Le 14 septembre 2014
« OzoniSation », c’est le nom de la performance de Julie Djikey. Boîtes de conserve en guise de soutien-gorge, corps enduit d’huile de moteur et de cendre de pneus brûlés.
© Pascal Maître
Pascal Maitre et la Maison européenne de la photo rendent hommage à l’Afrique, nouvelle terre promise des créateurs.
Elle avance nue, le corps enduit d’un mélange d’huile de vidange et de cendres. En guise de soutien-gorge, des filtres pour moteurs. Sur le dos, un réservoir d’essence. Entre les mains, un volant relié à une petite voiture faite de bric et de broc qu’elle pilote dans les embouteillages de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, un monstre de 10 millions d’habitants.
Julie Djikey est une jeune photographe et performeuse. Elle a baptisé son show « OzoniSation ». Curieusement, les passants ne se scandalisent guère. Sculpteur à Brazzaville, de l’autre côté du fleuve, Sigismond Kamanda Ntumba Mulombo souligne le lien profond du travail de Julie avec la tradition.
Il rappelle qu’au Kasaï, « la femme adultère repentie faisait amende en arpentant nue le village », et que « les patientes atteintes de maladies psychosomatiques paradaient enduites de pigments végétaux ».
Fuyant la misère et la guerre civile, ce sont aujourd’hui plus de 380 ethnies qui peuplent « Kin ». Chacune respecte ses rites. Ce qui ne les empêche pas d’en faire des spectacles. Les danseurs de Kpou Ambitri – visage peint en blanc avec des points rouges, pénis enveloppé de paille – se produisent aussi bien lors de cérémonies tribales qu’à l’occasion de festivals populaires où ils se font payer.
Proches des milieux d’avant-garde ou simples exécutants de chorégraphies millénaires, ils savent qu’ils ne peuvent échapper à leurs origines. « Notre art, répètent les uns et les autres, ne sert qu’à une chose, contenter nos ancêtres pour qu’ils nous protègent dans cette vie qui ne nous offre aucune protection. »
Dans ce pays, l’un des plus pauvres du monde, l’économie informelle représente 80 % du PIB. Pour trouver le franc quotidien, il faut déployer une énergie folle. Toujours être en éveil, en mouvement, pour dégotter la combine, l’arnaque. L’art fait partie de cette stratégie de la survie.
Pierre Bodo (assis) au milieu de ses toiles, avec ses fils, Amani et Bodo fils (au centre), peintres eux aussi. © Pascal Maître
Vieux baroudeur de l’Afrique profonde, le photographe Pascal Maitre a été emporté par le dynamisme des artistes kinois : « Ils gambergent très loin parce qu’il leur faut se démarquer. C’est la seule condition pour qu’on te remarque, que tu attires un public et puis, peut-être, un producteur. » L’art africain contemporain explose.
La première foire qui lui a été consacrée, à Londres, à l’automne 2013, ne mentionnait même plus son origine géographique, se contentant comme intitulé d’un énigmatique « I.54 ». Un continent, 54 pays.
L’Afrique se réveille. A Kinshasa, on est fier d’être à l’origine de ce renouveau qui s’offre des expérimentations délirantes tout en demeurant très ancré dans le quotidien et l’imaginaire locaux.
« Tout commence en 1970, avec l’exposition “Art partout” », explique André Magnin, le directeur artistique de la Contemporary African Art Collection, la collection privée de Jean Pigozzi, héritier d’une célèbre marque automobile française.
« Après les années 1960 et l’indépendance, poursuit Magnin, l’exercice des arts n’est plus l’apanage des élèves de l’Académie officielle. La critique découvre un genre particulier, le fruit de jeunes artistes soucieux de l’environnement et de la mémoire collective.
Ils produisent une nouvelle forme de peinture figurative mettant en scène la vie quotidienne. Toute la population s’y reconnaît. » Ils se revendiquent « artistes populaires ».
Plusieurs sont devenus des stars mondiales. Chéri Samba, 57 ans, a commencé comme peintre d’enseignes publicitaires, puis est passé à la bande dessinée avant d’inventer la peinture « à bulles ». Des textes viennent renforcer la portée sociale de son message : « Mes racines, c’est le peuple. »
Il accroche régulièrement ses tableaux sur la façade de son atelier. La population kinoise prend l’habitude de venir commenter l’« actualité » qu’il traite avec des couleurs vives et un sens éminent de la satire. En 1982, Jean-François Bizot, le fondateur de Radio Nova, l’invite à Paris.
En 1989, Chéri participe à l’expo culte organisée à Beaubourg et à la Villette, « Magiciens de la terre ». Depuis, il a exposé partout. Il s’est mis en scène avec Picasso, histoire, dit-il, de rendre hommage à tous les peintres anonymes africains pillés par le cubisme. Il n’hésite pas à déclarer : « Je ne crois pas être si loin de Michel-Ange. » Moke, né en 1950, se définissait comme le « peintre reporter de l’urbanité ».
Scènes de bar, rencontres galantes, fêtes, disputes, transports publics, cérémonies, André Magnin parle d’« une culture populaire dans toute sa vigueur, effervescente, chahuteuse, drôle et parfois amère ».
Moke est mort d’une crise cardiaque en 2001. La veille, il buvait une bière avec son vieux pote Chéri Samba. « Se démarquer, se faire remarquer », Chéri Chérin en est le champion.
Ce plasticien a débuté sa carrière artistique avec la Sape (Société des ambianceurs et des personnalités élégantes). Au pouvoir de 1965 à 1997, le dictateur Mobutu, en proie à une crise d’anti-occidentalisme, a voulu imposer aux hommes le port de la veste à col Mao et manches courtes – l’« abacos », pour « à bas le costume ».
« Ces artistes l’aiment toujours, leur bidonville de ville ! »
En réaction, des jeunes Kinois ont décidé de se saper comme des dandys extravagants. Trois-pièces signés des meilleurs tailleurs de Savile Row ou de Milan, Weston ou Berluti aux pieds, le tout obtenu par des combines plus ou moins avouables, les « sapeurs » ont accédé très vite à la célébrité mondiale. Certains en ont tiré profit.
Cherin, lui, y a trouvé son nom : Créateur Hors (série) Expressionniste Remarquable INégalable (CHERIN). Les maquettes géantes de villes futuristes que Bodys Isek Kingelez réalise avec des matériaux de récupération (carton, Plexiglas) valent aujourd’hui des dizaines de milliers de dollars.
Bien qu’il se soit longtemps ressourcé dans son village natal, Kingelez, qui rêve d’« améliorer la vie jusqu’au merveilleux », s’éloigne délibérément des représentations que trop de gens ont encore, d’après lui, du continent noir.
Le peintre Pierre Bodo est de la même génération. Les plus grands musées ont montré son travail : Grimaldi Forum de Monaco en 2005, Guggenheim de Bilbao en 2007.
Il dit s’inspirer uniquement de ses rêves, « de façon à ne plus me fixer sur des sujets spécifiquement africains ». Il veut « s’adresser au monde entier ». Et pourtant, un de ses principaux thèmes est la sorcellerie, qu’il dénonce.
Face aux turpitudes du destin (guerre, sida, malnutrition), le retour de la chasse au Malin s’est imposé pour le plus grand plaisir des sectes évangélistes (protestantes) ou charismatiques (catholiques) qui en ont fait un business juteux.
Depuis les années 1990, ce sont les enfants qui font les frais de leurs « cures de nettoyage des âmes ». Trop pauvres pour les nourrir, de nombreuses familles les accusent de leur porter la poisse.
Pointés par les pasteurs comme des « enfants sorciers », ils sont chassés de chez eux. Ils seraient une trentaine de milliers dans les rues de « Kin ». A peine sortis des jupes de leur mère, beaucoup acceptent leur rôle de coupable sacrificiel.
« La nuit, j’ai 30 ans et j’ai 100 enfants », confie un bambin. Qui ajoute : « J’ai aussi tué tous les enfants pas encore nés de ma mère. » C’est un véritable maléfice qui s’est emparé de la cité en ruine. « Presque tous ces mecs [les artistes reconnus] ont peur d’être empoisonnés par leurs proches », explique Pascal Maitre.
Au centre, le catcheur Mwimba Texas, célébrité du ring et défenseur de la cause des albinos, accusés d’être des sorciers et victimes d’une forte discrimination. © Pascal Maître
Exceptionnel sculpteur ne travaillant qu’avec des petites cuillères de métal glanées par les enfants des rues, ardent défenseur de la cause des femmes violées, Freddy Tsimba, 47 ans, évite de manger avec sa famille. Chéri Samba ne sort jamais de chez lui.
Pareil pour l’« architecte-maquettiste », fervent admirateur de la culture américaine, qui revendique son mépris pour les folles nuits de Matonge, le quartier chaud qui a fait la réputation festive de la capitale de la RDC : « Vous ne pouvez pas penser le futur quand la musique est aussi forte. »
Mais ils l’aiment toujours, leur bidonville de ville ! Sinon, pourquoi y resteraient-ils ? Ils ont de l’argent maintenant, un maximum de contacts dans les pays riches. Ils sont « accros » à « Kin ».
A sa rage de survivre, son ironie bravache face aux sales coups, l’intensité de ses fêtes dès qu’il s’agit de célébrer un bon moment. Kinshasa, ses mirages, ses miracles.
Rachel Mwanza s’est retrouvée à la rue à l’âge de 10 ans. Elle se prostituait quand elle a été choisie pour participer à un documentaire sur les enfants de la rue. Un metteur en scène canadien, Kim Nguyen, tombe sur le reportage. Il prépare une fiction sur les enfants soldats, « Rebelle ». Rachel sera sa principale interprète. En 2012, à 15 ans, elle décroche, à Berlin, l’Ours d’argent de la meilleure actrice.
En 2003, Ricky était un sans-abri qui traînait avec une bande de handicapés. La poliomyélite continue à faire des ravages en Afrique. Il est un peu plus vieux que ses copains qui le surnomment « Papa Ricky ». Ils bricolent vaguement de la zik, mixant de la rumba avec des rythmes reggae et funk.
Et puis, ils se lancent. Ils n’ont vraiment rien à perdre. Ils appellent leur groupe le Staff Benda Bilili, ce qui veut dire en lingala « Regarde au-delà des apparences ».
Sur les huit musiciens, cinq se déplacent avec des béquilles ou en chaise roulante. Ils ont bricolé un instrument, le « satongé », une boîte de conserve reliée à un arc en bois.
« Des sonorités de l’au-delà », s’exclameront les critiques quand le succès viendra. Très vite. Ce sont les pionniers de la « tradimusique ». Suivront Basokin, Konono N° 1, Handi-Folk. Ils répétaient au zoo de Kinshasa.
Cinq ans plus tard, les Benda Bilili jouent sur la Croisette pendant le Festival de Cannes. Dans la foulée, ils sortent leur premier album : « Très très fort ». Chéri Samba insiste : « L’art doit changer la vie. »
Jusqu’au 2 novembre à la Maison européenne de la photographie.
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Pierre Delannoy
PARIS MATCH
« OzoniSation », c’est le nom de la performance de Julie Djikey. Boîtes de conserve en guise de soutien-gorge, corps enduit d’huile de moteur et de cendre de pneus brûlés.
© Pascal Maître
Pascal Maitre et la Maison européenne de la photo rendent hommage à l’Afrique, nouvelle terre promise des créateurs.
Elle avance nue, le corps enduit d’un mélange d’huile de vidange et de cendres. En guise de soutien-gorge, des filtres pour moteurs. Sur le dos, un réservoir d’essence. Entre les mains, un volant relié à une petite voiture faite de bric et de broc qu’elle pilote dans les embouteillages de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, un monstre de 10 millions d’habitants.
Julie Djikey est une jeune photographe et performeuse. Elle a baptisé son show « OzoniSation ». Curieusement, les passants ne se scandalisent guère. Sculpteur à Brazzaville, de l’autre côté du fleuve, Sigismond Kamanda Ntumba Mulombo souligne le lien profond du travail de Julie avec la tradition.
Il rappelle qu’au Kasaï, « la femme adultère repentie faisait amende en arpentant nue le village », et que « les patientes atteintes de maladies psychosomatiques paradaient enduites de pigments végétaux ».
Fuyant la misère et la guerre civile, ce sont aujourd’hui plus de 380 ethnies qui peuplent « Kin ». Chacune respecte ses rites. Ce qui ne les empêche pas d’en faire des spectacles. Les danseurs de Kpou Ambitri – visage peint en blanc avec des points rouges, pénis enveloppé de paille – se produisent aussi bien lors de cérémonies tribales qu’à l’occasion de festivals populaires où ils se font payer.
Proches des milieux d’avant-garde ou simples exécutants de chorégraphies millénaires, ils savent qu’ils ne peuvent échapper à leurs origines. « Notre art, répètent les uns et les autres, ne sert qu’à une chose, contenter nos ancêtres pour qu’ils nous protègent dans cette vie qui ne nous offre aucune protection. »
Dans ce pays, l’un des plus pauvres du monde, l’économie informelle représente 80 % du PIB. Pour trouver le franc quotidien, il faut déployer une énergie folle. Toujours être en éveil, en mouvement, pour dégotter la combine, l’arnaque. L’art fait partie de cette stratégie de la survie.
Pierre Bodo (assis) au milieu de ses toiles, avec ses fils, Amani et Bodo fils (au centre), peintres eux aussi. © Pascal Maître
Vieux baroudeur de l’Afrique profonde, le photographe Pascal Maitre a été emporté par le dynamisme des artistes kinois : « Ils gambergent très loin parce qu’il leur faut se démarquer. C’est la seule condition pour qu’on te remarque, que tu attires un public et puis, peut-être, un producteur. » L’art africain contemporain explose.
La première foire qui lui a été consacrée, à Londres, à l’automne 2013, ne mentionnait même plus son origine géographique, se contentant comme intitulé d’un énigmatique « I.54 ». Un continent, 54 pays.
L’Afrique se réveille. A Kinshasa, on est fier d’être à l’origine de ce renouveau qui s’offre des expérimentations délirantes tout en demeurant très ancré dans le quotidien et l’imaginaire locaux.
« Tout commence en 1970, avec l’exposition “Art partout” », explique André Magnin, le directeur artistique de la Contemporary African Art Collection, la collection privée de Jean Pigozzi, héritier d’une célèbre marque automobile française.
« Après les années 1960 et l’indépendance, poursuit Magnin, l’exercice des arts n’est plus l’apanage des élèves de l’Académie officielle. La critique découvre un genre particulier, le fruit de jeunes artistes soucieux de l’environnement et de la mémoire collective.
Ils produisent une nouvelle forme de peinture figurative mettant en scène la vie quotidienne. Toute la population s’y reconnaît. » Ils se revendiquent « artistes populaires ».
Plusieurs sont devenus des stars mondiales. Chéri Samba, 57 ans, a commencé comme peintre d’enseignes publicitaires, puis est passé à la bande dessinée avant d’inventer la peinture « à bulles ». Des textes viennent renforcer la portée sociale de son message : « Mes racines, c’est le peuple. »
Il accroche régulièrement ses tableaux sur la façade de son atelier. La population kinoise prend l’habitude de venir commenter l’« actualité » qu’il traite avec des couleurs vives et un sens éminent de la satire. En 1982, Jean-François Bizot, le fondateur de Radio Nova, l’invite à Paris.
En 1989, Chéri participe à l’expo culte organisée à Beaubourg et à la Villette, « Magiciens de la terre ». Depuis, il a exposé partout. Il s’est mis en scène avec Picasso, histoire, dit-il, de rendre hommage à tous les peintres anonymes africains pillés par le cubisme. Il n’hésite pas à déclarer : « Je ne crois pas être si loin de Michel-Ange. » Moke, né en 1950, se définissait comme le « peintre reporter de l’urbanité ».
Scènes de bar, rencontres galantes, fêtes, disputes, transports publics, cérémonies, André Magnin parle d’« une culture populaire dans toute sa vigueur, effervescente, chahuteuse, drôle et parfois amère ».
Moke est mort d’une crise cardiaque en 2001. La veille, il buvait une bière avec son vieux pote Chéri Samba. « Se démarquer, se faire remarquer », Chéri Chérin en est le champion.
Ce plasticien a débuté sa carrière artistique avec la Sape (Société des ambianceurs et des personnalités élégantes). Au pouvoir de 1965 à 1997, le dictateur Mobutu, en proie à une crise d’anti-occidentalisme, a voulu imposer aux hommes le port de la veste à col Mao et manches courtes – l’« abacos », pour « à bas le costume ».
« Ces artistes l’aiment toujours, leur bidonville de ville ! »
En réaction, des jeunes Kinois ont décidé de se saper comme des dandys extravagants. Trois-pièces signés des meilleurs tailleurs de Savile Row ou de Milan, Weston ou Berluti aux pieds, le tout obtenu par des combines plus ou moins avouables, les « sapeurs » ont accédé très vite à la célébrité mondiale. Certains en ont tiré profit.
Cherin, lui, y a trouvé son nom : Créateur Hors (série) Expressionniste Remarquable INégalable (CHERIN). Les maquettes géantes de villes futuristes que Bodys Isek Kingelez réalise avec des matériaux de récupération (carton, Plexiglas) valent aujourd’hui des dizaines de milliers de dollars.
Bien qu’il se soit longtemps ressourcé dans son village natal, Kingelez, qui rêve d’« améliorer la vie jusqu’au merveilleux », s’éloigne délibérément des représentations que trop de gens ont encore, d’après lui, du continent noir.
Le peintre Pierre Bodo est de la même génération. Les plus grands musées ont montré son travail : Grimaldi Forum de Monaco en 2005, Guggenheim de Bilbao en 2007.
Il dit s’inspirer uniquement de ses rêves, « de façon à ne plus me fixer sur des sujets spécifiquement africains ». Il veut « s’adresser au monde entier ». Et pourtant, un de ses principaux thèmes est la sorcellerie, qu’il dénonce.
Face aux turpitudes du destin (guerre, sida, malnutrition), le retour de la chasse au Malin s’est imposé pour le plus grand plaisir des sectes évangélistes (protestantes) ou charismatiques (catholiques) qui en ont fait un business juteux.
Depuis les années 1990, ce sont les enfants qui font les frais de leurs « cures de nettoyage des âmes ». Trop pauvres pour les nourrir, de nombreuses familles les accusent de leur porter la poisse.
Pointés par les pasteurs comme des « enfants sorciers », ils sont chassés de chez eux. Ils seraient une trentaine de milliers dans les rues de « Kin ». A peine sortis des jupes de leur mère, beaucoup acceptent leur rôle de coupable sacrificiel.
« La nuit, j’ai 30 ans et j’ai 100 enfants », confie un bambin. Qui ajoute : « J’ai aussi tué tous les enfants pas encore nés de ma mère. » C’est un véritable maléfice qui s’est emparé de la cité en ruine. « Presque tous ces mecs [les artistes reconnus] ont peur d’être empoisonnés par leurs proches », explique Pascal Maitre.
Au centre, le catcheur Mwimba Texas, célébrité du ring et défenseur de la cause des albinos, accusés d’être des sorciers et victimes d’une forte discrimination. © Pascal Maître
Exceptionnel sculpteur ne travaillant qu’avec des petites cuillères de métal glanées par les enfants des rues, ardent défenseur de la cause des femmes violées, Freddy Tsimba, 47 ans, évite de manger avec sa famille. Chéri Samba ne sort jamais de chez lui.
Pareil pour l’« architecte-maquettiste », fervent admirateur de la culture américaine, qui revendique son mépris pour les folles nuits de Matonge, le quartier chaud qui a fait la réputation festive de la capitale de la RDC : « Vous ne pouvez pas penser le futur quand la musique est aussi forte. »
Mais ils l’aiment toujours, leur bidonville de ville ! Sinon, pourquoi y resteraient-ils ? Ils ont de l’argent maintenant, un maximum de contacts dans les pays riches. Ils sont « accros » à « Kin ».
A sa rage de survivre, son ironie bravache face aux sales coups, l’intensité de ses fêtes dès qu’il s’agit de célébrer un bon moment. Kinshasa, ses mirages, ses miracles.
Rachel Mwanza s’est retrouvée à la rue à l’âge de 10 ans. Elle se prostituait quand elle a été choisie pour participer à un documentaire sur les enfants de la rue. Un metteur en scène canadien, Kim Nguyen, tombe sur le reportage. Il prépare une fiction sur les enfants soldats, « Rebelle ». Rachel sera sa principale interprète. En 2012, à 15 ans, elle décroche, à Berlin, l’Ours d’argent de la meilleure actrice.
En 2003, Ricky était un sans-abri qui traînait avec une bande de handicapés. La poliomyélite continue à faire des ravages en Afrique. Il est un peu plus vieux que ses copains qui le surnomment « Papa Ricky ». Ils bricolent vaguement de la zik, mixant de la rumba avec des rythmes reggae et funk.
Et puis, ils se lancent. Ils n’ont vraiment rien à perdre. Ils appellent leur groupe le Staff Benda Bilili, ce qui veut dire en lingala « Regarde au-delà des apparences ».
Sur les huit musiciens, cinq se déplacent avec des béquilles ou en chaise roulante. Ils ont bricolé un instrument, le « satongé », une boîte de conserve reliée à un arc en bois.
« Des sonorités de l’au-delà », s’exclameront les critiques quand le succès viendra. Très vite. Ce sont les pionniers de la « tradimusique ». Suivront Basokin, Konono N° 1, Handi-Folk. Ils répétaient au zoo de Kinshasa.
Cinq ans plus tard, les Benda Bilili jouent sur la Croisette pendant le Festival de Cannes. Dans la foulée, ils sortent leur premier album : « Très très fort ». Chéri Samba insiste : « L’art doit changer la vie. »
Jusqu’au 2 novembre à la Maison européenne de la photographie.
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Pierre Delannoy
PARIS MATCH
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