jeudi 3 juillet 2014

Le tshukudu, la trottinette congolaise qui peut tout

jeudi 3 juillet 2014



Un jeune homme pose à côté de son tshukudu, une trottinette en bois, à Goma, le 19 juin 2014 afp.com - Junior D. Kannah

Cent cinquante tiges de canne à sucre, 300 kilos de pommes de terre, une trentaine de baliveaux d’eucalyptus ou huit gros sacs de charbon à livrer ? Sans doute habitez-vous Goma, dans l’Est de la République démocratique du Congo, et heureusement pour vous, il y a le tshukudu.

Sur les bords du lac Kivu, ces trottinettes en bois aux chargements improbables concourent à rendre la circulation de la ville joyeusement anarchique.

Comme les taxi-motos, on les voit partout, sur les grandes artères goudronnées comme dans les rues cahoteuses qui forment l’essentiel des voies de circulation de cette cité d’un million d’habitants frontalière du Rwanda.

Long de deux mètres, le tshukudu (prononcer : tchoukoudou) est doté d’un haut et large guidon. Compte tenu des charges qu’il transporte, habilement équilibrées sur la trottinette, le tshukudeur (conducteur de tshukudu) pousse son engin plus souvent qu’il ne patine.

A Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, une sculpture dorée géante rend hommage depuis quelques années au labeur de ces jeunes hommes et à cette invention locale.

La ville compte 1.500 tshukudeurs, selon leur syndicat professionnel. Pour des centaines d’entre eux, qui vivent alentours, la journée commence par le transport des produits agricoles cultivés dans les montagnes verdoyantes au nord de l’agglomération et qui alimentent ses marchés. C’est "la descente".

Une fois à Goma, ils assureront quelque commande ou reviendront chargés vers leur point de départ.

Jean-Marie Firiki se lève à quatre heures, mais sa descente s’arrête à Kibumba, à une trentaine de kilomètre au nord de Goma. Agé de 35 ans, il est tshukudeur à l’aube et constructeur de tshukudu la journée.

"Un tshukudu de qualité moyenne se vend 50 dollars", dit-il, mais "le prix d’un beau tshukudu peut atteindre 80 à 100 dollars", une somme au Congo, où la majeure partie de la population vit dans la misère extrême et où l’usage du billet vert supplante celui du franc congolais.

Pas de machine dans l’atelier qu’il partage avec d’autres artisans : comme la majeure partie du pays, Kibumba n’est pas électrifiée. On travaille le bois - ici de l’eucalyptus - à la scie égoïne, au ciseau à bois, au rabot et au papier de verre. Il faut deux jours à un artisan pour construire une patinette.

- Roulement à billes -

Kibumba se vante d’être le berceau du tshukudu. Paulin Barasiza travaille à côté de M. Firiki. Agé de 52 ans, il fait remonter "aux années 1973" la naissance de l’engin.

"Nos pères allaient vendre des patates et du tabac" sur un marché rwandais à quelques kilomètres, dit-il, "on y allait avec des brouettes, mais ce n’était pas efficace [...] et on s’est inspiré du modèle du vélo".

Les premiers tshukudus étaient tout en bois, et il fallait enduire plusieurs fois par jour le moyeu des roues d’huile de palme pour que l’engin roule.

Le ventes décollent en 1985-1990. La décennie suivante est marquée par les troubles inter-ethniques et les conflits régionaux qui vont dévaster le Kivu et qui saignent encore la province aujourd’hui.

C’est paradoxalement pendant cette période noire que le tshukudu connaît des améliorations notables : vieux pneus collés autour des roues en protection, utilisation d’un moyeu en métal et de roulements à billes, ajout de ressorts pour stabiliser la direction.

L’appareil couvre désormais des distances plus longues et peut supporter une demi-tonne. Certains modèles disposent d’un frein qui agit par frottement sur la roue arrière.

"Le tshukudu, c’est toute notre vie", témoigne Damas Sibomana, tshukudeur qui peut espérer gagner jusqu’à 10 dollars un bon jour.

Lorsqu’il descend un gros chargement jusqu’à Goma, il embauche deux ou trois pousseurs qu’il rémunère pour la journée. Grâce à un système d’entraide entre tshukudeurs, il a pu acheter un pré et une parcelle où construire sa maison.

Sa profession est bien considérée. Marier sa fille à un tshukudeur, c’est savoir qu’elle "ne va pas mourir de faim", dit Dany Kayeye, analyste politique qui fait figure d’historien local.

On ne compte plus d’ailleurs les exemples de tshukudeurs qui ont réussi. Au fil des années, nombre d’entre eux ont changé de braquet et sont devenus propriétaires de taxi-motos.
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L’Agence France-Presse (© AFP)

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