conditions d’une mobilisation librement acceptée par la population pour le développement ; la démocratie et le développement sont indissociables : ce sont là les facteurs d’une paix durable. »

Quand bien même on doive douter de la traduction en termes de nombre de locuteurs francophones de la trajectoire démographique qui promet quelque 750 millions de parlants à horizon 2050, leur nombre est appelé à croître considérablement. Il serait par conséquent fort dommageable pour notre pays et son influence de négliger l’atout considérable que représente une langue de statut international. La question de quel dispositif notre pays doit mettre en place pour assurer l’enseignement du français à l’étranger, sa diffusion, et surtout les moyens qu’il entend y consacrer, est majeure dans la mesure où le centre de gravité naturel du français ne peut que se déplacer vers l’Afrique. Votre Mission recommande, après beaucoup d’autres, que la question de la francophonie comme vecteur d’influence politique, culturelle et économique soit considérée comme une des priorités principales. Cela est d’autant plus important que l’on sait que, même dans les pays les moins ouverts à cette problématique, cf. le Rwanda, les populations sont en demande de français.

iii. Une perspective de désengagement militaire progressif et anticipé

Il s’agit de gérer au mieux une redoutable contradiction : la France se doit d’intervenir militairement en cas de crise grave en Afrique francophone, comme cela a été le cas au Mali ou en République centrafricaine, mais elle ne peut pas non plus endosser l’uniforme de pompier de la communauté internationale pour éteindre systématiquement les incendies africains. Même si son image internationale en est temporairement renforcée, pour oser être seule sur le terrain, cela n’est pas soutenable politiquement.

Une première solution à cette équation difficile est de travailler à un recentrage progressif de notre politique africaine sur la stabilité par le développement, par la construction de préventions de long terme d’autant plus opportunes que cela sera plus efficace et moins coûteux.

Il est impératif de travailler sur les dimensions sociétales, sociales et politiques des crises, qui ont des racines profondes et déterminantes dans le déclenchement des conflits, dans leurs récurrences régulières. Comme on l’a vu, ce n’est pas un hasard si les pays les plus déshérités sont aussi les plus instables et l’on constate d’ores et déjà que ce n’est pas au sortir d’une intervention militaire, aussi réussie soit-elle, comme cela a été le cas au Mali, qu’un conflit s’éteint. Tout au contraire, les racines n’ayant pas été traitées, les seigneurs de la guerre ne font que se déplacer, souvent confortés par la légitimité de leur rôle sur le terrain auprès des populations. Ce n’est que lorsque les bénéfices partagés de la croissance de l’Afrique se traduiront par un véritable développement économique et social que les vecteurs de l’instabilité commenceront de disparaître. Comme on le disait plus haut, cela milite clairement pour une révision collective des approches et la définition d’une stratégie de long terme qui réussisse à prendre compte la complexité des problématiques en contribuant aussi à faire en sorte que la France ne continue pas de perdre l’adhésion des populations, comme on en a vu le risque.

En ce sens, notre pays a entièrement raison de donner la priorité à son sud dans sa politique d’aide au développement ; comme on l’a souligné, il serait même opportun, selon votre Mission, qu’une concentration supérieure soit opérée de manière à conforter l’effort en faveur des pays les plus fragiles et présentant de ce fait les plus forts risques de basculement dans la crise.

Pour autant, cette dimension ne sera pas porteuse de résultats concrets à court terme. La gestion de ces interventions appelle des stratégies de désengagement progressif et anticipé.

Cela participe entre autres du discours de vérité à tenir à nos partenaires africains, tant en bilatéral qu’au niveau multilatéral régional de l’Union africaine : il convient à la fois que la France ne soit plus seule en première ligne et qu’elle puisse envisager de se désengager en incitant la montée en puissance des modalités d’une sécurité continentale, comme le proposait par exemple Hubert Védrine. C’est parce que la Force africaine en attente reste dans les limbes depuis des années que l’Union africaine a décidé en 2013 la création de la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises, CARIC, destinée à apporter une réponse plus rapide aux besoins. Force est de constater que, mis à part quelques progrès au niveau régional, notamment de la CEDEAO, le chantier reste entier et l’Afrique donne l’impression de compter toujours sur le pompier international, en l’espèce français. La France est en droit de demander à ses partenaires africains de mettre en place au plus vite leurs propres forces d’intervention militaire et de gestion de crise, voire d’exiger un calendrier de mise en place.

c. Resserrer les liens : Regarder l’Afrique de demain sans oublier celle d’aujourd’hui

On a constaté que malgré la proximité linguistique, les générations africaines nouvelles n’ont plus la relation étroite que les anciennes avaient avec la France. S’il reste une affinité certaine, il ne faut pas en attendre de traitement de faveur : le marché est désormais ouvert. Ils font leurs choix, parfois de rupture, pour des raisons diverses mais convergentes, d’autant plus facilement que la politique de visas de la France, entre autres aspects, a considérablement pesé sur le déclin de l’attractivité de notre pays. Cela explique qu’ils se tournent par exemple majoritairement vers le Canada, largement plus ouvert. Des institutions françaises comme l’Institut des régions chaudes se heurtent ainsi à des problèmes de financement et de visas qui les handicapent fortement au plan international, face aux institutions comparables dans différents pays.

Cela invite votre Mission à recommander que notre pays se mette en position de prendre en compte les changements de génération que vivent les pays d’Afrique et d’y être attentif. Les évolutions politiques et sociales sont le fait de la jeunesse de tous ces pays qui ne tolèrera plus longtemps d’être marginalisée. Après les révolutions arabes, les révolutions africaines sont peut-être d’ores et déjà en train d’émerger, comme l’épisode burkinabè l’a montré il y a quelques mois, comme la jeune société civile sénégalaise l’a aussi démontré auparavant : fondé par Fadel Barro en 2011, le mouvement « Y en a marre », YEAM, a réussi à empêcher le Président Wade de modifier la constitution, et a ensuite pesé sur les élections de 2012 en menant campagne pour que les jeunes des banlieues aillent voter. YEAM exerce depuis lors un rôle de vigilance et s’est structuré en associations locales – il y en a aujourd’hui quelque quatre cents dans tout le pays – qui sont autant de pôles de réflexion, de sensibilisation et d’action citoyenne locale. Cet exemple fait rapidement tâche d’huile dans la région, notamment en Côte d’Ivoire, en RDC - mouvement « Filimbi », (« sifflet » en swahili) – au Togo – mouvement « Etiamé », (« Y en a marre » en fon, langue véhiculaire du Togo et du Bénin) -, au Mali – les « Sofas » -, au Gabon – « Y en a marre comme ça », en Mauritanie – « Touche pas à ma nationalité ». (310) Au Burkina Faso, c’est « le Balai citoyen », constitué en 2013 pour lutter contre les abus du pouvoir, qui a entraîné la chute du président Compaoré et a contribué aussi à pacifier la révolte de la rue en intercédant auprès des militaires. Il compte aujourd’hui une centaine de clubs dans le pays, dont une soixantaine dans la capitale, et reçoit des demandes de parrainages en provenance du Niger et du Gabon. (311) Une masse critique est en train d’émerger en Afrique subsaharienne qui va exiger de profonds changements à court terme, ainsi qu’on le voit aussi en RDC.

C’est avec cette Afrique-là que notre pays doit être en contact. Les élites de demain en font partie. Notre présence et notre influence sur le continent dépendent de la qualité de la relation que nous saurons dès à présent nouer. Pour autant, il ne s’agit évidemment pas de couper les liens avec les générations encore en place. D’autant moins qu’elles se plaignent d’être délaissées, en manque de visites de haut niveau. On a souligné plus haut l’irrégularité de la relation avec le Cameroun qui attend depuis longtemps une visite présidentielle. Il est heureux que le récent voyage du ministre des affaires étrangères, lors de la tournée régionale qu’il a effectuée à la suite du déclenchement de l’offensive de Boko Haram paraisse se traduire par un projet de voyage présidentiel. Aux yeux de votre Mission, il serait opportun d’entretenir un dialogue politique plus suivi avec nos partenaires africains, pour une relation durable et mutuellement profitable. L’Afrique, à tort ou à raison, se sent malaimée par la France. On ne dira jamais assez que c’est aussi sur la base du dialogue politique que les relations économiques solides se construisent et non l’inverse. Il est essentiel pour le rayonnement économique de notre pays, pour le succès de ses entreprises exportatrices ou implantées sur le terrain, qu’elles soient épaulées : le « portage politique » est un atout important, qui aide les entreprises, y compris les plus grosses, et nos voisins européens ont compris l’importance pour un ministre d’aller porter le message de son pays.

2. Les axes ? Se recentrer sur l’essentiel

Pour votre Mission, quand bien même le bilan des politiques de développement peut être discuté, les échecs du passé ne les condamnent pas pour l’avenir, et l’aide au développement est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Sauf à argumenter, et à désespérer, de la même manière pour bien d’autres politiques menées sur notre territoire, que ce soit celle de la ville ou de la lutte contre le chômage… L’efficacité de toute politique publique dépend d’une infinité de facteurs dont les effets se combinent, parfois se contredisent, mais s’agissant des problématiques qui occupent cette réflexion, une conviction profonde anime les membres de votre Mission : si les bénéfices de l’aide au développement sur le terrain sont difficiles à mesurer, une chose est certaine, il ne peut être envisagé de la réduire ou de la supprimer, sauf à voir se confirmer le risque d’un tensions durables et généralisées sur notre sud.

Cela étant, il est aujourd’hui nécessaire d’apporter des inflexions, et de ne pas continuer dans des voies qui se révèlent non pertinentes. Il s’agit de réorienter de manière décisive notre politique d’aide au développement en direction de l’Afrique et de ses pays les plus fragiles sur les enjeux les plus cruciaux pour leur stabilité et leur développement. Cela appelle à ouvrir le débat sur plusieurs points complémentaires.

a. Soutenir des processus endogènes de construction de légitimité

Au cœur de l’instabilité des pays de l’Afrique francophone se trouvent évidemment des problématiques de gouvernance politique dont les manifestations les plus visibles surgissent au moment des crises électorales ou post-électorales, plus ou moins violentes, qui font régulièrement l’actualité. Dans ces scenarios, jouent divers facteurs aux effets cumulatifs.

Les politiques d’aide au développement ont appuyé depuis des décennies les thématiques de gouvernance au sens large, en luttant contre la corruption, appuyant le renforcement institutionnel, soutenant les processus électoraux, la décentralisation, etc. La permanence des mêmes maux et la récurrence des crises dans les pays où ces politiques ont été conduites par la communauté internationale – cf. l’irrédentisme touareg malgré les politiques de décentralisation, cf. la mauvaise gouvernance généralisée, la corruption qui n’a cessé de se répandre, les blocages institutionnels, les fraudes électorales, etc. – confirment qu’elles n’ont pas donné tous les résultats escomptés. Pour reprendre les propos d’Yves Gounin (312) et de maints interlocuteurs qui ont coïncidé sur ce point, on a légué à l’Afrique un modèle d’État adopté dans les formes, sans qu’il soit adapté à l’Afrique des années 1960, voire même à celle des années 2010, et ce n’est pas parce qu’il y a aujourd’hui des élections que cela va au-delà de la posture dans nombre de cas.

Comme le dit avec force Séverine Bellina (313) entre autres interlocuteurs, ce que les politiques de développement n’ont pas suffisamment pris en considération, et traité comme il aurait été nécessaire de le faire, c’est la question cardinale de la légitimité des pouvoirs, et les exemples que l’on a cités plus haut de la signification du vote dans la société politique traditionnelle malgache (314), ou de la décentralisation pour les communautés maliennes (315), illustrent l’immensité du fossé qui les séparent des modes de gouvernance et d’institutions politiques « modernes » promues par la communauté internationale. Sans oublier que s’y ajoute la question de la structure sociale et de la nature très hiérarchisée des sociétés, souvent constituées en castes.

L’anthropologue Jean-Loup Amselle, professeur à l’EHESS rappelait récemment que « le lien politique en Afrique est régi essentiellement par des principes de prédation et de redistribution de type clientéliste. De sorte que parler de corruption n’a aucun sens dans des pays où il est capital d’occuper des positions de pouvoir pour être en mesure d’en faire bénéficier ses parents, ses amis, les gens de sa région, etc. En outre, il est apparu clairement que, plus le régime était démocratique et décentralisé, maître mot des politiques impulsées par les bailleurs de fonds internationaux dans les années 1990, et plus les phénomènes de prédation et de redistribution y prenaient d’importance. L’appareil d’État malien, comme nombre de ses homologues africains, est donc traversé par des réseaux qui sont alimentés par toute la gamme des ressources présentes sur le continent : rente minière et pétrolière, aide internationale et narcotrafic notamment, comme ce fut le cas sous le mandat d’Amadou Toumani Touré. » (316)

En d’autres termes, il ne suffit pas de promouvoir, voire d’imposer, des politiques touchant aux aspects formels, fonctionnels ou institutionnels, ici la création d’un sénat, là une décentralisation, ou favorisant l’alternance démocratique, ou visant à lutter contre des pratiques clientélistes ou claniques. Il ne suffit pas d’organiser à tout prix et dans des délais souvent très contraints, des élections pour sortir d’une crise, comme cela s’est fait au Mali, comme cela doit se faire en République centrafricaine dans des délais que les observateurs considèrent comme irréalistes malgré un premier report. Il est indispensable de changer d’approche et de prendre un certain recul pour envisager des actions de long terme.

L’enracinement de la démocratie et la formation des États ne peuvent qu’être l’aboutissement de processus endogènes, dans lesquels une politique d’aide au développement intervenant dans le champ de la gouvernance politique n’a pas à s’ingérer. Cela étant, elle peut autant que possible proposer à ces sociétés d’accompagner les processus de construction de légitimité et de contrat social, ne serait-ce que pour qu’ils soient les moins chaotiques et violents que possible. Si le problème principal en matière de gouvernance, sur lequel se fondent les conflits internes en Afrique, est aujourd’hui celui de la gestion de la diversité (317) ethnique, religieuse, foncière, etc., comme les pays africains eux-mêmes l’ont identifié, c’est évidemment sur ce sujet que les politiques d’aide au développement devraient se recentrer. Le Sénégal a précisément montré que lorsque le rapport entre la société et l’État est apaisé, que les autorités traditionnelles, religieuses, les différents vecteurs de régulation réussissent à dialoguer, lorsque la référence à l’État par les différents acteurs n’est pas remise en cause, même s’il y a contestation et débat politiques, les risques d’explosion s’atténuent.

En ce sens, l’APD est utile pour permettre les échanges d’expériences, les apports d’expertise aidant à la structuration et à la constitution des États garants de l’intérêt général, pour soutenir des processus de dialogue associant les acteurs sociaux dans leur diversité. Cela suppose d’avoir une lecture des réalités qui permette d’analyser les problématiques de terrain dans leur complexité pour proposer des solutions ayant une chance d’être acceptées, appropriées, pérennisées. Cela suppose, en complément des axes que l’on proposera plus bas, de s’inscrire dans le temps long nécessaire aux forces sociales pour arriver à la constitution de l’espace politique commun, légitime, et à l’acceptation des institutions nationales et des règles du jeu. Cette approche paraîtra ambitieuse, voire illusoire, compte tenu des contraintes multiples auxquelles elle peut se heurter. Elle seule peut cependant permettre de réussir à articuler les sociétés civiles et les États. Votre Mission considère qu’il est désormais indispensable que notre politique d’aide au développement propose cette démarche qui permettra aux États africains d’acquérir la légitimité qui leur fait défaut et les placent en situation de fragilité. En d’autres termes, pour résumer cette idée d’un raccourci : s’inscrire dans une voie permettant de considérer in fine l’État comme Res publica plutôt que comme butin.

« (…) la faiblesse voire l’absence de ” capacité ” ou de pouvoir devrait être considérée comme l’élément caractéristique des situations de fragilité : un État en situation de fragilité a une capacité limitée de gouverner ou de régir sa société et, d’une manière plus générale, de nouer avec celle-ci des relations mutuellement constructives. (…) la légitimité réelle de l’État résulte d’un mélange, spécifique et changeant, de différentes sources de légitimité. Un État en situation de fragilité est un État ayant une capacité limitée à gouverner ou à régir sa société et, plus généralement, à développer avec la société des relations mutuellement constructives et mutuellement renforçantes. Dans cette perspective, la fragilité relève aussi de l’absence de normes communes, de règles et de régulations reconnues et partagées par l’État comme par la population. Il s’agit là d’une question fondamentale : la fragilité de l’État peut résulter aussi bien du manque de capacité financière, technique et humaine que du défaut de légitimité – qui l’un comme l’autre empêchent la formation d’un État solide. La légitimité confère une ” valeur ajoutée ” au pouvoir et agit de ce fait comme un élément de consolidation de la capacité de l’État. Elle transforme les personnes en citoyens, les lois et règlements de l’État en règles ” naturelles ” et auto-imposées. » (318)

b. Le difficile impératif du renforcement des institutions

i. Pour des États stratèges

Les trafics et autres réseaux mafieux profitent aussi du vide laissé par l’État pour délivrer des services et acquièrent aussi de ce fait une forme de légitimité. La deuxième priorité d’une politique d’aide au développement rénovée doit porter sur ces problématiques, afin de contribuer concrètement au renforcement des États africains. Les troubles actuels ont suffisamment démontré leurs faiblesses, lesquelles sont en grande partie à l’origine des crises et de la délégitimation des pouvoirs publics, incapables de satisfaire aux besoins sociaux de base des populations.

Aux yeux de votre Mission, le premier axe à proposer aux pays partenaires consiste à contribuer à les mettre en condition de définir et de conduire des stratégies de développement coordonnées et de mettre en œuvre les politiques publiques correspondantes. C’est lorsqu’ils seront en mesure d’avoir des approches stratégiques de moyen terme, répondant aux besoins des territoires et des populations, à leurs intérêts nationaux et non aux intérêts particuliers, que ces pays pourront réellement s’inscrire dans des trajectoires de développement économique et social cohérentes. Dans la mesure où les États n’ont pas les capacités à agir, l’un des enjeux de l’APD internationale et celle de la France en particulier, est de travailler à renforcer leurs capacités à définir et exécuter des politiques publiques.

En ce sens, notre pays, du fait des politiques de planification et d’aménagement du territoire qu’il a longtemps mises en œuvre, détient une grande expérience à proposer et à faire partager, qui contribuerait concrètement au renforcement des États intéressés dans une perspective qui participerait à la fois de l’amélioration de la gouvernance institutionnelle et du renforcement du fonctionnement démocratique, grâce à l’association entre centre et périphéries, au renforcement des capacités des acteurs locaux. La réduction des déséquilibres internes serait porteuse d’un apaisement des tensions, facteurs de crises.

Votre Mission recommande en conséquence que notre politique d’aide au développement explore ces voies avec ses partenaires d’Afrique francophone, qui pourraient prendre la forme d’un soutien au renforcement des administrations centrales et territoriales des pays partenaires.

ii. Les problématiques sécuritaires

En parallèle, les priorités à prendre en compte par les politiques de renforcement institutionnel devraient aussi être axées sur les problématiques régaliennes. On touche ici au cœur de la question de la légitimité.

On ne peut ignorer que la première priorité des populations des pays en crise est la sécurité, laquelle ne peut reposer sur le seul recours à des troupes militaires étrangères, rapidement perçues comme forces d’occupation, ainsi que notre pays en fait l’expérience sur le terrain. Cela suppose, en premier lieu, un soutien déterminé à la reconstruction d’institutions régaliennes efficaces : armée nationale, gendarmerie.

Comme l’a indiqué son directeur, le vice-amiral d’escadre Marin Gillier, la Direction de la coopération de sécurité et de défense du MAEDI, DCSD, consacre 15 M€ à l’Afrique francophone, soit 56 % de ses ressources (319). Les trois-quarts des 283 conseillers qu’elle a sur le terrain sont en Afrique francophone. Seize Écoles nationales à vocation régionale, ENVR, ont été constituées, qui sont également des vecteurs de promotion de la francophonie et d’interopérabilité des moyens, comme votre Mission a pu le constater lors de son déplacement au Cameroun en visitant l’École supérieure internationale de guerre, ESIG, qui accueille depuis dix ans des officiers de pays sans cesse plus nombreux, la promotion actuelle regroupant 45 stagiaires de 21 nationalités. La logique d’intervention de la DCSD est d’augmenter les capacités sécuritaires intérieures des partenaires, de protection civile et de défense.

Cela étant, si cette coopération est ancienne, comme d’autres, elle n’a pas non plus donné les résultats escomptés, en témoigne la rapidité avec laquelle les forces armées maliennes ont été mises en déroute en 2012. On connaît les causes de cet échec, on a par exemple évoqué plus haut la clochardisation progressive des armées africaines depuis les indépendances. S’agissant du Mali, on a vu comme racines du problème le manque de formation, la corruption, le hiatus extrême entre la troupe et la hiérarchie, la composition même des forces armées, au plan ethnique, aspect que l’on retrouve dans plusieurs pays de la région, sauf au Tchad, ceci expliquant sans doute cela, c’est-à-dire sa capacité d’intervention. Ici aussi, comme en d’autres secteurs, à l’évidence la communauté internationale a fermé les yeux sur le fait que la démocratie malienne était une façade, que son armée était laissée en déshérence par le pouvoir pour éviter de courir le risque qu’elle ne devienne une force apte à influer sur le jeu politique interne. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, c’est exactement le même cas de figure que l’on retrouve en République centrafricaine où les FACA ont été incapables de résister à l’avancée de la Seleka sur Bangui en mars 2013. A peu de choses près, c’est aussi la situation qui prévaut au Cameroun.

D’une manière générale, il ne peut en être autrement, dès lors que les forces armées, indispensables à la stabilité des pays d’Afrique francophone, fragiles et menacés, sont aussi l’exact reflet de l’état de ces pays. En conséquence, tant que le processus de légitimation de l’État, de manière endogène, n’aura pas avancé, on continuera de buter sur la même aporie : le sommet de l’Élysée de décembre 2013 pour la paix et la sécurité en Afrique a beau avoir conclu sur l’engagement unanime de travailler ensemble au renforcement de la sécurisation du continent, les choses tardent à se mettre en place, non seulement de manière collective, mais aussi individuellement.

Cela confirme l’urgence de la recommandation initiale de votre Mission, à entreprendre en complément des actions de coopération tendant à la reconstitution des forces de sécurité que la France et la communauté internationale mettent de nouveau en œuvre, comme au Mali, via l’EUTM. La garantie du succès pérenne de ces opérations réside cependant dans la volonté politique interne, ce processus ne pouvant être piloté de l’extérieur. Dans un pays comme la République centrafricaine, quel que ce soit le travail mené pour la reconstitution de forces armées loyales, de forces de gendarmerie et de police pour éviter la répétition des épisodes de violence, sans assise politique ni légitimité du pouvoir central, les problèmes se répèteront inévitablement.

Cela confirme l’intérêt, sinon le caractère indispensable, d’une approche intégrée qui prenne en compte l’intégralité des problématiques en travaillant au plus près des populations associées, sur les thématiques de ressources de substitution, de pastoralisme, de sécurisation alimentaire et hydrique, de production de richesses, de développement d’infrastructures. Le développement économique et social et la stabilité sont indissolublement liés.

iii. La gouvernance démocratique

Le régalien ne prévaut pas uniquement pour sa dimension sécuritaire. Parmi les axes sur lesquels il convient d’être particulièrement attentif, on relèvera deux thématiques essentielles.

En premier lieu, le renforcement des systèmes judiciaires, sujet sur l’importance duquel il n’est pas nécessaire d’insister dans une double perspective de développement et de stabilité. Le manque de sécurité juridique, l’arbitraire à tous les niveaux, la corruption, sont à la base des principaux maux dont souffrent quotidiennement non seulement les populations africaines mais aussi les entreprises qui souhaitent y investir. Sur ce dernier, il n’est pas un interlocuteur de votre Mission lors de son déplacement au Cameroun, qui n’ait abordé cette question dans son propos, comme on a eu l’occasion de le souligner.

Cette question est en lien avec la nécessité de renforcer aussi les administrations fiscales des pays d’Afrique francophone. Le développement économique et social ne sera durable que si des ressources pérennes sont collectées et dépensées par des États stratèges, qui leur donneront les moyens de définir et d’exécuter des politiques publiques.

Notre politique d’aide au développement comporte des volets intéressants sur ces thématiques, sur lesquelles sont mobilisées diverses institutions. Le MAEDI est à la manœuvre en la matière en ce qui concerne la politique bilatérale mise en application par les services centraux et les SCAC sur le terrain. Près d’une centaine d’experts techniques sont en poste en Afrique subsaharienne, sur des questions de gouvernance financière, de réforme de l’État et de gouvernance locale ainsi que de coopération juridique et de droits de l’Homme. En outre, le ministère aborde ces problématiques avec de nombreux partenaires, tant français qu’internationaux : la Cour des comptes, le Conseil d’État, le secrétariat général du gouvernement, la Direction général du Trésor, la Direction générale des finances publiques, la Direction générale des douanes et des droits indirects, etc. Les opérateurs d’expertise français, aujourd’hui réunis au sein de l’Agence française d’expertise technique internationale, AFETI, depuis le vote de la loi de juillet 2014, y participent ainsi que des établissements publics de formation, comme l’ENA et l’École nationale de la magistrature, des instances de la société civile, comme la Fédération internationale des droits de l’Homme, Transparency International, Avocats sans frontières, etc. Au niveau international, des partenariats ont été noués au niveau de l’Union européenne, des Nations Unies (ONUDC, ONU-Habitat, PNUD), de la Banque mondiale, de l’OCDE ou encore d’AfrisStats.

Si ces axes sont très positifs, on peut toutefois regretter que dans ce domaine comme en d’autres, les crédits consacrés au niveau bilatéral soient orientés à la baisse.

c. Des populations à aider

i. La santé

On ne reviendra pas longuement sur les développements précédents qui ont montré le grave hiatus existant entre les axes définis dans la stratégie sectorielle de notre pays et leur mise en application. La première recommandation de votre Mission porte en conséquence sur un recentrage de notre action les priorités de la stratégie et notamment sur l’impératif de consolidation des systèmes de santé des pays d’Afrique francophone ; cet axe doit être la première des priorités pour une politique bilatérale en cohérence avec les principales problématiques telles qu’elles ont été identifiées sur le terrain.

En effet, indépendamment des bénéfices durables pour la santé des populations, le renforcement des systèmes de santé permettra aussi aux pays concernés de pouvoir développer une approche endogène, et par conséquent légitime, des problématiques démographiques : la transition démographique qui n’est dans certains pays sahéliens pas encore entamée, est un impératif sur lequel les bailleurs ne sont sans doute pas dans la meilleure des positions pour intervenir. Toutes choses égales par ailleurs, on a vu lors de l’épidémie à virus Ébola l’incidence de la perception des populations forestières de Guinée dont les réactions vis-à-vis des équipes de professionnels de santé ont été parfois violentes. Sans aller à ces extrêmes, de nombreuses manifestations de résistances de la part des populations sont aussi possibles.

Il importe en conséquence que les questions touchant à la natalité soient traitées via des canaux nationaux, par des politiques publiques définies par les autorités sanitaires nationales, n’apparaissant pas dictées de l’extérieur. Le fait pour les pays de disposer de systèmes de santé renforcés permettra non seulement une réduction de la mortalité infantile, facteur de naissances nombreuses, mais aussi de développer des approches complémentaires et de mettre en œuvre les politiques idoines, acceptables, sans effets contradictoires.

ii. L’éducation

À l’instar de ce qu’il en est dans le secteur de la santé, on l’a amplement démontré, la politique d’aide au développement en matière d’éducation, telle qu’elle est mise en œuvre, ne respecte pas suffisamment les priorités de la stratégie qui a été définie. Les moyens consacrés à l’éducation de base dans un pays comme le Niger, par exemple, pays laïc et francophone extrêmement pauvre, sans possibilités propres de maintenir à flot son système d’enseignement public et soumis à la très forte concurrence de l’enseignement confessionnel radicalisé, sont aujourd’hui indigents.

Votre Mission fait sienne l’approche de la loi du 7 juillet 2014 en matière éducative, dont les orientations sont également loin d’être respectées. L’éducation est au cœur de l’ensemble des problématiques de développement, qu’elles soient politiques, sociales ou économiques.

C’est la raison pour laquelle votre Mission recommande que notre pays se réengage auprès du Partenariat mondial pour l’éducation à un niveau au moins équivalent à celui qui était le sien auparavant. Il est important que la France plaide pour un renforcement des systèmes éducatifs des pays les plus faibles et les plus fragiles, et tout particulièrement d’Afrique francophone.

Ce soutien permettra à notre politique d’aide à l’éducation de gagner en cohérence, dans la mesure où cet effort complètera les actions de l’AFD sur le secteur de la formation professionnelle.

En outre, votre Mission invite aussi à la révision de la politique de bourses en faveur d’étudiants en provenance de pays d’Afrique subsaharienne francophone. Nombre de pays ne se voient plus aujourd’hui proposer qu’un nombre infime de bourses pour des étudiants de niveau thèse. C’est notamment le cas au Niger où, selon les informations obtenues, il n’y a plus de bourses du gouvernement, ce qui se traduit logiquement par d’autres choix de destination par les candidats, qui, depuis une quinzaine d’années, se tournent vers les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni, mais aussi d’autres pays africains, tels le Nigeria ou le Maroc.

LOI no 2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale

Éducation et formation.

L’éducation, notamment des filles, est un droit humain fondamental au cœur des processus de développement. Une éducation et une formation de qualité sont des facteurs puissants de transformation sociale et contribuent à la réduction des inégalités sociales et territoriales, à un développement économique durable, à l’épanouissement des personnes, à l’exercice de la citoyenneté et à la promotion de la démocratie et de l’État de droit. L’éducation est aussi un outil de sensibilisation, de prévention et de formation aux droits humains, aux enjeux de développement durable et aux enjeux transversaux et sociétaux tels que la santé, l’environnement ou la lutte contre toutes les formes de discriminations.

Une des caractéristiques des pays bénéficiaires de la politique de développement est la jeunesse de leur population. Encore plus pour ces pays, les jeunes représentent l’avenir et doivent pouvoir bénéficier d’investissements forts à tous les niveaux pour permettre leur inclusion sociale, économique et politique. C’est pourquoi la France fait de l’éducation et de la formation accessibles à tous sans aucune discrimination une des priorités de sa politique de développement et de solidarité internationale. Dans ce cadre, un effort particulier dans le domaine de la formation professionnelle initiale et continue dans les pays concernés aura un effet de levier sur la création d’emplois, mais aussi sur la capacité de ces pays à s’adapter au contexte de mondialisation des échanges et de multiplication des crises économiques, sanitaires et climatiques.

La politique française d’aide au développement et de solidarité internationale doit aider à la mise en œuvre de politiques d’éducation et de formation efficaces, à même de garantir l’acquisition des connaissances et la maîtrise des compétences nécessaires au développement autonome des populations et à leur pleine insertion économique, sociale et citoyenne dans la société. À ce titre, l’accès et le maintien des filles à l’école représentent un facteur fondamental de développement. Cette politique doit aussi contribuer aux objectifs de l’Éducation pour tous, en priorisant le soutien à l’éducation de base incluant les premiers niveaux du secondaire, l’importance du continuum éducatif de la petite enfance à la formation tout au long de la vie, le rôle primordial des équipes pédagogiques dans la dispense d’une éducation de qualité, notamment pour les populations marginalisées ou vulnérables. La France contribue également à ces objectifs à travers sa politique d’accueil et de formation d’étudiants étrangers sur son territoire. La politique de promotion et de soutien de la langue française est également un vecteur de la politique de développement.

Si notre pays entend resserrer ses liens avec l’Afrique francophone de demain, avec ses sociétés civiles, comme cela est nécessaire, il doit ne pas se couper des futures élites de ces différents pays. Or, à l’heure actuelle, moins de 20 % des boursiers étudiants en France sont originaires de pays d’Afrique subsaharienne, toutes aires linguistiques confondues. Si les moyens généraux sont en nette diminution, priorité a surtout été donnée ces dernières années aux étudiants originaires des grands pays émergents, notamment la Chine. Il serait opportun de réviser cette orientation afin de renforcer durablement les liens au sein de l’espace francophone et de maintenir à notre pays son attractivité.

Cette question touche aussi directement la politique de visas, dont on a vu la sensibilité. L’an dernier, le Conseil stratégique de l’attractivité du 17 février 2014 a décidé d’un allègement généralisé des formalités pour attirer tous les acteurs de l’économie de l’intelligence et les inciter à rester en France, se traduisant par un certain nombre de mesures positives, telle la délivrance d’une carte pluriannuelle pour les étudiants étrangers, correspondant à la durée de leurs études, pour éviter un renouvellement chaque année, ou la facilitation des démarches pour les étudiants étrangers en master et bénéficiant d’un financement par une autorité publique française ou étrangère. Pour autant, comme on le sait, l’axe central de ce comité était à dominante économique et les orientations antérieurement prises ayant mis la priorité sur les étudiants originaires des pays émergents, on ne voit pas dans ces décisions ce qui permettrait de renforcer le lien qui est en train de se distendre entre notre pays et les futures élites des pays d’Afrique francophone.

iii. L’impératif de l’emploi

Les problématiques démographiques ont de très forts impacts sur les questions sanitaires et éducatives, et les systèmes de santé et d’éducation des pays d’Afrique francophone vont être face – font déjà face – à des défis insurmontables.

Last but not least, une croissance démographique qui conduit chaque pays à voir doubler sa population dans une période de 18 à 25 ans impose des politiques économiques permettant au marché du travail d’absorber un nombre considérable de jeunes chaque année : 1,4 million en ce qui concerne le Niger en 2050.

Consécutivement, dans la mesure où le tissu industriel est encore peu développé, la structure économique peu diversifiée, et le sera encore durablement, où les populations sont majoritairement rurales, et occupées dans le secteur primaire et l’agriculture, se pose la question cruciale de l’emploi des jeunes, dans un contexte marqué notamment par la piètre qualité des systèmes éducatifs et la fréquence des tensions foncières fréquentes.

Votre Mission retire des nombreuses auditions auxquelles elle a procédées (320) l’idée que notre politique d’aide au développement sectorielle devrait se concentrer sur le développement des agricultures familiales vivrières, qui permettent en premier lieu d’occuper un grand nombre d’actifs ruraux, plus que l’agriculture mécanisée destinée à l’exportation ne pourra jamais le faire. En outre, cette agriculture est celle qui permet de générer le plus de revenus disponibles pour les populations concernées ; enfin, elle est aussi celle qui contribue le plus à la sécurité alimentaire des populations, dans un contexte où les effets du changement climatique seront également redoutables. Permettant enfin d’alimenter l’économie locale, par les marchés, les unités de transformations, elle contribue aussi à irriguer le tissu économique.

3. Les moyens ? Des instruments réformés

a. En premier lieu, un ministère de plein exercice aux côtés du MAEDI…

Au terme d’une lente évolution, la réforme de 1998 a conduit à la disparition de l’ancien ministère de la coopération, autrefois autonome. Aujourd’hui, au sein du MAEDI, le secrétariat d’État chargé du développement assure le pilotage de la politique, et dispose notamment de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats. Cela étant, il n’est pas une analyse effectuée ces dernières années qui n’ait conclu à la complexité du dispositif français d’aide au développement, éclaté entre les ministères des finances et des affaires étrangères qui exercent une cotutelle sur l’AFD. Ainsi, même si la dernière revue du CAD souligne à juste titre des évolutions opportunes, en relevant que « la France a amélioré le pilotage de la coopération au développement en ciblant ses efforts sur les trois acteurs principaux. Le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Économie et des Finances coordonnent davantage leurs approches et exercent une tutelle plus étroite sur l’AFD, principal opérateur de la coopération française, dont les compétences ont été élargies et le poids renforcé », elle indique que « ce dispositif génère des coûts de transaction élevés du fait des impératifs de coordination. Il rend par ailleurs difficile le pilotage stratégique du budget de l’aide programmable, qui est éclaté entre les deux ministères. » (321)

À l’heure où l’importance de ces aspects apparaît crûment dans le bilan de notre action dans les pays les plus fragiles, votre Mission souhaite ouvrir le débat et plaider pour la création d’un ministère de plein exercice qui serait chargé de l’intégralité de la conduite de la politique de développement.

Plusieurs arguments plaident en ce sens, étant entendu qu’il ne s’agirait pas de reconstituer l’ancienne « rue Monsieur », dont les travers et dérives avaient abondamment justifié sa disparition.

La question principale est d’ordre politique.

Comme on l’a dit, les problématiques de stabilité et de développement en Afrique francophone sont appelées à prendre une importance croissante dans notre agenda. Consécutivement, notre pays est dans la nécessité d’anticiper sur le moyen et le long terme pour prévenir des crises qui ne manqueront pas de se produire si rien n’est fait suffisamment tôt en amont. Cela suppose de rehausser considérablement l’attention qui y est portée, d’exercer un suivi constant, d’avoir un dialogue permanent avec les pays concernés, leurs institutions, leurs sociétés civiles, de définir et de conduire les politiques d’aide au développement qui y contribueront. Consécutivement, cela signifie aussi inscrire notre relation aux pays d’Afrique francophone dans une perspective assumée de démilitarisation de la gestion des crises, la situation présente n’étant pas durablement tenable, tant budgétairement que politiquement. C’est sur les deux piliers égaux de stabilité et du développement, à travailler en parallèle, que cette relation politique doit s’articuler.

Confier cette tâche à une seule instance politique au sein du gouvernement permettrait de renforcer la cohérence de notre action et d’éviter que l’un de ces deux pôles ne prenne le pas sur l’autre comme c’est le cas actuellement avec la part, qu’on peut considérer comme excessive, que le ministère de la défense a prise à la faveur des circonstances tragiques que connaît le continent, à la faveur, aussi, d’une anticipation insuffisante qui oblige à réagir faute d’avoir agi. À cet effet, le nouveau ministère du développement devrait instituer des partenariats avec les instituts et centres de recherche sur l’Afrique, lui permettant de disposer de l’information scientifique nécessaire à la prise de décision sur le moyen et long terme.

De même, pourrait-on envisager la création au sein de l’École d’affaires publiques de Science Po d’une spécialité « Politiques d’aide au développement », en complément des filières « Administration publique », « Culture », « Énergie-environnement » et « Santé » qui existent déjà, qui permettrait de donner aux futurs professionnels du secteur une formation spécialisée de haut niveau.

Cette cohérence serait d’autant plus bienvenue qu’elle permettrait de rééquilibrer les instruments de notre politique et de rehausser la dimension développementaliste de notre politique africaine. Toutes choses égales par ailleurs, la comparaison avec les dispositifs d’autres pays montre qu’un ministère dédié au développement permet une meilleure prise en compte des situations propres aux différents pays cibles. Ainsi, le fait que le Royaume-Uni consacre autant d’attention et de financements d’APD à la RDC répond bien plus à une préoccupation exprimée par le DFID qu’à une stratégie du FCO.

Plusieurs pays occidentaux ont par ailleurs au sein de leur exécutif un département ministériel dédié à une région, ainsi en est-il des États-Unis, du Royaume-Uni, de la RFA. Le fait que le ministère chargé du développement soit l’interlocuteur privilégié de nos partenaires africains, renforcerait la qualité et la régularité, la fréquence de notre dialogue régional et bilatéral dont on n’a vu qu’il appelait à être réévalué.

En outre, de notre point de vue, ce ministère, de plus de poids politique au sein de l’appareil institutionnel français et chef d’orchestre de la stratégie de long terme pour l’Afrique, disposerait d’une capacité de plaidoyer international et régional renforcée qui lui donnerait un poids accru dans les relations de notre pays avec les principaux bailleurs et instruments de l’aide auxquels notre pays participe.

Un tel ministère permettrait aussi de donner plus de visibilité à notre action en faveur du développement et partant, de renforcer la légitimité de cette politique publique, qui peut être mise en question en période budgétaire difficile. On sait que les pays dans lesquels la politique d’aide au développement est la plus soutenue sont également ceux où la communication gouvernementale est la plus forte.

Enfin, et là n’est pas le moindre de son intérêt, la création du ministère aurait aussi pour effet de faire perdre toute justification à la cellule africaine de l’Élysée. Même si on sait que depuis l’élection de François Hollande à la présidence, elle ne joue plus le même rôle qu’auparavant, elle participe toujours d’une personnalisation excessive de la relation de la France avec les pays africains. La spécificité de cette relation bilatérale doit être maintenue compte tenu des liens qui nous unissent au continent et de nos intérêts, mais elle doit être aussi assainie et prendre la voie exclusive des canaux institutionnels. Le ministère y contribuera opportunément.

b. … disposant de marges de manœuvre retrouvées

Convaincue du caractère irremplaçable de l’aide bilatérale, la représentation nationale exprime année après année sa préoccupation sur l’articulation entre les instruments bilatéraux et multilatéraux de notre aide, sur leur déséquilibre. Le gouvernement n’y a jusqu’à aujourd’hui pas apporté de réponse véritablement satisfaisante. Dans la perspective de refonte de notre politique africaine telle qu’elle est ici proposée, ce sujet est crucial.

En conséquence, votre Mission formule ainsi ses arguments et préconisations, fondés sur des considérations politiques et financières, qui justifient la nécessité de redonner des marges de manœuvre à notre aide au développement bilatérale.

i. Les arguments politiques

Plusieurs raisons justifient que notre pays se donne de nouveau des marges de manœuvre pour disposer de plus de moyens d’action autonomes au bénéfice de la politique africaine qu’il entend mener.

En premier lieu, la France n’est aujourd’hui pas suivie autant qu’elle le souhaiterait sur les problématiques les plus graves qui touchent l’Afrique. L’augmentation des moyens qu’elle pourra dédier est d’autant plus nécessaire afin de garantir le succès des actions novatrices qu’on a évoquées, qui pourront exercer un effet d’entraînement. Il convient à cet égard de ne pas oublier que longtemps, la France a privilégié son action bilatérale dans les pays d’Afrique francophone et que c’est précisément cette expérience accumulée qui lui a permis d’acquérir un savoir-faire reconnu, reposant par exemple sur son propre système de santé et sa politique sanitaire, et d’avoir une véritable influence, une force d’entraînement au sein de la communauté internationale.

Il convient aujourd’hui, à l’heure où les paradigmes qui se sont imposés n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, que la France réaffirme avec force ses axes d’excellence. Cela est d’autant plus opportun que de décennie en décennie, les institutions internationales, la Banque mondiale en premier lieu, ont pris le pas pour exercer un leadership intellectuel dans la définition des grandes tendances de l’aide et imposé leurs visions à l’ensemble de la communauté internationale. Or, si elles ont toute leur utilité pour les possibilités de financement qu’elles permettent, il semble temps de ne plus leur laisser donner seules le ” la “ dans la définition des grandes orientations de l’aide au développement.

Comme le rappelait The Lancet (322), il est piquant de voir le FMI voler aujourd’hui au secours des systèmes de santé des trois pays frappés par l’épidémie d’Ébola, alors que sa politique au long des vingt dernières années a précisément consisté à les démanteler pierre à pierre. Ou encore, de voir la manière dont la Banque mondiale paraît s’exonérer de toute responsabilité dans la mauvaise gouvernance publique, par exemple dans son rapport de 1997 (323), en soulignant l’importance du rôle de l’État. Sans qu’il s’agisse ici d’exonérer les gouvernements africains de leurs propres responsabilités dans la mauvaise gouvernance dans laquelle ils ont trop longtemps maintenu – et continuent pour la plupart d’entre eux de maintenir – leurs pays, celle des organisations internationales, notamment du système de Bretton Woods dans la situation que connaissent nombre de ces pays, dans la ruine des institutions étatiques, la destruction des systèmes sociaux, est tout aussi manifeste et ne doit pas être oubliée. Les pays africains en paient encore le prix.

Plus généralement, les politiques d’aide au développement que la communauté internationale a mis successivement en place ont vécu des changements de pied incessants on ne peut plus contradictoires. Comme le relatait par exemple Christian Seignobos (324), qui en a été longuement le témoin sur le terrain, l’extrême nord du Cameroun illustre l’aveuglement des politiques d’aide au développement, la communauté des bailleurs n’ayant cessé de proposer des solutions clefs en mains sans suite ni logique, ni coordination, aux populations bénéficiaires d’une région laissée à l’abandon par les autorités du pays et par le sud. Des politiques à dominantes forestières, puis agricoles, puis hydrologiques, se sont succédé puis effacées à la fin des années 1980 devant des politiques économistes, elles-mêmes remplacées par d’autres dans la décennie 1990. Comment mieux illustrer le fait que les solutions de développement ont été systématiquement insufflées de l’extérieur, chaque « école » laissant la place à la suivante sans que la participation des principaux intéressés soit considérée ?

Cela pour dire que la légitimité intellectuelle des institutions financières internationales à déterminer les orientations de l’aide et à imposer les paradigmes comme elles l’ont fait dans les années passées peut à bon droit être reconsidérée. Notre pays n’a pas su ou voulu porter la contradiction à la parole dominante qui s’imposait dans les années 1990 et 2000 et il a peu à peu renoncé aux axes les plus forts que son expertise avait portés, avec une efficacité incontestée, que ce soit en matière sanitaire ou sociale, comme en matière agronomique.

« Cinquante ans de coopération française avec l’Afrique subsaharienne »

Un bilan positif des actions bilatérales

« Ce fut l’époque des offices agricoles, des caisses de stabilisation, des entreprises publiques, des projets d’aménagement régionaux (bassins du Sénégal, du Niger, du Congo), des instituts de recherche (en santé publique avec le réseau de l’OCCGE de Bobo Dioulasso et les instituts Pasteur), des écoles d’ingénieurs inter-États spécialisées (Ouagadougou, Bamako, Dakar, Yaoundé), des écoles militaires à vocation régionale, mais aussi des microréalisations originales avec des équipes spécialisées au tempérament militant. On se souvient aussi des apports opérationnels comme la méthode des effets conçue pour appréhender les divers impacts d’un projet de développement. Elle fut par la suite habilement mobilisée lors du débat farouche avec la Banque mondiale sur l’avenir des filières cotonnières de l’Afrique de l’Ouest. Au terme de cette période très dense intellectuellement et foisonnante de projets de terrain, les résultats n’étaient pas minces : des dizaines de milliers de cadres et d’ingénieurs formées, des infrastructures économiques et sociales installées, des capacités institutionnelles créées. L’accès à l’eau potable et à l’énergie a progressé, le taux de scolarisation a augmenté, la sécurité alimentaire s’est accrue dans de nombreuses régions. Les campagnes de vaccination préventive ont permis d’éradiquer la variole ; la cécité des rivières a disparu de l’Afrique de l’Ouest ; l’amélioration des soins de santé maternels et infantiles a été significative. » (325)

Il paraît aujourd’hui nécessaire que la France sorte de l’alignement intellectuel dans lequel elle s’est inscrite (326), réussisse à faire entendre de nouveau sa voix, à redonner à ses propositions le lustre qu’elles ont perdu.

Cela est d’autant plus important que personne ne conteste que la meilleure expertise sur la zone sahélienne, et notamment en matière agronomique, est détenue par les centres de recherche français. Par comparaison, comme le soulignait avec force Serge Michailof (327), celles que peuvent présenter les grandes institutions internationales, que ce soit les banques de développement, la Banque mondiale en premier lieu, ou l’Union européenne, présentent de grandes carences dans le secteur clé qu’est le développement agricole de cette région. Cela milite pour une remobilisation de l’aide française au Sahel. Serge Michailof rejoint Olivier Lafourcade dans l’idée que cette expertise du Sahel et du développement rural de cette région ne se retrouve guère désormais qu’à l’AFD, dans les instituts de recherche français, ainsi qu’au sein de quelques-unes des principales ONG, tel le GRET.

Dans le même esprit, on ne peut oublier non plus que la Banque mondiale a aussi fait son possible pour contrecarrer des initiatives qui n’avaient pas l’heur de correspondre à son idéologie néolibérale, par exemple démanteler la filière coton au Mali, réussite incontestable de la coopération bilatérale française : « La filière coton au Mali est une des rares ” success stories ” du continent africain en matière de compétitivité économique. En effet, le Mali se classe depuis un an comme le premier producteur de coton africain devant l’Égypte (610 000 tonnes) et réussit depuis dix ans le tour de force d’accroître régulièrement sa production malgré l’absence de subventions à l’instar de celles qui permettent notamment aux producteurs de coton américains de survivre au prix d’une déstabilisation générale du marché mondial du coton. En outre, un pool bancaire original, composé de banques de la sous-région ouest africaine, a réussi ces dernières années à assurer le financement de la commercialisation du coton dans un environnement pourtant peu porteur. » (328)

Il est donc essentiel que la France se donne l’ambition de promouvoir et défendre au sein de la communauté des bailleurs les axes politiques, notamment en matière d’agriculture et de pastoralisme sahéliens, qui sont unanimement considérés comme de nature à contribuer à la résolution durable des problématiques qui touchent les populations locales. Ce sont au demeurant des sujets sur lesquels notre pays a bâti sa réputation dans le passé, sur lesquels elle a aussi parfois été combattue précisément par les institutions financières. Le discours de notre pays sur ses forces et atouts comparatifs doit être rehaussé.

ii. Les aspects financiers

On ne contestera pas que le canal multilatéral permet des effets de leviers considérables et de démultiplier des moyens qu’un pays seul ne pourra jamais engager, que cela est indispensable lorsqu’il s’agit de lutter contre les pandémies, de lancer des programmes d’investissements ou, de plus en plus, de travailler sur les problématiques globales, comme le changement climatique. On sait par ailleurs l’énormité des besoins de l’Afrique en infrastructures, évalués par la Banque mondiale à quelque 50 milliards de dollars annuels (329), et la combinaison des apports privés et publics qu’elle impose. Pour toutes ces raisons, il ne peut être question pour notre pays de se retirer des principales institutions multilatérales dans lesquelles nous sommes engagés depuis longtemps, qu’il s’agisse des banques de développement ou des organisations du système des Nations Unies dans lesquelles, au demeurant, notre présence, qui n’a cessé de se réduire année après année, est aujourd’hui à son étiage.

Cela étant, s’agissant de la répartition de notre effort entre aide multilatérale et bilatérale, de leur complémentarité, on oppose depuis trop longtemps à la représentation nationale des arguments dont la pertinence paraît de plus en plus discutable. Un rééquilibrage doit être opéré pour donner à notre action les moyens de sa nouvelle ambition.

Il faut aujourd’hui rappeler à quel niveau la part des subventions bilatérales est tombée, y compris, et surtout, dira-t-on, en direction de nos priorités, comme on l’a vu s’agissant de l’éducation de base au Niger.

En ce qui concerne les priorités géographiques, les seize pays pauvres d’Afrique subsaharienne, le dernier Document de politique transversale, DPT, a montré que l’APD bilatérale nette globale pour cet ensemble de pays se montait à une moyenne de 43 M€. Avec un total distribué de 239 M€ de subventions en 2013, chacun a reçu en moyenne moins de 15 M€ de subventions, tous secteurs d’intervention confondus, comme le montre le tableau ci-dessous (330).  


Ces données, à mettre en lumière avec le fait que dans cette enveloppe, les dons-projets de l’AFD ont représenté 125 M€ en 2013 pour les seize PPP, que l’AFD a consacré cette même année 53 M€ en dons-projets pour l’éducation et 54 M€ pour la santé et la lutte contre le sida, toutes géographies confondues, permettent de conclure que notre politique d’aide au développement ne distribue que des confettis d’aide bilatérale. De quelle influence, et de quelle efficacité concrète sur le terrain, cet apport de notre pays, – qu’on peut aussi juger désastreux en termes d’image -, peut-il être dans le débat international ou même bilatéral avec les pays d’Afrique francophone, en matière d’éducation, pour ne prendre que l’exemple détaillé plus haut ? À l’évidence, une telle dérive fait perdre à la France toute possibilité d’influence, a fortiori de contrôle effectif, sur l’aide multilatérale qui absorbe l’essentiel de ses ressources.

Si la France entend recentrer son aide vers les pays d’Afrique francophone qui en ont le plus besoin qui sont aussi ceux qui font face aux défis les plus lourds, elle doit retrouver des marges de manœuvre et renforcer les instruments les plus pertinents dont elle dispose.

iii. Les nécessités : abonder le bilatéral et réactiver le FSP

Inventé parce que la France, pour des raisons d’efficacité, faisait le choix de concentrer ses moyens bilatéraux sur sa Zone de solidarité prioritaire, le canal multilatéral étant alors privilégié pour les pays hors de cette zone, le Fonds de solidarité prioritaire, FSP, est l’instrument avec lequel le ministère des affaires étrangères met en œuvre, aujourd’hui encore, son aide-projet, sous forme de dons dans l’ensemble des domaines institutionnels et de souveraineté. Comme le rappelle l’évaluation commandée par la Direction générale de la mondialisation (331) qui en a été faite l’an dernier, « le FSP est un instrument privilégié de partenariat : – avec les États et les organismes Inter-États. Sa vocation institutionnelle concernant l’ensemble des structures nationales (Ministères, collectivités territoriales, établissements publics, organismes inter-états) se traduit par une nécessaire responsabilisation de ces structures dans la mise en œuvre de projets préparés en étroite collaboration ; – avec les autres bailleurs de fonds et la société civile, nécessairement concernés par les évolutions institutionnelles touchant aussi bien les domaines de souveraineté et de défense des droits de l’homme (décentralisation, justice, sécurité…) que les domaines sociaux (santé, éducation, eau et environnement, développement des capacités nationales…). ». C’est aussi un « instrument privilégié de lutte contre la pauvreté, – soit directement à travers ses opérations déconcentrées et de fonds social de développement dédiés pour l’essentiel à la société civile, ou son appui direct aux organisations non gouvernementales et à la coopération décentralisée ; – soit indirectement par l’impact recherché dans tous les secteurs, principalement dans ceux de l’éducation et de la santé en faveur des plus démunis, du genre et de l’enfance. »

Il existe trois types de projets dans le cadre du FSP : les « projets Pays », bilatéraux, contribuant au développement d’un pays partenaire ; les « projets inter-États », bénéficiant à un groupe d’États déterminé ; les « projets mobilisateurs », qui contribuent à l’élaboration de politiques sectorielles de développement, notamment par des opérations pilotes.

La conclusion qui a été tirée de l’évaluation réalisée l’an dernier est simple : « Cette évaluation a montré que le FSP est un instrument qui garde un grand intérêt dans la boîte à outil de l’aide publique française pour des opérations de solidarité (CD/FSD) et en matière de gouvernance démocratique (justice, État de droit, sécurité, renforcement de l’État), en direction de pays situés entre la crise et le développement maîtrisé. Pour ces thématiques, le FSP est irremplaçable actuellement. Aucun autre outil ne peut monter des projets du même genre, avec la même rapidité et la même flexibilité. » (332) Consécutivement, précisent les auteurs de l’étude, dans les pays fragiles, en phase de reconstruction-réhabilitation-consolidation, le FSP s’avère particulièrement pertinent, s’appuyant notamment sur « un rapprochement politique favorisant des transferts qui ne se limitent pas à la technicité mais incluent des valeurs et des sensibilités partagées. »

Malgré cela, dans la baisse continue des crédits qui a durement affecté nos moyens bilatéraux, le FSP a particulièrement souffert, sur le plan financier et humain.

Selon les évaluateurs, malmené depuis dix ans, le FSP est même devenu aujourd’hui quantité négligeable, au point de ne plus représenter que moins de 1 % des programmes qui composent la mission APD.

Aujourd’hui, un nombre très faible de FSP-pays est mis en œuvre : 119 projets-pays approuvés en 2000, 46 en 2005, 25 en 2013.

Au plan financier, les diagrammes reproduits ci-dessous montrent qu’il s’agit même de l’outil bilatéral le plus impacté comparativement aux bourses, aux échanges d’expertise ou aux autres moyens d’influence, qui restent quasiment étales sur la dernière décennie.  


Évolution des allocations FSP et autres instruments (333)

En outre, le FSP a également pâti de la diminution drastique de l’assistance technique, alors même qu’il a été démontré que « les projets FSP ne sont rien sans l’expertise associée qui les anime et les gère (…), « c’est-à-dire d’ETI sélectionnés et mis en place par la France, qui œuvrent dans les projets mais assurent aussi un rôle de conseil et sont au premier plan pour le renforcement des relations de coopération. » (334). À cet égard, le diagramme ci-dessous se passe de commentaires.  


La baisse des effectifs de l’assistance technique (335)

Sur une plus longue période, depuis le début des années 1960, la baisse a été supérieure, puisque Pierre Jacquemot (336) montre qu’il y a eu jusqu’à 10 292 assistants techniques en 1980 :  


C’est la raison pour laquelle, votre Mission recommande vivement que le FSP, – dont « on peut même soutenir [qu’il] est irremplaçable : – pour les pays en sortie de crise, en situation de fragilité et en cours de réhabilitation institutionnelle, – dans les domaines de la solidarité concrète sur le terrain pour appuyer directement et renforcer les communautés et les organisations de la société civile – dans les domaines régaliens de la gouvernance démocratique : justice, état de droit, sécurité, renforcement de l’État. » (337) – soit au cœur de la stratégie de remobilisation de nos moyens bilatéraux pour soutenir les actions de stabilité et de solidarité à mener au bénéfice des seize pays pauvres prioritaires et spécialement des cinq pays francophones de la bande saharo-sahélienne : Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger, Tchad.

c. Comment trouver les ressources nécessaires ? Quelques pistes à explorer

i. La question de la dotation excessive au Fonds mondial sida

Comme on l’a montré précédemment, la contribution que la France verse chaque année au Fonds mondial pose désormais plusieurs problèmes politiques : non seulement, elle est loin de cadrer avec la stratégie santé dont elle s’écarte sérieusement, mais surtout, elle nous prive de ressources nécessaires pour mettre cette stratégie en œuvre au bénéfice des seize pays prioritaires de notre APD. On a vu ce qu’il en était avec l’Alliance GAVI ou l’initiative Muskoka, et l’on peut considérer qu’une telle situation est difficilement justifiable. Comment considérer comme légitime que la France doive réduire les financements qui lui permettraient de respecter ses engagements stratégiques et géographiques en matière de santé, pour pouvoir maintenir, envers et contre tout, le financement sanctuarisé au niveau de 470 M€ par an à un seul instrument dont l’action ne vise pas prioritairement les besoins de santé publique des pays les plus pauvres, ne contribue pas au renforcement des systèmes de santé des pays bénéficiaires, et ne vise pas non plus principalement les pays d’Afrique francophone ? Cette situation montre qu’au-delà de son incohérence, cet engagement n’est en rien soutenable sur un plan financier.

Ramener notre contribution à une plus juste proportion ne nuirait en rien à l’action du Fonds mondial, ni ne nuirait à l’image de la France comme on ne manquera peut-être pas de l’entendre en réaction à cette proposition. Au-delà de cette considération, c’est la seule et unique manière de permettre à notre pays de retrouver la marge de manœuvre qui lui fait actuellement défaut pour soutenir une politique bilatérale efficace, lui donnant aussi l’opportunité de retrouver la visibilité et l’influence qu’elle a perdues en diluant son action dans une aide au développement multilatéralisée.

Votre Mission plaide en conséquence que l’apport de 60 M€ additionnels annuels décidé par le Président Sarkozy pour trois ans et prorogé d’une durée équivalente par le Président Hollande ne soit pas reconduit et que, en outre, la contribution antérieure, portée à 300 M€ en 2008, soit également revue à la baisse.

Si la priorité que l’on a donnée au Fonds mondial se justifiait il y a dix ans, les temps et les circonstances ont changé et la preuve est faite aujourd’hui que les pays d’Afrique francophone ont, avant toute autre considération, un besoin fondamental d’appui à leurs systèmes de santé, vers lesquels les financements et actions doivent être recentrés. Une contribution réduite de la France au Fonds mondial permettra de retrouver les marges de manœuvre qui font aujourd’hui défaut pour une action renouvelée. C’est par exemple la position défendue récemment par deux experts de l’AFD, Hubert de Milly, conseiller politique à la direction de la stratégie, et Pierre Salignon, chef de projets à la division santé et protection sociale, qui estimaient récemment que « si le développement rapide des pays émergents comporte des opportunités certaines pour soutenir une croissance verte, durable et solidaire, sous forme de prêts concessionnels ou pas, souverains ou non souverains…, il conviendrait aussi, malgré les tentations du repli sur nos frontières, d’assumer une approche plus équilibrée, sanctuarisant les subventions au bénéfice des États à faibles revenus. Faute d’autres marges de manœuvre, cela signifie certainement d’assouplir en France le fléchage majoritaire actuel des dons vers le fonds mondial de lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose (plus d’un milliard d’euros sur 3 ans). Car sans nier les résultats obtenus et les traitements mis à disposition des malades (ce combat n’est pas totalement gagné), il serait bon de retrouver un peu de flexibilité financière sur d’autres questions de développement, dans les Pays à Faible Revenu en particulier. » (338)

Là est toute la question. Et l’impératif d’y répondre.

ii. Les financements innovants

La France a innové il y a une dizaine d’années en introduisant la contribution de solidarité sur les billets d’avion en 2006, pour financer les programmes internationaux de santé publique, l’accès aux médicaments dans les pays en développement et l’atteinte des OMD.

Recette de la taxe sur les billets d’avion et prévisions (339)

La liste des attributaires de ces recettes a évolué dans le temps. Initialement, aux termes du décret de 2006 (340), elles se répartissaient entre le financement de la Facilité internationale d’achat de médicaments, UnitAid, à 90 %, le solde, 10 %, servant au remboursement de la première émission d’emprunt de la Facilité de financement internationale pour la vaccination, IFFIm, qui finance l’Alliance GAVI. Cette répartition a été profondément modifiée par un décret de décembre 2013 (341) : les recettes de la taxe sur les billets d’avion sont désormais destinées au « remboursement de la première émission d’emprunt de la facilité de financement internationale pour la vaccination (IFFim), ainsi que pour le financement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, de la facilité internationale d’achat de médicaments (UnitAid), du Fonds vert pour le climat, de l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI), du fonds fiduciaire de l’Initiative pour l’alimentation en eau et l’assainissement en milieu rural (RWSSI) de la Banque africaine de développement et de l’Initiative solidarité santé Sahel (I3S) ».

Comme on le sait, le gouvernement souhaite ramener la contribution de la France à UnitAid en dessous de 50 % du total à partir de 2015, ce qu’il fait depuis 2011 en apportant quelque 110 M€ annuels, après avoir assuré 60 % du financement dans les premières années ; il invite aussi l’organisation à diversifier l’origine de ses recettes. Dans cette logique, et dans celle de ce qu’il a proposé plus haut, votre rapporteur recommande une nouvelle répartition des recettes de la taxe sur les billets d’avion, qui exclurait le Fonds mondial sida et UnitAid.

C’est le Fonds de solidarité pour le développement, FSD, géré par l’AFD, qui reçoit les recettes de la taxe sur les billets d’avion ainsi que celle de la taxe sur les transactions financières depuis 2013. Le montant cumulé des deux taxes sera de 340 M€ cette année, puis 370 M€ en 2016 et 400 M€ en 2017.

Rien n’interdit qu’une part de ces ressources soit notamment consacrée au financement d’actions bilatérales visant au renforcement des systèmes de santé en Afrique subsaharienne. On peut rappeler pour appuyer cette recommandation que c’est d’ores et déjà le cas, pour une infime partie : depuis les origines, les montants collectés pour le FSD ont servi en quasi-totalité, c’est-à-dire à 99,6 %, au financement d’actions multilatérales. Sur un total cumulé depuis 2006 de 1583 M€ reçus, seuls 6 ont été affectés au financement d’actions bilatérales, à savoir l’initiative I3S au Niger. Il suffirait en conséquence de réévaluer cette répartition.

iii. Quelle pourrait être la contribution des entreprises au financement du développement ?

De plus en plus, les entreprises françaises participent au financement du développement de diverses manières, et il convient de saluer à cet effort à sa juste valeur. Elles sont inventives et proposent des solutions souvent remarquables aux populations des pays en développement. En témoignent par exemple les initiatives de Bolloré en Afrique de l’ouest, avec le concept de « Blue zones ». Comme le rappelait récemment Jeune Afrique économie (342), « Alimentées par de l’énergie solaire stockée dans des batteries, les blue zones accueillent des espaces éclairés multi-fonctionnels, avec de l’eau potable, des centres de santé, d’écoute et de prévention pour les jeunes, une école où des cours de e-learning pourront être dispensés, des activités sportives, des ateliers pour les artisans… La création de la bluezone de Kaloum aurait permis d’employer 475 artisans guinéens (électricien, maçon, ferronnier, menuisier) ». La Blue zone de Kaloum, à Conakry, a servi de base pour la lutte contre l’épidémie Ébola, elle offre des accès internet aux populations défavorisées, des espaces de travail et de rencontres aux jeunes créateurs d’entreprises, etc. D’autres sont d’ores et déjà prévues dans le pays et le groupe envisage de répliquer ce modèle dans divers autres pays de l’Afrique de l’ouest, – certaines sont d’ores et déjà actives – et l’on cite ainsi le Togo, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Bénin. Au Cameroun, où le dispositif a été présenté à votre Mission par Mohamed Diop, directeur général régional du groupe (343), c’est un réseau de transport estudiantin gratuit par autobus électriques qui a été mis en place dans les deux principales villes, Yaoundé et Douala. Toujours au Cameroun, Orange dispose d’une fondation qui intervient sur les thématiques sociales et permet au groupe de montrer sa sensibilité et de concrétiser sa proximité avec la population. On sait aussi le rôle joué par la Fondation Total en Afrique en matière de santé, d’éducation, de formation professionnelle. On pourrait multiplier les exemples de l’engagement des entreprises françaises sur le terrain, qui participent aussi de leur stratégie de communication, d’implantation dans les sociétés dans lesquelles elles travaillent.

Par ailleurs, de nouvelles orientations ont été prises récemment et d’autres le seront dans un futur proche. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises a tout d’abord été inscrite dans la loi de juillet 2014 et la réflexion se poursuit : récemment, Emmanuel Faber, vice-président de Danone, et Jay Naidoo, ancien ministre du gouvernement de Nelson Mandela, ont remis un rapport à Laurent Fabius, plaidoyer pour une implication renforcée des entreprises dans le développement durable des pays en développement, notamment africains.

Cela étant, dans le contexte actuel marqué par les difficultés budgétaires qui impactent le financement de la politique d’aide au développement, peut-être serait-il opportun d’étudier la mise en place de cadres de participation, de partenariats, plus systématisés. Comme le disait Etienne Giros, président délégué du CIAN, (344) le secteur privé est par exemple prêt à être associé aux interventions de l’AFD et à participer très concrètement à leur définition, et les entreprises le souhaitent vivement. À l’heure où la diplomatie économique est devenue la priorité du ministère des affaires étrangères, où l’ensemble des moyens publics sont désormais mobilisés, coordonnés et démultipliés au profit des entreprises de notre pays afin que leurs intérêts soient bien pris en compte à l’international, peut-être pourrait-on aussi envisager que, dans un juste retour des choses, elles soutiennent à leur tour nos dispositifs d’aide au développement sur le terrain et contribuent à leur financement, selon des modalités de partenariats qui seraient à définir ? Votre Mission invite à la réflexion sur cette question importante, qui permettrait de renforcer les moyens aujourd’hui très faibles à la disposition des postes diplomatiques.

iv. La problématique des orientations sectorielle et géographique du FED

Notre pays est à l’origine de la création du Fonds européen de développement dont il a été un soutien constant, et l’un des tout premiers contributeurs. Il est aujourd’hui au deuxième rang derrière la RFA, avec une clef de contribution proche de celle qu’il a au sein du budget communautaire. Cette situation donne à la France un poids politique majeur au sein de cet instrument, dont elle pourrait peut-être tirer mieux partie. Si l’on en croit l’évaluation qui a été faite l’an dernier de la contribution de notre pays au FED, on relève que si les priorités du FED sont en relative cohérence avec celles de notre pays, notamment en ce qui concerne la prise en compte des thématiques de gouvernance. En revanche, on relève un très faible apport du FED dans les secteurs sociaux, l’éducation et la santé apparaissant comme très peu dotés.  


Allocation des ressources du 10e FED en fonction des secteurs prioritaire de la France (345)

Les évaluateurs considèrent que cette faiblesse « n’est pas nécessairement en opposition avec les priorités françaises si cette situation résulte d’une division de travail entre les différents bailleurs en accord avec les priorités des pays partenaires (…) » et que « le soutien de la CE à ces secteurs est souvent indirect, à travers les appuis budgétaires globaux, qui financent de manière globale les stratégies nationales de réduction de la pauvreté, et qui ont mobilisé 29,30% des ressources du 10ème FED. ». (346)

En outre, a été relevée une très bonne cohérence géographique avec les priorités de notre pays, puisqu’il apparaît que, non seulement 90 % des crédits du FED vont à l’Afrique subsaharienne, mais qu’en outre, « Les pays pauvres prioritaires (PPP) ont reçu à eux seuls 41 % de l’aide prévue dans les programmes nationaux à destination de la zone ACP du 10ème FED et représentent chaque année entre 37 % et 43 % des décaissements annuels du FED. Les 5 plus gros PPP bénéficiaires d’aide via la programmation nationale sont : le Burkina Faso, la République Démocratique du Congo, Madagascar, le Mali et le Niger puisqu’ils cumulent à eux cinq 21 % de l’aide totale versée aux pays ACP en 2012. » (347)

Ces éléments sont très positifs. Parmi les recommandations qui ont été formulées, votre Mission considère particulièrement judicieuse celle invitant l’Union européenne « à s’appuyer encore davantage sur l’expertise et le savoir-faire des EM pour que le FED devienne à terme un véritable instrument de coordination et de complémentarité entre l’ensemble des politiques de coopération des États membre. » (348) Dans un contexte budgétaire national contraint qui rend nécessairement difficile un renforcement rapide de notre dispositif d’assistance technique, il y a là une opportunité particulièrement intéressante, qui conforte en outre la complémentarité des actions communautaires et nationales. Elle permettra à notre pays de réinvestir un terrain quelque peu délaissé par notre politique bilatérale.

Dans ce même ordre d’idées, on sait qu’une grande partie des ressources du FED, quelque 3 Mds€, sont acheminées vers des contributions à des organisations internationales, faute pour la Commission d’avoir les capacités de mettre en œuvre elle-même l’intégralité des politiques qu’elle définit. Cette délégation de gestion est critiquée, coûteuse. Votre Mission ne peut que faire sienne la recommandation des évaluateurs d’inciter la Commission à analyser systématiquement la possibilité de recourir plutôt aux États membres et à leurs opérateurs, qu’aux organisations internationales.

C’est dans cet esprit aussi que des délégations de gestion ont commencé d’être mises en œuvre, les agences nationales, telles l’AFD et la KFW allemande, se voyant confier la gestion de fonds européens moyennant des conventions de partenariat. Ainsi que le recommandent les évaluateurs, il serait particulièrement pertinent que sur les secteurs d’expertise française, notamment l’agriculture, la sécurité alimentaire, la santé, les opérateurs français soient incités à se positionner le plus fortement possible afin que les priorités de notre pays soient mieux mises en œuvre.

CONCLUSION

Au terme d’un an de travail, de nombreuses auditions et d’un déplacement au Cameroun, votre Mission a souhaité formuler ces quelques recommandations, avec l’ambition d’essayer de définir un nouveau paradigme sur lequel refonder la relation entre la France et l’Afrique francophone.

D’une certaine manière, la politique africaine de notre pays reste à inventer. Car, au-delà des réactions en urgence, des interventions militaires – avant-hier en Côte d’Ivoire, hier au Mali, aujourd’hui en Centrafrique, demain sans doute ailleurs – , malgré une aide au développement dont on se demande parfois si elle est vraiment une politique publique tant elle est immuable de gouvernement en gouvernement, l’ambition de notre pays vis-à-vis de ce continent reste à définir. On a en effet quelque difficulté à lire une stratégie, on peine à voir le rôle que la France prétend jouer à long terme en Afrique, simplement pour accompagner les pays francophones sur les deux axes majeurs que sont la stabilité et le développement, qui le concernent aussi au premier chef ; à savoir, simplement, comment la France se positionne, ne serait-ce que pour la défense de ses intérêts, pour l’influence qu’elle peut exercer et le bénéfice qu’elle entend garder de la profondeur stratégique que représente un ensemble unique d’une vingtaine de pays partageant avec lui la même langue et une histoire commune, avantage potentiel qu’aucune autre puissance ne possède dans cette région.

Aux yeux de votre Mission, les enjeux que le continent doit aborder justifient tout d’abord d’élever l’aide au développement au rang de pivot structurant de la politique africaine de notre pays. C’est ainsi que la France pourra proposer à ses partenaires africains une approche cohérente et mutuellement bénéfique, et qu’elle confortera son image. Il s’agit pour notre pays d’être digne, mais sans repentance, de cette histoire et de ce capital partagés, et de proposer de nouvelles règles communes, de nouvelles exigences aussi, fondées sur nos valeurs. Si elle sait porter une vision stratégique de long terme, qui contribue à la fois à la stabilité et au développement, la France restera proche de l’Afrique de demain.

SYNTHÈSE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

Redéfinir une politique africaine ayant le développement pour axe central

• Mettre les problématiques de développement au cœur de notre stratégie politique pour l’Afrique

• Recentrer les moyens de la politique d’aide au développement sur les pays les plus pauvres et notamment les plus fragiles

• Mener une politique d’influence reposant sur notre héritage commun

• Tenir un discours de vérité vis-à-vis à nos partenaires d’Afrique francophone

• Mettre la francophonie comme vecteur d’influence politique, culturelle et économique au rang des priorités principales

• Démilitariser progressivement la relation franco-africaine

• Promouvoir nos valeurs

• Resserrer les liens avec l’Afrique de demain

• Entretenir un dialogue politique plus soutenu avec les pays d’Afrique francophone

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Se recentrer sur l’essentiel

• Soutenir les processus endogènes de construction de légitimité des pouvoirs

• Renforcer notre soutien aux institutions étatiques, en donnant la priorité à la construction de capacités stratégiques des États

• Soutenir le renforcement des institutions régaliennes

• Redonner la priorité aux secteurs santé et éducation de base

• Soutenir les politiques d’emploi en secteur rural

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Des instruments réformés

• Instituer un ministère de plein exercice chargé de l’intégralité du pilotage de la politique d’aide au développement

• Suggérer la création d’une spécialité « politiques d’aide au développement » au sein de l’École d’affaires publique des Sciences Po

• Retrouver des marges de manœuvre financières pour pouvoir abonder notre politique bilatérale, en réduisant notre contribution au Fonds mondial sida

• Réactiver le Fonds de solidarité prioritaire

• Promouvoir des partenariats entre les entreprises et les postes diplomatiques

• Inciter la Commission européenne à recourir davantage aux États membres pour l’exécution du FED

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires étrangères a examiné le présent rapport d’information au cours de ses séances du mercredi 15 avril et du mercredi 6 mai 2015.

Réunion du 15 avril 2015

Après les exposés du président et du rapporteur, un débat a lieu.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci chers collègues pour ce travail considérable, très fouillé.

Nous voyons bien qu’à travers votre rapport et les travaux que nous ont rendu nos autres collègues, en dernier lieu ceux de MM. François Loncle et de Pierre Lellouche, qu’il existe des interrogations extrêmement profondes sur l’évolution du continent africain.

Il est important de sortir des effets de mode mais il faut également veiller à ne pas tomber d’un excès dans l’autre. Il est vrai que nous avons entendu ces derniers temps des expressions d’afro-optimisme sans doute excessives mais il ne faut pas non plus négliger l’extraordinaire potentiel de ce continent qui change le regard que le monde porte sur ces pays, notamment sur les pays francophones. Vous avez également raison d’affirmer, comme l’ont fait d’autres de nos collègues, que le problème de la croissance démographique est un sujet absolument majeur.

Vos analyses sur les systèmes de santé et d’éducation sont pertinentes, il est incompréhensible et insupportable que nous en soyons là. Vous avez analysé les causes de ces dysfonctionnements. Les politiques dites d’ajustement structurel imposées par les institutions internationales pour réduire la dette de ces pays ont leur part de responsabilité. Mais, vous avez également eu raison d’insister sur la mal gouvernance, pour employer un terme pudique, de mettre des mots sur la réalité et de parler de corruption.

Nous devons porter un regard et une analyse lucide sur les dégâts que ces politiques ont générés vis-à-vis d’une jeunesse confrontée à la prolifération de la propagande et de l’intégrisme islamiste.

Votre rapport souligne que la démocratie est loin d’être enracinée en Afrique. C’est un processus qui demande du temps surtout dans les pays confrontés aux difficultés économiques et sociales que vous avez abondamment présentées. La France doit avoir un discours équilibré sur ce sujet, un discours qui ne soit ni complaisant, ni sentencieux. Il faut saisir toutes les subtilités des situations sans jamais renoncer bien sûr à nos valeurs.

Vous affirmez qu’une réforme de notre politique d’aide au développement est nécessaire et que les crédits doivent être réorientés vers la santé et l’éducation et si possible accrus. Naturellement, sur la gouvernance, je partage entièrement votre point de vue. Nous insistons sur ces sujets depuis un certain temps auprès des ministres et lors des débats budgétaires.

Mais, faut-il pour autant créer un ministère de plein exercice chargé de l’aide au développement comme vous le recommandez ? Très franchement, j’ai des doutes là-dessus. J’entends les avantages que représenterait un rehaussement de notre représentation et le bénéfice pour nous d’avoir un interlocuteur plus régulier pour le Parlement. Mais, il faudrait en réalité que votre politique d’aide au développement soit véritablement intégrée comme une des toutes premières priorités de notre politique étrangère. Je ne suis pas persuadée qu’en tronçonnant notre politique nous ayons plus d’efficacité sur le terrain. Les impulsions données et l’action de nos ambassadeurs sont primordiales et au Mali notre ambassadeur s’est vraiment investi. Aussi, notre attention doit se porter sur les mécanismes que nous mettons en place afin de mesurer l’efficacité de notre aide au développement et les absences de déperdition. Je suis donc sceptique sur cette proposition de création d’un ministère d’aide au développement.

Le rapport insiste beaucoup sur les problèmes liés à ce que vous appelez la militarisation de la politique africaine. Evidemment, il faut absolument que notre politique africaine ait pour but de permettre aux pays africains de se prendre en charge à tout point de vue, même s’il s’agit d’une politique à moyen ou long terme. Ces pays doivent prendre en charge leur développement, compte tenu des richesses qui existent, et gérer leur propre problème de sécurité. Il serait utile, et la France a beaucoup insisté là-dessus et continue à le faire, de mettre sur place une force d’intervention militaire africaine. On a l’impression que ce sujet évolue dans le bon sens et l’Organisation de l’unité africaine a pris de bonnes décisions. Il faudrait encourager, engager et même demander à nos partenaires de l’Union européenne de pouvoir à la fois, comme cela se fait au Mali, aider au financement de cette force et à sa formation. Même si elle est mise en place, et il faut agir en ce sens de manière résolue, la France restera pendant longtemps un recours et nous ne pouvons pas échapper à cette réalité.

Au Mali, la recherche d’une réconciliation est importante. Les accords d’Alger ont-ils été bouclés trop rapidement ? Il existe des débats sur ce point mais je pense que ces accords sont un acquis. Pour la première fois existe la perspective de voir certaines tribus du Nord entrer dans un processus de pacification.

M. Pierre Lellouche. Merci Madame la Présidente et merci de la liberté avec laquelle vous avez laissé les députés travailler, aussi bien pour M. Loncle et moi-même sur la situation sécuritaire, que pour nos collègues. Je vous invite à conserver la même liberté dans la publication des rapports. Je pense que notre pays a besoin de vérité sur ces sujets.

Ce matin, des informations entendues à la radio, j’ai retenu d’un côté que la disparition d’Alcatel risquait d’entraîner des pertes d’emplois, que des ouvriers d’une usine de plasturgie essayaient de se mobiliser afin de sauver leur entreprise qui est rapatriée en Allemagne, et de l’autre côté que 700 immigrés étaient morts dans des radeaux qui arrivent d’Afrique. On prévoit l’arrivée d’un million d’immigrés clandestins en Europe au cours de l’année. Ces arrivées sont gérées dans un désordre absolu entre la France et l’Italie sur les responsabilités en matière de contrôle et de rétention. C’est dire si ces sujets africains sur lesquels nous avons beaucoup travaillé depuis deux ou trois ans sont fondamentaux. Je voudrai dire mon estime et ma reconnaissance à nos deux collègues d’avoir dit les choses avec beaucoup d’honnêteté. Nous nous retrouvons tous, au-delà des clivages politiques, sur ces sujets.

J’ai donné cette semaine une interview au quotidien l’Opinion dans laquelle je critiquais la militarisation de la politique française en Afrique et ses résultats peu convaincants. Je constate que mes collègues arrivent aux mêmes conclusions. Notre politique est dispendieuse en moyens et elle ne cible pas les besoins du continent. Michel Vauzelle m’en a voulu lorsque j’ai soulevé il y a quelques temps la question de la démographie africaine. Or il y a là un vrai combat à mener. Est-il raisonnable alors que ces pays doublent de population tous les vingt ans d’avoir une politique de sécurisation et qui consiste à maintenir au pouvoir les mêmes hommes politiques comme Paul Biya ? Nous sommes en train de recréer dans ces pays la même situation que celle qui existait dans le monde arabe avant la grande explosion.

Nous avons un devoir de vérité vis-à-vis de nos concitoyens et notre pays a besoin de s’interroger sur sa politique africaine. J’ai un doute sur l’idée de création d’un ministère mais cette proposition a l’avantage d’ouvrir le débat.

La réalité du terrain est à mille lieux de l’afro-optimisme que nous vendait Lionel Zinsou lorsqu’il s’est exprimé devant notre commission. Lorsque 80% des enfants ne sont pas du tout scolarisés, les chances qu’ils s’en sortent ne sont pas terribles sauf à se diriger vers l’immigration ou à être recrutés par des milices.

Un point qui manque dans le rapport, et qui pourrait être utile, est un comparatif avec l’Afrique non-francophone. Je constate qu’il existe des pays et des régions qui évoluent, le Ghana ça marche et de même une partie de l’Afrique lusophone commence à décoller très fort comme au Mozambique. Aussi, la façade africaine à l’Est marche sans parler du Sud. Évidemment, il existe des pays où la situation est très difficile, l’héritage belge est une catastrophe et l’Afrique du Sud est dans une situation très compliquée. Nous devons nous interroger par rapport à ces pays qui décollent. C’est un devoir de salubrité publique que de dire ces choses et de le dire avec des arguments très fondés comme vous le faites, sur une base bipartisane, et de nous inviter à travailler sur comment en sortir.

Il faut avoir le courage de remettre en cause certaines mauvaises habitudes que l’on a appelé la France-Afrique. La France-Afrique c’est plus complexe que le simple copinage politique. La France-Afrique ce sont également des habitudes bureaucratiques, des fléchages d’argent au mauvais endroit à la suite de la demande de lobbies. À l’arrivée, les résultats sont mauvais. Notre incapacité à réaliser un travail de pédagogie sur la question démographique par exemple, y compris au niveau des chefs d’État est un vrai problème. Lorsque l’on dit aux chefs d’État que leur politique démographique n’est pas tenable, ils affirment qu’ils le savent mais qu’ils n’ont pas le courage de la faire évoluer. Le combat, si nous ne le menons pas, personne ne le fera. Il se réglera sur les radeaux de l’immigration ou dans le terrorisme.

Donc un grand merci et un grand encouragement pour que l’on continue. J’espère qu’il y aura d’ici la fin de la législature une vraie phase de débat sur les options pour l’Afrique. Il s’agit d’un vrai sujet stratégique pour notre pays. Merci à notre présidente d’avoir ouvert ce débat en toute liberté et il faut maintenant le prolonger sur la place publique. Nous sommes l’Assemblée nationale et nous ne devons pas avoir peur de prendre position. Nous ferons progresser les esprits si nous avons le courage de dire ces choses-là devant les Français.

M. Bernard Lesterlin. Pour ma part, je souhaite exprimer une inquiétude sur le recul considérable de la francophonie dans les pays d’Afrique francophone. Nous ne nous en rendons pas compte parce que nous sommes aveuglés par nos contacts avec une élite qui maîtrise le français, diplomates, responsables politiques et intellectuels. Cependant, le niveau de maîtrise du français au sein des populations est atterrant. Si cette tendance se prolonge, plus personne ne parlera français dans vingt ans. Il nous faut réagir. Nous pourrions adjoindre aux recommandations de ce rapport le développement des échanges de jeunes entre la France et ces pays. Nous devons faire un effort pour accueillir plus de jeunes engagés dans la vie sociale et économique de ces pays, et pas seulement des candidats de Campus France qui représentent une certaine élite.

Mme Seybah Dagoma. Votre diagnostic est accablant, et contraste avec les conclusions plutôt encourageantes du rapport sur l’Afrique anglophone paru l’année dernière. Je souhaite ouvrir le débat sur le franc CFA, monnaie des pays

d’Afrique de l’ouest alignée sur l’euro. Ce lien induit une évolution monétaire déconnectée de la conjoncture africaine, ce qui est problématique. Les dirigeants africains ne devraient-ils pas réfléchir à une alternative ? Faut-il couper tout lien entre les monnaies africaines et l’euro ? Faut-il mettre fin à l’union monétaire régionale des pays de la zone franc ?

M. André Schneider. Je partage l’essentiel des interrogations et préconisations de ce rapport. J’ai pour ma part conduit avec mes collègues François Rochebloine et Philippe Baumel une mission au Cameroun en juin 2014. Entre cette visite et celle que le rapporteur a effectuée plus récemment, a-t-on le sentiment d’une dégradation de la situation ? Je crois que vous n’avez critiqué, de tous les présidents africains, que le Président Biya : il me semble que c’est un peu problématique.

M. Boinali Saïd. J’ai le sentiment, à travers vos exposés, que les Etats africains ne sont pas parvenus à se défaire totalement de l’ordre de la colonisation. Je me demande si, dans les recommandations que vous énumérez, nous ne sommes pas encore dans la reproduction de ce système, faute d’avoir bien identifié les forces et faiblesses pour construire l’avenir.

M. Pouria Amirshahi. Je voudrais faire quelques réflexions. D’abord, Je rejoins Seybah Dagoma dans ses interrogations sur le franc CFA. Si les États de l’ouest africain veulent pouvoir relever le défi du développement, ils doivent s’unir et s’allier pour recouvrer une pleine souveraineté économique et agricole ; cela passe par la maîtrise de leur monnaie. Ensuite, je crois que les grands ensembles peuvent être des cadres pertinents pour tirer les États vers le haut dès lors que l’un d’entre eux peut jouer le rôle de locomotive. Je pense par ailleurs que nous devons davantage insister sur la géopolitique de la langue : nous devons nous unir entre francophones du monde entier, avec des moyens et des outils adaptés. Je vous renvoie aux conclusions de notre rapport. Je crois que nous ne pouvons avoir une politique de développement efficace que si elle est concentrée sur la reconstruction des pays les plus fragiles. Enfin, je souhaite revenir sur la question de la démographie. Nous sommes de plus en plus nombreux à souligner cet enjeu, mais j’insiste sur le fait que cette problématique n’est pas liée à l’islam mais à la pauvreté. La situation de l’Iran l’illustre bien : le taux de fécondité y est passé de sept enfants par femme à moins que nous aujourd’hui. Il en va de même au Maroc et en Tunisie : les taux sont en baisse. Dans les pays très pauvres, les femmes ont beaucoup d’enfants parce qu’elles ne savent pas combien survivront, cela se comprend aisément.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je partage l’observation de Pouria Amirshahi. Le rapport a le mérite de démonter un certain nombre de lieux communs, mais il y en a d’autres que nous devons combattre.

M. Jean-Pierre Dufau. Je salue un rapport lucide dont les maitres-mots sont le pari sur l’intelligence et le respect. Il s’inscrit dans la continuité des débats que nous avons eus dans le cadre de la loi sur le développement et la solidarité internationale, notamment sur les priorités et sur l’équilibre à trouver entre le bilatéral et le multilatéral. L’action multilatérale donne souvent le sentiment que tout est fondu. Mais, lorsque de vrais enjeux arrivent, notamment sécuritaires, il devient difficile de susciter une dynamique multilatérale et la France se retrouve souvent seule, ce que le rapport montre bien. Sur la question de la « militarisation » jugée excessive de notre politique africaine, le rapport est juste mais il est aussi très sévère : la France ne souhaite pas cette militarisation mais la subit.

Je suis également d’accord avec l’insistance sur l’importance de l’État de droit, qui doit être conciliée avec le respect de nos partenaires. En effet, il ne suffit pas de poser les standards pour que les problèmes soient résolus. Il faut savoir agir dans le partenariat en respectant nos interlocuteurs. L’échec des accords de partenariat économique de l’Union européenne avec l’Afrique ou de démarches comme celle de l’OMC est lié à une prise en compte insuffisante des partenaires.

Comme les rapporteurs, je pense aussi qu’il faut parier sur l’intelligence, donc donner la priorité à la santé et à l’éducation. La lutte contre de nombreux fléaux passe par là. S’agissant toutefois des perspectives de la francophonie, il faut éviter une vision trop mécanique : la progression démographique des pays africains n’entraînera une progression égale du nombre de francophones que s’il y a un sérieux effort sur l’éducation. Pour conclure sur cet aspect, je crois que le développement nécessite surtout de la coopération mais j’éviterai d’insister sur ce terme qui est aujourd’hui tabou.

Sur le plan sécuritaire, le rapport évoque la « militarisation » de notre action mais le constat est un peu contradictoire. Quelle autre réponse pouvons-nous apporter à certains enjeux du court terme ? Comment pourrions-nous mieux impliquer la communauté internationale ? Celle-ci est très allante sur certains thèmes mais il y a d’autres choses sur lesquelles elle ne veut jamais s’impliquer : comment pourrions-nous concevoir des sortes de « paquets » avec lesquels nous aurions une implication internationale même sur les problématiques difficiles ?

M. Lionnel Luca. Cinquante-cinq ans après les indépendances, le bilan est accablant. C’est paradoxal, car longtemps nous avons dit que, si l’indépendance algérienne avait été ratée, les indépendances africaines avaient été plutôt réussies. Nous avons effectivement eu après ces indépendances un certain nombre de leaders africains qui avaient du charisme et avec lesquels nous avons maintenu de bonnes relations. Mais tout cela s’est dégradé avec leurs successeurs. Aujourd’hui, nous devons bien constater que les autres pays africains – ceux qui ne sont pas restés sous le parapluie de la France – connaissent généralement une évolution plus favorable. Il faudrait aujourd’hui parler « des » Afriques : l’Afrique anglophone, l’Afrique lusophone, etc. : c’est là qu’est le développement et non en Afrique francophone. Pire, quand certains pays de l’Afrique francophone connaissent une certaine croissance économique, malheureusement cela ne sert généralement à rien pour le véritable développement, par exemple l’éducation.

La recommandation de « démilitariser » notre action en Afrique me paraît être un vœu pieu, tant que nous aurons dans les pays africains ce type de système. Prenons l’exemple du Nigéria : si ce pays était francophone, il est évident que l’armée française y serait intervenue. Bref, cette recommandation ne me paraît pas réaliste.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. J’ai moi-même exprimé de grandes réserves sur cette question.

M. Gwenegan Bui. Ce rapport a le mérite d’être franc et de créer un débat entre nous. Je pense qu’aujourd’hui, nous devons dire clairement ce que nous pensons et utiliser les marges de manœuvre qui sont propres à la diplomatie parlementaire : nous ne sommes pas le ministère des affaires étrangères. Parler clairement constituerait un soutien appréciable pour tous ceux qui se battent pour la démocratie en Afrique. Ce serait également important pour nos concitoyens. Nous ne devons pas nous étonner que les moyens pour l’aide au développement se réduisent quand les Français considèrent de plus en plus que cette aide n’est pas utile. Un rapport anguleux qui aurait un impact médiatique serait utile.

Faut-il pour notre politique de développement un ministère de plein exercice ? Je n’ai pas sur ce point l’expérience de tous nos collègues, mais je constate que, dans les débats interministériels, l’Afrique est toujours en queue des priorités. Par ailleurs, nos diplomates sont souvent conformistes : par exemple, ce n’est pas eux que je vois prendre l’initiative de dire qu’on pourrait redéployer certains des fonds que nous consacrons à la lutte contre le sida. Enfin, quand je pense à nos perpétuels échanges avec l’AFD, il serait peut-être bon d’avoir un pilotage fort par une autorité politique sur les différentes agences de ce type.

Sur la question de la « démilitarisation » de notre action, je suis partagé : devons-nous laisser arriver n’importe quoi en Afrique ? Le pendant de cette proposition, c’est la nécessité d’aider l’Afrique à se prendre en charge. Sur ce point, je m’interroge sur notre capacité à aider les pays africains à construire leurs armées. Laissons-nous assez de place aux Africains dans nos écoles militaires ? Je suis allé au Congo avec Philippe Baumel et on nous a demandé si on pouvait faire passer de un à deux le nombre d’officiers de ce pays qui pouvaient être accueillis à l’École de guerre : cela n’a pas été possible ! Cette question est-elle discutée dans le rapport ?

M. Jean-Claude Guibal, président de la mission. Je commencerai par répondre de manière générale aux différentes remarques et questions. Je dresserai ce constat rustique que l’Afrique est notre sud et que l’Afrique est une bombe. C’est une bombe d’une part sur le plan démographique, car la croissance économique n’arrivera jamais à y contenir la croissance démographique, avec toutes les conséquences que l’on sait en termes d’immigration, c’est une bombe d’autre part sur le plan de la pauvreté qui ne va cesser d’y croître et d’y créer de l’instabilité. Concernant la démographie, je me souviens de telle anthropologue pour qui les sociétés africaines ont une habitude historique de la vulnérabilité et luttent contre cette vulnérabilité par la fécondité. L’Islam radical se greffe sur ce substrat traditionnel et rajoute ses préceptes religieux.

Dans nos relations avec l’Afrique, la conception du pouvoir me semble jouer un rôle central. La colonisation, les organisations de l’après-guerre, ont développé une conception du pouvoir dur (« hard power »), alors qu’on pourrait se trouver d’avantage dans une approche d’influence (« soft power »), faite de dialogue avec les sociétés civiles en même temps que de relations d’État à État. J’ai par ailleurs le sentiment qu’il existe en Afrique francophone un système de double pouvoir : celui mis en place pour répondre aux attentes des bailleurs de fonds avec des institutions et des élections, et un pouvoir plus traditionnel qui dispose d’une vraie légitimité. La colonisation comme la période plus récente n’ont pas posé la problématique entre pouvoirs formels et pouvoirs réels. Nous aurions, je crois, intérêt à faire davantage appel aux africanistes, aux chercheurs et en particulier aux anthropologues, pour asseoir nos stratégies sur une meilleure compréhension de l’Afrique.

Beaucoup d’entre vous ont formulé des objections sur la proposition de limiter le rôle des interventions militaires dans nos relations avec l’Afrique. Il est clair que les pouvoirs africains ont laissé s’aggraver la paupérisation de leurs armées. De ce fait, mettre sur pied des forces africaines efficaces est souhaitable mais difficilement réalisable. Sur le court terme, l’intervention militaire est donc souvent indispensable.

Nous n’avons pas fait de comparaison entre une Afrique anglophone qui réussirait et l’Afrique francophone. Nous nous sommes contentés d’analyser si la francophonie et l’influence française expliquaient des différences de développement et il nous a semblé que non. Ce qui compte le plus dans les différences de performances c’est l’appartenance à des aires géographiques plus ou moins bien loties. Cela étant, le comportement de l’ancien colonisateur a eu une influence. La conception française de l’État protecteur a été mise en œuvre dans ces États mais de manière biaisée, compte tenu de ces doubles pouvoirs dont je parlais, où l’État est plus un paravent plus qu’une réalité.

M. Philippe Baumel, rapporteur. Je veux préciser d’abord qu’à aucun moment dans le rapport nous ne condamnons les interventions militaires françaises récentes. Mais on ne peut pas se satisfaire de ces réactions d’urgence. Il faut savoir que les forces françaises sont parfois perçues comme des forces d’occupation, quand on s’imaginerait qu’elles apparaissent comme des forces de libération. Il faut faire attention à ce que l’image de l’ancienne puissance coloniale ne soit pas à nouveau instrumentalisée négativement, surtout quand les effets de l’aide au développement sont faibles. La France ne doit pas être perçue uniquement comme une force d’intervention.

Notre mission n’avait pas pour objet de dresser la comparaison avec les pays anglophones. Il y a de grandes différences de peuplement et de logique économique et il faut donc relativiser la comparaison.

La question du Franc CFA est importante. Il est le fruit de l’indépendance des États. Il faut être nuancé car il a aussi servi de filet face à des crises. La Cote d’Ivoire n’aurait pas pu repartir aussi vite en l’absence de cette monnaie commune, car elle aurait dû faire face à une dévaluation et de l’inflation. C’est donc un outil qu’il faut savoir préserver, tout en élargissant peut-être sa gouvernance pour qu’elle soit davantage partagée.

André Schneider a critiqué notre analyse de la situation du Cameroun, qui est une situation particulière, mais je ne crois pas que nous ayons rien dit d’inaudible ou d’inacceptable sur ce pays.

Concernant les questions institutionnelles, je souscris à l’image utilisée par Jean-Claude Guibal. Il y a eu des avancées, avec la mise sur pied de parlements, parfois d’un bicaméralisme, mais cela a peu changé la réalité des pays. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain et que la démocratie n’est pas adaptée à ces pays. Mais il faut comprendre pourquoi les populations ne considèrent pas les institutions et les élus comme leurs vrais représentants, mais comme des descendants d’une caste ou parfois d’une famille.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je voudrais vous remercier pour ce travail considérable, fondé sur de très nombreuses auditions et de grande qualité. Vous avez posé un regard lucide et pertinent sur des sujets problématiques pour l’avenir de l’Afrique et je me réjouis que nous ayons pu avoir une discussion très franche sur la politique africaine de la France. Il est donc très utile que ce rapport soit rendu public.

Nous savons tous que la Commission des affaires étrangères ne se prononce pas sur le contenu du rapport mais seulement sur l’autorisation de sa publication. Néanmoins, il faut aussi, s’agissant de la politique étrangère de notre pays, faire particulièrement attention à la formulation et à la tonalité de ce rapport. Je souhaite que notre Commission puisse en autoriser la publication après que vous l’ayez enrichi et précisé à la lumière des remarques qui ont été formulées au cours de notre réunion. Je le relirai avec une grande attention et souhaite que nos collègues puissent en faire autant avant de procéder au vote sur l’autorisation de sa publication.

Le vote sur l’autorisation de la publication du rapport d’information est reporté à une date ultérieure.

Réunion du Mercredi 6 mai 2015

Mme la présidente Élisabeth Guigou. S’agissant de la publication du rapport de la mission d’information sur l’Afrique francophone, vous vous souvenez que Philippe Baumel et Jean-Claude Guibal, respectivement rapporteur et président de la mission, nous ont présenté ce rapport le 15 avril dernier.

J’ai estimé à l’issue de cette réunion qu’il était préférable de reporter le vote sur l’autorisation de publication de ce rapport. En effet, il me paraissait utile que le rapporteur puisse enrichir son projet à la lumière des remarques qui avaient été formulées par plusieurs de nos collègues au cours de la réunion. Il est vrai que formellement, d’après le règlement de l’assemblée, un rapport n’engage que ses auteurs, c’est-à-dire le rapporteur et les membres de la mission d’information, et non pas la commission. Celle-ci ne vote pas sur le contenu du rapport mais se borne à autoriser ou non sa publication. Cette autorisation de publication a une portée limitée mais malgré tout importante car elle a pour but d’empêcher la publication de propos diffamatoires à l’égard de tiers ce qui, je le souligne, n’était pas le cas en l’espèce. Cependant, cette subtilité juridique concernant l’autorisation de la publication échappe en général aux observateurs extérieurs. Par conséquent, si certaines orientations du rapport ne réunissent pas un consensus au sein de la commission, il me paraît qu’il n’est pas illégitime que les membres de la commission demandent à ce que le rapporteur prenne en compte les observations exprimées au cours de la réunion de présentation.

Aussi, il m’a semblé que s’agissant d’un rapport publié par la commission des affaires étrangères, il est légitime de bien réfléchir aux conséquences diplomatiques que pourraient avoir sa publication, même si, bien entendu, nous sommes habitués à ne pas nous émouvoir des réactions que peuvent provoquer un rapport lorsqu’il comporte des analyses de fond tout à fait fondées.

Concernant la nouvelle version du rapport, modifié à la marge il faut le rappeler, Philippe Baumel et Jean-Claude Guibal ont fait un travail de précision.

M. Philippe Baumel, rapporteur. Je voudrais brièvement rappeler les principaux axes de ce rapport.

Nous avons beaucoup débattu ensemble il y a plus d’une dizaine de jours sur la présentation de ce rapport. L’idée n’était pas de créer une polémique mais de faire un certain nombre de propositions et de préconisations afin d’essayer d’ouvrir un champ nouveau dans la relation entre notre pays et les pays d’Afrique centrale et du Sahel.

J’ai vu la polémique fleurir dans la presse mais sincèrement je pense que l’essentiel n’était pas là. L’essentiel était d’aller plus avant sur une analyse de notre relation avec ces pays qui est trop souvent dans la réaction et pas suffisamment dans l’anticipation. Nous avons essayé de démontrer que la France avait une expertise exceptionnelle sur l’Afrique, dont nous sommes peut-être le seul pays à disposer. Ainsi, c’est parce que nous avons cette expertise qu’il était urgent et nécessaire d’envisager d’autres formes de coopération, au niveau gouvernemental notamment, afin d’essayer de nourrir une autre relation avec l’ensemble des pays africains.

Nous avons essayé de nous poser la question à la fois du bilan de nos politiques et de ce que pourrait être une autre relation de développement. Nous proposons de faire en sorte de fixer des objectifs à l’horizon de 2030 ou de 2050. Aussi, il faudrait parfois inciter à une forme de planification afin d’éviter les aléas de politiques qui évoluent au gré des alternances et faire en sorte que l’argent que nous dépensons sur ce type de stratégie soit un peu plus pertinent et un peu plus utile.

Nous tenions à rappeler que sur des questions essentielles comme la santé et l’éducation les objectifs que nous nous fixons ne sont pas tenus. C’est parce que nous avons eu ce souci de sincérité que nous avons été en capacité de montrer qu’il y avait d’autres possibilités et d’autres chemins possibles. Voilà ce que nous avons voulu faire.

Je tiens à préciser que sur la question des interventions militaires de la France à l’étranger, qui a créé un peu de polémique, à aucun moment nous n’avons regretté ces interventions. Nous avons même écrit dans le rapport que c’était l’honneur de la France d’avoir su agir rapidement même si elle était trop souvent seule, malheureusement. Pour autant, nous ne devons pas nous en tenir là. N’être que dans la réaction militaire permet une réponse rapide à une situation de crise mais ces crises ont souvent des racines bien plus profondes qui sont liées au mal développement, à l’inégalité de répartition des richesses et à l’absence de véritable création de richesse dans un certain nombre de ces États.

Nous avons reformulé un certain nombre de passages sur certaines relations bilatérales et sur la situation dans divers pays africains qui étaient quelque peu accablants.

Concernant le chapitre sur la légitimité des États, notre but n’était pas de porter une analyse trop acerbe sur la situation institutionnelle d’un certain nombre d’États d’Afrique noire. Mais, il s’agissait de démontrer que malgré les efforts de démocratisation et la création d’institutions, que ce soit la création d’assemblées nationales et de sénats, de commissions de suivi et d’organisation des élections, on constate que l’essentiel du pouvoir n’est pas dans ces institutions. L’essentiel du pouvoir, depuis la décolonisation, demeure entre les mains d’un système souvent lié au président. Le théâtre démocratique ne constitue pas l’effectivité du pouvoir dans un certain nombre d’États. Ce sont des faits que cela nous plaise ou pas. À mon avis, il fallait décrire cette situation afin d’essayer de l’analyser et pour essayer d’avoir nous-mêmes une vision différente de thématiques que nous avons tous promues depuis une cinquantaine d’années mais qui, à l’aube du XXIème siècle, méritent un autre regard.

Nous avons essayé, modestement, d’être utiles avec ce rapport. Bien sûr il a pris un peu de relief mais après tout il n’est pas plus mal qu’un rapport de l’Assemblée nationale en prenne un peu.

M. Jean-Claude Guibal, président. Je tiens à souligner que nous avons élaboré ce rapport en parfaite harmonie avec Philippe Baumel. Nous y avons apporté quelques modifications pour le rendre plus lisse pour des lecteurs extérieurs, en particulier ceux qui sont concernés par ce que nous disons. Avec ce rapport, nous voulions rappeler quelques réalités essentielles. Il est à la mode de parler de l’Afrique comme le nouveau continent émergent. En réalité, beaucoup de pays africains sont extrêmement vulnérables, font face à des difficultés immenses : il nous paraissait nécessaire de le dire.

M. Noël Mamère. Je n’ai malheureusement pas pu assister à la présentation de ce rapport le 15 avril dernier. Cependant, il me semble excellent, et je ne comprends pas qu’il doive faire l’objet d’un second examen par la commission. Il me semble qu’il y a dans notre pays une séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif, et que nous sommes en droit d’avoir un regard critique sur la politique africaine de la France. Les observations que vous faites, singulièrement sur l’aide au développement, nous aurions pu les faire depuis plusieurs décennies. Force est de constater qu’aujourd’hui, notre aide aux pays les moins avancés a reculé, et que la présence française dans une partie de l’Afrique est avant tout militaire et militaro-humanitaire. Cela ne correspond pas aux nécessités de notre rayonnement et à la dette que nous avons envers ces pays. Cette dette, c’est celle de l’esclavagisme, puis de la colonisation, enfin de l’exploitation des richesses naturelles de ces pays, en particulier de l’uranium au Niger. À l’heure actuelle, nos interventions militaires font de nous les obligés de régimes peu recommandables, qu’il s’agisse du Tchad ou même de l’Algérie, dont nous avons obtenu le survol du territoire pour notre opération au Mali. Pour une fois qu’un rapport ne se contente pas d’enfiler les lieux communs comme des perles, je pense que nous devons vraiment le publier et même en assurer une large diffusion.

M. François Loncle. Je suis, moi aussi, très attaché à la publication de ce rapport, dans la mesure où notre vote ne signifie pas une adhésion sur le fond, et que nous ne pouvons que reconnaître le travail considérable accompli par ses auteurs. En revanche, si nous devions voter sur le fond, je n’apporterais pas mon suffrage. Aussi pertinentes que soient certaines de vos analyses, le rapport me semble déséquilibré, car bien trop négatif. Je suis absolument contre l’« afro-pessimisme ». Je partage avec vous certains constats : je les ai moi-même faits au retour de notre déplacement avec Pierre Lellouche dans les pays du Sahel, au mois de mars. Mais dans l’ensemble, il y a dans ce rapport des accents un peu donneurs de leçon, une forme d’arrogance qui pourrait s’apparenter à du néocolonialisme.

M. Pierre Lellouche. Je suis pour que nous puissions nous exprimer en toute liberté, y compris sur des sujets sensibles. Je vous l’avais exprimé au cours de la réunion précédente, Madame la Présidente, et je vous avais même félicité pour avoir toujours entretenu et favorisé ce climat de liberté dans nos débats. Mais j’ai par la suite appris que vous aviez demandé à ce que ce rapport soit lissé, voire réécrit, pour certaines de ces parties. Et à présent, vous nous demandez de voter sur un rapport dont la substance a été altérée. Je ne peux l’admettre. Les députés sont libres ; le politiquement correct ne peut guider les travaux de notre commission. Nous devons soutenir Philippe Baumel et Jean-Claude Guibal qui ont beaucoup travaillé sur ce rapport ; cela ne vous engage pas et engage encore moins le Gouvernement français. Je vais devoir m’abstenir sur ce nouveau texte, alors même que j’en approuve le fond !

M. Jacques Myard. Cela me rappelle un précédent d’un de vos prédécesseurs qui avait refusé que la Commission publie un rapport. Mal lui en prit, puisque je l’ai publié chez un éditeur. En tant qu’anarchiste de droite et voltairien, je trouve effectivement regrettable que l’on demande des réécritures. Il est hors de question que ce rapport ne soit pas publié sinon je me demande bien ce que c’est la liberté du travail parlementaire et tant pis si cela choque certains partenaires africains.. Ce n’est pas la première fois que l’on a des problèmes comme ceux-là. Personnellement je suis pour des relations étroites avec ce grand continent qui va devenir de plus en plus prégnant dans les relations internationales et pour ce qui nous concerne. Il est évident qu’il faut publier ce rapport. Chacun peut dire ce qu’il en pense dans une annexe qui n’engage que lui-même.

M. André Schneider. Je voudrais dire que le fond du travail, les objectifs, et l’analyse du rapport sont extrêmement pertinents. Je m’interroge seulement sur la mise en cause de la légitimité de certains chefs d’états africains. Je ne suis pas particulièrement convaincu que cela arrange les relations internationales de la France, notamment avec un pays d’Afrique centrale sur lequel nous mettons de l’espoir pour les années à venir dans cette zone. Je me félicite que le rapporteur et le président aient modifié leur projet sur ce point.

M. Mariani. Je trouve que le procédé des rapports mixtes « majorité-opposition » est excellent et que c’est dommage qu’il y ait une sorte de réécriture. Il y a une séparation des pouvoirs. Le rôle de l’assemblée, c’est aussi de dire ce qu’un gouvernement ne peut pas dire, qu’il soit de gauche ou de droite. Si par moment il y a des épithètes ou des qualificatifs pas très aimables sur certains, cela reflète néanmoins les opinions des rapporteurs. C’est donc un précédent qui me gêne.

M. Dupont-Aignan. Je trouve surréaliste ce terme de lissage et de réécriture. Il y a une séparation des pouvoirs. C’est l’honneur des parlementaires de pouvoir écrire ce qu’ils ont envie d’écrire. Lorsque j’ai rédigé le rapport sur les paradis fiscaux avec Monsieur Bocquet, j’ai refusé toute modification et nous avions été d’une grande fermeté.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Les modifications qui ont été apportées l’ont été par le rapporteur et le président et n’ont été dictées par personne d’autre. Je ne peux pas accepter que vienne de façon récurrente l’idée que, parce qu’on exprime une opinion, on est la voix du gouvernement dans cette assemblée. J’ai le droit moi-aussi, ainsi que plusieurs de mes collègues, d’avoir une opinion qui n’est pas celle des rapporteurs, de l’exprimer, et de laisser libre choix aux rapporteurs de la prendre en compte ou pas. C’est exactement ce qui a été fait. Personne n’a dicté au rapporteur et au président les quelques réécritures qui ont été faites. Ils l’ont fait de leur propre chef.

J’ai souligné l’extrême qualité de ce rapport, qui a auditionné de très nombreuses personnes et qui dit les choses de manière franche. En revanche, il m’a semblé, et je l’ai dit aux rapporteurs, que je trouvais qu’il y avait certaines formulations qui pourraient avoir un effet contre-productif. Mais le président et le rapporteur ont été extrêmement libres. Il n’a jamais été question dans mon esprit de ne pas autoriser la publication du rapport. J’ai simplement demandé qu’on se donne plus de temps avant de publier un rapport qui allait certainement provoquer des réactions.

Ce qui a été fait a permis, je pense, d’éviter qu’il y ait des propos contre-productifs sur le message délivré, mais rien n’a été modifié sur le fond. Je veux dire d’ailleurs à Noël Mamère que les critiques à propos de l’aide au développement n’ont pas été modifiées.

Bien entendu je vous propose d’autoriser la publication de cet important rapport, sachant que dès lors qu’il donne une vision assez pessimiste, je ne doute pas que nous ayons des réactions, mais après tout tant mieux s’il suscite un débat constructif.

La commission autorise la publication du rapport d’information.

ANNEXE

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Les membres de la Mission d’information souhaitent adresser leurs plus sincères remerciements à l’ensemble des personnalités et experts qu’ils ont rencontrés au cours de leurs travaux.

1) À Paris

– MM. Yves Boudot, directeur Afrique, et Benoît Verdeau CRG Afrique, accompagnés de M. Hervé Gallèpe, chargé des relations parlementaires, Agence française de développement, (5 février 2014)

– M. Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’ouest, OCDE, (9 avril 2014)

– M. Hugo Sada, ancien délégué à la paix, à la démocratie et aux Droits de l’Homme de l’Organisation internationale de la francophonie, OIF, (16 avril 2014)

– M. Emmanuel Grégoire, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), (30 avril 2014)

– M. Jean-Christophe Belliard, directeur Afrique, ministère des affaires étrangères et du développement international, (7 mai 2014)

– M. Pierre Duquesne, ambassadeur chargé des questions économiques de reconstructions et de développement, accompagné de M. Daniel Schlosser, adjoint, (21 mai 2014)

– M. Alexandre Marc, expert principal pays en crise, accompagné de Mme Cristina Mejia, conseillère relations extérieures France, Bureau parisien de la Banque mondiale, (21 mai 2014)

– M. Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS, (4 juin 2014)

– M. Jean-François Valette, ancien ambassadeur de France au Congo, (11 juin 2014)

– M. Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France en République Démocratique du Congo, président du GRET, chercheur associé à l’IRIS, (11 juin 2014)

– M. Jacques Champagne de Labriolle, ambassadeur de France au Nigeria, (18 juin 2014)

– M. Henri-Bernard Solignac Lecomte, chef de l’Unité Afrique, Europe, Moyen-Orient de l’OCDE, (25 juin 2014)

– M. Olivier Ray, économiste, chef de l’unité Pays fragiles, AFD, accompagné de Mme Zolika Bouabdallah, chargée des relations parlementaires, (2 juillet 2014)

– Vice-amiral d’escadre Marin Gillier, directeur de la coopération de sécurité et de défense, ministère des affaires étrangères et du développement international, accompagné du colonel Bertrand de Reboul, chef de la mission Afrique subsaharienne, et du capitaine Cyril Robinet, chargé de mission, (9 juillet 2014)

– M. Yves Gounin, conseiller d’État, ancien conseiller juridique du Président de la République du Sénégal, (9 juillet 2014)

– M. Saïd Abass Ahamed, directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement sur la paix en Afrique, (23 juillet 2014)

– M. Laurent Viguié, sous-directeur Afrique occidentale, ministère des affaires étrangères et du développement international, (10 septembre 2014)

– M. Olivier Lafourcade, ancien directeur des opérations de la Banque mondiale, président du conseil d’administration d’Investisseurs et Partenaires développement, (10 septembre 2014)

– M. Philippe Errera, directeur des affaires stratégiques, ministère de la défense, accompagné de Mme Patricia Lewin, chef de cabinet, du directeur et du colonel Nicolas Jovanovic, (17 septembre 2014)

– MM. Etienne Giros, président délégué du CIAN, Stephen Decam, secrétaire général, et Mme Alix Camus, secrétaire générale adjointe, (24 septembre 2014).

– M. Lionel Zinsou, président de PAI Partners, (1er octobre 2014)

– M. Carlos Lopes, secrétaire général adjoint des Nations Unies, secrétaire exécutif de la commission économique pour l’Afrique, accompagné de M. Carl Manlan, assistant, (7 octobre 2014)

– M. Sébastien Minot, sous-directeur Afrique centrale, ministère des affaires étrangères et du développement international, (8 octobre 2014)

– M. Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale de l’International Crisis Group, (21 octobre 2014)

– M. Jean-Marc Châtaigner, directeur général-adjoint de la mondialisation, ministère des affaires étrangères et du développement international, ancien ambassadeur de France à Madagascar, (22 octobre 2014)

– M. Bruno Losch, économiste, directeur de recherches au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), (5 novembre 2014)

– MM. Jean-Bosco Bazié, directeur général d’Eau-vive, Philippe Morié, responsable du pôle « Afrique » du Secours catholique, Philippe Jahshan, délégué aux actions de coopération internationale de Solidarité Laïque et Michel Colin de Verdière, président du GRDR, (19 novembre 2014)

– Mme Séverine Bellina, directrice de l’Institut de recherche sur la gouvernance, (26 novembre 2014)

– M. Jean-Pierre Dozon, anthropologue, directeur de recherches à l’IRD et directeur d’études à l’EHESS, (26 novembre 2014)

– Mme Dominique Kérouédan, professeure, médecin, experte en politiques et stratégies internationales de santé des pays en voie de développement, École des affaires internationales de Sciences Po, (3 décembre 2014)

– M. Laurent Bigot, ancien sous-directeur d’Afrique de l’Ouest au ministère des affaires étrangères et du développement international, consultant, (16 décembre 2014)

– M. Alain Antil, responsable du programme Afrique subsaharienne, IFRI, (17 décembre 2014)

– Mme Hélène Le Gal, conseillère Afrique du Président de la République, accompagnée de M. Thomas Melonio, adjoint, (7 janvier 2015)

– M. Serge Michailof, ancien directeur à la Banque mondiale, ancien directeur à l’AFD, consultant, enseignant à Sciences Po, (14 janvier 2015)

– M. Justin Vaïsse, directeur du centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des affaires étrangères et du développement international, accompagné de M. Karim Ben Cheikh, chargé de mission sécurité régionale, (14 janvier 2015)

– MM. Jean Pierre Marcelli, directeur Afrique de l’AFD, Philippe Chedanne, directeur-adjoint, Jean-Benoît Perrot-Minnot, coordonnateur géographique Cameroun et République Centrafricaine, Olivier Ray, responsable de la cellule prévention des crises et sorties de conflits, et Foulques Chombart de Lauwe, responsable de la division « relations avec les élus et les acteurs économiques », accompagnés de Mme Zolika Bouabdallah, chargée des relations avec le Parlement, (20 janvier 2015)

– M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, (21 janvier 2015)

– Mme Marie-Emmanuelle Pommerolle, maître de conférence, directrice de l’IFRE de Nairobi, (21 janvier 2015)

– M. Richard Banégas, professeur de science politique à Sciences Po, ancien directeur de la revue Politique africaine, (3 février 2015)

– M. Joseph Brunet-Jailly, économiste, consultant, ancien directeur de recherche à l’ORSTOM et à l’IRD, enseignant à Sciences Po, (10 février 2015)

– M. Christian Seignobos, géographe, directeur de recherche émérite à l’IRD, (11 février 2015)

– M. Arnaud Buissé, sous-directeur des affaires financières internationales, direction générale du Trésor, accompagné de M. Benoît Jonveaux, adjoint au chef de bureau Multifin 2 « Afrique subsaharienne et AFD » à la direction générale du Trésor, (11 mars 2015)

– MM. Assane Diop, journaliste à Radio France Internationale, Christophe Boisbouvier, journaliste à RFI et à Jeune Afrique et Jean-Pierre Bat, archiviste-paléographe historien, responsable du fonds Foccart à la direction des archives nationales, chroniqueur à Libération, (24 mars 2015)

2) Au Cameroun (du 25 au 31 janvier 2015)

a) à Douala (du 25 au 27 janvier 2015)

– M. Joël Renou, consul général

– MM. Mohamed Abdoulaye Diop, directeur régional, Arnaud Bouhier, Bolloré Africa Logistics et Quentin Gérard, directeur général de Camrail

– Mme Elisabeth Medou-Badang, directrice générale d’Orange

– M. Joseph Beti Assomo, gouverneur de la Région du Littoral

– Dr. Fritz Ntone Ntone, délégué du Gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Douala

– Mme Élise Pokossi Doumbe, députée, RDPC

– M. Jean-Pierre Battermann, directeur général de TOTAL,

– Mme Marie-Andrée Ngwe, présidente de la section Cameroun des CCEF

– M. Jean-Pierre Ekindi, ancien député, président du Mouvement progressiste

– M. Jean-Michel Nintcheu, député, vice-président du groupe parlementaire SDF

– Monseigneur Samuel Kleda, archevêque métropolitain de Douala

b) à Yaoundé (du 28 au 30 janvier 2015)

– Mme Christine Robichon, ambassadrice de France

– M. Jérémie Robert, premier conseiller, ambassade de France

– Colonel Christian Janus, attaché de sécurité intérieure près l’ambassade de France

– Colonel Patrick Bengler, attaché de défense près l’ambassade de France, chargé de la mission de coopération de défense

– M. Pascal Maccioni, chef du service économique régional « Afrique centrale », ambassade de France

– M. Régis Dantaux, conseiller de coopération et d’action culturelle, directeur de l’IFC

– M. Grégoire Owona, ministre du Travail et des Affaires sociales

– M. Amadou Ali, vice-Premier ministre, ministre des relations avec le parlement

– M. Djibril Cavaye Yeguie, président de l’Assemblée nationale

– M. Jean-Baptiste Bokam, secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense, chargé de la Gendarmerie Nationale

– M. Louis-Paul Motaze, secrétaire général des services du Premier ministre

– M. Jean-Claude Mbwentchou, ministre du Développement Urbain et Habitat

– M. René Emmanuel Sadi, ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation

– M. Joseph Dion Ngute, ministre délégué auprès du Ministre des relations extérieures chargé de la coopération avec le Commonwealth

– Mmes Najat Rochdi, coordonnatrice résidente du système des Nations Unies au Cameroun et représentante résidente du PNUD et Françoise Collet, ambassadrice, chef de la délégation de l’Union européenne, MM. Racine Kane, représentant résident de la Banque africaine de développement et Gregor Binkert, directeur régional des opérations, Banque Mondiale

– Mme Marie-Rose Ada Owona, députée, vice-présidente du groupe parlementaire d’amitié Cameroun-France à l’Assemblée nationale, accompagnée d’une délégation de membres du groupe d’amitié

– M. Sali Daïrou, député, président de la commission de la défense nationale et de la sécurité à l’Assemblée nationale, membre du bureau politique du RDPC

– M. Martin Mbarga Nguele, délégué général en charge de la sûreté nationale

– M. Guibaï Gatama, directeur de la publication du journal L’œil du Sahel

– M. Mathias-Éric Owona Nguini, politologue, coordinateur scientifique de la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale, rédacteur en chef de Enjeux

– M. Emmanuel Nganou Djoumessi, ministre de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire

– M. Philippe Miquel (GDF/Suez) et Mme Karine Migliorini (EDF)

– M. Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence de la République

1 La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () Jeune Afrique, n ° 2822, 8-14 février 2015, page 3 ; « Ce que je crois »

3 () Sylvie Brunel, « L’Afrique est-elle si bien partie ? » Éditions Sciences humaines, septembre 2014

4 () Sont membres de l’Organisation internationale de la francophonie les pays africains suivants : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Guinée équatoriale, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Tchad, Togo

5 () Audition du 11 mars 2015

6 () « Le développement économique en Afrique : catalyser l’investissement pour une croissance transformatrice en Afrique », Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, 4 juillet 2014, TD/B/61/4

7 () Banque africaine de développement, OCDE, PNUD, « Perspectives économiques en Afrique 2014 ; Les chaînes de valeur mondiales et l’industrialisation de l’Afrique », page 25

8 () Perspectives économiques en Afrique 2014 page 81

9 () « Afrique subsaharienne : maintenir le cap », FMI, Études économiques et financières, Perspectives économiques régionales, octobre 2014, page 6

10 () Perspectives économiques en Afrique 2014, op. cit., pages 26-27

11 () http://www.developpement-durable.gouv.fr/Historique-du-cours-du-Brent-date.html

12 () Entretien à Jeune Afrique, « L’économie du Gabon est assez solide pour résister au choc pétrolier », 5 mars 2015

13 () Audition du 25 juin 2014

14 () L’Union économique et monétaire ouest africaine réunit le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo

15 () CVM : Chaînes de valeur mondiales

16 () Ministère de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, « Cameroun vision 2035 », page 26

17 () Ibid.

18 () Banque africaine de développement, « Étude économique et sectorielle ; développement des infrastructures au Congo », novembre 2011, page V

19 () Joseph Brunet-Jailly, audition du 10 février 2015

20 () François Grünewald, « Étude sur les zones à faible densité, étude de cas « Mali », Rapport pour la Banque mondiale, 17 avril 2014

21 () Perspectives économiques en Afrique 2014

22 () Audition du 7 octobre 2014

23 () Audition du 1er octobre 2014

24 () Audition du 25 juin 2014

25 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé

26 () Audition du 30 avril 2014

27 () Parmi les pays d’Afrique francophone, seuls sont moins bien classés : les Comores, 142e, la Guinée, 145e, la République centrafricaine 150e, le Congo, 152e, la RDC et le Tchad, 154e ex aequo, et le Burundi, 159e ; source: www.transparency.org

28 () Sylvie Brunel, op. cit., page 35

29 () Perspectives économiques en Afrique 2014, pages 80 et 82

30 () Audition du 11 mars 2015

31 () Audition du 9 juillet 2014

32 () Audition du 1er octobre 2014

33 () Rapport 2013 sur les Objectifs du Millénaire pour le développement, cité par Perspectives économiques en Afrique 2013, 2014, OCDE, page 98

34 () Source : « Une nouvelle ruralité émergente ; Regards croisés sur les transformations rurales africaines », Atlas pour le programme Rural Futures du NEPAD, CIRAD, page 26

35 () Source : « Dynamiques de croissance et de population en Afrique subsaharienne », Agnès Chevallier et Maëlan Le Goff, Panorama du CEPII, Juillet 2014, page 8

36 () Agnès Chevallier et Maëlan Le Goff, ibid ; page 8

37 () Perspectives économiques en Afrique 2014, page 103

38 () Source, Perspectives économiques en Afrique 2014, page 104

39 () Programme d’action d’Istanbul en faveur des PMA, « Suivi des résultats et évaluation des avancées en faveur des PMA (2011-2020) – rapport de synthèse », septembre 2014, www.ldc4monitor.org

40 () Source : Les cahiers d’Afrique de l’Ouest, « Un Atlas du Sahara-Sahel ; Géographie, économie et insécurité », Club du Sahel, OCDE, octobre 2014

41 () Perspectives économiques en Afrique 2014

42 () Source : « Une nouvelle ruralité émergente ; Regards croisés sur les transformations rurales africaines », Atlas pour le programme Rural Futures du NEPAD, CIRAD, page 26

43 () Source : « Une nouvelle ruralité émergente ; Regards croisés sur les transformations rurales africaines », Atlas pour le programme Rural Futures du NEPAD, CIRAD, page 32

44 () Perspectives économiques en Afrique 2014

45 () http://www.oecd.org/fr/sites/rpca/reunions/Releve_Conclusions%20RPCA%20Lome_FR.pdf ; Réunion restreinte du réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA) au Sahel et en Afrique de l’Ouest, 2-4 mars 2015, Lomé, (Togo), relevé des conclusions

46 () Source : Comité permanent Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel ; http://www.cilss.bf

47 () Sylvie Brunel, « L’Afrique est-elle si bien partie ? », op. cit., page 36

48 () PNUD, République démocratique du Congo, « Rapport national sur le développement humain 2014 ; Cohésion nationale pour l’émergence du Congo », décembre 2014, pages 209-210

49 () Banque africaine de développement, « L’Observatoire de l’Afrique de l’ouest », n° 5, janvier 2015

50 () Source : BAD, « L’Observatoire de l’Afrique de l’ouest », ibid.

51 () Banque africaine de développement, ibid., page 5

52 () Audition du 10 février2015

53 () Banque africaine de développement, op. cit., page 16

54 () Save the Children, « A Wake-up Call: lessons from Ebola for the World’s health systems », mars 2015

55 () OMS, Rapport de situation sur la flambée de maladie à virus Ébola, 15 avril 2015 ; le bilan détaillé par pays est de 4 486 décès au Liberia, 3 857 en Sierra Leone, 2 346 en Guinée ; s’y ajoutent 8 décès au Nigeria, 6 au Mali et 1 aux États-Unis

56 () Une étude récente estime que l’épidémie d’Ébola pourrait bien avoir des conséquences en cascade, compte tenu de la chute de la couverture vaccinale contre les autres maladies infectieuses comme la rougeole, la poliomyélite ou l’hépatite B, qui a considérablement réduit la protection de la population. Jusqu’à 16 000 décès supplémentaires pourraient par exemple se produire en cas d’épidémie de rougeole.

57 () Save the Children, op. cit.

58 () Jeune Afrique économie, 20 janvier 2015

59 () Jeune Afrique, 20 janvier 2015

60 () Jeune Afrique économie, 8 octobre 2014

61 () Jeune Afrique économie : « Le naufrage silencieux du tourisme au Sénégal », 9 février 2015

62 () Source : OMS ; http://www.who.int/csr/disease/ebola/fr/

63 () Banque africaine de développement, op. cit., page 36

64 () Audition du 3 décembre 2014

65 () Banque africaine de développement, op. cit., page 36

66 () Ibid.

67 () Dominique Kérouédan, « Géopolitique de la santé mondiale », Leçon inaugurale, Collège de France, 14 février 2013 ; http://books.openedition.org/cdf/2291#bodyftn110

68 () Banque mondiale, rapport sur le développement dans le monde, « Investir dans la santé », 1993, page 163

69 () Étude réalisée par l’ONG Œuvre malienne d’Aide à l’Enfance du Sahel, OMAES, dans le cadre du Programme d’évaluation des apprentissages scolaires par la société civile au Mali, « Ce que nos enfants savent lire et calculer », Rapport annuel Bèèkunko 2013. (Données communiquées par Joseph Brunet-Jailly lors de son audition le 10 février 2015)

70 () PNUD, « Rapport national sur le développement humain, édition 2014 ; gouvernance socioéconomique, politique, sécuritaire et résilience à la crise 2012 au Mali : enjeux et perspectives », septembre 2014, pages 81-82

71 () Joseph Brunet-Jailly, audition du 10 février 2015

72 () Infra, pages 95 et suiv.

73 () Source : « Dynamiques de croissance et de population en Afrique subsaharienne », Agnès Chevallier et Maëlan Le Goff, Panorama du CEPII, Juillet 2014

74 () PNUD Cameroun, « Rapport national sur le développement humain ; le rôle du capital humain », 2013, page 50

75 () PNUD, Ibid., page 53

76 () Source : PNUD, ibid., page 51

77 () http://hdr.undp.org/en/content/table-1-human-development-index-and-its-components

78 () Le Conseil économique et social de l’ONU considère comme PMA les pays dont la population n’excède pas 75 millions d’habitants et répondant à trois types de critères : revenu par habitant moyen compris entre 992 dollars et 1190 dollars ; indice de capital humain, déterminé sur la base des indicateurs de nutrition, de santé, de scolarisation et d’alphabétisation ; indice de vulnérabilité économique, établi sur les indicateurs suivants : chocs naturels ; chocs commerciaux ; exposition physique aux chocs ; exposition économique aux chocs ; petite taille économique ; éloignement économique. Le CES des Nations Unies révise la liste des PMA tous les trois ans, à la lumière des recommandations du Comité des politiques de développement. La liste actuelle comprend 49 pays : Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bénin, Bhoutan, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Comores, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Haïti, Îles Salomon, Kiribati, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Népal, Niger, Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République démocratique populaire lao, République-Unie de Tanzanie, Rwanda, Samoa, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Tchad, Timor-Leste, Togo, Tuvalu, Vanuatu, Yémen et Zambie

79 () Le cas de la Guinée équatoriale est particulier : PMA, elle figure cependant parmi les pays à développement humain moyen dans le classement du PNUD

80 () Jacques Champaud, « Le Sahel et la démocratie », Politique africaine, n° 47, Octobre 1992, pages 3-8

81 () http://hdr.undp.org/en/content/table-2-human-development-index-trends-1980-2013

82 () Audition du 11 juin 2014

83 () Audition du 22 octobre 2014

84 () International Crisis Group, « République centrafricaine : anatomie d’un État fantôme », rapport Afrique n° 136, 13 décembre 2007, annexe C

85 () Audition du 7 octobre 2014

86 () Georges Chaffard, « L’Afrique francophone dix ans après la loi-cadre », Le Monde diplomatique, juillet 1966

87 () ICG, « Burkina Faso : avec ou sans Compaoré, le temps des incertitudes », rapport Afrique n° 205, 22 juillet 2013

88 () Audition du 21 octobre 2014

89 () « République centrafricaine : anatomie d’un État fantôme », International Crisis Group, Rapport Afrique n° 136, 13 décembre 2007

90 () « Voyage au Congo », André Gide, 1927 ; « Terre d’ébène », Albert Londres, 1929 (réédition Arléa, 2012)

91 () Philippe Hugon « Les défis de la stabilité en Centrafrique », Les notes de l’IRIS, février 2014

92 () Rapport ICG, op. cit., pages 22-23

93 () Ibid., page 25

94 () « La République centrafricaine : le naufrage d’un État, l’agonie d’une nation », Didier Niewiadowski, janvier 2014 ; disponible sur Afrilex : http://afrilex.u-bordeaux4.fr/didier-niewiadowski.html ; Université Montesquieu, Bordeaux IV

95 () Audition du 21 octobre 2014

96 () Cyril Bensimon, « En RCA, les factions se disputent Bria et ses diamants », Le Monde, 16 décembre 2014

97 () International Crisis Group, « La face cachée du conflit centrafricain », Policy Briefing Afrique, n° 105, 12 décembre 2014

98 () Audition du 11 juin 2014

99 () Selon les sources, on a estimé le nombre de « décès excédentaires », c’est-à-dire de morts additionnels par rapport au taux standard de mortalité dans le Kivu entre 3,3 millions et pour l’ensemble du pays, sur la période allant de 1996 à 2007, à 5,4 millions le chiffre des morts dus aux conséquences des conflits au Congo. (Pierre Jacquemot, « Au Congo, les métastases du génocide rwandais », IRIS, avril 2014)

100 () Pierre Jacquemot, « Au Congo, les métastases du génocide rwandais », IRIS, avril 2014

101 () ICG, « L’or noir au Congo : risque d’instabilité ou opportunité de développement ? », Rapport Afrique n° 188, 11 juillet 2012

102 () Source : Point de presse conjoint de MM. François Hollande, Président de la République et Ban Ki-Moon, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, sur la situation au Mali et en Syrie, le nucléaire iranien et sur les relations franco-africaines, à Paris le 9 octobre 2012 ; http://discours.vie-publique.fr/notices/127001831.html

103 () International Crisis Group, « Burundi : du boycott électoral à l’impasse politique », rapport Afrique n° 169, 7 février 2011

104 () International Crisis Group, « Les terres de la discorde (II) : la réforme foncière au Burundi », rapport Afrique n° 213, 12 février 2014

105 () Jeune Afrique, 25 et 30 mars 2015 ; RFI, 29 mars 2015

106 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé

107 () Relatifs aux processus de Réforme du secteur de la sécurité, RSS, et de Désarmement, Démobilisation, Réintégration, DDR, encore incomplets, aux commandements parallèles qui subsistent, ou quelque 50 000 hommes encore exclus des processus et représentent potentiellement des facteurs de déstabilisation, ou à l’armée, qui reste divisée.

108 () ICG, « Côte d’Ivoire : le grand Ouest, clé de la réconciliation », rapport Afrique n° 212, 28 janvier 2014

109 () « Trente-cinquième rapport du Secrétaire général sur les opérations des Nations Unies en Côte d’Ivoire », Nations Unies S/2014/892, Conseil de sécurité, 12 décembre 2014

110 () Ibid.

111 () Le pays devrait compter 27 millions d’habitant en 2020 et 50 millions en 2050

112 () Jean-Pierre Chauveau, « La question foncière en Côte d’Ivoire et le coup d’État ou : comment remettre à zéro le compteur de l’histoire », avril 2000, www.iied.org

113 () ICG, « L’autre urgence guinéenne : organiser les élections », Briefing Afrique n° 106, 15 décembre 2014

114 () Perspectives économiques en Afrique 2014

115 () http://www.unhcr.fr/pages/4aae621d47b.html

116 () Jeune Afrique, « Crise au Mali : nouvelle réunion à Alger, la médiation internationale dans l’impasse », 14 avril 2015

117 () Rémi Carayol, « Terrorisme au Sahel : la stratégie de Sisyphe », Jeune Afrique, 24 mars 2015

118 () « Niger : un autre maillon faible dans le Sahel ? » International Crisis Group, Rapport Afrique n ° 208, 19 septembre 2013

119 () Bertrand Badie, « Plus on fera la guerre en Afrique, plus on la transformera en société guerrière », Le Monde, 21 mars 25013

120 () Audition du 26 novembre 2014

121 () Voir aussi Yann Bedzigui, « Les conflits en Afrique, une résolution improbable », Annuaire français des relations internationales, 24 juillet 2008

122 () Jean-Pierre Dozon, « L’Afrique à Dieu et à Diable, États, ethnies et religions », Éditions Ellipses, 2008, page 42

123 () Audition du 5 novembre 2014

124 () Richard Banégas, par exemple, audition du 3 février 2015, ou Séverine Bellina, audition du 26 novembre 2014

125 () Banque mondiale, « L’État dans un monde en mutation », Rapport sur le développement dans le monde, 1997, page 26

126 () Jean-Pierre Dozon, « L’Afrique à Dieu et à Diable », op.cit.

127 () Ce que Jean-Pierre Dozon qualifie d’« ONGisation de l’Afrique », op. cit., pages 52 et suiv.

128 () www.thelancet.com ; 22 décembre 2014

129 () 41.4 M$ pour la Guinée, 48,3 M$ pour le Liberia et 39,8 M$ pour la Sierra Leone. http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/survey/so/2014/new092614af.htm ; L’action du FMI en leur faveur a depuis été accrue ; elle combine un allègement de dettes de 100 M$ sur les 500 qui lui sont dus par les trois pays et prêts à taux zéro.

130 () Depuis 7 ans s’agissant de la Guinée

131 () Audition du 1er octobre 2014

132 () Audition du 16 avril 2014

133 () Rodrigue Nana Ngassam, « Après Blaise Compaoré, à qui le tour ? », www.diploweb.com, 11 novembre 2014

134 () Audition du 24 septembre 2014

135 () Anatole Ayassi, Ordre militaire et désordre politique », Le Monde diplomatique, janvier 2003

136 () Yann Bedzigui, ibid., page 166

137 () ICG, « Afrique centrale : les défis sécuritaires du pastoralisme », Rapport Afrique n° 215, 1er avril 2014

138 () Perspectives économiques en Afrique 2014, page 105-106

139 () Source : Banque mondiale, Groupe Fragilité, conflit et violence, « Relever les défis de la fragilité et de la sécurité en Afrique de l’Ouest », octobre 2014

140 () Audition du 25 juin 2014

141 () Bertrand Badie, op.cit.

142 () Audition du 26 novembre 2014

143 () Entretien avec Mathias-Eric Owona-Nguini, le 29 janvier à Yaoundé

144 () Infra, développements sur le Cameroun, pages 101 et suiv.

145 () Jean Fremigacci, « Madagascar ou l’éternel retour de la crise », Afrique contemporaine, 2014-3, pages 125 et suiv.

146 () Infra, pages 103 et suiv.

147 () Audition du 3 février 2015

148 () Audition du 7 octobre 2014

149 () Thérèse Locoh, « Famille dans la crise et politiques de population en Afrique de l’Ouest », Politique africaine, n° 44, 1991, page 81,

150 () « Les défis démographiques du Sahel », John F. May et Jean-Pierre Guengant, Études, n ° 4206, juin 2014, pages 7 à 17

151 () Jean-Michel Severino et Olivier Ray, « La métamorphose africaine : défi pour le monde », note n° 77, Fondation Jean Jaurès, 18 janvier 2011, pages 5-6

152 () Jean-Pierre Guengant, « Population, développement et dividende démographique au Tchad ; replacer la population au centre des trajectoires de développement », mars 2013, page 29

153 () Source : « Une nouvelle ruralité émergente », op.cit., page 16

154 () La population rurale a été multipliée par trois, la population urbaine a été multipliée au moins par 13, et celle de N’Djamena par 15

155 () Jean-Pierre Guengant, op. cit., page 29

156 () On estime qu’il a dû dépasser les 17 millions d’habitants en 2013

157 () Barbara M. Cooper, « De quoi la crise démographique au Sahel est-elle le nom ? », Politique africaine, n °130, juin 2013, pages 69-88

158 () Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, Rapport 2013 sur les Pays les moins avancés, « Une croissance créatrice d’emplois pour un développement équitable et durable », page 52

159 () Source : « Une nouvelle ruralité émergente », op.cit., page 36

160 () Jean-Pierre Guengant, op. cit., page 124

161 () Conférence idées pour le développement « Afrique 2050 : Agir sur ses évolutions démographiques », mardi 1er avril 2014

162 () “Economic convergence: The headwinds return”, The Economist, n ° 950, 13 septembre 2014

163 () Sylvie Brunel, op. cit. page 80

164 () Audition du 25 juin 2014

165 () Audition du 1er octobre 2014

166 () Audition du 5 novembre 2014

167 () Op. cit., page 52

168 () Audition du 10 février 2015

169 () Projet de recherche PERILA N-N, « Évaluation des risques au Niger et sur l’axe Niger-Nigeria », IFRA Nigeria/LASDEL Niger, juillet 2013, pages 25-31

170 () PERILA N-N, op. cit., page 46

171 () PERILA N-N, op. cit., pages 38 et suiv. « Jeunesse et accès à l’emploi : des incertitudes explosives »

172 () La Lettre du Continent, n° 700, « Imouraren : clap de fin pour le fiasco du siècle »

173 () Jeune Afrique, « Imouraren créera 6500 emplois », 20 mai 2009

174 () http://economie.jeuneafrique.com/index.php?option=com_content&view=article&id=24282

175 () Audition du 21 mai 2014

176 () Jean-Pierre Dozon, « L’Afrique à Dieu et à Diable », op. cit., page 85

177 () Abdoulaye Sounaye, « L’Islam au Niger : éviter l’amalgame », Humanitaire, 28/2011, http://humanitaire.revues.org/1023

178 () IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., page 21

179 () Abdoulaye Sounaye, ibid.

180 () Abdoulaye Sounaye, ibid.

181 () L’article 14 de ce projet de loi stipulait que « Quiconque aura contracté mariage avec une jeune fille en cours de scolarité sans autorisation préalable [d’un juge], sera passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 500 000 à 1000 000 francs CFA ou de l’une des deux peines seulement ». Cet article a suscité un tollé, dans un pays où nombre de parents considèrent que l’école est déstabilisatrice pour les filles et où de nombreuses jeunes filles en sont retirées pour être données en mariage ; http://www.ips.org/fr/niger-la-scolarisation-des-filles-confrontee-aux-croyances-socioculturelles/

182 () IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., « Crise de l’éducation publique et émergence de l’“ école religieuse ” », page 25 et suiv.

183 () Ne serait-ce que pour des raisons purement logistiques : ainsi, les agents des deux directions du ministère de l’éducation chargées de l’inspection disposent d’un véhicule pour leurs tournées, lequel n’est pas toujours approvisionné en carburant ; d’où des fréquences d’inspection très irrégulières

184 () Selon Joseph Brunet-Jailly, 70 % des enseignants nigériens n’ont que le niveau du BEPC ; audition du 10 février 2015

185 () Ibid., page 28

186 () Jean-Pierre Dozon, « L’Afrique à Dieu et à Diable », op. cit., page 117

187 () Gilles Holder, « ” Mon pays S.A.” : un certain retour sur la démocratie exemplaire du Mali et sa déraison islamique », juillet 2013 ; http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/mon-pays-sa-un-certain-retour-sur-la-democratie-exemplaire-du-mali-et-sa-deraison-islamique?d02

188 () IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., page 21

189 () Abdoulaye Sounaye : « La ” discothèque ” islamique : CD et DVD au cœur de la réislamisation nigérienne », www.ethnographiques.org ; numéro 22 – mai 2011

190 () ICG, « Niger, un autre maillon faible dans le Sahel ? », op. cit., page 44

191 () IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., « La menace Boko Haram et l’” izalaïsation ” de la société nigérienne », page 17

192 () IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., pages 18-19

193 () ICG, ibid., page 21

194 () Source : Les cahiers d’Afrique de l’Ouest, « Un Atlas du Sahara-Sahel ; Géographie, économie et insécurité », Club du Sahel, OCDE, octobre 2014

195 () ICG, « Cameroun : État fragile ? », rapport Afrique n° 160, 25 mai 2010

196 () ICG, « Cameroun : mieux vaut prévenir que guérir », Briefing Afrique n° 101, 4 septembre 2014

197 () Audition du 11 février 2015

198 () Voir aussi Christian Seignobos, « Le phénomène zargina dans le nord du Cameroun », Afrique contemporaine 3/ 2011, n° 239, pages 35-59

199 () Issa Saïbou, « L’embuscade sur les routes des abords sud du Lac Tchad », Politique africaine 2/ 2004, n° 94, pages 82-104

200 () Christian Seignobos, « Boko Haram et les monts Mandara ; Califat, islamisation de masse et motos chinoises », Afrique contemporaine, n° 252, (à paraître)

201 () Par exemple Mathias-Eric Owona Nguini, coordinateur scientifique de la Fondation Paul Ango Ela, entretien du 29 janvier 2015 à Yaoundé

202 () Entretien du 6 octobre 2014, http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2803p034.xml0/

203 () Entretien du 27 janvier 2015, à Douala

204 () Le ministre de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, Nganou Djoumessi, (entretien du 29 janvier 2015, à Yaoundé), précisera les projets sont d’ores et déjà en cours : six barrages, 120 000 ha de terres agricoles aménagées, reconstruction de toutes les écoles, investissements en matière de routes, d’eau, d’électrification. En tout, 94 projets sont prévus sur trois ans

205 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé

206 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé

207 () Audition du 21 janvier 2015

208 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé

209 () Il existe une controverse entre spécialistes sur la signification exacte de « Boko Haram ». L’expression est fréquemment traduite par « L’éducation occidentale est un péché » ; mais « Haram » renvoie plutôt à une notion d’interdit et de honte, comme le disait Amadou Ali. En haoussa, « Boko » concerne ce qui est de l’ordre de l’imposture

210 () Christian Seignobos, audition du 11 février 2015

211 () Programme d’action d’Istanbul en faveur des PMA, « Suivi des résultats et évaluation des avancées en faveur des PMA (2011-2020) – rapport de synthèse », septembre 2014, www.ldc4monitor.org

212 () Audition du 22 octobre 2014

213 () MAEE, Direction général de la mondialisation, du développement et des partenariats, « Coopération au développement : une vision française », document-cadre, décembre 2010

214 () CICID, Relevé de décision du 31 juillet 2013

215 () A la liste initiale ont été ajoutés le Rwanda, le Burundi et Djibouti. Le Rwanda a ultérieurement été supprimé.

216 () Création de l’AFETI, réforme du dispositif d’évaluation, notamment

217 () Sur cette enveloppe globale, le budget de la Mission APD voté par le parlement en loi de finances représente environ le tiers. Il s’établit dans le projet de loi de finances initial pour 2015 à 2,5 Mds€ d’autorisations d’engagement et 2,8 Mds€ de crédits de paiement

218 () Hervé Gaymard, Avis n° 2263, présenté au nom de la Commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2015, Aide publique au développement

219 () http://leadinggroup.org/rubrique322.html ; À la rubrique « De quelques idées reçues » du site du groupe pilote sur les financements innovants pour le développement, on peut toujours lire ceci : « Les financements innovants sont un prétexte pour ne pas respecter les engagements des États en matière d’aide publique au développement. FAUX ! Les financements innovants ont au contraire depuis l’origine été conçus comme des ressources complémentaires pour le développement, non comme un substitut à cette dernière, comme le précisent les déclarations adoptées aux Nations Unies ; (consulté le 24 mars 2015)

220 () Revue 2013 de la politique d’aide au développement de la France, CAD, OCDE, page 18

221 () Source MINEFI

222 () Richard Horton, “Offline: Challenging America’s hegemony in global health”, www.thelancet.com ; 3 août 2013

223 () Rapport d’information n° 3074, janvier 2011, « Bilatéralisme et multilatéralisme : rééquilibrage complémentarité intégration », Rapport de Nicole Ameline, au nom de la Mission d’information présidée par Jean-Paul Bacquet

224 () Cour des comptes, « Analyse de l’exécution du budget de l’État par mission et programme, exercice 2013, aide publique au développement, mai 2014 »

225 () « La politique française d’aide au développement et de solidarité internationale doit aider à la mise en œuvre de politiques d’éducation et de formation efficaces, à même de garantir l’acquisition des connaissances et la maîtrise des compétences nécessaires au développement autonome des populations et à leur pleine insertion économique, sociale et citoyenne dans la société. À ce titre, l’accès et le maintien des filles à l’école représentent un facteur fondamental de développement. Cette politique doit aussi contribuer aux objectifs de l’Éducation pour tous, en priorisant le soutien à l’éducation de base incluant les premiers niveaux du secondaire, l’importance du continuum éducatif de la petite enfance à la formation tout au long de la vie, le rôle primordial des équipes pédagogiques dans la dispense d’une éducation de qualité, notamment pour les populations marginalisées ou vulnérables. La France contribue également à ces objectifs à travers sa politique d’accueil et de formation d’étudiants étrangers sur son territoire. La politique de promotion et de soutien de la langue française est également un vecteur de la politique de développement. »

226 () Revue 2013 du CAD page 53

227 () http://stats.oecd.org/Index.aspx?datasetcode=CRS1

228 () Données communiquées par Solidarité laïque

229 () http://www.globalpartnership.org/content/gpe-donor-contributions

230 () http://www.educationpourtous.com/article-partenariat-mondial-pour-l-education-un-zero-pointe-pour-la-france-124045678.html

231 () Source : http://stats.oecd.org/Index.aspx?datasetcode=CRS1 (base de données statistiques du CAD de l’OCDE)

232 () OMD 4 : réduire la mortalité infantile ; OMD 5 : Améliorer la santé maternelle ; OMD 6 : Combattre le VIH/Sida, le paludisme et d’autres maladies

233 () Hervé Gaymard, op. cit.

234 () Audition du 3 décembre 2014

235 () Source : http://www.who.int/gho/child_health/mortality/causes/en/index.html ; (en anglais uniquement)

236 () Dr. Dominique Kérouédan, Dr. Gustavo Gonzalez-Canali, sous-directeur de la santé et du développement humain au MAEE, Dr. Hubert Balique, faculté de médecine de Marseille, ancien conseiller technique du ministre de la santé du Mali, Dr. Bruno Floury, ancien conseiller technique du ministre de la santé du Sénégal, « Santé et développement : cinquante ans de coopération française en Afrique », in « Mondes, Les Cahiers du Quai d’Orsay », 2011, pages 81-94.

237 () Source : http://stats.oecd.org/Index.aspx?datasetcode=CRS1

238 () Source MINEFI

239 () Voir François Grünewald, « Étude sur les zones à faible densité, étude de cas ” Mali ” », rapport 17 avril 2014

240 () Ainsi que le soulignait l’ICG, « La cascade des évènements au Mali est la conséquence conjointe de la fragilité des équilibres politiques échafaudés ces dernières années en dépit des rituels électoraux, des espoirs déçus de développement économique et social au Nord comme au Sud, du laxisme dans la gestion de l’État, et du choc externe sans précédent qu’a constitué la crise libyenne. Les relations du centre du pouvoir bamakois avec sa périphérie sous le régime d’ATT reposaient moins sur le renforcement institutionnel démocratique que sur un maillage lâche de relations personnelles, clientélistes, voire mafieuses, avec des élites régionales aux loyautés réversibles. Cette forme de gouvernement du Nord à faible coût pouvait absorber des actions d’opposition, y compris armées, d’ambition et de capacités militaires réduites. Elle s’est désintégrée face à une initiative rebelle que la crise libyenne a métamorphosée en quelques mois en un groupe armé puissamment équipé, et face à l’opportunisme de groupes islamistes qui ont accumulé ces dernières années une grande quantité d’armes grâce à l’argent des trafics transsahariens et à celui du commerce des otages occidentaux, tous fort lucratifs. » (ICG, « Mali : éviter l’escalade », rapport Afrique n° 189, 18 juillet 2012)

241 () Ferdaous Boulhel-Hardy, Yvan Guichaoua et Abdoulaye Tamboura, « Crises touarègues au Niger et au Mali », IFRI, séminaire, 27 novembre 2007

242 () Séverine Bellina, audition du 26 novembre 2014

243 () Audition du 21 mai 2014

244 () Selon les indications de Pierre Duquesne, à l’époque, sur les 3,3 Mds€ promis à Bruxelles, quelque 70-75 % des engagements avaient été tenus, tous bailleurs confondus. 45 % avaient été formellement décaissés, dont 350 M€ par des ABG. La France avait décaissé 70 M€ sur les 280 sur lesquels elle s’était engagée

245 () Audition du 17 décembre 2014

246 () Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, « Crise de l’État et territoires de la crise au Mali », EchoGéo, 27 mai 2013 ; www.echogeo.revues.org

247 () Gilles Holder, « ” Mon pays S.A.” : un certain retour sur la démocratie exemplaire du Mali et sa déraison islamique », juillet 2013, http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/mon-pays-sa-un-certain-retour-sur-la-democratie-exemplaire-du-mali-et-sa-deraison-islamique?d02

248 () Audition du 9 avril 2014

249 () http://www.msf.fr/actualite/articles/au-mali-aujourd-hui-aide-humanitaire-est-plus-jamais-necessaire ; 9 mars 2015

250 () Donald Cruise O’Brien, « La filière musulmane, Confréries soufies et politique et Afrique noire », Politique africaine, n° 4, décembre 1981, pages 26-27

251 () Assimi Fouanda, « Les conflits au sein de la communauté musulmane du Burkina : 1962-1986 », article dans « Islam et islamismes au sud du Sahara », Ousmane Kane et Jean-Louis Triaud (Ed.) Éditions Khartala, 1998, pages 83 et suiv.

252 () Muriel Gomez-Pérez, « Associations islamiques à Dakar », in « Islam et islamismes au sud du Sahara », op. cit., pages 137 et suiv.

253 () Boubou Cissé, Joseph Brunet-Jailly et Gilles Holder, « Au Mali, des islamistes largement soutenus », Le Monde, 25 janvier 2012

254 () Audition du 26 novembre 2014

255 () Audition du 14 janvier 2015

256 () Audition du 3 décembre 2014

257 () Audition du 10 septembre 2014

258 () Audition du 22 octobre 2014

259 () Audition du 5 novembre 2014

260 () Audition du 21 octobre 2014

261 () Audition du 2 juillet 2014

262 () Budget de l’action extérieure de l’État, programme 105, MAEDI

263 () Christophe Boisbouvier, Jeune Afrique, 10 mars 2014

264 () Remi Carayol, « Défense : Le Drian, ministre de l’Afrique » Jeune Afrique, 23 mai 2014

265 () Jeune Afrique, n° 2822, 8 février 2015, entretien avec François Soudan

266 () « Djibouti-France : Le Drian ira voir Guelleh », Jeune Afrique, 9 février 2015, www.jeuneafrique.com

267 () Audition du 8 octobre 2014

268 () Audition du 16 décembre 2014

269 () « La politique africaine de la France sous François Hollande, renouvellement et impensé stratégique », IFRI, 2014, pages 52-53

270 () Audition du 17 décembre 2014

271 () Audition du9 juillet 2014

272 () Audition du 11 mars 2015

273 () Ministère du commerce extérieur, « Coupler l’offre française à la demande des pays », Stratégie pour le commerce extérieur de la France, 3 décembre 2012

274 () Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino et Hakim El Karoui, « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France »

275 () Audition du 24 septembre 2014

276 () Source : Service économique régional de Yaoundé

277 () Source : Service économique régional de Yaoundé

278 () Audition du 16 décembre 2014

279 () Audition du 7 mai 2014

280 () Entretien du 26 janvier 2015, à Douala

281 () Rencontre du 29 janvier 2015, à Yaoundé

282 () Voir sur ce sujet Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, François Gèze, Ambroise Kom, Achille Mbembe et Odile Tobner, « La guerre coloniale du Cameroun a bien eu lieu », Le Monde, 4 octobre 2011

283 () Entretien du 30 janvier 2015

284 () Audition du 21 janvier 2015

285 () Table ronde avec Assane Diop (RFI) et Christophe Boisbouvier (Jeune Afrique ; RFI), le 24 mars 2015

286 () Audition du 3 février 2015

287 () Le 29 janvier 2015, à Yaoundé

288 () Table ronde avec Christophe Boisbouvier et Jean-Pierre Bat, le 24 mars 2015

289 () Audition du 26 novembre 2014

290 () Entretien du 29 janvier 2015, à Yaoundé

291 () Édouard Balladur, « la France et l’Afrique : une solidarité exigeante », Le Monde, 23 septembre 1993

292 () Lionel Zinsou, « De la croissance en Afrique », http://www.africafrance.org/a-propos/

293 () Audition du 5 novembre 2014

294 () Audition du 10 septembre 2014

295 () Paul Collier, « Fragile African States: What should Donors Do? » FERDI, mars 2014

296 () Serge Tomasi, « Demain l’aide…? » FERDI, janvier 2014 ; Serge Tomasi est aujourd’hui ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de la FAO

297 () http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/1710%28XVI%29&Lang=F

298 () Assemblée générale, résolution 2626, 24 octobre 1970

299 () Rapport d’information n° 3074, janvier 2011, « Bilatéralisme et multilatéralisme : rééquilibrage complémentarité intégration », Rapport de Nicole Ameline, au nom de la Mission d’information présidée par Jean-Paul Bacquet

300 () Rapport d’information n° 4431, 6 mars 2012, « Le Sahel pris en otage »

301 () Audition du 21 janvier 2015

302 () Noël Mamère et Michel Zumkeller, Rapport d’information n° 1535, Commission des affaires étrangères, novembre 2013, pages 139 et suiv.

303 () L’OHADA regroupe aujourd’hui 17 États : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, Guinée, Guinée équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad et Togo

304 () Op. cit., page 33

305 () Q – Quelle est votre réaction aux arrestations de plusieurs membres de collectifs citoyens à Kinshasa ? R – La France fait part de sa préoccupation après l’arrestation, le 15 mars à Kinshasa, de participants à un débat politique et de journalistes venus couvrir l’événement, parmi lesquels se trouvaient plusieurs ressortissants français qui ont ensuite été remis en liberté. Au seuil d’un cycle électoral essentiel pour la stabilité de la République démocratique du Congo et l’enracinement de la démocratie dans ce pays, nous réitérons notre attachement au respect des libertés publiques, notamment la liberté de réunion

306 () http://www.jeuneafrique.com/actu/20150316T162337Z20150316T162318Z/

307 () Pouria Amirshahi, « la francophonie : action culturelle, éducative et économique », rapport d’information n° 1723, janvier 2014

308 () Table ronde du 24 mars 2015

309 () « La politique africaine de la France sous François Hollande, renouvellement et impensé stratégique », op. cit., pages 45 et suiv.

310 () Jacques Denis, « « La jeunesse rebelle du Sénégal réveille l’Afrique de l’ouest : Taper sur un monde creux pour le faire résonner », le Monde diplomatique, avril 2015, pages 10-11

311 () David Commeillas, « Coup de Balai citoyen au Burkina Faso », Le Monde diplomatique, avril 2015, page 10

312 () Audition du 9 juillet 2014

313 () Audition du 26 novembre 2014

314 () Supra page 79

315 () Supra page 130

316 () Jean-Loup Amselle, « Un continent frappé par l’effondrement de l’État », Le Monde, 4 décembre 2013

317 () Supra, page 80, audition de Carlos Lopes, du 7 octobre 2014

318 () Séverine Bellina, Dominique Darbon, Stein Sundstøl Eriksen et Ole Jacob Sending, « L’État en quête de légitimité, sortir collectivement des situations de fragilité », Éditions Charles Léopold Mayer, 2010

319 () Audition du 9 juillet 2014

320 () Notamment les auditions de Bruno Losch, Joseph Brunet-Jailly et Serge Michailof

321 () Comité d’aide au développement, « Revue par les pairs de l’OCDE sur la coopération au développement, France 2013 », page 19 ; (souligné par votre rapporteur)

322 () Supra, page 72

323 () Supra, encadré, page 71

324 () Audition du 11 février 2015

325 () Pierre Jacquemot, « Cinquante de coopération française avec l’Afrique subsaharienne », Afrique contemporaine, 2011/2, n° 238, page 51

326 () Pierre Jacquemot, op.cit., page 51

327 () Audition du 14 janvier 2015

328 () Kako Nubukpo, CIRAD, « Quand la Banque mondiale s’attaque à la filière coton au Mali », janvier 2005, http://www.abcburkina.net/ancien/coton_act/coton_act_12.htm

329 () http://www.banquemondiale.org/fr/news/speech/2013/10/10/getting-africa-s-infrastructure-built-by-world-bank-vice-president-for-africa-makhtar-diop

330 () Source : PLF 2015, DPT, annexes, page 83

331 () SOFRECO, Christian Dessallien et Jean-Luc Perramant, « Évaluation de l’instrument ” Fonds de solidarité prioritaire “, rapport final », février 2014 ; DGM, MAEDI

332 () Ibid., page 70

333 () Source : ibid., page 74

334 () Ibid., page 73

335 () Source : Ibid., page 37

336 () op. cit., page 54

337 () Ibid., page 113

338 () Pierre Salignon et Hubert de Milly, « l’APD en période d’austérité : le développement au détriment des pays les moins avancés ?, www.euractiv.fr ; 8 octobre 2014

339 () Source : Ministère des finances ; (données octobre 2014)

340 () Décret n° 2006-1139 du 12 septembre 2006 sur le fonds de solidarité pour le développement pris en application de l’article 22 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 instaurant une contribution de solidarité sur les billets d’avion

341 () Décret n° 2013-1214 du 23 décembre 2013 portant modification du décret n° 2006-1139 du 12 septembre 2006 sur le fonds de solidarité pour le développement

342 () http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/22312-bollore-qoffreq-sa-premiere-bluezone-a-la-guinee.html

343 () Entretien du 26 janvier 2015 à Douala

344 () Audition du 24 septembre 2014

345 () Ernst & Young, MAEDI, « Évaluation de la contribution de la France au Fonds européen de développement », rapport final, juin 2014, page 71

346 () Ibid., page 72

347 () Ibid., page 73

348 () Ibid., page 105
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© Assemblée nationale 

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Kémi Séba © 2015
penseur panafricaniste, essayiste, chroniqueur politique TV/Radio  

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