samedi 27 juin 2015
Un des plus grands criminels de guerre d’Afrique a été arrêté à Londres le samedi 20 juin 2015. Le général Emmanuel Karenzi Karake, chef des services de renseignement rwandais, a été arrêté par la police à l’aéroport d’Heathrow alors qu’il s’apprêtait à reprendre l’avion à destination de son pays, le Rwanda.
Il était sous le coup d’un mandat d’arrêt européen émis par la justice espagnole pour une série de crimes dont la nature particulièrement abjecte a justifié l’adoption, en droit pénal international, du principe de compétence universelle, consacré dans la législation espagnole.
Selon l’ordonnance du juge espagnol Fernando Andreu Merelles, du 06 février 2008, Karenzi Karake est responsable, entre autres, de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de crimes de terrorisme.
Une des régions où l’accusé a particulièrement sévi est l’Est de la République démocratique du Congo, plusieurs fois envahi et saccagé par l’armée tutsie rwandaise.
Etonnamment, on observe un silence complet de l’Etat congolais depuis l’arrestation de l’officier rwandais.
En effet, sous d’autres cieux, le Congo aurait salué, de façon remarquée, cette arrestation, le début de justice pour les millions de ses habitants tués durant les invasions du pays par les troupes rwandaises.
On aurait assisté à des scènes de liesse partout au Congo, en commençant par Kinshasa la capitale. Le gouvernement aurait pris contact avec les autorités britanniques et espagnoles afin de compléter le dossier d’accusation par les plaintes des familles des victimes.
Les ambassadeurs auraient mobilisé la diaspora pour la tenir informée des suites judiciaires, et encouragé les victimes vivant en Europe à se manifester pour renforcer le dossier d’accusation.
Au pays, des cérémonies de commémoration auraient été organisées sur les sites des massacres pour conforter l’espoir de justice et la solidarité de la nation avec les familles des victimes. Eh bien, rien de tout cela ne se passe au Congo.
La raison de cette situation hallucinante est à rechercher au sommet de l’Etat.
La paralysie d’un Etat sous tutelle
Il y a effectivement un homme en Afrique qui n’aurait pas digéré que les Congolais, dans le contexte politique actuel, célébrassent avec liesse l’arrestation de Karenzi Karake.
Il s’agit du président rwandais Paul Kagame, qui exerce un tel pouvoir de tutelle sur les « politiciens » congolais, que ces derniers osent à peine prononcer son nom, malgré les multiples interventions meurtrières de son armée sur le sol congolais.
Voltaire disait : « Pour savoir qui vous dirige vraiment il suffit de regarder ceux que vous ne pouvez pas critiquer ». C’est la situation actuelle des Congolais face au régime tutsi rwandais. Ici vit un peuple dans un profond malaise depuis qu’un homme, Joseph Kabila, a été installé à la présidence de la république.
Le Congo vit dans une forme de paralysie généralisée et d’invisibilité, alors qu’il devrait attirer l’attention des médias internationaux, compte tenu de la gravité et de l’ampleur des crimes qui ont été commis sur son territoire et qui ont causé, selon les estimations les plus admises, plus de six millions de morts.
Mais le pays doit se taire sur tous ces crimes, et un homme veille. Un des soldats de Kagame. Depuis son arrivée au pouvoir à Kinshasa, toutes les tentatives visant à réprimer les crimes des hommes de Kagame sont étouffées[1]. Comment en est-on arrivé là ?
Histoire d’un peuple qui se fit avoir par ses ennemis
En 1996, l’armée tutsie rwandaise envahit le Congo sous le masque d’une fausse « rébellion » dénommée AFDL[2]. Parmi les soldats rwandais qui franchissent la frontière, il y a bien entendu Emmanuel Karenzi Karake, mais aussi un certain Commandant Hyppo, officier de l’Armée patriotique rwandaise (APR).
Il est rattaché au commandant qui patronne les troupes d’invasion, le général James Kabarebe, l’actuel ministre rwandais de la Défense. Au fil de la conquête du pays, le Commandant Hyppo change d’identité et se fait connaître sous le nom de « Joseph Kabila ».
Il deviendra, quatre ans plus tard, « le président Joseph Kabila Kabange ». Depuis, l’ancien soldat rwandais est à la tête du Congo et contrôle ses institutions.
On imagine assez aisément que la justice espagnole, un des systèmes judiciaires les plus aboutis[3], devrait essayer de comprendre ce que l’officier Karenzi Karake a exactement fait dans les villes congolaises où son nom est cité pour son implication dans les massacres[4].
On se doute bien que les enquêteurs espagnols, et les médias, devraient se demander avec qui il a pu commettre ces crimes.
Des questions qui pourraient mener au président Kabila. Où se trouvait-il pendant les tueries ? Dans quels bataillons servait-il ? Connaissait-il Karenzi Karake ? Quel rôle a-t-il pu jouer ?
Autant de questions qui expliquent le silence paradoxal, du Congo et le malaise qui se lit sur le visage des Congolais face à l’affaire Karenzi Karake. Et pourtant ils avaient-là une occasion rarissime d’escompter un début de justice s’ils avaient juste quelqu’un qui aurait pu se charger du dossier auprès de la justice espagnole[5].
Du coup, depuis samedi 20 juin, on regarde du côté du gouvernement de Kinshasa… silence radio. On regarde du côté du parquet général de Kinshasa… silence radio. On regarde du côté des députés et des sénateurs, dont nombreux sont des élus des provinces où Karenzi Karake a commis ces crimes … silence radio.
Quid des leaders politiques, notamment les grandes figures de l’opposition à Kinshasa qui ambitionnent de se présenter à l’élection présidentielle de 2016 ? Silence radio !
Bref, un peuple qui aurait pu exulter de joie mais qui se retrouve sans une seule autorité disposée à saisir l’occasion qui se présente pour faire avancer la cause de ses victimes. Un peuple en mort lente ?
Etat amorphe, peuple orphelin ?
La conséquence logique de cette absence de manifestation de l’Etat congolais est que la justice espagnole pourrait se contenter du strict minimum. Elle pourrait limiter la procédure contre le général rwandais au seul dossier de l’assassinat de trois humanitaires espagnols (Flors Sirera, Manuel Madrazo et Luis Valtueña) tués dans le Nord du Rwanda par les soldats du Front patriotique rwandais[6].
Elle pourrait, à la limite, étendre les poursuites aux crimes commis contre des populations rwandaises, compte tenu de la mobilisation des ressortissants rwandais en exil, dont certains ont apporté les témoignages qui ont permis au juge espagnol de constituer son dossier.
Les Congolais, qui ont pourtant le plus souffert des cruautés du régime rwandais, en termes de pertes en vies humaines, pourraient ne jamais apparaître dans le dossier de Madrid.
La faute à la prise en otage de l’Etat congolais par les hommes de Kagame par Kabila interposé. Mais il n’est pas exclu que quelques initiatives désespérées soient prises par-ci par-là.
Dans un communiqué de l’Apareco, le mouvement que préside Honoré Ngbanda, pratiquement la seule force politique congolaise qui s’est exprimée sur l’arrestation du général rwandais, on peut lire que le mouvement va introduire une plainte auprès de la justice britannique.
Le mouvement appelle les victimes congolaises à se manifester. Une initiative qui se lit comme un cri de détresse face au vide d’Etat auquel les Congolais et leurs victimes sont confrontés. Peut-être va-t-elle motiver les autres organisations à se manifester et à appuyer l’opportunité que représente le dossier ouvert par la justice espagnole. Un maigre espoir…
En réalité, les familles des victimes congolaises ne peuvent sérieusement envisager d’obtenir justice un jour que lorsque le Congo cessera d’être ce qu’il est aujourd’hui : un Etat amorphe et bafoué. Une sorte de province extravagante du « Grand Rwanda » à la tête de laquelle Kagame a placé « son gouverneur ».
La reproduction de la caricature du début du siècle dernier, lorsque le roi des Belges Léopold II, à la tête d’un petit royaume du Vieux Continent, prit possession du grand Congo et le plaça entre les mains de ses hommes pour le piller et massacrer sa population dans un silence comparable.
________________
Boniface MUSAVULI
[1] Les crimes du régime de Kigali au Congo auraient dû donner lieu à la création d’un tribunal pénal international (pour le Congo). Le projet a été abandonné. A Kinshasa, toute tentative visant à punir les responsables de ces massacres, est étouffée dans l’œuf. L’impunité sur ces crimes, qui devrait être qualifiés de génocide, selon les enquêteurs de l’ONU, doit perdurer tant que Kabila sera au pouvoir.
[2] Etonnamment, l’armée du Rwanda, un petit pays (90 fois plus petit que le Congo) et dépourvu de ressources, parvint à défaire l’armée du Congo (Zaïre à l’époque). En réalité, Kagame menait contre le Congo une guerre par procuration orchestrée par les puissances anglo-saxonnes (USA, GB, Canada) qui tenaient à contrôler les ressources minières de l’Est du Congo, ce que révéleront les rapports des experts de l’ONU. Le président américain Bill Clinton avait décidé de chasser Mobutu du pouvoir et chargea Kagame et Museveni d’envahir le Congo. Dans la coalition internationale, derrière l’armée de Kagame, opérait également les Israéliens, les Sud-africains et, plus anecdotique, les Belges.
[3] Contrairement aux pays comme le Royaume-Uni, la France ou les Etats-Unis, l’Espagne n’a aucun lien, ni géopolitique ni historique avec le Rwanda, qui pourrait gêner des procédures judiciaires. L'Espagne est aussi connue pour ses nombreuses poursuites portant sur des atteintes massives aux droits de l'Homme, dans des pays étrangers. Un mandat lancé contre l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet par le juge espagnol Baltasar Garzon, avait permis son arrestation à Londres, en novembre 1998, sur la base de la loi de compétence universelle. Cette loi permet à la justice espagnole de poursuivre les auteurs des crimes graves, même lorsque les victimes et leurs auteurs ne sont pas espagnols. En février 2014, le parlement espagnol a voté une loi limitant la portée de la compétence universelle. Mais Pour Jordi Palou-Loverdos, l’avocat des familles des victimes espagnoles, cette nouvelle loi ne devrait pas s’appliquer pour cette affaire, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Mais il y a aussi un risque, non négligeable, que l’officier rwandais soit laissé libre. Cf. « Pourquoi la Grande-Bretagne a arrêté le chef des services de renseignement rwandais », Aude Massiot, liberation.fr, 25 JUIN 2015.
[4] Parmi les sites et villes citées il y a Kibumba, Kisangani, Shabunda, Makobola, Goma, Tingi-Tingi, Kalima,… Une partie de ces massacres a été documenté dans le Rapport du Projet Mapping d’août 2010, accessible sur ce lien : http://www.ohchr.org/Documents/Countries/CD/DRC_MAPPING_REPORT_FINAL_FR.pdf. Ce rapport peut être couplé avec l’Ordonnance du juge espagnol dans lequel apparaît le nom du général Emmanuel Karenzi Karake.
[5] Evidemment, le gouvernement congolais aurait déjà dû mener des démarches en vue de poursuites contre les dirigeants politiques et militaires rwandais impliqués dans les massacres au Congo, si le pays disposait d’un Etat exerçant sa pleine souveraineté.
[6] Le 18 janvier 1997 les trois humanitaires espagnols de Médecins du Monde, ont été témoins du massacre de 50 Hutus par des soldats du Front patriotique rwandais (FPR), dans les villages de Nyakimana et Mukingo, au nord du Rwanda. Le même jour, un villageois leur a montré une fosse commune avec les corps des victimes de tueries perpétrées les jours précédents. Deux jours plus tard, quatre soldats tutsis sont venus les tuer parce qu’ils détenaient des informations sensibles sur les massacres que réalisaient le FPR. Cf. Ordonnance du Juge espagnol Fernando Andreu Merelles du 6 février 2008.
Un des plus grands criminels de guerre d’Afrique a été arrêté à Londres le samedi 20 juin 2015. Le général Emmanuel Karenzi Karake, chef des services de renseignement rwandais, a été arrêté par la police à l’aéroport d’Heathrow alors qu’il s’apprêtait à reprendre l’avion à destination de son pays, le Rwanda.
Il était sous le coup d’un mandat d’arrêt européen émis par la justice espagnole pour une série de crimes dont la nature particulièrement abjecte a justifié l’adoption, en droit pénal international, du principe de compétence universelle, consacré dans la législation espagnole.
Selon l’ordonnance du juge espagnol Fernando Andreu Merelles, du 06 février 2008, Karenzi Karake est responsable, entre autres, de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de crimes de terrorisme.
Une des régions où l’accusé a particulièrement sévi est l’Est de la République démocratique du Congo, plusieurs fois envahi et saccagé par l’armée tutsie rwandaise.
Etonnamment, on observe un silence complet de l’Etat congolais depuis l’arrestation de l’officier rwandais.
En effet, sous d’autres cieux, le Congo aurait salué, de façon remarquée, cette arrestation, le début de justice pour les millions de ses habitants tués durant les invasions du pays par les troupes rwandaises.
On aurait assisté à des scènes de liesse partout au Congo, en commençant par Kinshasa la capitale. Le gouvernement aurait pris contact avec les autorités britanniques et espagnoles afin de compléter le dossier d’accusation par les plaintes des familles des victimes.
Les ambassadeurs auraient mobilisé la diaspora pour la tenir informée des suites judiciaires, et encouragé les victimes vivant en Europe à se manifester pour renforcer le dossier d’accusation.
Au pays, des cérémonies de commémoration auraient été organisées sur les sites des massacres pour conforter l’espoir de justice et la solidarité de la nation avec les familles des victimes. Eh bien, rien de tout cela ne se passe au Congo.
La raison de cette situation hallucinante est à rechercher au sommet de l’Etat.
La paralysie d’un Etat sous tutelle
Il y a effectivement un homme en Afrique qui n’aurait pas digéré que les Congolais, dans le contexte politique actuel, célébrassent avec liesse l’arrestation de Karenzi Karake.
Il s’agit du président rwandais Paul Kagame, qui exerce un tel pouvoir de tutelle sur les « politiciens » congolais, que ces derniers osent à peine prononcer son nom, malgré les multiples interventions meurtrières de son armée sur le sol congolais.
Voltaire disait : « Pour savoir qui vous dirige vraiment il suffit de regarder ceux que vous ne pouvez pas critiquer ». C’est la situation actuelle des Congolais face au régime tutsi rwandais. Ici vit un peuple dans un profond malaise depuis qu’un homme, Joseph Kabila, a été installé à la présidence de la république.
Le Congo vit dans une forme de paralysie généralisée et d’invisibilité, alors qu’il devrait attirer l’attention des médias internationaux, compte tenu de la gravité et de l’ampleur des crimes qui ont été commis sur son territoire et qui ont causé, selon les estimations les plus admises, plus de six millions de morts.
Mais le pays doit se taire sur tous ces crimes, et un homme veille. Un des soldats de Kagame. Depuis son arrivée au pouvoir à Kinshasa, toutes les tentatives visant à réprimer les crimes des hommes de Kagame sont étouffées[1]. Comment en est-on arrivé là ?
Histoire d’un peuple qui se fit avoir par ses ennemis
En 1996, l’armée tutsie rwandaise envahit le Congo sous le masque d’une fausse « rébellion » dénommée AFDL[2]. Parmi les soldats rwandais qui franchissent la frontière, il y a bien entendu Emmanuel Karenzi Karake, mais aussi un certain Commandant Hyppo, officier de l’Armée patriotique rwandaise (APR).
Il est rattaché au commandant qui patronne les troupes d’invasion, le général James Kabarebe, l’actuel ministre rwandais de la Défense. Au fil de la conquête du pays, le Commandant Hyppo change d’identité et se fait connaître sous le nom de « Joseph Kabila ».
Il deviendra, quatre ans plus tard, « le président Joseph Kabila Kabange ». Depuis, l’ancien soldat rwandais est à la tête du Congo et contrôle ses institutions.
On imagine assez aisément que la justice espagnole, un des systèmes judiciaires les plus aboutis[3], devrait essayer de comprendre ce que l’officier Karenzi Karake a exactement fait dans les villes congolaises où son nom est cité pour son implication dans les massacres[4].
On se doute bien que les enquêteurs espagnols, et les médias, devraient se demander avec qui il a pu commettre ces crimes.
Des questions qui pourraient mener au président Kabila. Où se trouvait-il pendant les tueries ? Dans quels bataillons servait-il ? Connaissait-il Karenzi Karake ? Quel rôle a-t-il pu jouer ?
Autant de questions qui expliquent le silence paradoxal, du Congo et le malaise qui se lit sur le visage des Congolais face à l’affaire Karenzi Karake. Et pourtant ils avaient-là une occasion rarissime d’escompter un début de justice s’ils avaient juste quelqu’un qui aurait pu se charger du dossier auprès de la justice espagnole[5].
Du coup, depuis samedi 20 juin, on regarde du côté du gouvernement de Kinshasa… silence radio. On regarde du côté du parquet général de Kinshasa… silence radio. On regarde du côté des députés et des sénateurs, dont nombreux sont des élus des provinces où Karenzi Karake a commis ces crimes … silence radio.
Quid des leaders politiques, notamment les grandes figures de l’opposition à Kinshasa qui ambitionnent de se présenter à l’élection présidentielle de 2016 ? Silence radio !
Bref, un peuple qui aurait pu exulter de joie mais qui se retrouve sans une seule autorité disposée à saisir l’occasion qui se présente pour faire avancer la cause de ses victimes. Un peuple en mort lente ?
Etat amorphe, peuple orphelin ?
La conséquence logique de cette absence de manifestation de l’Etat congolais est que la justice espagnole pourrait se contenter du strict minimum. Elle pourrait limiter la procédure contre le général rwandais au seul dossier de l’assassinat de trois humanitaires espagnols (Flors Sirera, Manuel Madrazo et Luis Valtueña) tués dans le Nord du Rwanda par les soldats du Front patriotique rwandais[6].
Elle pourrait, à la limite, étendre les poursuites aux crimes commis contre des populations rwandaises, compte tenu de la mobilisation des ressortissants rwandais en exil, dont certains ont apporté les témoignages qui ont permis au juge espagnol de constituer son dossier.
Les Congolais, qui ont pourtant le plus souffert des cruautés du régime rwandais, en termes de pertes en vies humaines, pourraient ne jamais apparaître dans le dossier de Madrid.
La faute à la prise en otage de l’Etat congolais par les hommes de Kagame par Kabila interposé. Mais il n’est pas exclu que quelques initiatives désespérées soient prises par-ci par-là.
Dans un communiqué de l’Apareco, le mouvement que préside Honoré Ngbanda, pratiquement la seule force politique congolaise qui s’est exprimée sur l’arrestation du général rwandais, on peut lire que le mouvement va introduire une plainte auprès de la justice britannique.
Le mouvement appelle les victimes congolaises à se manifester. Une initiative qui se lit comme un cri de détresse face au vide d’Etat auquel les Congolais et leurs victimes sont confrontés. Peut-être va-t-elle motiver les autres organisations à se manifester et à appuyer l’opportunité que représente le dossier ouvert par la justice espagnole. Un maigre espoir…
En réalité, les familles des victimes congolaises ne peuvent sérieusement envisager d’obtenir justice un jour que lorsque le Congo cessera d’être ce qu’il est aujourd’hui : un Etat amorphe et bafoué. Une sorte de province extravagante du « Grand Rwanda » à la tête de laquelle Kagame a placé « son gouverneur ».
La reproduction de la caricature du début du siècle dernier, lorsque le roi des Belges Léopold II, à la tête d’un petit royaume du Vieux Continent, prit possession du grand Congo et le plaça entre les mains de ses hommes pour le piller et massacrer sa population dans un silence comparable.
________________
Boniface MUSAVULI
[1] Les crimes du régime de Kigali au Congo auraient dû donner lieu à la création d’un tribunal pénal international (pour le Congo). Le projet a été abandonné. A Kinshasa, toute tentative visant à punir les responsables de ces massacres, est étouffée dans l’œuf. L’impunité sur ces crimes, qui devrait être qualifiés de génocide, selon les enquêteurs de l’ONU, doit perdurer tant que Kabila sera au pouvoir.
[2] Etonnamment, l’armée du Rwanda, un petit pays (90 fois plus petit que le Congo) et dépourvu de ressources, parvint à défaire l’armée du Congo (Zaïre à l’époque). En réalité, Kagame menait contre le Congo une guerre par procuration orchestrée par les puissances anglo-saxonnes (USA, GB, Canada) qui tenaient à contrôler les ressources minières de l’Est du Congo, ce que révéleront les rapports des experts de l’ONU. Le président américain Bill Clinton avait décidé de chasser Mobutu du pouvoir et chargea Kagame et Museveni d’envahir le Congo. Dans la coalition internationale, derrière l’armée de Kagame, opérait également les Israéliens, les Sud-africains et, plus anecdotique, les Belges.
[3] Contrairement aux pays comme le Royaume-Uni, la France ou les Etats-Unis, l’Espagne n’a aucun lien, ni géopolitique ni historique avec le Rwanda, qui pourrait gêner des procédures judiciaires. L'Espagne est aussi connue pour ses nombreuses poursuites portant sur des atteintes massives aux droits de l'Homme, dans des pays étrangers. Un mandat lancé contre l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet par le juge espagnol Baltasar Garzon, avait permis son arrestation à Londres, en novembre 1998, sur la base de la loi de compétence universelle. Cette loi permet à la justice espagnole de poursuivre les auteurs des crimes graves, même lorsque les victimes et leurs auteurs ne sont pas espagnols. En février 2014, le parlement espagnol a voté une loi limitant la portée de la compétence universelle. Mais Pour Jordi Palou-Loverdos, l’avocat des familles des victimes espagnoles, cette nouvelle loi ne devrait pas s’appliquer pour cette affaire, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Mais il y a aussi un risque, non négligeable, que l’officier rwandais soit laissé libre. Cf. « Pourquoi la Grande-Bretagne a arrêté le chef des services de renseignement rwandais », Aude Massiot, liberation.fr, 25 JUIN 2015.
[4] Parmi les sites et villes citées il y a Kibumba, Kisangani, Shabunda, Makobola, Goma, Tingi-Tingi, Kalima,… Une partie de ces massacres a été documenté dans le Rapport du Projet Mapping d’août 2010, accessible sur ce lien : http://www.ohchr.org/Documents/Countries/CD/DRC_MAPPING_REPORT_FINAL_FR.pdf. Ce rapport peut être couplé avec l’Ordonnance du juge espagnol dans lequel apparaît le nom du général Emmanuel Karenzi Karake.
[5] Evidemment, le gouvernement congolais aurait déjà dû mener des démarches en vue de poursuites contre les dirigeants politiques et militaires rwandais impliqués dans les massacres au Congo, si le pays disposait d’un Etat exerçant sa pleine souveraineté.
[6] Le 18 janvier 1997 les trois humanitaires espagnols de Médecins du Monde, ont été témoins du massacre de 50 Hutus par des soldats du Front patriotique rwandais (FPR), dans les villages de Nyakimana et Mukingo, au nord du Rwanda. Le même jour, un villageois leur a montré une fosse commune avec les corps des victimes de tueries perpétrées les jours précédents. Deux jours plus tard, quatre soldats tutsis sont venus les tuer parce qu’ils détenaient des informations sensibles sur les massacres que réalisaient le FPR. Cf. Ordonnance du Juge espagnol Fernando Andreu Merelles du 6 février 2008.
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