lundi 2 mai 2011

RDC : les élections locales de 2012 et la question des terres de nos ancêtres


Il y a un lien entre l’évitement des élections locales, l’adaptation des activités économiques et politiques aux besoins de la population, et le souci citoyen de faire du village et des petites collectivités la base d’un développement endogène. Souvent, ce lien n’est pas perceptible pour ceux et celles qui ont désacralisé la tâche de la relecture de l’histoire de notre pays pour la reconstruction de notre indépendance. 

Selon les informations reçues de nos sources au sein de la CENI , les élections locales auront probablement lieu en juin 2012. Pourquoi ces élections si fondamentales à la participation locale de nos populations à la gestion du pays sont-elles toujours remises à plus tard. « En 2007, le gouvernement du Premier Ministre Gizenga informe la Monuc que les élections locales se tiendront au second semestre 2008. Malgré cette annonce, la date planifiée pour le scrutin ne va pas cesser de glisser dans le temps. En juillet 2008, la révision des fichiers électoraux par la CEI oblige à décaler les élections locales au mois de juin 2009. En mars 2009, l’enregistrement des nouveaux électeurs n’ayant toujours pas débuté, elles sont repoussées aux premiers mois de l’année 2010. » (Congo : l’enlisement du projet démocratique. Briefing de Crisis Group N° 73, 8 avril 2010, p.17) Et elles n’auront pas lieu en 2010. Pourquoi ? « Le 5 octobre 2009, un ministre du gouvernement Muzito livrait déjà à Crisis Group sa conviction qu’il n’y aurait pas d’élections locales. La présidence n’aurait rien à gagner d’un scrutin risquant de modifier les équilibres politiques des provinces si peu de temps avant le rendez-vous présidentiel. » (Ibidem, p.18) Que les élections locales prévues pour clôturer le cycle électoral de 2006 n’aient pas eu lieu jusqu’à ce jour, cela confirme la confidence de ce ministre du gouvernement Muzito. Les mettre plusieurs mois après les élections présidentielles et législatives (qui auront probablement lieu au début du mois de décembre 2011) pourrait être un signe à décrypter : il faudrait que le président élu et sa majorité parlementaire soient capables de contrôler « les équilibres politiques des provinces ». Pourquoi ? Nous allons émettre quelques hypothèses. 

Kinshasa n’est pas le Congo dit-on chez nous. Or, l’évaluation de toute l’action politique des gouvernants actuels et de l’opposition semble se faire à partir de Kinshasa et de certaines grandes villes. L’arrière-pays se meure. L’éducation, les soins de santé dignes, l’emploi, l’électricité, l’habitat digne y sont, dans la plupart des cas, des réalités inexistantes. Les terres y ont été vendues depuis le début de la guerre d’agression dite de libération. Certaines terres communes y ont été vendues comme carrés miniers, d’autres ont été spoliées au profit de « nouveaux prédateurs ». Les victimes de cette guerre d’agression et de ses effets collatéraux se comptabilisent dans nos petites localités et villages. Les agresseurs y sont bien identifiés et leurs liens avec Kinshasa connus. (Surtout à l’est.) 

Débuter une campagne électorale à la base et partout au même moment serait préjudiciable pour le pouvoir en place : il n’a pas de bilan (à la base). Il est complice de la politique de privatisation des terres communes et de l’exode rural. Il a privilégié l’exploitation minière (et les contrats léonins) au détriment de l’agriculture vivrière. 

Quand nous relisons l’histoire de nos cinquante dernières années, nous nous rendons compte que la question de la gestion de nos terres par nous-mêmes a été à la base de l’assassinat de deux de nos leaders politiques. 

L’un d’eux, Patrice Lumumba, luttant passionnément pour la dignité de l’homme noir, pour un Congo libre et prospère et une Afrique unie est allé à la mort dignement. Sa passion pour l’Afrique était portée par « une conviction religieuse et légale ». « Le Créateur, dit-il à Ibadan, nous a donné cette portion de la terre qu’est le continent africain ; elle nous appartient et nous en sommes les seuls maîtres. C’est notre droit de faire de ce continent un continent de justice, du droit et de la paix. » (« Africains, Levons-nous ! » Discours de Patrice Lumumba, prononcé à Ibadan (Nigeria) 22 mars 1959). 

Gérer nos terres en tant que « seuls maîtres » en assurant la justice sociale participe de la vision de Patrice Lumumba pour un autre Congo. Il fut assassiné, le 17 janvier1961, dans un contexte où l’expansion économique néocoloniale niait « notre droit naturel et divin » à disposer de nos terres dans la justice et la paix. 

Quarante ans après, un autre, Laurent-Désiré Kabila, un vieux lumumbiste, reviendra (théoriquement) sur cette question en parlant du développement endogène. « Désireux de rétablir son pays dans sa souveraineté, Kabila (Laurent-Désiré) entendait secouer au plus tôt la tutelle de ses alliés, refuser le contrôle à distance, conjurer le risque de partition. » (C. Braeckman, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003. p. 59) Il parle de ce projet au cours d’un colloque traitant des priorités du développement au mois de juillet 1997. Et « en septembre 1997, lors de la Conférence nationale sur la reconstruction, l’orientation se précise : il faut adapter les activités économiques aux besoins de la population, faire du village et des petites collectivités la base d’un développement endogène. Le plan triennal détaille détaille ces options : réhabilité les infrastructures de base, rétablir l’appareil d’Etat, imprimer un nouveau dynamisme aux structures sociales. » (Ibidem, p. 60) Quand on écoute le discours de LD Kabila à cette conférence, on se rend compte qu’il reconduit la vision de Lumumba. Il dit entre autres ceci : « Le gouvernement ne pourra laisser entre les mains des seuls privés, des seuls financiers, des secteurs entiers de l’économie (…). L’homme congolais libéré de la servitude néocoloniale fera sa propre sa propre histoire, il se réappropriera comme seul maître sa propre destinée, étant lui-même à l’origine de son projet de développement, au centre de la réalisation (…) » (Ibidem, p.60) Et il ajoute : « Le Congo devra prendre la tête du développement économique en Afrique centrale, ce qui nous permettra de créer les impulsions nouvelles pour la redynamisation du panafricanisme. » (Ibidem, p.60) Des tels propos ne pouvaient pas du tout plaire à ceux qui avaient financé la guerre en vue d’ouvrir le Congo au néolibéralisme. LD Kabila s’était déjà lui-même compliqué la tâche en ayant comme alliés les pays satellites des néolibéraux. Son mode de gestion du pouvoir très peu orthodoxe lui évitera de bénéficier d’un sérieux soutien interne. Il n’a pas su échapper à la colère de ceux qui l’avaient instrumentalisé. Il fut assassiné le 16 janvier 2001. 

Mais comment expliquer que LD Kabila soit tué le même mois et à un jour de différence que celui de l’assassinat de Lumumba ? Et que les soupçons sérieux pèsent sur certains acteurs majeurs (à quelque différence près) ayant pris une part active à la mort de Lumumba ? (Cfr le documentaire Meurtre à Kinshasa. Qui a tué Laurent-Désiré Kabila ?) 

Pour ceux et celles d’entre nous qui savent que le pouvoir actuel de Kinshasa est un allié des puissances politiques, économiques et financières et du réseau transnational ayant participé de l’assassinat de ces deux leaders Congolais, repousser les élections locales aux calendes grecques et/ou chercher à tout prix à les contrôler, c’est par mesure de prudence, s’écarter de la voie de la souveraineté (réelle) et de l’autodétermination indiquée par ces deux leaders. 

Il est révoltant de constater que la question de la récupération de nos terres spoliées et du développement autocentré impliquant les collectivités (à la base) ne fassent pas partie, dans certains milieux politiques congolais, du débat public. Aller aux élections dans n’importe quel ordre semble être devenu un objectif en soi. Les questions de fond nées de la relecture de notre histoire sont éludées. La question des élections locales par exemple a tout à avoir avec ce que certains d’entre nous nomme « likambo ya mabele », l’affaire de la gestion autonome de nos terres. La peur des « maîtres » et de la mort a gagné plusieurs cœurs et plusieurs esprits. En fait, quand ils assassinent (au nom de la démocratie de pacotille), ils le font pour montrer les exemples à ne pas suivre. Le pouvoir de Kinshasa et une certaine opposition congolaise semblent avoir bien maîtrisé la leçon.


J.-P. Mbelu 
© Congoindépendant 2003-2011

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