Réagissant à l’article de Baudouin Amba Wetshi sur les coulisses du remaniement ayant abouti à la formation du gouvernement Matata II, Nkomi Mbuta note qu’il n’y a aucun ressortissant de la province du Bas-Congo dans le nouveau gouvernement.
Gaston Mumbere lui emboîte le pas en indiquant que ce gouvernement n’a rien de cohésion nationale, car il n’est pas représentatif. Pour le démontrer, il ne peut comprendre que la Province Orientale, qui est la plus vaste et la plus peuplée du pays, n’obtienne qu’un seul poste ministériel, celui des hydrocarbures, alors que les provinces du Katanga, Kasaï (les deux), Bandundu, Sud-Kivu et Maniema comptent chacune plusieurs ministres.
Le constat dressé ci-dessus pose un double problème de gouvernance. Pourquoi, alors que le pays s’est engagé sur la voie de la démocratie partisane, Nkomi Mbuta et Gaston Mumbere s’intéressent-ils aux provinces dont les ministres seraient issus plutôt qu’à leurs partis politiques respectifs ?
En affirmant qu’il n’y a pas de cohésion nationale puisque le gouvernement n’est pas représentatif de la diversité administrative/géographique du pays, qu’entend Mumbere par représentation provinciale ?
En plus de ces deux points d’interrogation, l’article même de Baudouin Amba Wetshi devrait pousser tout lecteur à se poser une troisième question dès l’instant où l’on apprend que pour être maintenu comme ministre, Lambert Mende « aurait bénéficié du soutien de certains membres de la famille présidentielle ».
Ceux-ci verraient en lui « le seul membre du gouvernement qui assure la défense du raïs à chaque attaque ». Depuis l’indépendance, quelles dispositions la nation a-t-elle prises pour mettre un terme aux interférences des membres de la famille du président de la république dans la gestion de celle-ci ?
En portant leur intérêt sur le nombre de ministres par province, jetant d’une certaine manière le discrédit sur l’existence des partis politiques, Nkomi Mbuta et Gaston Mumbere ont le mérite de regarder la société congolaise telle qu’elle est et non telle qu’on voudrait qu’elle soit, c’est-à-dire une copie des sociétés occidentales.
Dans « Histoire du Zaïre. De l’héritage ancien à l’âge contemporain », l’historien Ndaywel-e-Nziem nous apprend que tout au long de la Deuxième République (24 novembre 1965 - 24 avril 1990), la pratique réelle du pouvoir était telle que « chaque région constituait un groupement politique, doté de ramifications internes calquées sur des ensembles macro-ethniques déjà identifiés avec leurs groupes dominants et leurs minorités. La politicaillerie, qui avait cessé de se compromettre dans des manipulations de partis politiques, sous la Première République, trouva à s’occuper en gérant ces multiples différences. Les nominations politiques constituaient elles-mêmes des chefs-d’œuvre de dosage de cette multitude de réalités ».
On nous rétorquera sans doute que la politicaillerie est restée de mise même quand il a fallu regarder la société nationale telle qu’elle est.
Mais faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Pourquoi le mobutisme a-t-il échoué alors que sa pratique du pouvoir, du moins dans la formation du gouvernement, était dictée par la réalité sociologique du pays ?
Pour répondre à cette dernière question, il convient de s’interroger sur ce que Mumbere entend par représentation provinciale. S’agit-il d’une réalité ou d’une illusion ?
Quand le président de la république choisit et nomme qui il veut et quand il veut au gouvernement, est-il pertinent d’affirmer que les ministres ainsi choisis représentent leurs provinces respectives ? Non, Gaston Mumbere. Ils créent tout simplement l’illusion de représenter toutes les sensibilités ethnico-régionales du pays.
En réalité, ils ne représentaient qu’eux-mêmes et leur maître.
Et le malheur de la nation provient du fait que le peuple se satisfait de cette illusion au lieu d’exiger une représentation réelle. Car, l’illusion entretient l’arbitraire.
Et l’arbitraire explique bien d’autres maux que nous décrions avec raison : les interférences des membres de la famille présidentielle dans la formation du gouvernement, le déséquilibre entre différentes provinces, la part du lion que se réserve souvent la province dont est issu le président de la république dans l’attribution des postes clés de l’Etat avec son corollaire, l’absence de cohésion nationale.
Tant que nous resterons incapables de faire la part des choses entre la réalité et l’illusion de la représentation, nous aurons beau maudire le ciel, vouer les profiteurs de la république aux gémonies, nos jérémiades feront partie intégrante de notre misère et non de sa solution.
Ce ne sont pas les dictateurs qui s’imposent à nous, mais c’est notre aveuglement collectif nous nous impose des dictateurs, car depuis l’indépendance, rien n’a été entrepris pour que les choses changent.
Et pour que les choses changent un jour, il faut commencer par réfléchir et bien réfléchir. Ne dit-on pas qu’au commencement était la parole, que toutes choses ont été faites par elle et que rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle ?
Comment peut-on espérer construire un Etat de droit si on n’y réfléchi pas ou si on ne se pose même pas les questions qui s’imposent pourtant à nous de manière aussi évidente ?
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Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
© Congoindépendant
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