D’heure en heure, du Nord jusqu’au Sud de l’Afrique, les internautes et les bloggeurs ont suivi le hashtag « lwili », inspiré par le nom du vêtement traditionnel que portaient les manifestants de la Place de la Nation à Ouagadougou.
Durant ces quelques jours, les Burkinabe, connus pour leur calme, leur réserve ont, comme les Tunisiens aux premiers jours du printemps arabe, incarné les aspirations au changement de la jeunesse du continent.
Comment, d’une capitale à l’autre, ne pas lire ces « signes qui s’inscrivent sur les murs ? » Le bilan de Blaise Compaoré, si souvent mis en avant par la propagande du régime, était loin d’être le pire : une croissance économique de 8% mais avec des bénéfices très inégalement répartis et une corruption, souvent dénoncée, une stabilité relative, exceptionnelle pour la région, une stature internationale conférée à un chef d’Etat habile, médiateur dans de nombreuses crises régionales alors même qu’il les avait attisées ou en avait tiré profit…
Miser sur ces relatifs succès, c’était oublier, comme en Tunisie, qu’aux yeux de populations jeunes, la stabilité est considérée comme allant de soi, tandis que l’absence de liberté, les inégalités et les compromissions du pouvoir sont jugées insupportables.
Les opinions publiques africaines n’ont pas été les seules à vivre à l’heure de Ouagadougou : dans les palais présidentiels aussi, on s’est efforcé de lire les signes des temps.
A la limite, les dictateurs les plus endurcis, qui n’ont fixé aucune limite à l’expiration de leurs mandats, sont peut-être ceux qui ont le moins à craindre tant leur système est verrouillé : ce n’est sans doute pas la rue qui bousculera Issaias Afeworki, maître absolu de l’Erythrée, Robert Mugabe, aux commandes du Zimbabwe depuis 1987 ou Eduardo dos Santos, qui dirige l’Angola depuis l’indépendance en 1975.
Par contre, un pays comme le Cameroun, qui connaît un relatif développement et où Paul Biya règne depuis 31 ans, pourrait subir le contrecoup de la révolution burkinabe, suivie avec passion par l’opinion tandis qu’au Gabon, où Ali Bongo a succédé à son père, et au Togo, où Faure Eyadéma a également hérité du pouvoir paternel, la révolte pourrait se diriger contre l’aspect monarchique du pouvoir.
En fait, la leçon à tirer du Burkina Faso, c’est que les opinions publiques africaines, de plus en plus informées et politisées, sont résolument hostiles à la manipulation de leurs constitutions respectives.
Or en Afrique centrale, plusieurs dirigeants, en fin de mandat, sont confrontés à l’hypothèse de leur maintien au pouvoir moyennant un éventuel « tripatouillage » de la Constitution : le Congo Brazzaville, où le mandat du président Sassou Nguesso se termine en 2016, le Burundi, où le président Nkurunziza doit décider s’il se représentera ou non en 2015 alors que son second et en principe dernier mandat se termine, le Rwanda où le président Kagame n’est, en principe, plus rééligible après 2017 et la République démocratique du Congo où le président Kabila achèvera, en 2016, son deuxième et dernier mandat.
Dans ces pays, l’échéance est particulièrement dangereuse car les dirigeants arrivés en fin de règne sont des hommes issus de la lutte armée, portés au pouvoir à l’issue d’une guerre civile (dans le cas de Sassou Nguesso), d’une guerre et d’un génocide (dans le cas du Rwanda) d’une guerre civile (le Burundi), d’une guerre opposant à la fois des Congolais et des forces étrangères dans le cas de Joseph Kabila qui succéda à "son père assassiné".
Autrement dit, pour de tels hommes, dont la matrice fut la violence et la lutte armée, la tentation peut être grande de recourir à la force pour demeurer au pouvoir.
Mais l’exil ivoirien de Compaoré devrait aussi servir de leçon : les dirigeants d’Afrique centrale, revenus dans leur pays après avoir vécu à l’étranger comme des réfugiés, doivent aussi savoir que défier la volonté de leur peuple en s’accrochant au pouvoir peut les conduire à un nouvel et humiliant exode…
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Le carnet de Colette Braeckman
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