le 29 juin 2015
Ils sont frères, sœurs, cousins ou parents plus éloignés. Ils partagent le même nom ou la même filiation, ils ont survécu à des changements de régime et occupent depuis des années l'espace public. Voyage au cœur d'une république très dynastique.
C ‘était il y a presque quinze ans, le 16 janvier 2001. Ce jour-là, le président Laurent-Désiré Kabila est assassiné à Kinshasa, et le simple décret qui fait office de Constitution n’a rien prévu en pareil cas.
À défaut d’une légitimité démocratique, impossible à trouver à cet instant, les barons du régime optent donc pour une succession dynastique. Ils se mettent d’accord sur un nom, ou plutôt sur un prénom : celui de Joseph, l’un des fils du défunt, que l’on fait venir en urgence de Lubumbashi pour prendre le pouvoir.
À l’époque, les Congolais ne savent rien ou presque de la famille Kabila. Le Mzee (le « vieux », en swahili) a toujours refusé de dévoiler l’identité de la première dame. Maintenant que Joseph a succédé à son père, il faut que sa filiation soit rendue publique, et sa mère, Mama Sifa, fait sa première apparition télévisée dans la foulée.
Chez les Kabila, la famille relève donc à la fois du secret et du sacré. Elle est aussi la source du pouvoir.
Deux autres de ses membres sont d’ailleurs sortis de l’ombre pour se lancer en politique : le jeune frère du président, Zoé (qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son aîné), et sa sœur jumelle, Jaynet. Tous deux se sont présentés aux législatives de 2011. Tous deux ont été élus. Et tous deux ont toujours une part de mystère.
Les archives de l’Assemblée nationale, conservées dans les entrailles chaudes et humides du Palais du peuple, ne comportent nulle trace de la fiche de renseignement de Jaynet, qui devrait pourtant porter la mention, entre autres, du nom de ses parents, de son conjoint et de ses enfants. L’intéressée ne l’a pas remplie.
En revanche, celle de Zoé existe. Rédigée à la main, elle révèle que son épouse a pour nom Nita Kabila. Or Nita Boukani de son nom de jeune fille n’est autre que la nièce du sénateur d’opposition Raymond Ramazani Baya, qui fut ministre des Affaires étrangères dans les années 2000 et ambassadeur de Mobutu à Paris au cours de la décennie précédente.
À dire vrai, ce genre de liens mêlant famille et politique n’est pas propre aux Kabila, loin s’en faut. Que l’on songe, par exemple, à l’Union pour la démocratique et le progrès social (UDPS, le principal parti d’opposition) d’Étienne Tshisekedi.
L’influence de Félix, le fils, grandit à mesure que la santé du « vieux » faiblit, si bien qu’il est, aujourd’hui, le mieux placé pour lui succéder. Le soutien de sa mère, Marthe, très influente au sein du parti, ne gâche rien.
Quant à la famille de Jean-Pierre Bemba, le président du Mouvement de libération du Congo (MLC) détenu à La Haye, elle pèse également depuis longtemps sur la scène politique congolaise. Le patriarche, Jeannot Bemba, était l’un des plus riches hommes d’affaires du Zaïre du maréchal Mobutu.
À lire aussi :La république dynastique du Congo
« Les acteurs politiques congolais se connaissent souvent personnellement, parfois au travers de leurs familles, résume un diplomate occidental en poste à Kinshasa. Ils se parlent et fréquentent les mêmes lieux. Cela permet d’éviter que les tensions politiques ne dégénèrent. Ici, un adversaire politique peut aussi être un ami, un cousin ou un beau-frère. Rarement un ennemi à abattre. »
Cela n’a pas toujours été le cas. Lors de l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, en 1997, une partie de l’élite politico-familiale qui avait prospéré sous Mobutu a été contrainte à l’exil. Pas les Moleka.
Certes, le père, Ignace, était proche du maréchal, et son fils Thimothée avait même été le gouverneur de Kinshasa. Mais ils ont refusé de partir et continué à jouer un rôle sur la scène politique locale. Albert, le cadet de la famille, s’est allié à Étienne Tshisekedi, dont il a été le porte-parole puis le directeur de cabinet, de 2008 à 2014.
À lire aussi :RDC : Étienne Tshisekedi, ad vitam aeternam
Aujourd’hui, Albert Moleka reçoit dans un vaste bureau sombre, au fond de la boutique African Lux jadis fondée par son père. Aux murs, les photos de famille jaunies par le temps. Assis dans un fauteuil, un des fils qu’il a eu avec Monique, la fille de Moïse Tshombe, président d’un Katanga brièvement indépendant dans les années 1960. La tante de ce jeune homme n’est autre qu’Isabel Ruth Tshombe, représentante personnelle du président Kabila pour la Francophonie…
« J’ai rejoint Étienne Tshisekedi, dans les années 1980. Mon rôle était de faire du lobbying auprès des autorités pour faire libérer les militants arrêtés, raconte Albert Moleka. Évidemment, mon nom me facilitait beaucoup la tâche. »
Mobutu en est informé, mais il ne s’oppose pas à ce compagnonnage : il sait que les réseaux sont à double sens et, plusieurs fois, il demandera à Albert de transmettre de discrets messages.
Le maréchal était un maître dans l’art d’utiliser les liens familiaux à des fins politiques. Lorsqu’il apprend, quelques années plus tard, que Félix Tshisekedi, le fils de son principal adversaire, fréquente la sœur de son secrétaire particulier, Lando Kota-Mbongo, il ne résiste pas à l’envie de s’en mêler. Il charge Lando de faire en sorte que Félix demande sa sœur en mariage.
« Le maréchal est d’accord et il est prêt à recevoir la dot lui-même ! Nous pouvons réunifier la République avec ce mariage ! » Mais Lando a beau insister, Félix refuse. Depuis il s’est marié avec une autre, Denise, dont le frère travaille au protocole de l’actuel président…
Une autre manœuvre politico-familiale aura été beaucoup plus utile à Mobutu. Lors d’une visite à Kinshasa, son homologue centrafricain d’alors, Jean-Bedel Bokassa, s’entiche de Marie-Hélène Moleka, la sœur d’Albert.
La suite, c’est Albert qui la raconte : « Ma sœur est allée vivre à Bangui à la fin des années 1960. Mobutu lui avait demandé d’espionner Bokassa pour lui. Dès qu’elle avait une information, elle la griffonnait sur un bout de papier, qu’elle déposait sur le trottoir, par la grille de sa résidence. Un agent de l’ambassade était chargé de le récupérer. Cela a duré jusqu’à ce qu’elle se fasse prendre. Elle a eu très peur et est rentrée à Kinshasa. Malgré tout, à chaque fois que Bokassa venait en visite, il la réclamait ! »
À l’autre bout du continent, d’autres alliances familiales se forment, cette fois contre Mobutu. En trahissant Patrice Lumumba, le héros de l’indépendance mort assassiné, le maréchal a fait de ses enfants des adversaires.
Recueillis par le président Nasser, ces derniers grandissent au Caire, où ils apprennent l’arabe. C’est d’ailleurs ce qui vaudra à Juliana, l’aînée des enfants Lumumba, le poste de secrétaire générale de l’Union africaine des chambres de commerce, d’industrie, d’agriculture et de professions (UACCIAP), dont le siège est situé dans la capitale égyptienne.
Son frère François parvient pour sa part à tisser son réseau dans le palais de Mouammar Kadhafi et dans celui de Saddam Hussein. « À l’époque, un Lumumba, qui en plus parlait arabe, cela intriguait beaucoup dans cette région », se souvient-il.
Dans les années 1980, il aide Laurent-Désiré Kabila, chef rebelle alors en quête de soutiens, à entrer en contact avec les maîtres de Tripoli et de Bagdad. Devenu président, le Mzee fera de Juliana sa ministre de la Culture et de l’Information.
Malgré leur célèbre patronyme, les Lumumba sont loin d’avoir l’aisance financière et les réseaux d’autres grands noms de la politique congolaise.
Malgré leur célèbre patronyme, les Lumumba sont loin d’avoir l’aisance financière et les réseaux d’autres grands noms de la politique congolaise.
Dans le jardin ombragé de la résidence autrefois occupée par son père, dans le centre de Kinshasa, Juliana semble n’en nourrir aucun regret : « Nous sommes restés très longtemps loin d’ici alors que les autres familles ont vécu ensemble. C’est normal qu’elles se soient mariées entre elles. Nous, notre mère nous a élevés en nous demandant de mériter notre nom. Il nous était interdit de le compromettre. »
Pour autant, Juliana n’en a pas fini avec la politique. Elle sera candidate sans étiquette, à Kinshasa, lors des prochaines élections provinciales.
La relative marginalisation des Lumumba sur la scène politique reste un cas exceptionnel. Il n’y a qu’à observer le gouvernement actuel pour s’en convaincre.
Le vice-ministre de la Coopération internationale, Franck Mwe di Malila, est le gendre de Kengo wa Dondo, l’actuel président du Sénat, qui fut autrefois Premier ministre de Mobutu. Venu de l’opposition, Germain Kambinga, le ministre de l’Industrie, est le fils de feu Christian Kambinga, qui fut également ministre de Joseph Kabila.
L’épouse de Thomas Luhaka, le vice-Premier ministre des Postes et Télécommunications, fait partie de la famille de Mama Sifa, la mère du président. Son collègue du Plan, Olivier Kamitatu, est le fils de Cléophas, lui-même ministre dans les années 1960 et 1980, et le gendre de feu Justin-Marie Bomboko, un ancien baron du mobutisme…
Quant à Michaël Sakombi, le jeune directeur de cabinet adjoint du ministre Kin Kiey Mulumba, il est le fils de Dominique Sakombi Inongo, autrefois chargé de l’Information sous Mobutu puis sous Kabila père.
La guerre entre kabilistes et mobutistes est terminée depuis longtemps. Les grandes familles liées à l’ancien régime sont presque toutes revenues s’installer à Kinshasa. Jusqu’aux enfants de Mobutu lui-même, à l’instar de Giala Mobutu, aujourd’hui député. Et c’est une autre Moleka qui a joué un rôle non négligeable dans ce rapprochement : Wivine.
Plus compliqué chez les Bemba
Lorsque Kabila arrive au pouvoir, elle est journaliste à la télévision nationale et parvient à le rester. Quelques mois plus tard, elle croise Manda, un des fils Mobutu, lors d’un voyage à Abidjan.
« Je le connaissais bien et je l’ai interviewé, se souvient-elle. Je m’apprêtais à devoir batailler pour faire passer l’entretien, mais pas du tout. Le Mzee m’a même demandé d’en faire d’autres ! En réalité, il voulait réunifier le pays, et mes connexions lui étaient utiles. C’est comme cela que j’ai donné la parole à d’autres grands noms du mobutisme, comme Honoré Ngbanda, Kengo wa Dongo ou Victor Nendaka. »
À l’époque, la proximité entre Laurent-Désiré Kabila et Wivine Moleka étonne et fait jaser. Au point que la rumeur attribue au président la paternité du fils de la journaliste – à tort. Le père de l’enfant n’est pas un inconnu pour autant : il s’agit de l’actuel ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba.
Albert et Wivine Moleka appartiennent aujourd’hui à des camps politiques opposés (elle est députée du parti au pouvoir, lui est dans l’opposition), mais entretiennent des relations cordiales. C’est plus compliqué chez les Bemba. « Cathy », la sœur de Jean-Pierre, a épousé Nzanga Mobutu, qui a longtemps été en froid avec son beau-frère.
Une autre de ses sœurs, Caroline, est mariée à Jean Bamanisa, le gouverneur de la Province orientale. La fratrie est unie contre Jean-Jacques Bemba, un demi-frère reconnu par Jeannot à sa naissance, mais qui a contesté en justice les modalités de la succession familiale.
Cette inimitié s’est déportée sur le terrain politique : kabiliste convaincu, Jean-Jacques est allé défier sa demi-sœur Caroline pour un siège de député dans le fief familial de Gemena, lors des élections de 2011. Caroline l’a remporté.
Depuis, Jean-Jacques a été nommé administrateur de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP) par le président Kabila. Preuve que même lorsque l’on est rejeté par les siens, avoir un nom peut toujours être utile.
Pierre Boisselet
Jeune Afrique
Ils sont frères, sœurs, cousins ou parents plus éloignés. Ils partagent le même nom ou la même filiation, ils ont survécu à des changements de régime et occupent depuis des années l'espace public. Voyage au cœur d'une république très dynastique.
C ‘était il y a presque quinze ans, le 16 janvier 2001. Ce jour-là, le président Laurent-Désiré Kabila est assassiné à Kinshasa, et le simple décret qui fait office de Constitution n’a rien prévu en pareil cas.
À défaut d’une légitimité démocratique, impossible à trouver à cet instant, les barons du régime optent donc pour une succession dynastique. Ils se mettent d’accord sur un nom, ou plutôt sur un prénom : celui de Joseph, l’un des fils du défunt, que l’on fait venir en urgence de Lubumbashi pour prendre le pouvoir.
À l’époque, les Congolais ne savent rien ou presque de la famille Kabila. Le Mzee (le « vieux », en swahili) a toujours refusé de dévoiler l’identité de la première dame. Maintenant que Joseph a succédé à son père, il faut que sa filiation soit rendue publique, et sa mère, Mama Sifa, fait sa première apparition télévisée dans la foulée.
Chez les Kabila, la famille relève donc à la fois du secret et du sacré. Elle est aussi la source du pouvoir.
Deux autres de ses membres sont d’ailleurs sortis de l’ombre pour se lancer en politique : le jeune frère du président, Zoé (qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son aîné), et sa sœur jumelle, Jaynet. Tous deux se sont présentés aux législatives de 2011. Tous deux ont été élus. Et tous deux ont toujours une part de mystère.
Les archives de l’Assemblée nationale, conservées dans les entrailles chaudes et humides du Palais du peuple, ne comportent nulle trace de la fiche de renseignement de Jaynet, qui devrait pourtant porter la mention, entre autres, du nom de ses parents, de son conjoint et de ses enfants. L’intéressée ne l’a pas remplie.
En revanche, celle de Zoé existe. Rédigée à la main, elle révèle que son épouse a pour nom Nita Kabila. Or Nita Boukani de son nom de jeune fille n’est autre que la nièce du sénateur d’opposition Raymond Ramazani Baya, qui fut ministre des Affaires étrangères dans les années 2000 et ambassadeur de Mobutu à Paris au cours de la décennie précédente.
À dire vrai, ce genre de liens mêlant famille et politique n’est pas propre aux Kabila, loin s’en faut. Que l’on songe, par exemple, à l’Union pour la démocratique et le progrès social (UDPS, le principal parti d’opposition) d’Étienne Tshisekedi.
L’influence de Félix, le fils, grandit à mesure que la santé du « vieux » faiblit, si bien qu’il est, aujourd’hui, le mieux placé pour lui succéder. Le soutien de sa mère, Marthe, très influente au sein du parti, ne gâche rien.
Quant à la famille de Jean-Pierre Bemba, le président du Mouvement de libération du Congo (MLC) détenu à La Haye, elle pèse également depuis longtemps sur la scène politique congolaise. Le patriarche, Jeannot Bemba, était l’un des plus riches hommes d’affaires du Zaïre du maréchal Mobutu.
À lire aussi :La république dynastique du Congo
« Les acteurs politiques congolais se connaissent souvent personnellement, parfois au travers de leurs familles, résume un diplomate occidental en poste à Kinshasa. Ils se parlent et fréquentent les mêmes lieux. Cela permet d’éviter que les tensions politiques ne dégénèrent. Ici, un adversaire politique peut aussi être un ami, un cousin ou un beau-frère. Rarement un ennemi à abattre. »
Cela n’a pas toujours été le cas. Lors de l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, en 1997, une partie de l’élite politico-familiale qui avait prospéré sous Mobutu a été contrainte à l’exil. Pas les Moleka.
Certes, le père, Ignace, était proche du maréchal, et son fils Thimothée avait même été le gouverneur de Kinshasa. Mais ils ont refusé de partir et continué à jouer un rôle sur la scène politique locale. Albert, le cadet de la famille, s’est allié à Étienne Tshisekedi, dont il a été le porte-parole puis le directeur de cabinet, de 2008 à 2014.
À lire aussi :RDC : Étienne Tshisekedi, ad vitam aeternam
Aujourd’hui, Albert Moleka reçoit dans un vaste bureau sombre, au fond de la boutique African Lux jadis fondée par son père. Aux murs, les photos de famille jaunies par le temps. Assis dans un fauteuil, un des fils qu’il a eu avec Monique, la fille de Moïse Tshombe, président d’un Katanga brièvement indépendant dans les années 1960. La tante de ce jeune homme n’est autre qu’Isabel Ruth Tshombe, représentante personnelle du président Kabila pour la Francophonie…
« J’ai rejoint Étienne Tshisekedi, dans les années 1980. Mon rôle était de faire du lobbying auprès des autorités pour faire libérer les militants arrêtés, raconte Albert Moleka. Évidemment, mon nom me facilitait beaucoup la tâche. »
Mobutu en est informé, mais il ne s’oppose pas à ce compagnonnage : il sait que les réseaux sont à double sens et, plusieurs fois, il demandera à Albert de transmettre de discrets messages.
Le maréchal était un maître dans l’art d’utiliser les liens familiaux à des fins politiques. Lorsqu’il apprend, quelques années plus tard, que Félix Tshisekedi, le fils de son principal adversaire, fréquente la sœur de son secrétaire particulier, Lando Kota-Mbongo, il ne résiste pas à l’envie de s’en mêler. Il charge Lando de faire en sorte que Félix demande sa sœur en mariage.
« Le maréchal est d’accord et il est prêt à recevoir la dot lui-même ! Nous pouvons réunifier la République avec ce mariage ! » Mais Lando a beau insister, Félix refuse. Depuis il s’est marié avec une autre, Denise, dont le frère travaille au protocole de l’actuel président…
Une autre manœuvre politico-familiale aura été beaucoup plus utile à Mobutu. Lors d’une visite à Kinshasa, son homologue centrafricain d’alors, Jean-Bedel Bokassa, s’entiche de Marie-Hélène Moleka, la sœur d’Albert.
La suite, c’est Albert qui la raconte : « Ma sœur est allée vivre à Bangui à la fin des années 1960. Mobutu lui avait demandé d’espionner Bokassa pour lui. Dès qu’elle avait une information, elle la griffonnait sur un bout de papier, qu’elle déposait sur le trottoir, par la grille de sa résidence. Un agent de l’ambassade était chargé de le récupérer. Cela a duré jusqu’à ce qu’elle se fasse prendre. Elle a eu très peur et est rentrée à Kinshasa. Malgré tout, à chaque fois que Bokassa venait en visite, il la réclamait ! »
À l’autre bout du continent, d’autres alliances familiales se forment, cette fois contre Mobutu. En trahissant Patrice Lumumba, le héros de l’indépendance mort assassiné, le maréchal a fait de ses enfants des adversaires.
Recueillis par le président Nasser, ces derniers grandissent au Caire, où ils apprennent l’arabe. C’est d’ailleurs ce qui vaudra à Juliana, l’aînée des enfants Lumumba, le poste de secrétaire générale de l’Union africaine des chambres de commerce, d’industrie, d’agriculture et de professions (UACCIAP), dont le siège est situé dans la capitale égyptienne.
Son frère François parvient pour sa part à tisser son réseau dans le palais de Mouammar Kadhafi et dans celui de Saddam Hussein. « À l’époque, un Lumumba, qui en plus parlait arabe, cela intriguait beaucoup dans cette région », se souvient-il.
Dans les années 1980, il aide Laurent-Désiré Kabila, chef rebelle alors en quête de soutiens, à entrer en contact avec les maîtres de Tripoli et de Bagdad. Devenu président, le Mzee fera de Juliana sa ministre de la Culture et de l’Information.
Malgré leur célèbre patronyme, les Lumumba sont loin d’avoir l’aisance financière et les réseaux d’autres grands noms de la politique congolaise.
Malgré leur célèbre patronyme, les Lumumba sont loin d’avoir l’aisance financière et les réseaux d’autres grands noms de la politique congolaise.
Dans le jardin ombragé de la résidence autrefois occupée par son père, dans le centre de Kinshasa, Juliana semble n’en nourrir aucun regret : « Nous sommes restés très longtemps loin d’ici alors que les autres familles ont vécu ensemble. C’est normal qu’elles se soient mariées entre elles. Nous, notre mère nous a élevés en nous demandant de mériter notre nom. Il nous était interdit de le compromettre. »
Pour autant, Juliana n’en a pas fini avec la politique. Elle sera candidate sans étiquette, à Kinshasa, lors des prochaines élections provinciales.
La relative marginalisation des Lumumba sur la scène politique reste un cas exceptionnel. Il n’y a qu’à observer le gouvernement actuel pour s’en convaincre.
Le vice-ministre de la Coopération internationale, Franck Mwe di Malila, est le gendre de Kengo wa Dondo, l’actuel président du Sénat, qui fut autrefois Premier ministre de Mobutu. Venu de l’opposition, Germain Kambinga, le ministre de l’Industrie, est le fils de feu Christian Kambinga, qui fut également ministre de Joseph Kabila.
L’épouse de Thomas Luhaka, le vice-Premier ministre des Postes et Télécommunications, fait partie de la famille de Mama Sifa, la mère du président. Son collègue du Plan, Olivier Kamitatu, est le fils de Cléophas, lui-même ministre dans les années 1960 et 1980, et le gendre de feu Justin-Marie Bomboko, un ancien baron du mobutisme…
Quant à Michaël Sakombi, le jeune directeur de cabinet adjoint du ministre Kin Kiey Mulumba, il est le fils de Dominique Sakombi Inongo, autrefois chargé de l’Information sous Mobutu puis sous Kabila père.
La guerre entre kabilistes et mobutistes est terminée depuis longtemps. Les grandes familles liées à l’ancien régime sont presque toutes revenues s’installer à Kinshasa. Jusqu’aux enfants de Mobutu lui-même, à l’instar de Giala Mobutu, aujourd’hui député. Et c’est une autre Moleka qui a joué un rôle non négligeable dans ce rapprochement : Wivine.
Plus compliqué chez les Bemba
Lorsque Kabila arrive au pouvoir, elle est journaliste à la télévision nationale et parvient à le rester. Quelques mois plus tard, elle croise Manda, un des fils Mobutu, lors d’un voyage à Abidjan.
« Je le connaissais bien et je l’ai interviewé, se souvient-elle. Je m’apprêtais à devoir batailler pour faire passer l’entretien, mais pas du tout. Le Mzee m’a même demandé d’en faire d’autres ! En réalité, il voulait réunifier le pays, et mes connexions lui étaient utiles. C’est comme cela que j’ai donné la parole à d’autres grands noms du mobutisme, comme Honoré Ngbanda, Kengo wa Dongo ou Victor Nendaka. »
À l’époque, la proximité entre Laurent-Désiré Kabila et Wivine Moleka étonne et fait jaser. Au point que la rumeur attribue au président la paternité du fils de la journaliste – à tort. Le père de l’enfant n’est pas un inconnu pour autant : il s’agit de l’actuel ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba.
Albert et Wivine Moleka appartiennent aujourd’hui à des camps politiques opposés (elle est députée du parti au pouvoir, lui est dans l’opposition), mais entretiennent des relations cordiales. C’est plus compliqué chez les Bemba. « Cathy », la sœur de Jean-Pierre, a épousé Nzanga Mobutu, qui a longtemps été en froid avec son beau-frère.
Une autre de ses sœurs, Caroline, est mariée à Jean Bamanisa, le gouverneur de la Province orientale. La fratrie est unie contre Jean-Jacques Bemba, un demi-frère reconnu par Jeannot à sa naissance, mais qui a contesté en justice les modalités de la succession familiale.
Cette inimitié s’est déportée sur le terrain politique : kabiliste convaincu, Jean-Jacques est allé défier sa demi-sœur Caroline pour un siège de député dans le fief familial de Gemena, lors des élections de 2011. Caroline l’a remporté.
Pierre Boisselet
Jeune Afrique
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