mercredi 8 avril 2015
Un charnier contenant quatre cent vingt-cinq cadavres a été découvert à Kinshasa, en République Démocratique du Congo.
Un charnier contenant quatre cent vingt-cinq cadavres a été découvert à Kinshasa, en République Démocratique du Congo.
Des corps en décomposition avaient été enterrés de nuit dans une fosse commune et dans une certaine précipitation le 19 mars dernier. Incommodée par une odeur pestilentielle, la population a alerté la Mission de l’ONU au Congo (Monusco), évitant les autorités avec qui les Congolais sont en rupture de confiance.
Mais pour se prémunir d’un « Timisoara », les dirigeants d’un pays doivent pouvoir montrer patte blanche et avoir toujours été irréprochables sur des affaires aussi sensibles que les enlèvements et les exécutions extrajudiciaires. Ce qui est loin d’être le cas du régime actuel de Kinshasa.
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Boniface MUSAVULI
[1] « RDC : Massacre à l’hôpital général de Kinshasa », afrique.kongotimes.info, 14 février 2015.
[2] Un rescapé a rapporté à l’APARECO (mouvement présidé par Honoré Ngbanda) un témoignage qui résumaient à peu près les scènes d’horreurs qui se déroulaient en marge de la répression. « Je viens de vivre un véritable film d’horreur… Quand j’ai été enlevé avec mes autres camarades étudiants, on nous a amenés vers une destination inconnue où nous avons vécu un véritable enfer les nuits de mercredi 21 et jeudi 22 janvier… Mais nous avons fini par savoir où nous étions incarcérés. C’est à l’UPI (ndlr : Unité de la Police d’Intervention) située à côté du Jardin zoologique de Kinshasa, non loin du grand marché. Nous étions plus de 200 jeunes qu’ils avaient enlevés des différents coins de Kinshasa. Nous ne pouvions pas communiquer entre nous. Le silence était de rigueur…. La nuit de Mardi 21 à jeudi 22 janvier entre 2 heures et 3 heures du matin, le chef de l’escadron, le Colonel Kasongo, s’est pointé personnellement devant nous et a désigné au pif quelques jeunes gens qui furent embarqués dans un véhicule 4X4 par des policiers cagoulés qui n’ont prononcé aucune parole tout le temps qu’ils étaient devant nous…. A 5 heures du matin, soit environs 2 heures après, le véhicule 4X4 est revenu et quelques-uns parmi nous ont été désignés pour laver, avec des grosses pompes à eau, ce véhicule très ensanglanté. Quand ils ont fini, l’un des jeunes n’arrêtait pas de vomir à cause du spectacle du sang de nos frères assassinés. Il fut menacé de mort s’il n’arrêtait pas de vomir et de pleurer…. La nuit suivante (ndlr : la nuit de jeudi 22 à vendredi 23) l’opération se répéta mais plusieurs fois…. C’est grâce à l’un des policiers qui a eu pitié de moi, et profitant d’un moment d’absence des gardiens cagoulés, que j’ai pu m’évader…., peut-être parce que je priais et pleurais beaucoup….
Mes frères Congolais doivent se lever et faire quelque chose. Car je l’ai vu de mes yeux, les Rwandais veulent exterminer l’élite congolaise de demain pour occuper notre pays. Dis-le à tous les Congolais. Dis-le aux jeunes, nous devons faire quelque chose ensemble…. ».
Le scandale qui s’en est suivi a obligé le gouvernement à reconnaître publiquement avoir fait enterrer ces corps en ce lieu (cimetière Fula-Fula de la commune de Maluku). Un aveu accablant !
Pourquoi un gouvernement déciderait-il d’enterrer ses propres populations dans une fosse commune en essayant de dissimuler l’affaire ?
Plusieurs hypothèses ont rapidement été avancées. Ce qui est certain est que l’affaire est devenue un boulet que le régime de Joseph Kabila va devoir traîner tout le temps qui lui reste.
Plusieurs hypothèses ont rapidement été avancées. Ce qui est certain est que l’affaire est devenue un boulet que le régime de Joseph Kabila va devoir traîner tout le temps qui lui reste.
En effet, selon Radio Okapi (radio parrainée par l’ONU), il s’agit des victimes de la répression de janvier dernier, citant des « sources concordantes ».
Les corps des manifestants tués par l’armée et la police ?
Pour rappel, un soulèvement populaire s’est produit au Congo les 19, 20 et 21 janvier lorsque le sénat a tenté d’adopter un projet de loi qui permettait au président Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite constitutionnelle de décembre 2016, par un mécanisme astucieux de glissement du calendrier électoral.
Les corps des manifestants tués par l’armée et la police ?
Pour rappel, un soulèvement populaire s’est produit au Congo les 19, 20 et 21 janvier lorsque le sénat a tenté d’adopter un projet de loi qui permettait au président Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite constitutionnelle de décembre 2016, par un mécanisme astucieux de glissement du calendrier électoral.
L’armée et la police avaient violemment réprimé les manifestants en tirant en balles réelles sur la population. Des cadavres étaient enlevés pour faire disparaître les preuves. Un groupe d’opposants qui s’était rendu à l’Hôpital général de Kinshasa(ex Mama Yemo), au chevet des victimes, fut la cible des tirs des soldats qui enlevaient les corps[1].
Selon la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), la répression coûta la vie à 42 personnes (12 selon les autorités). Mais plusieurs sources avaient avancé le bilan de « plusieurs centaines de morts », et des témoignages évoquant des exécutions sommaires avaient été rapportés[2].
Le bilan de « plusieurs centaines de morts » est toutefois resté au stade des hypothèses, les corps des victimes n’ayant pas été retrouvés. Avec la découverte de ce charnier, on est peut-être en voie de confirmer ce bilan ou de l’infirmer pour de bon. Mais encore faut-il qu’une enquête indépendante soit menée et que chaque corps soit autopsié.
Devant les représentants de la Monusco, de l’ONG américaine Human Rights Watch et des ONG locales, le vice-Premier ministre en charge de l'Intérieur, Evariste Boshab, s’est engagé, en fin de semaine dernière, à autoriser l’exhumation des corps pour les besoins de l’enquête.
Devant les représentants de la Monusco, de l’ONG américaine Human Rights Watch et des ONG locales, le vice-Premier ministre en charge de l'Intérieur, Evariste Boshab, s’est engagé, en fin de semaine dernière, à autoriser l’exhumation des corps pour les besoins de l’enquête.
Mais ce lundi 6 avril, son collègue du gouvernement,Lambert Mende, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, a déclaré qu’il n’y aura pas d’exhumation des corps.
En gros, les membres d’un même gouvernement ne sont pas d’accord entre eux sur une affaire aussi grave, ce qui laisse la porte ouverte à toute sorte d’interrogations.
L’une d’elle concerne la crédibilité de la version officielle sur l’identité des personnes enterrées dans la fosse commune. Pour le gouvernement, il s’agit des indigents dont les corps ont été abandonnés par leurs familles dans les différents hôpitaux de la ville, avant d’être acheminés à la morgue centrale de l’Hôpital général de Kinshasa.
L’une d’elle concerne la crédibilité de la version officielle sur l’identité des personnes enterrées dans la fosse commune. Pour le gouvernement, il s’agit des indigents dont les corps ont été abandonnés par leurs familles dans les différents hôpitaux de la ville, avant d’être acheminés à la morgue centrale de l’Hôpital général de Kinshasa.
Mais puisque les corps étaient déjà en état de putréfaction, se pose la question de savoir où est-ce qu’ils ont commencé à se décomposer.
Si c’était dans les hôpitaux de la ville, les patients, les familles des patients et les habitants dans les différents quartiers de Kinshasa auraient longtemps dû remarquer les odeurs et signaler la présence de ces cadavres à la presse. Ces corps proviennent donc de quelque part... Où ?
Enlèvements, cachots secrets et exécutions extrajudiciaires
Une source a évoqué, en plus des victimes de la répression de janvier dernier, la piste des victimes de l’opération Likofi, une opération menée par la police entre le 15 novembre 2013 et le 15 février 2014.
Enlèvements, cachots secrets et exécutions extrajudiciaires
Une source a évoqué, en plus des victimes de la répression de janvier dernier, la piste des victimes de l’opération Likofi, une opération menée par la police entre le 15 novembre 2013 et le 15 février 2014.
Dans son rapport d’octobre 2014, le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme(BCNUDH), avait fait état de 32 cas de disparitions forcées ajoutant avoir été au courant d’autres violations des droits de l’homme qu’il n’a pas pu vérifier.
Un mois plus tard, Human Rights Watchpubliait un rapport faisant état de 33 cas de disparitions forcées et de 51 exécutions sommaires. Au Congo, c’est principalement vers l’Agence nationale de renseignement (ANR) qu’il faut tourner les regards en cas de disparition forcée, notamment des opposants au régime.
L’Agence dispose de plusieurs cachots secrets où les victimes sont détenus illégalement et torturées. Mais il est peu probable que le procureur de la République, saisi par la Monusco, soit en mesure de mener une enquête crédible jusque dans les coulisses de l’« intouchable » agence de renseignement, ou ordonne l’exhumation et l’autopsie de chacun des 425 corps enterrés dans la fosse commune.
Il est pourtant dans l’intérêt du régime de Joseph Kabila qu’il ne puisse point subsister le moindre doute sur cette affaire, les tentatives de camoufler la vérité risquant de se retourner contre lui.
En effet, par le passé, il est arrivé qu’un président, bien que responsable de nombreux crimes auparavant, « tombe » des suites d’un « massacre » dont il s’avèrera plus tard qu’il n’en fut pas un.
En effet, par le passé, il est arrivé qu’un président, bien que responsable de nombreux crimes auparavant, « tombe » des suites d’un « massacre » dont il s’avèrera plus tard qu’il n’en fut pas un.
L’une des affaires les plus mémorables fut sans nul doute l’affaire des « charniers de Timisoara » qui, en décembre 1986, signa la fin du régime de Nicolaï Ceausescu en Roumanie.
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Boniface MUSAVULI
[1] « RDC : Massacre à l’hôpital général de Kinshasa », afrique.kongotimes.info, 14 février 2015.
[2] Un rescapé a rapporté à l’APARECO (mouvement présidé par Honoré Ngbanda) un témoignage qui résumaient à peu près les scènes d’horreurs qui se déroulaient en marge de la répression. « Je viens de vivre un véritable film d’horreur… Quand j’ai été enlevé avec mes autres camarades étudiants, on nous a amenés vers une destination inconnue où nous avons vécu un véritable enfer les nuits de mercredi 21 et jeudi 22 janvier… Mais nous avons fini par savoir où nous étions incarcérés. C’est à l’UPI (ndlr : Unité de la Police d’Intervention) située à côté du Jardin zoologique de Kinshasa, non loin du grand marché. Nous étions plus de 200 jeunes qu’ils avaient enlevés des différents coins de Kinshasa. Nous ne pouvions pas communiquer entre nous. Le silence était de rigueur…. La nuit de Mardi 21 à jeudi 22 janvier entre 2 heures et 3 heures du matin, le chef de l’escadron, le Colonel Kasongo, s’est pointé personnellement devant nous et a désigné au pif quelques jeunes gens qui furent embarqués dans un véhicule 4X4 par des policiers cagoulés qui n’ont prononcé aucune parole tout le temps qu’ils étaient devant nous…. A 5 heures du matin, soit environs 2 heures après, le véhicule 4X4 est revenu et quelques-uns parmi nous ont été désignés pour laver, avec des grosses pompes à eau, ce véhicule très ensanglanté. Quand ils ont fini, l’un des jeunes n’arrêtait pas de vomir à cause du spectacle du sang de nos frères assassinés. Il fut menacé de mort s’il n’arrêtait pas de vomir et de pleurer…. La nuit suivante (ndlr : la nuit de jeudi 22 à vendredi 23) l’opération se répéta mais plusieurs fois…. C’est grâce à l’un des policiers qui a eu pitié de moi, et profitant d’un moment d’absence des gardiens cagoulés, que j’ai pu m’évader…., peut-être parce que je priais et pleurais beaucoup….
Mes frères Congolais doivent se lever et faire quelque chose. Car je l’ai vu de mes yeux, les Rwandais veulent exterminer l’élite congolaise de demain pour occuper notre pays. Dis-le à tous les Congolais. Dis-le aux jeunes, nous devons faire quelque chose ensemble…. ».
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