vendredi 7 novembre 2014

RD CONGO : Les massacres, les mensonges et le génocide des Congolais

vendredi 7 novembre 2014

Les massacres qui se produisent en territoire de Beni, depuis le 2 octobre dernier, sont attribués par le gouvernement congolais et la Mission de l’ONU au Congo (Monusco) aux rebelles ougandais des ADF. Une version officielle qui ne convainc pas.

Depuis, la population manifeste en signe de désaveu de la Mission onusienne et du pouvoir de Joseph Kabila. 

Parallèlement aux manifestations, la population a entrepris de se prendre elle-même en charge, une démarche qui a permis d’y voir un peu plus clair dans ces tueries qui dissimulent à peine l’identité de leurs commanditaires et des mobiles inavouables. 

 

Pour rappel, une première série de massacres s’est produite sur l’axe Oicha-Eringeti du 2 au 9 octobre faisant 23 morts. Elle a été suivie d’un massacre de plus grande ampleur à Ngadi et dans les quartiers périphériques de Beni, les 15 et 16 octobre. Bilan : 32 morts. 

Le lendemain va se produire la troisième série de massacres à Eringeti au cours de laquelle 24 personnes dont 9 femmes et dix enfants seront achevés à l’arme blanche. Eringeti, Oicha, Ngadi et Beni sont des secteurs totalement sous contrôle des FARDC, l’armée congolaise. 

Mieux encore, l’attaque du 17-18 octobre s’est produite alors que se trouvaient dans la ville de Beni le chef de la troisième zone de défense, le général Léon Mushale, et le commandant militaire du Nord-Kivu, le général Emmanuel Lombe. 

Se trouvait également dans la ville de Beni le patron de la Monusco, Martin Kobler, et le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku. Le président Joseph Kabila est arrivé à Beni dix jours plus tard, le 29 octobre. 

La nuit de son arrivée, quatorze personnes ont été massacrées dans la localité de Kampi ya Chui. Et, le 2 novembre, au lendemain de son départ, huit personnes ont été tuées dans le quartier Bel-Air en périphérie-est de Beni.

En l’espace d’un mois, les différents carnages ont coûté la vie à 120 personnes dans des zones pourtant totalement sous contrôle de l’armée et des casques bleus. Un ennemi qui attaque dans des conditions pareilles est soit fou, soit suicidaire. Il n’en est rien. 

A chaque fois, les assaillants repartent sans que les milliers de militaires et les casques bleus qui quadrillent la région ne soient en mesure d’en capturer un seul. Le doute sur l’identité « ADF » des assaillants ne tarde pas à prendre forme.

Le doute sur l’identité « ADF » des assaillants

On parle bien de « rebelles ougandais », « hostiles au régime de Yoweri Museveni », mais qui, bizarrement, ne mènent aucune attaque contre l’Ouganda. Ils attaquent la population congolaise, un comportement qui suffit à enlever toute forme de crédibilité à l’essentiel des informations véhiculées sur ces assaillants. 

Nous sommes en présence d’une violence politico-militaire visant le Congo et la population congolaise. Rien à voir avec un quelconque mouvement islamiste hostile à l’Ouganda. 

Des témoignages ne tardent pas à affluer. A Ngadi, des témoins ont aperçu les assaillants en train de boire avant de passer à l’attaque. Des islamistes qui boivent...

La population de Beni n’est pas la seule à rejeter la version officielle. Dans son article du 21 octobre, la journaliste belge Colette Braeckman doute que « ces atrocités soient réellement l’œuvre des ADF »[1], évoquant une de ses sources locales. 

L’ancien ministre des Affaires étrangères, Mbusa Nyamwisi, originaire de Beni, enfonce le clou en accusant le général Mundos, un proche de Joseph Kabila, d’être à la fois « le commandant des FARDC et des ADF »[2]

Le discrédit des autorités qui en résulte est tel que la population décide de prendre les choses en main, une démarche citoyenne qui permet d’y voir beaucoup plus clair, quelques suspects capturés ayant livré la face cachée de cette affaire des ADF.

En effet, après la troisième série de massacres, plusieurs individus ont été capturés par la population[3]. Ils avaient des machettes dans leurs bagages et arrivaient à Beni par la route du Sud. Ils avaient été trahis par leur accent et la difficulté qu’ils avaient à s’exprimer en swahili. 

Ils disaient se rendre à Eringeti pour aller cultiver des champs et étaient munis de laissez-passer délivrés par les autorités provinciales de Goma. Un Congolais n’a pas besoin d’un laissez-passer pour circuler sur le territoire national. 

Et, visiblement, les individus apparaissaient clairement comme n’ayant aucune attache sur le territoire congolais. La face cachée des « présumés ADF » vient d’être mise à nu. Nous sommes en présence de sujets rwandais, ou, pour être plus précis, des combattants rwando-ougandais dans le prolongement des aventures du M23. 

La main du Rwanda et de l’Ouganda apparaît comme un nez dans la figure, une évidence que nous avions déjà relevée dans un article de décembre 2013[4]. Mais tout le monde s’enferme dans l’hypocrisie, en commençant par les autorités congolaises et la Monusco. Les raisons du malaise ne se trouvent pas à Beni.

Pourquoi ils mentent ?

Nous sommes en présence de tueries qui n’ont a priori aucune explication rationnelle. Des tueurs apparaissent dans les quartiers et se mettent tout simplement à découper les habitants à la machette, de façon indiscriminée. Les premières images des carnages trahissent néanmoins la main de leurs auteurs. 

Elles portent la signature des milices rwandaises dont aucune n’opère dans le territoire de Beni. Les ADF, connus dans la région depuis deux décennies, n’ont pas la réputation de massacrer des femmes et des enfants. Ils enlèvent leurs victimes, les utilisent ou exigent des rançons. Des « tueurs rwandais » ont donc fait leur apparition à Beni. Pourquoi ?

On y comprend pas grand-chose jusqu’à ce qu’on se penche sur les difficultés de mise en œuvre de l’accord d’Addis-Abeba[5], et surtout des engagements de Nairobi signés le 12 décembre 2013[6] par le gouvernement congolais et le M23. 

Depuis des mois, le Congo est mis sous pression pour qu’il s’acquitte des engagements signés à Nairobi avec le M23. Le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Congo, Martin Kobler, a demandé lundi 27 octobre, au gouvernement congolais de réintégrer les ex-combattants du M23.

Plusieurs signaux et des sources concordantes annonçaient que ces combattants sont toujours actifs, s’organisent[7] et sont au point de frapper. Mais Joseph Kabila est dans une situation inconfortable. 

S’il accède à leurs revendications (réintégration dans l’armée, amnistie totale et retour des populations rwandophones[8]), il sera confronté à l’hostilité des Congolais au moment où il essaie de grappiller quelques miettes de confiance dans leurs cœurs, justement après les dégâts que le M23 lui a fait subir dans l’opinion nationale il y a un an. 

Kabila est donc obligé de faire la sourde oreille. 

La Monusco, de son côté, n’est pas en meilleure situation. Si elle avoue devant la face du monde que des éléments liés au M23 ont massacré la population dans l’Est du Congo, on imagine aisément le tollé international auquel elle devrait faire face. Il y a exactement un an l’ONU annonçait que « le M23 n’existe plus en tant que force militaire ».

Au-delà du gouvernement congolais et de la Monusco, le Rwanda et l’Ouganda ne peuvent pas entendre dire que leurs miliciens[9] ont encore mené des attaques sur le sol congolais. 

Paul Kagame est dans une situation délicate sur le plan international après la diffusion du documentaire de la BBC qui remet en cause la version officielle du génocide rwandais et dénonce ses interventions meurtrières au Congo. Toute vague de violence dans l’Est du Congo dans laquelle son nom pourrait apparaître lui sera de trop.

Finalement, un seul acteur doit porter la responsabilité des attaques dans l’Est du Congo : les ADF. C’est un ennemi invisible et qui ne parle pas. On peut lui attribuer toute sorte de crime, il n’y aura guère de démenti. 

Les combattants rwando-ougandais ont trouvé une couverture parfaite. Ils peuvent affluer sur le territoire congolais et opérer dans des secteurs sous contrôle d’une armée congolaise gangrenée par des infiltrés et dans laquelle ils comptent de nombreux complices[10], conséquences des brassages, des mixages, des intégrations et des amnisties. 

Et ils vont se livrer à des massacres spectaculaires qu’ils vont faire attribuer à un ennemi sur lequel l’opinion internationale doit se focaliser. C’est une stratégie abjecte dont la NRA en Ouganda et le FPR au Rwanda (les ancêtres du M23) étaient coutumières, selon Pierre Péan[11]. On n’accusera pas le Rwanda. 

Beni est à 300 km des frontières rwandaises. On n’accusera pas non plus l’Ouganda parce qu’il s’agit des « rebelles-ougandais-hostiles-au-régime-de-Yoweri-Museveni »… mais-qui-n’attaquent-jamais-l’Ouganda. Un mensonge assez épais, mais ça passe. Parce qu’un mensonge répété mille fois devient une vérité.

Que les Congolais se réveillent !

La supercherie devrait durer jusqu’à ce que l’essentiel des effectifs du M23 se retrouve sur le sol congolais, prêts à relancer la même guerre que le Rwanda, l’Ouganda et leurs alliés font subir au Congo depuis 1996 et dont les enjeux restent les mêmes. 

Sauf si les Congolais se réveillent et emboîtent le pas à la population de Beni qui refuse de se faire massacrer par des faux « ADF ». 

Parce que même si le Congo a perdu six millions de ses habitants du fait de cette guerre qui perdure sous diverses formes, il faut toujours garder à l’esprit que chaque massacre supplémentaire crée des souffrances bien particulières. 

Il se traduit par l’arrivée de nouveaux orphelins, de nouvelles veuves, de nouveaux veufs et de nouvelles familles traumatisées à jamais. 

Pour la communauté internationale, la Monusco, le Rwanda, l’Ouganda et même le régime de Joseph Kabila, ces tueries font partie des « stratégies » et de la « géopolitique ». 

Mais pour les Congolais il s’agit de se faire tuer comme une bête ou de lutter pour sa survie. C’est donc aux Congolais eux-mêmes, en tant que peuple, qu’il revient de se mobiliser, surtout à Kinshasa, pour mettre fin à ce génocide mené sur fond de mensonges. 

A six millions de morts, un peuple doit pouvoir se lever et dire « ça suffit ! » 

Autrement, ces massacres vont se reproduire leurs auteurs étant quasiment assurés de la totale impunité[12].
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Boniface MUSAVULI






[1] « La terreur revient à Beni », Le carnet de Colette Braeckman, 4 novembre 2014.

[2] « ADF-Nalu : un ancien ministre congolais met en cause un haut gradé », rfi.fr, 25 octobre 2014.

[3] Trois individus ont notamment été arrêtés sur le parking nord de Beni. Deux ont été remis à la police. Le troisième a tenté de fuir en arrachant son arme à un policier. Il a été rattrapé lynché et brûlé en plein quartier Matongé. Pour l’anecdote, l’incident s’est produit alors que le président Kabila se trouvait dans la ville. Sa statue sera déboulonnée dès le lendemain.

[4] B. Musavuli, « RD Congo : Le M23 version Kampala ? », agoravox.fr, 28 décembre 2013.

[5] L’Accord-cadre pour la paix la sécurité et la coopération, signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba.

[6] Communiqué Final Conjoint CIRGL-SADC sur les pourparlers de Kampala, Nairobi, 12 décembre 2013, Cf. Site de l’ambassade de la RDC à Paris, < http://ambardcparis.com/Communique%20Final.pdf >.

[7] Jean-Jacques Wondo, « Pourquoi les FARDC n’ont pas vraiment vaincu le M23 ? », desc-wondo.org, 9 octobre 2014.

[8] Les revendications du M23 sont, en réalité, impossibles à satisfaire. Il parle du retour de 400 mille familles au Congo, d’une amnistie totale et d’une intégration dans l’armée et les institutions congolaises de ses membres, des sujets étrangers pour leur grande majorité. Aucune autorité congolaise ne peut s’engager sur de telles exigences, sauf si le Congo subit une défaite militaire et se retrouve devant le fait accompli, notamment si le M23 parvient à s’implanter dans un territoire sur le sol congolais.

[9] Le M23 n’est pas un mouvement congolais. C’est une organisation formée de combattants rwandais et ougandais avec à sa tête le général rwandais James Kabarebe, selon le rapport S/2012/843 du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo du 15 novembre 2012, p. 109.

[10] « Les révélations du Colonel Mankesi sur l’infiltration des FARDC », desc-wondo.org, 15 mai 2014.

[11] Pierre Péan, Carnages – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éd. Fayard, 2010, pp. 230-231. Durant la Deuxième Guerre du Congo, la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme) a relevé dans un rapport que des officiers du RCD (l’ancêtre du M23) faisaient commettre des massacres des populations qu’ils attribuaient ensuite aux FDLR. Il ne s’agit pas ici de nier les crimes des FDLR et des ADF qui sont bien réels. Il s’agit de relever qu’une partie des faits qui leur ont été attribués ont pu être orchestrés par leurs adversaires pour les diaboliser. Et c’est de bonne guerre.

[12] Depuis que le projet de création d’un tribunal pénal international pour le Congo a été abandonné, malgré le rapport du projet Mapping (octobre 2010), les auteurs des massacres contre la population congolaise sont quasiment assurés de la totale impunité. Lorsqu’ils ne bénéficient pas des lois d’amnisties, ils sont rarement arrêtés. Et même lorsqu’ils sont arrêtés, ils parviennent toujours à s’évader des prisons. Ils partent s’installer au Rwanda et en Ouganda. Les gouvernements rwandais et ougandais refusent d’extrader leurs ressortissants qui ont commis des crimes au Congo.

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