lundi 11 août 2014
C’est une question qui revient souvent, à l’aune de mouvements tantôt « libéraux », tantôt « réactionnaires », selon qu’on la défende ou la condamne, un peu comme les mouvements de houle qui donnent la nausée.
C’est une question à laquelle pratiquement aucun gouvernement ne peut (ne veut ?) répondre de manière uniforme et univoque, parce que le sujet est éminemment vaste et complexe (de réseaux transfrontaliers en réseaux « de luxes » au plus haut niveau) et parce que le sujet soulèvera toujours autant de boucliers contradictoires qu’une position ferme mais simple risque d’exacerber.
Aussi, rien d’étonnant à constater une énième proposition de loi sur la question qui ne va pas tout à fait au bout de ses prétentions, bien qu’il faille saluer la direction toujours plus constante de la France en la matière : l’abolitionnisme. Le mot est volontairement lourd de sens.
C’est que la prostitution, au-delà de la simple question sexuelle qui réveille les défenseurs de cette activité et les féministes en tout genre, est une pratique qui consiste tout simplement à exploiter le corps des êtres humains contre de l’argent.
Forte de son ambition de parvenir à une société sans prostitution (Résolution de l’Assemblée Nationale du 6 décembre 2011), la France, par le biais de son législateur, a déposé une proposition de loi le 29 novembre 2013.
Adoptée en 1ère lecture le 4 décembre 2013 et déposée au Sénat depuis lors, elle devrait bientôt être examinée par cette dernière chambre, probablement à la rentrée 2014.
La proposition de loi innove et créé la polémique sur trois points essentiels et l’on peut s’étonner et s’émouvoir de la réaction hostile à ces propositions :
1/ L’article 6 propose une aide à la sortie du système prostitutionnel : obtention d’une autorisation de séjour de 6 mois renouvelables pour toute personne étrangère victime du proxénétisme et qui veut en sortir.
Les victimes du proxénétisme, embarquées de force dans les réseaux de prostitution à travers les pays, qui réussissent à en sortir ne méritent-elles pas d’aide à en sortir efficacement et pour toujours ?
Ne méritent-elles pas la protection d’un Etat, de ses lois et de sa force publique pour empêcher ses anciens exploitants de la remettre dans le circuit ? Si la France, dans sa lutte contre la prostitution, souhaite offrir cette aide à ces victimes, on ne peut que saluer cette initiative, et encourager chaque Etat à faire de même.
Cependant, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a, dans son avis du 22 mai 2014 sur cette proposition de loi, émis une critique importante : elle regrette que l’asile ne leur soit pas accordé plus facilement alors même que la dénonciation des exploiteurs n’est plus une condition d’octroi du titre de séjour (ce que l’on peut comprendre pour permettre aux victimes d’oublier leur horrible passé et pour ne pas les exposer à des représailles), laissé aux bons soins de l’administration française…
2/ La proposition de loi prévoit également l’abrogation du délit de racolage passif et actif (article 225-10-1 du Code Pénal, loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure). Le délit avait pour but de cacher et de rendre invisible la prostitution, parce que « ça craint » dans le paysage et que c’est glauque à voir.
Quoi donc ? On défend la prostitution, on en permet l’exercice au nom des grandes libertés mais on ne veut surtout pas la montrer ? Les « clients » prônent la liberté des prostitué(e)s (enfin surtout la leur) mais ne veulent surtout pas être vus en train d’en utiliser ?
A l’heure d’une véritable lutte contre la prostitution, il était indispensable de supprimer un délit complètement inutile qui couvait le problème d’une bienveillance hypocrite (d’autant que le délit de racolage passif était quasiment impossible à constituer, donc doublement inutile).
3/ L’article 16 créé une contravention de 5ème classe contre toute personne ayant recours à la prostitution, avec peine d’amendes. Autrement dit, les « clients » se voient ainsi condamnés de payer un être humain en échange de pratiques sexuelles.
Les « clients » de personnes prostituées qui achètent des corps humains ne méritent-ils pas condamnation pour avoir considéré le corps humain d’autrui comme un bien de consommation, parfois avec violence, au même titre que ceux qui exploitent, vendent et louent ces corps ?
La pénalisation du "client" est bien le nerf central de la lutte contre la prostitution. Tant que l’on considérera normal qu’un corps humain puisse se vendre ou se louer, tant que l’on tolérera ceux qui consomment d’autres humains comme de vulgaires objets, tant que l’on ne condamnera pas ces « clients » pour leurs pratiques issues d’un manque total de respect pour la dignité d’autrui (qui achète un corps humain n’a aucun respect pour la valeur de celui-ci), les mentalités sur la prostitution et l’exploitation d’autrui ne changeront jamais et la prostitution ne disparaîtra jamais.
Oui, la demande fait l’offre en l’espèce. Parce que c’est là que la prostitution est née : de la volonté égoïste, sans aucune considération des désirs d’autrui, d’obtenir des relations sexuelles sans avoir à obtenir le consentement de l’autre, mais uniquement contre de l’argent, en exploitant l’infériorité (économique, physique….) de l’autre.
La question de la prostitution semble obtenir le consensus général lorsqu’elle est exercée en réseaux : tout le monde s’accorde alors à dire qu’il faut la supprimer si elle est le fait de réseaux qui exploitent d’autres personnes pour en récolter les contre-prestations monétaires (II).
Mais cette indignation de façade s’effondre lorsque l’on propose de pénaliser la prostitution en elle-même (III) et de condamner ses « clients » (IV). Mais avant même d’étudier ces angles d’attaque, il convient de cerner le problème (I).
© Christian Hartmann / Reuters
I La prostitution de qui ?
Lorsqu’on évoque la prostitution, tout le monde pense aux femmes. La prostitution se définit principalement aux yeux du public comme une activité que seules les femmes font : « la personne prostituée est une femme ».
Aussi, sans surprise, la proposition de loi actuelle appréhende le phénomène par les femmes, comme une atteinte, une violence faite aux femmes. Prisme trop étroit que regrette la CNCDH puisque c’est ne pas prendre en compte le phénomène dans sa globalité, dans son aspect factuel : la prostitution peut aussi être exercée par des hommes ou transgenres.
De ce fait, le droit manque son but tant de protéger l’être humain contre la prostitution en tant que telle, contre l’exploitation sexuelle de son corps, mais aussi de protéger la femme contre l’exploitation consumériste et monétaire de son corps.
Mais si la proposition de loi pêche par défaut d’égalité devant la loi (ce qui risque malheureusement de lui faire encourir la censure du Conseil constitutionnel, selon l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « La loi (…) doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse »), il faut bien reconnaître que la prostitution touche principalement, à une majorité tristement écrasante, les femmes.
En France, en Europe, dans le monde, les personnes prostituées sont surtout des femmes.
En conséquence, le combat contre la prostitution se retrouve être un combat de défense du droit des femmes, contre les violences faites aux femmes, pour l’égalité homme-femme et pour le respect de la femme en tant qu’être humain.
La prostitution, c’est aujourd’hui un système qui repose sur la pensée que les femmes sont des biens de consommation, des produits, ne servant qu’au plaisir sexuel des clients qui sont en majorité des hommes (99% des "clients").
Quel que soit le pays : Qu’il s’agisse l’Europe de l’Est d’où la majorité des prostituées viennent, de l’Amérique du Sud, de l’Asie, soit qu’elles migrent dans l’espoir de trouver un travail inexistant chez elles, soit qu’on leur fait croire à une carrière de danseuse http://www.dailymotion.com/video/xpwu8i_des-prostitues-dansent-au-quartier-rouge_news, soit qu’elles soient kidnappées, violées, droguées, qu’on leur vole leur papiers pour les empêcher de revenir chez elles, mises dans la rue, échangées à travers les pays, dans les réseaux, soit que leur dépendance économique les ait forcé à cette activité.
Existe-t-il des réseaux qui trafiquent des hommes pour les prostituer ? Non.
Parce que la prostitution est surtout un réseau de proxénètes qui enlèvent des femmes, les force à des relations sexuelles non consenties, les exploite contre de l’argent, les vende et les louent à des clients majoritairement hommes, la prostitution est le vrai visage de la misogynie, son expression suprême.
Comment tenir un discours cohérent sur la place des femmes dans la société, sur l’égalité homme-femme, contre les violences faites aux femmes ; comment lutter contre la misogynie si on ignore son principal, son plus gros terrain d’activité, son terrain de prédilection : la prostitution que l’on peut définir sans difficulté comme la soumission d’une partie de la population à une autre comme de simples biens de consommation, en raison de leur sexe.
Comment ? Sinon en luttant contre la prostitution, cette lutte étant l’allié de la lutte pour les droits des femmes.
Maud Olivier, députée (de la 5ème circonscription de l’Essone) rapporteure de la Commission spéciale pour l’examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, a ainsi déclaré : « Débattre de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel la semaine du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, n’a rien d’un hasard. La prostitution, en soi, est la première de ces violences. Dans une société où le corps des femmes peut constituer une marchandise, être vendu, loué, approprié par autrui, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas possible ».
Cela est d’autant plus évident que personne ou presque ne parle ou ne s’intéresse aux gigolos, ces hommes prostitués en petit nombre, « indépendants », qui semblent bénéficier de la même aura que ces hommes à femmes, ces play-boys, ces Don Juans.
Et pourtant, comme les femmes, leurs corps sont échangés contre de l’argent, ni plus ni moins. Ils sont exactement comme les femmes prostituées, des biens de consommation.
Et pourtant, eux n’ont pas leur équivalent en insultes (« salopes », « putes »), personne ne s’abaisse à les considérer comme « sous-être humains », ils ne font pas l’apanage d’un réseau international de chair consommable. Non, eux, on considère gentiment qu’ils « offrent de la magie aux solitaires » https://www.youtube.com/watch?v=t2epX4tXfic ! Navrant.
Comment lutter contre la misogynie et pour l’égalité homme femme, contre la violence faite aux femmes si même dans la prostitution, l’homme est toujours mieux considéré que la femme, si la prostitution des hommes est toujours vue, aussi bien par les hommes que par les femmes, comme quelque chose de marrant, libre, sympa, exotique, une expérience professionnelle, digne ? C’est symptomatique du problème.
Toutefois, pour comprendre pourquoi il faut lutter contre la prostitution et ne pas la légaliser, et pour lutter efficacement contre, il faut en effet prendre en considération ce que la CNCDH dit et voir le problème non pas sous l’angle de la femme, mais sous celui du corps humain.
C’est précisément là que l’on voit que ce système est une violation de la dignité humaine, du corps humain, et qu’il doit être banni de toute société, quelle qu’en soit la forme.
D’où l’idée intéressante de faire du caractère sexuel une circonstance aggravante de la traite des êtres humains, et bien que cela occulte la prostitution dite « libre », le reste du droit civil et pénal permet de l’en empêcher, ce qui aurait sinon l’avantage de simplifier notre droit pénal, du moins d’éclaircir enfin les esprits sur la question selon le point de vue d’où l’on se place.
II La prostitution en réseau
C’est le cas le plus fréquent, le plus répandu mondialement. Que l’on n’aille pas défendre l’activité comme quelque chose de libre et de volontaire pour le légaliser alors que tout le monde sait que la majorité des prostitué(e)s sont insérées de force dans un circuit où ils ne sont que des objets transmis d’un pays à un autre, d’un réseau à un autre.
Légaliser la prostitution, ce serait alors légaliser un système de crime organisé qui repose sur l’enlèvement de personnes souvent mineures (entrée d'âge dans la prostitution : 14 ans), sur la pédophilie, sur le viol, sur la drogue, sur le vol de papiers d’identité, sur le trafic d’êtres humains.
La prostitution est surtout un business mafieux qui exploite financièrement et traite des êtres humains, leurs chairs, leurs organes sexuels contre leur gré et à un rythme monstrueux.
Comment prôner la légalisation d’une activité qui n’est surtout qu’un assemblage de crimes horribles ?
Certains avanceront un argument fallacieux et honteux : que légaliser la prostitution diminuerait le nombre de viols.
Ce que l’étude de Scott Cunninghan et Manisha Sha de l’Université de Californie sur la légalisation de la prostitution dans le Rode Island (USA) démontre est bien plus horrible en réalité.
C’est que si les « clients » ne pouvaient payer des êtres humains pour leur octroyer des faveurs sexuelles, ils les prendraient de force, contre leur gré, par la violence.
Le choix pour ces personnes se résoudrait donc à violer ou à payer des êtres humains pour obtenir des relations sexuelles qu’ils ne pourraient autrement obtenir de manière normale, en « demandant » à leur partenaire leur consentement, en les séduisant, en réussissant à développer le désir de leur partenaire.
Il ne s’agit pas de démontrer que le crime sexuel diminue parce que l’une des pratiques est légalisée, autorisée par la loi. Il s’agit de constater que le profil type du « client » est un monstre violent qui ne s’embarrasse pas du consentement de son ou sa partenaire, et qui profite de la vulnérabilité d’une autre personne, vulnérabilité physique ou économique, pour en obtenir ce que lui seul veut et désire, du sexe.
Le viol est l’interdiction faite à des prédateurs d’imposer leurs envies sexuelles à des personnes non consentantes. L’argent ne fait pas disparaître cette vulnérabilité, il ne vient pas tout d’un coup créer du désir ou le consentement chez le ou la prostitué(e). Il n’achète que le corps en forçant tout autant une pratique non consentie à l’origine.
Si l’on veut vraiment avoir des relations sexuelles avec celui ou celle qui nous le demande, on le fait sans avoir à le monnayer. Ce n’est pas parce que la loi autorise des relations sexuelles grâce à l’argent que le consentement réapparaît, critère essentiel du viol.
De plus, l’argument selon lequel la violence sexuelle disparaitrait grâce à la prostitution est tout aussi fallacieux : le fait même de subir une relation sexuelle payée est une violence en soi, car c’est accepter une relation sexuelle dont on n’a pas envie, mais que l’on doit subir soit pour éviter des violences pires (viol, agressions), soit pour survivre.
Sans compter que les prostitué(e)s vont rarement se plaindre d’avoir été violenté(e)s durant la … prestation, cachant ainsi la véritable nature des « clients ». Ce que cette étude révèle, c’est que le partenaire soit consentant ou pas, peu importe, il est payé.
La prostitution n’en est pas moins un crime, une absence de liberté, une violation du corps humain et de la dignité d’autrui, avant même que la loi ne vienne reconnaître ou pas cet état de fait, selon les tolérances ou indifférences des législateurs.
Sa légalisation ne fait pas diminuer le nombre de violences sexuelles, elle en cache simplement le caractère pénalement poursuivable, ce qui est bien plus honteux dans nos sociétés prétendument respectueuses de la dignité humaine.
Notre Assemblée Nationale rappelle en effet dans sa résolution du 6 décembre 2011 que « la notion de besoins sexuels irrépressibles renvoie à une conception archaïque de la sexualité qui ne saurait légitimer la prostitution, pas plus qu’elle ne justifie le viol ».
Le plus surprenant dans ce débat glauque sur la possibilité de payer des gens pour obtenir des relations sexuelles n’est pas seulement que l’on se fiche alors de leur consentement, c’est aussi que l’on marchande le corps humain, en partie ou en totalité.
Et ici, personne ne semble être choqué de ce que cela représente, borné par la vision simpliste de la liberté sexuelle (même s’il n’y a rien de simpliste à énoncer que la liberté sexuelle est et ne doit être qu’une question de consentement).
Pourtant, que l’on marchande un vagin ou un pénis, cela est tout aussi horrible, immoral et absurde que marchander une autre partie du corps. Si les défenseurs de la prostitution défendent l’achat ou le louage des parties sexuelles et/ou génitales du corps, défendent-ils aussi la vente ou le prêt des autres organes du corps humain ?
Accepteraient-ils que l’on en vienne à vendre ou louer son sang, son rein, son poumon ?
Cela est pourtant rigoureusement la même chose : le corps humain ou ses membres n’ont pas à être des biens de consommation, des objets que l’on peut monnayer.
Le corps n’est pas un bien patrimonial, ainsi que le rappelle l’article 16-6 du Code Civil, d’où l’interdiction et la nullité répétées deux fois dans le Code Civil (articles 16-5 et 1128) des contrats portant sur des « choses » hors du commerce.
Un contrat ne peut aliéner des prérogatives fondamentales de la personne humaine, dont le consentement à une relation sexuelle fait partie. Ce consentement, base de notre liberté sexuelle, ne peut et ne doit pas faire l’objet d’un contrat, c’est la sauvegarde de notre liberté à tous.
Cela ne semble gêner personne pour un poumon ou le corps en général, et personne ne crie au scandale liberticide parce qu’on ne peut vendre son bras ou sa peau. Mais tout d’un coup, l’on voudrait qu’une autre partie du corps, le vagin, les seins ou le pénis deviennent des choses, comme détachables du corps ?
Tout simplement pour leurs fonctions sexuelles qui donnerait à celui qui en profite un plaisir ? Au nom de quelle hypocrisie peut-on alors défendre la prostitution, qui n’est que l’exploitation mercantile d’une partie du corps humain ?
Si vendre son corps ou une partie de celui-ci est interdit, c’est pour protéger l’être humain, pour lui préserver dignité et liberté, il n’y a dès lors pas à le découper en morceau selon ses besoins personnels.
Peu importe à quoi il peut servir, le corps humain, dans son entier, est indisponible : il est inviolable et ne peut être commercialisé, sous quelque forme que ce soit, et quel que soit l’organe. Tout simplement parce que l’être humain n’est pas un objet, c’est un individu.
Sinon, pourquoi ne pas revenir à l’esclavage, à cette vente immonde d’êtres humains pour des besoins économiques de mains d’œuvres gratuites ?
Le Code de Procédure Pénale range le proxénétisme dans la traite des êtres humains, c’est qu’il s’agit bien de la même chose, que l'on commerce sur le dos d'hommes et femmes en raison de leur couleur de peau ou de leur sexe. .
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Anna Flow
C’est une question qui revient souvent, à l’aune de mouvements tantôt « libéraux », tantôt « réactionnaires », selon qu’on la défende ou la condamne, un peu comme les mouvements de houle qui donnent la nausée.
C’est une question à laquelle pratiquement aucun gouvernement ne peut (ne veut ?) répondre de manière uniforme et univoque, parce que le sujet est éminemment vaste et complexe (de réseaux transfrontaliers en réseaux « de luxes » au plus haut niveau) et parce que le sujet soulèvera toujours autant de boucliers contradictoires qu’une position ferme mais simple risque d’exacerber.
Aussi, rien d’étonnant à constater une énième proposition de loi sur la question qui ne va pas tout à fait au bout de ses prétentions, bien qu’il faille saluer la direction toujours plus constante de la France en la matière : l’abolitionnisme. Le mot est volontairement lourd de sens.
C’est que la prostitution, au-delà de la simple question sexuelle qui réveille les défenseurs de cette activité et les féministes en tout genre, est une pratique qui consiste tout simplement à exploiter le corps des êtres humains contre de l’argent.
Forte de son ambition de parvenir à une société sans prostitution (Résolution de l’Assemblée Nationale du 6 décembre 2011), la France, par le biais de son législateur, a déposé une proposition de loi le 29 novembre 2013.
Adoptée en 1ère lecture le 4 décembre 2013 et déposée au Sénat depuis lors, elle devrait bientôt être examinée par cette dernière chambre, probablement à la rentrée 2014.
La proposition de loi innove et créé la polémique sur trois points essentiels et l’on peut s’étonner et s’émouvoir de la réaction hostile à ces propositions :
1/ L’article 6 propose une aide à la sortie du système prostitutionnel : obtention d’une autorisation de séjour de 6 mois renouvelables pour toute personne étrangère victime du proxénétisme et qui veut en sortir.
Les victimes du proxénétisme, embarquées de force dans les réseaux de prostitution à travers les pays, qui réussissent à en sortir ne méritent-elles pas d’aide à en sortir efficacement et pour toujours ?
Ne méritent-elles pas la protection d’un Etat, de ses lois et de sa force publique pour empêcher ses anciens exploitants de la remettre dans le circuit ? Si la France, dans sa lutte contre la prostitution, souhaite offrir cette aide à ces victimes, on ne peut que saluer cette initiative, et encourager chaque Etat à faire de même.
Cependant, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a, dans son avis du 22 mai 2014 sur cette proposition de loi, émis une critique importante : elle regrette que l’asile ne leur soit pas accordé plus facilement alors même que la dénonciation des exploiteurs n’est plus une condition d’octroi du titre de séjour (ce que l’on peut comprendre pour permettre aux victimes d’oublier leur horrible passé et pour ne pas les exposer à des représailles), laissé aux bons soins de l’administration française…
2/ La proposition de loi prévoit également l’abrogation du délit de racolage passif et actif (article 225-10-1 du Code Pénal, loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure). Le délit avait pour but de cacher et de rendre invisible la prostitution, parce que « ça craint » dans le paysage et que c’est glauque à voir.
Quoi donc ? On défend la prostitution, on en permet l’exercice au nom des grandes libertés mais on ne veut surtout pas la montrer ? Les « clients » prônent la liberté des prostitué(e)s (enfin surtout la leur) mais ne veulent surtout pas être vus en train d’en utiliser ?
A l’heure d’une véritable lutte contre la prostitution, il était indispensable de supprimer un délit complètement inutile qui couvait le problème d’une bienveillance hypocrite (d’autant que le délit de racolage passif était quasiment impossible à constituer, donc doublement inutile).
3/ L’article 16 créé une contravention de 5ème classe contre toute personne ayant recours à la prostitution, avec peine d’amendes. Autrement dit, les « clients » se voient ainsi condamnés de payer un être humain en échange de pratiques sexuelles.
Les « clients » de personnes prostituées qui achètent des corps humains ne méritent-ils pas condamnation pour avoir considéré le corps humain d’autrui comme un bien de consommation, parfois avec violence, au même titre que ceux qui exploitent, vendent et louent ces corps ?
La pénalisation du "client" est bien le nerf central de la lutte contre la prostitution. Tant que l’on considérera normal qu’un corps humain puisse se vendre ou se louer, tant que l’on tolérera ceux qui consomment d’autres humains comme de vulgaires objets, tant que l’on ne condamnera pas ces « clients » pour leurs pratiques issues d’un manque total de respect pour la dignité d’autrui (qui achète un corps humain n’a aucun respect pour la valeur de celui-ci), les mentalités sur la prostitution et l’exploitation d’autrui ne changeront jamais et la prostitution ne disparaîtra jamais.
Oui, la demande fait l’offre en l’espèce. Parce que c’est là que la prostitution est née : de la volonté égoïste, sans aucune considération des désirs d’autrui, d’obtenir des relations sexuelles sans avoir à obtenir le consentement de l’autre, mais uniquement contre de l’argent, en exploitant l’infériorité (économique, physique….) de l’autre.
La question de la prostitution semble obtenir le consensus général lorsqu’elle est exercée en réseaux : tout le monde s’accorde alors à dire qu’il faut la supprimer si elle est le fait de réseaux qui exploitent d’autres personnes pour en récolter les contre-prestations monétaires (II).
Mais cette indignation de façade s’effondre lorsque l’on propose de pénaliser la prostitution en elle-même (III) et de condamner ses « clients » (IV). Mais avant même d’étudier ces angles d’attaque, il convient de cerner le problème (I).
© Christian Hartmann / Reuters
I La prostitution de qui ?
Lorsqu’on évoque la prostitution, tout le monde pense aux femmes. La prostitution se définit principalement aux yeux du public comme une activité que seules les femmes font : « la personne prostituée est une femme ».
Aussi, sans surprise, la proposition de loi actuelle appréhende le phénomène par les femmes, comme une atteinte, une violence faite aux femmes. Prisme trop étroit que regrette la CNCDH puisque c’est ne pas prendre en compte le phénomène dans sa globalité, dans son aspect factuel : la prostitution peut aussi être exercée par des hommes ou transgenres.
De ce fait, le droit manque son but tant de protéger l’être humain contre la prostitution en tant que telle, contre l’exploitation sexuelle de son corps, mais aussi de protéger la femme contre l’exploitation consumériste et monétaire de son corps.
Mais si la proposition de loi pêche par défaut d’égalité devant la loi (ce qui risque malheureusement de lui faire encourir la censure du Conseil constitutionnel, selon l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « La loi (…) doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse »), il faut bien reconnaître que la prostitution touche principalement, à une majorité tristement écrasante, les femmes.
En France, en Europe, dans le monde, les personnes prostituées sont surtout des femmes.
En conséquence, le combat contre la prostitution se retrouve être un combat de défense du droit des femmes, contre les violences faites aux femmes, pour l’égalité homme-femme et pour le respect de la femme en tant qu’être humain.
La prostitution, c’est aujourd’hui un système qui repose sur la pensée que les femmes sont des biens de consommation, des produits, ne servant qu’au plaisir sexuel des clients qui sont en majorité des hommes (99% des "clients").
Quel que soit le pays : Qu’il s’agisse l’Europe de l’Est d’où la majorité des prostituées viennent, de l’Amérique du Sud, de l’Asie, soit qu’elles migrent dans l’espoir de trouver un travail inexistant chez elles, soit qu’on leur fait croire à une carrière de danseuse http://www.dailymotion.com/video/xpwu8i_des-prostitues-dansent-au-quartier-rouge_news, soit qu’elles soient kidnappées, violées, droguées, qu’on leur vole leur papiers pour les empêcher de revenir chez elles, mises dans la rue, échangées à travers les pays, dans les réseaux, soit que leur dépendance économique les ait forcé à cette activité.
Existe-t-il des réseaux qui trafiquent des hommes pour les prostituer ? Non.
Parce que la prostitution est surtout un réseau de proxénètes qui enlèvent des femmes, les force à des relations sexuelles non consenties, les exploite contre de l’argent, les vende et les louent à des clients majoritairement hommes, la prostitution est le vrai visage de la misogynie, son expression suprême.
Comment tenir un discours cohérent sur la place des femmes dans la société, sur l’égalité homme-femme, contre les violences faites aux femmes ; comment lutter contre la misogynie si on ignore son principal, son plus gros terrain d’activité, son terrain de prédilection : la prostitution que l’on peut définir sans difficulté comme la soumission d’une partie de la population à une autre comme de simples biens de consommation, en raison de leur sexe.
Comment ? Sinon en luttant contre la prostitution, cette lutte étant l’allié de la lutte pour les droits des femmes.
Maud Olivier, députée (de la 5ème circonscription de l’Essone) rapporteure de la Commission spéciale pour l’examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, a ainsi déclaré : « Débattre de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel la semaine du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, n’a rien d’un hasard. La prostitution, en soi, est la première de ces violences. Dans une société où le corps des femmes peut constituer une marchandise, être vendu, loué, approprié par autrui, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas possible ».
Cela est d’autant plus évident que personne ou presque ne parle ou ne s’intéresse aux gigolos, ces hommes prostitués en petit nombre, « indépendants », qui semblent bénéficier de la même aura que ces hommes à femmes, ces play-boys, ces Don Juans.
Et pourtant, comme les femmes, leurs corps sont échangés contre de l’argent, ni plus ni moins. Ils sont exactement comme les femmes prostituées, des biens de consommation.
Et pourtant, eux n’ont pas leur équivalent en insultes (« salopes », « putes »), personne ne s’abaisse à les considérer comme « sous-être humains », ils ne font pas l’apanage d’un réseau international de chair consommable. Non, eux, on considère gentiment qu’ils « offrent de la magie aux solitaires » https://www.youtube.com/watch?v=t2epX4tXfic ! Navrant.
Comment lutter contre la misogynie et pour l’égalité homme femme, contre la violence faite aux femmes si même dans la prostitution, l’homme est toujours mieux considéré que la femme, si la prostitution des hommes est toujours vue, aussi bien par les hommes que par les femmes, comme quelque chose de marrant, libre, sympa, exotique, une expérience professionnelle, digne ? C’est symptomatique du problème.
Toutefois, pour comprendre pourquoi il faut lutter contre la prostitution et ne pas la légaliser, et pour lutter efficacement contre, il faut en effet prendre en considération ce que la CNCDH dit et voir le problème non pas sous l’angle de la femme, mais sous celui du corps humain.
C’est précisément là que l’on voit que ce système est une violation de la dignité humaine, du corps humain, et qu’il doit être banni de toute société, quelle qu’en soit la forme.
D’où l’idée intéressante de faire du caractère sexuel une circonstance aggravante de la traite des êtres humains, et bien que cela occulte la prostitution dite « libre », le reste du droit civil et pénal permet de l’en empêcher, ce qui aurait sinon l’avantage de simplifier notre droit pénal, du moins d’éclaircir enfin les esprits sur la question selon le point de vue d’où l’on se place.
II La prostitution en réseau
C’est le cas le plus fréquent, le plus répandu mondialement. Que l’on n’aille pas défendre l’activité comme quelque chose de libre et de volontaire pour le légaliser alors que tout le monde sait que la majorité des prostitué(e)s sont insérées de force dans un circuit où ils ne sont que des objets transmis d’un pays à un autre, d’un réseau à un autre.
Légaliser la prostitution, ce serait alors légaliser un système de crime organisé qui repose sur l’enlèvement de personnes souvent mineures (entrée d'âge dans la prostitution : 14 ans), sur la pédophilie, sur le viol, sur la drogue, sur le vol de papiers d’identité, sur le trafic d’êtres humains.
La prostitution est surtout un business mafieux qui exploite financièrement et traite des êtres humains, leurs chairs, leurs organes sexuels contre leur gré et à un rythme monstrueux.
Comment prôner la légalisation d’une activité qui n’est surtout qu’un assemblage de crimes horribles ?
Certains avanceront un argument fallacieux et honteux : que légaliser la prostitution diminuerait le nombre de viols.
Ce que l’étude de Scott Cunninghan et Manisha Sha de l’Université de Californie sur la légalisation de la prostitution dans le Rode Island (USA) démontre est bien plus horrible en réalité.
C’est que si les « clients » ne pouvaient payer des êtres humains pour leur octroyer des faveurs sexuelles, ils les prendraient de force, contre leur gré, par la violence.
Le choix pour ces personnes se résoudrait donc à violer ou à payer des êtres humains pour obtenir des relations sexuelles qu’ils ne pourraient autrement obtenir de manière normale, en « demandant » à leur partenaire leur consentement, en les séduisant, en réussissant à développer le désir de leur partenaire.
Il ne s’agit pas de démontrer que le crime sexuel diminue parce que l’une des pratiques est légalisée, autorisée par la loi. Il s’agit de constater que le profil type du « client » est un monstre violent qui ne s’embarrasse pas du consentement de son ou sa partenaire, et qui profite de la vulnérabilité d’une autre personne, vulnérabilité physique ou économique, pour en obtenir ce que lui seul veut et désire, du sexe.
Le viol est l’interdiction faite à des prédateurs d’imposer leurs envies sexuelles à des personnes non consentantes. L’argent ne fait pas disparaître cette vulnérabilité, il ne vient pas tout d’un coup créer du désir ou le consentement chez le ou la prostitué(e). Il n’achète que le corps en forçant tout autant une pratique non consentie à l’origine.
Si l’on veut vraiment avoir des relations sexuelles avec celui ou celle qui nous le demande, on le fait sans avoir à le monnayer. Ce n’est pas parce que la loi autorise des relations sexuelles grâce à l’argent que le consentement réapparaît, critère essentiel du viol.
De plus, l’argument selon lequel la violence sexuelle disparaitrait grâce à la prostitution est tout aussi fallacieux : le fait même de subir une relation sexuelle payée est une violence en soi, car c’est accepter une relation sexuelle dont on n’a pas envie, mais que l’on doit subir soit pour éviter des violences pires (viol, agressions), soit pour survivre.
Sans compter que les prostitué(e)s vont rarement se plaindre d’avoir été violenté(e)s durant la … prestation, cachant ainsi la véritable nature des « clients ». Ce que cette étude révèle, c’est que le partenaire soit consentant ou pas, peu importe, il est payé.
La prostitution n’en est pas moins un crime, une absence de liberté, une violation du corps humain et de la dignité d’autrui, avant même que la loi ne vienne reconnaître ou pas cet état de fait, selon les tolérances ou indifférences des législateurs.
Sa légalisation ne fait pas diminuer le nombre de violences sexuelles, elle en cache simplement le caractère pénalement poursuivable, ce qui est bien plus honteux dans nos sociétés prétendument respectueuses de la dignité humaine.
Notre Assemblée Nationale rappelle en effet dans sa résolution du 6 décembre 2011 que « la notion de besoins sexuels irrépressibles renvoie à une conception archaïque de la sexualité qui ne saurait légitimer la prostitution, pas plus qu’elle ne justifie le viol ».
Le plus surprenant dans ce débat glauque sur la possibilité de payer des gens pour obtenir des relations sexuelles n’est pas seulement que l’on se fiche alors de leur consentement, c’est aussi que l’on marchande le corps humain, en partie ou en totalité.
Et ici, personne ne semble être choqué de ce que cela représente, borné par la vision simpliste de la liberté sexuelle (même s’il n’y a rien de simpliste à énoncer que la liberté sexuelle est et ne doit être qu’une question de consentement).
Pourtant, que l’on marchande un vagin ou un pénis, cela est tout aussi horrible, immoral et absurde que marchander une autre partie du corps. Si les défenseurs de la prostitution défendent l’achat ou le louage des parties sexuelles et/ou génitales du corps, défendent-ils aussi la vente ou le prêt des autres organes du corps humain ?
Accepteraient-ils que l’on en vienne à vendre ou louer son sang, son rein, son poumon ?
Cela est pourtant rigoureusement la même chose : le corps humain ou ses membres n’ont pas à être des biens de consommation, des objets que l’on peut monnayer.
Le corps n’est pas un bien patrimonial, ainsi que le rappelle l’article 16-6 du Code Civil, d’où l’interdiction et la nullité répétées deux fois dans le Code Civil (articles 16-5 et 1128) des contrats portant sur des « choses » hors du commerce.
Un contrat ne peut aliéner des prérogatives fondamentales de la personne humaine, dont le consentement à une relation sexuelle fait partie. Ce consentement, base de notre liberté sexuelle, ne peut et ne doit pas faire l’objet d’un contrat, c’est la sauvegarde de notre liberté à tous.
Cela ne semble gêner personne pour un poumon ou le corps en général, et personne ne crie au scandale liberticide parce qu’on ne peut vendre son bras ou sa peau. Mais tout d’un coup, l’on voudrait qu’une autre partie du corps, le vagin, les seins ou le pénis deviennent des choses, comme détachables du corps ?
Tout simplement pour leurs fonctions sexuelles qui donnerait à celui qui en profite un plaisir ? Au nom de quelle hypocrisie peut-on alors défendre la prostitution, qui n’est que l’exploitation mercantile d’une partie du corps humain ?
Si vendre son corps ou une partie de celui-ci est interdit, c’est pour protéger l’être humain, pour lui préserver dignité et liberté, il n’y a dès lors pas à le découper en morceau selon ses besoins personnels.
Peu importe à quoi il peut servir, le corps humain, dans son entier, est indisponible : il est inviolable et ne peut être commercialisé, sous quelque forme que ce soit, et quel que soit l’organe. Tout simplement parce que l’être humain n’est pas un objet, c’est un individu.
Sinon, pourquoi ne pas revenir à l’esclavage, à cette vente immonde d’êtres humains pour des besoins économiques de mains d’œuvres gratuites ?
Le Code de Procédure Pénale range le proxénétisme dans la traite des êtres humains, c’est qu’il s’agit bien de la même chose, que l'on commerce sur le dos d'hommes et femmes en raison de leur couleur de peau ou de leur sexe. .
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Anna Flow
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