Par Hubert Kabasubabu Katulondi
50 ans après l’indépendance, les métaphores d’enfer, de survie infrahumaine, sont collés au pays. Elles traduisant la réalité de la précarité de la vie dans ce qui était censé être transformé, sur la trajectoire normale du Congo, 50 ans après l’indépendance, en une véritable puissance continentale. C’est pourquoi certains Congolais affirment, un peut pour se consoler, que si le plan Van Bilsen avait été mis en œuvre pour octroyer l’indépendance en 1990, le Congo serait aussi développé que l’Afrique du Sud, en prenant en considération sa puissance en 1960. Mais, Kasavubu, Lumumba, scandèrent « indépendance immédiate ». 50 ans après, le Congo ne s’est pas beaucoup éloigné de l’épithète de « heart of darkness », qui fut collé à cet espace du continent au début de son exploration, surtout si l’on considère la barbarie des atrocités de l’Est et la précarité des conditions existentielles. Lorsque l’on visite certaines villes qui furent des cités brillantes pendant la colonisation, comme Isiro, Luebo, Moanda, Mbandaka, pour ne citer que celles-ci, on se croit dans un parfait décor d’un filme d’horreur : bâtiments écroulés aux résidus des murs couverts de lianes crouteuses entrelacées dans les détritus verdâtres; bureaux de poste aux toitures en tôles hyper-oxydées trouées par les arbres qui y ont poussé; enfants en guenilles assis à même le sol (à un kilomètre d’une rivière diamantifère!) dans des classes (en instance d’écroulement) faites d’une combinaison de branches de palmiers et de morceaux de briques fendus ; chemins de fer aux rails rouillés et trains en décomposition. Usines entières abandonnées avec des machines en ruines. Kasavubu et Lumumba tomberaient encore raide morts, en voyant ce Congo délabré, en cas d’une éventuelle résurrection – à la quelle la majorité chrétienne de Congolais croit du reste. Ce paradoxe est mieux cerné à Kinshasa. Les 5 Chantiers face au gigantesque délabrement pre-kabilien Kinshasa n’est pas le Congo, aiment scander certains politiciens d’origine périphérique. Ces politiciens étalent souvent la continuité de l’hostilité de certaines élites provinciales vis-à-vis de la capitale – dans un antagonisme fébrile hérité de la colonisation. Quoi qu’il en soit, Kinshasa est le miroir du Congo. C’est incontournable. Indiscutable. L’idée d’une autre capitale ne défile pas dans les esprits des gouvernants actuels. Le sérieux du gouvernement, le génie transformationnel du pouvoir, se mesurent par rapport à la manière dont celui-ci conçoit et manage la Capitale. Les étrangers arrivant pour la première fois au Congo se font une idée sur le pays dans sa totalité et sur ses dirigeants à partir de ce qu’ils voient à Kinshasa dans l’organisation de l’espace public. Dans la capitale (célèbre Léopoldville, poto moindo ) pendant que les 5 chantiers essaient de jeter quelques jalons de la réhabilitation infrastructurelle, le spectacle de la désolation est frappant, lorsqu’on s’éloigne, par deux pas, de l’éclat du Boulevard du 30 Juin, au-delà du Marché Central déplaisant, saturé et bordé par des collines de déchets pestilentiels. Contigües au centre ville, les vielles communes de Barumbu, Kinshasa, Lingwala, révèlent le degré du délabrement nauséabond du pays. On y note un paradoxe déroutant. Il y a, d’une part, la décadence écœurante des espaces publics et, de l’autre part, la notable poussé de nouvelles bâtisses, aux profils remarquablement modernes, appartenant aux commerçants étrangers et quelques résidences luxueuses des Congolais. Vertigineuse étrangeté : le luxueux et l’exécrable cohabitent allégrement. Aucune conscience n’est autrement alertée. Plus loin, à Ngaba, Makala, Bumbu, le long de la crasseuse rivière Kalamu, les communes entières pataugent dans un mode de vie infrahumain, inadmissible à cet âge de la civilisation globale, 50 ans après l’Independence. Et, plus sidérant, les habitants de Makala, de Kisenso ou de Matadi Kibala, n’ont aucune idée de ce que leurs quartiers vont devenir dans 5, 10 ans, car ils ne sont pas du tout au courant de ce que les 5 Chantiers prévoient pour leurs entités! Et que dire, alors, des populations de Boende, Tshimbulu, Tshela, Drodro ou Malemba Nkulu ? Toute une génération vit au hasard. Le spectacle est encore plus insolite. A Kinshasa, en dehors de l’insalubrité qui semble inexpugnable, la population est exposée aux périls des câbles électriques protubérants, constamment en flammes sur les voies publiques (spectacle impensable jusque dans les années 1980 !). Mêmes dans les communes qui jadis furent parmi les mieux urbanisées de l’Afrique sous Mobutu (Bandalungwa, Matete, Lemba, Cité Salongo ; Cité Maman Mobutu, etc.), l’infrastructure est en décomposition atterrante. Dans toutes les communes, on ne connait pas les projets qui y sont retenus dans le cadre de 5 Chantiers. Le stratégique chemin de fer trans-kinois : un pilier du développent de la capitale oublié ! Le chemin de fer qui jadis permettait le transport de l’Aéroport de N’Djili, à l’extrême Est de la ville, à Kinsuka, la pointe ouest de la capitale, est englouti sous la terre sur des dizaines de kilomètres, le long desquels des constructions anarchiques ont poussé avec la complicité de l’administration publique . Personne n’est scandalisé ! Pourtant, les oncles Belges avaient prévu l’électrification de cette ligne de chemin de fer (qui jadis se situant sur la trajectoire actuelle du Boulevard du 30 juin !) afin de permettre un système de transport urbain de masse. En structurant ce réseau par intégration de toutes les unités portuaires et aéroportuaires, les Belges avaient, en fait, la vision de Bruxelles où les passagers et les cargaisons de fret peuvent circuler des points de débarquements aux principaux centres de consommation ou d’exploitation. Dans l’ordre normal de choses, comme c’est le cas à Zaventem, les passagers pouvaient aussi partir de l’aéroport de N’Djili au centre ville voire de Kinsuka à l’aéroport de N’Djili par train moderne, aujourd’hui ! Mais, nous nous avons préféré enterrer cette couteuse et stratégique infrastructure de transport publique ! Il nous faudra maintenant des milliard de dollars pour la rehabiliter. Force est de souligner que parmi tant d’autres éléments pouvant servir de lignes d’adossement du renouveau de la capitale, le chemin de fer N’Djili-Kinsuka est d’un énorme potentiel en revenus et emplois directs, sans parler de revenus par effets induits. Une attention toute particulière aurait du être accordée dans les 5 Chantiers à cette importante infrastructure de transport public, dans la modernisation de la ville. 50 ans d’indépendance, ce chemin de fer de la capitale devait déjà être électrifié. Avec un minimum de créativité, cette infrastructure, porteuse d’une indubitable rentabilité à court terme, devrait déjà être équipé de trains modernes pour servir à l’évacuation de grandes masses comme on le voit dans les villes du monde avancé. Un minimum de deux locomotives résoudraient inéluctablement le problème de transport des masses dans la ville. Dans la capitale (tout comme dans le reste du pays), les 5 Chantiers ont besoin d’énormément d’imagination et de créativité pour concevoir autrement la résolution des problèmes réels des citoyens, particulièrement en matière de transport public. Mais, il semble que Kinshasa nous donne la vraie mesure de l’assèchement mental dans l’arène politique congolaise. L’absence de créativité, la pratique politique folklorique que l’on voit dans la capitale, est le reflet d’une érosion de l’esprit. C’est le miroir de cette sorte de régression sur la piste ontologique à laquelle j’ai fait allusion dans le titre de cette partie de la réflexion. Il faut nuancer l’observation : Le tableau n’est pas absolument sinistre. Sur le plan micro-sociétal, on note un autre paradoxe. Il y a une évolution remarquable des exigences esthétiques dans les profils architecturaux des espaces privés. Villas aux toitures trapézoïdales, buildings au profil Cote d’Azur : le fantasme s’exprime maintenant dans l’architecture. Et, plus admirable, tout en amplifiant le paradoxe, certaines résidences de Kinshasa sont tellement luxueuses et si impeccablement érigées qu’elles peuvent même être transposées à Paris, Londres, Los Angeles, ou Johannesburg. Indubitablement, elles y seraient toujours valides. Cette validité architecturale universelle des résidences de la nouvelle bourgeoisie compradore. En même temps, les espaces publiques (propres à la res publica) eux, sont en délabrement vertigineux. Quand on est dans les salons de certaines résidences de Kinshasa, on se croit dans des villas de Santon à Johannesburg. Dès que l’on sort de la concession, on affronte le délabrement qui lance brutalement (et disgracieusement) la misère de l’espace public à la figure, fouettant cruellement le cerveau. Dans la capitale, on voit la construction de nouveaux édifices : hôtels luxueux, buildings résidentiels, Cité du fleuve, etc. Immanquablement, ils offriront à la ville un rayon d’éclat. Mais pourquoi ne pas imaginer un plan général de réfection de bâtisses référentielles du profil architectural de la capitale (en partenariat avec le privé, par exemple), au lieu de les laisser en délabrement, ce qui, à ne point douter, noie l’éclat de nouvelles constructions ? Il y a dans la démarche de la reconstruction un énorme besoin de plus de systématicité. Quelle est, par exemple, la rationalité de l’abandon de l’immeuble CCIC (qui jadis fascinait tous les kinois de ma génération avec ses escalators dans les années 1980 !) à la destruction, alors que sa réfection peut bien être négociée avec une entreprise privée. Cette prestigieuse bâtisse peut servir d’un businesse center moderne, capable de générer un revenu au trésor public – tout en apportant une valeur ajoutée touristique à cet espace intégrant le Grand Hôtel de Kinshasa…. Tiré du Livre Joseph Kabila et la Reconstruction Réinventrice du Congo : Défis et Prospective , de Kabasu Babu Katulondi déjà publié par l’Harmattan et qui sera bientôt lancé à Kinshasa (Préface du Prof Evariste Boshab) On voit, par exemple, au niveau de la Gare Centrale, la construction d’une battisse élégante de plusieurs étages, juste devant les buildings de l’ONATRA aux murs lézardés et crouteux. C’est pourquoi j’insiste sur la systématicité de la reconstruction et l’approche multipartite pour un plan d’ensemble capable de répondre aux besoins d’un plus large spectre existentielle (socio-économique, environ mentale, urbanistique, etc.). Cela dans le but de donner aux Congolais un nouvel espace de vie où ils peuvent trouver les conditions minimales de leur épanouissement.
La Pros.
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