jeudi 18 juin 2015

Dans le parc congolais des Virunga, l’armée à la solde du pétrolier SOCO

Le 10.06.2015

 
Le feuilleton trouble du Parc national des Virunga, en République démocratique du Congo (RDC), convoité par les compagnies pétrolières étrangères vient de connaître un nouveau rebondissement, mercredi 10 juin. 


L’existence de transactions financières entre des soldats de l’armée congolaise et les représentants de la société britannique SOCO International — la seule à avoir procédé à des opérations d’exploration au cœur du site classé au patrimoine mondial de l’Unesco — a été mise au jour par l’organisation non gouvernementale (ONG) Global Witness.

Jusqu’à présent SOCO avait toujours refusé de reconnaître avoir versé de l’argent au major Burimba Feruzi et à ses hommes — officiellement placés auprès de la compagnie par les Forces armées de RDC pour assurer la sécurité des employés. En particulier au moment des opérations d’exploration sismique sur le lac Edouard au printemps 2014.

Les documents révélés par l’ONG britannique mercredi, alors que doit se tenir à Londres l’assemblée annuelle de l’entreprise, montrent que le major Feruzi a reçu, en deux temps, la somme de 42 250 dollars entre avril et mai 2014. 


Il s’agit de quatre chèques endossables sur le compte de SOCO à la Banque internationale de crédit à Goma et de deux lettres manuscrites signées par le militaire reconnaissant le versement de cette somme à titre de « salaires et de per diem » par Damas Vunabandi, chargé du protocole et de la logistique chez SOCO depuis 2010.

En accord avec le gouvernement congolais

Interrogé par Global Witness sur l’existence de ces versements, Roger Cagle, vice-PDG de SOCO, a répondu que « ni lui [major Feruzi] ni aucun autre soldat n’ont jamais été employés par SOCO. 


Tous les ordres reçus [par les soldats] émanent du gouvernement congolais. […] De plus, tous les arrangements financiers ont entièrement été pris en accord avec le gouvernement, et en toute transparence. »

Contactée par Le Monde, SOCO précise qu’elle « n’a jamais nié financer le travail effectué par l’armée congolaise pour assurer la sécurité de son personnel et de ses contractants lors des opérations sismiques. 


Mais elle réfute toute allégation laissant penser que ces financements pourraient être liés à des actes d’intimidation ou de violence », à l’égard des communautés et des activistes hostiles au projet d’exploitation pétrolière.

Dans la région, il semble en effet que le major Feruzi et ses hommes soient bien connus pour leurs méthodes. Des témoignages recueillis par des ONG et par des journalistes de la BBC font état de menaces et de coups reçus par des défenseurs de l’environnement. 


Des pêcheurs qui tirent leur subsistance du lac Edouard, ont déclaré avoir été détenus en voulant s’opposer aux activités de SOCO. Deux d’entre eux sont morts dans des circonstances non élucidées. Major Feruzi est également accusé d’avoir offert 3 000 dollars de pot-de-vin à un des gardes du parc.

En avril 2014, le directeur du parc des Virunga, Emmanuel de Mérode, a été attaqué et grièvement blessé alors qu’il venait de remettre auprès du procureur de la République de Goma, un dossier à charge contre le groupe pétrolier. 


Human Right Watch a interpellé officiellement le gouvernement congolais en juin 2014 en demandant qu’une enquête soit ouverte sur les violences et les tentatives de corruption menées envers les gardes du parc et les activistes locaux.

Comme la major française Total, SOCO a obtenu un permis d’exploration de l’Etat congolais en 2011. Le bloc V qui lui a été attribué, couvre une superficie de 7 500 km² dont une grande partie du lac Edouard qui est pour l’UNESCO, « un des piliers de la valeur universelle du site des Virunga ». 


Une population d’environ 50 000 personnes vit de la pêche autour du lac. Crée en 1925, le plus vieux parc naturel d’Afrique est en outre connu pour abriter une importante population de gorilles des montagnes, une espèce menacée d’extinction.

Sous la pression de l’UNESCO et des ONG internationales, Total a pris l’engagement en 2013 de ne pas prospecter dans le parc des Virunga. 


En juin 2014, après avoir terminé les études d’exploration, SOCO s’est à son tour engagée à ne plus y travailler.

Lire aussi (édition ébonnés) : L'exploration pétrolière dans le parc congolais des Virunga va être stoppée


Deux ans de sursis

L’histoire n’est cependant pas terminée. La redéfinition des limites du parc pour ouvrir la voie à l’exploitation pétrolière est une option ouvertement débattue à Kinshasa.

Fin juin, lors du Comité du patrimoine mondial qui se réunira à Bonn, il sera une nouvelle fois demandé au gouvernement congolais d’annuler les permis accordés aux compagnies pétrolières.

Jusqu’à présent, l’UNESCO n’a été saisie d’aucune demande de modification des limites du parc. « La remise en cause des critères ayant permis le classement des sites répond à une procédure très complexe. Toute demande doit être déposée avant le 1er février de l’année et l’instruction du dossier prend en général 18 mois », explique Leila Maziz, responsable des sites africains. 


Un délai qui donne au moins deux ans de sursis aux Virunga. A condition que le gouvernement congolais respecte la Convention sur le Patrimoine mondial dont il est signataire.
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Laurence Caramel
LE MONDE

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