dimanche 3 juillet 2011

Abdoulaye Wade n'a pas dit son dernier mot

L’octogénaire président du Sénégal ne se décourage jamais. Dans sa quête de succession dynastique, a-t-il prononcé son dernier mot? Pas sûr. Texte et dessin du dessinateur burkinabè Damien Glez.

© Damien Glez, tous droits résevés.

Tout le monde a envie de léguer un patrimoine à ses enfants. Abdoulaye Wade ne déroge pas à la règle lorsqu’il achète, à 86 ans, un terrain à Ngor Almadies pour la somme de 1,182 milliard de francs CFA (1,8 million d’euros). Quel papa ne chercherait pas à assurer un avenir radieux à sa progéniture? Quel géniteur n’aurait pas envie de transmettre à son rejeton l’entreprise familiale?
Mais la République du Sénégal n’est pas une quincaillerie ou une compagnie de taxis. Si son crâne n’était pas aussi lustré, Wade sentirait souffler dans sa chevelure le vent des révoltes arabes. Lui qui fut le premier chef d'Etat étranger à humer l’air mutin de Benghazi. Lui qui, à son retour, humait un autre parfum: celui des gaz lacrymogènes qui tentaient d’étouffer les «Wade, va-t'en!» et les «Touche pas à ma Constitution». Abdoulaye Wade aura pourtant tout fait pour être un «bon» père.
En 2008, son fils Karim se voit d’abord confier l’organisation du 11e sommet de l'Organisation de la conférence islamique. De quoi lui coudre, sur mesure, une envergure internationale et une réputation auprès des très influentes confréries sénégalaises. Mais dans l’opinion, la popularité du fils Wade ne décolle pas.
Abdoulaye Wade n'a pas dit son dernier mot...
S’inspirant du parcours de Jacques Chirac, qui usa de la mairie de la capitale française comme d’un cheval de Troie vers le pouvoir suprême, le président du Sénégal encourage son fils à conquérir Dakar. Karim n’obtient pas le fauteuil de maire à l’issue des élections locales du 22 mars 2009. Conseiller municipal, il se voit même reproché son «absentéisme» lors des réunions du conseil.
Abdoulaye Wade n'a pas dit son dernier mot...
Le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye confie au fils prodigue un super portefeuille de ministre d'Etat, de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures. En charge des questions énergétiques, Karim Wade fait grincer les dents des «délestés électriques».
Abdoulaye Wade n'a pas dit son dernier mot...
Il propose la création d'un poste de vice-président et un abaissement à 25% du seuil des voix requis pour décrocher la victoire à la présidentielle dès le premier tour. Karim sera-t-il, en 2012, le verso d’un ticket Wade-Wade? Comme Gérald Ford, vice-président d’un Richard Nixon avec lequel il n’avait pas fait campagne, arrivera-t-il plus tard à la vice-présidence par un jeu de bonneteau? Que nenni! Plusieurs milliers de protestataires ont pris la rue en otage. Le porte-parole du parti au pouvoir a annoncé l'abandon des amendements constitutionnels.
Abdoulaye Wade n'a pas dit son dernier mot...
Quelques stratégies s’offrent encore au vieux lion (sans crinière) du pays de la teranga (terre d'accueil, surnom du Sénégal). Liste et modes d’emploi:

Stratégie 1

Se faire réélire en 2012, en 2019, en 2026, en 2033… jusqu’à ce que le peuple épuisé implore de laisser la place à Karim.

Stratégie 2

Menacer de s’immoler par le feu si le peuple sénégalais n’accepte pas son fils à la présidence. Si le peuple vous fournit les allumettes, indiquer que c’était juste une blague.

Stratégie 3

Faire intervenir Barack Obama, qui ne peut avoir oublié qu’il a serré la main de Karim au dernier G8, à Deauville. Si les Etats-Unis ont pu imposer Hamid Karzai au pouvoir, ils doivent pouvoir en faire autant à un autre carrefour de la drogue…

Stratégie 4

Utiliser le Sénat, rétabli en 2007, soit cinq ans après sa suppression. Dans cette assemblée de 100 sénateurs, kidnapper l'un des 65 membres nommés par le président de la République. Nommer Karim Wade à sa place. Grâce à une rumeur sur la vie privée de l’actuel président de la chambre, distiller une crise au sein de l’institution. Provoquer une nouvelle élection en interne. Le sénateur Karim Wade devient président du Sénat. Prétexter une fracture du col du fémur du président de la République. Selon la Constitution, le Président du Sénat supplée le premier magistrat du pays. Karim Wade devient président du Sénégal. Libérer le sénateur kidnappé.

Stratégie 5

Après les repérages de juin, débaucher quelques rebelles de Benghazi fatigués par l’enlisement de la crise libyenne. Par surprise, quelques semaines avant la présidentielle de février 2012, organiser un putsch contre soi-même. Se faire séquestrer par des rebelles dans un lieu secret. Armer Karim pour qu’il organise la résistance armée depuis la Casamance. Lui écrire un «Appel du 18 juin» à prononcer en février. Au bout de quelques semaines, demander aux rebelles de fuir le Sénégal. Organiser l’entrée de Karim Wade, en héros, dans «Dakar brisé! Dakar martyrisé! Mais Dakar libéré!». Le fils du président renversé sera naturellement porté au pouvoir par un peuple martyrisé.

Stratégie 6

Toujours gaullien, organiser, dès la fin 2011, un référendum. Question unique: «Êtes-vous favorable à une augmentation de 30% de tous les salaires et à l’arrivée au pouvoir de Karim Wade?».

Stratégie 7

Profiter du fait que la Gambie est quasiment incrustée dans le Sénégal et qu’elle ne fait jamais la une des journaux internationaux. Envahir la République islamique et en faire une principauté dont le prince sera Karim Wade. Puis faire annexer le Sénégal par la Gambie. Changer le nom de «Gambie» en «Sénégal». Déplacer la capitale de Banjul à Dakar. Se débarrasser de l’ex-territoire gambien.

Stratégie 8

Comme en octobre 2008, promulguer une loi constitutionnelle sur le mandat du président de la République, selon les termes suivants:
«La durée du mandat du président de la République est de vingt-cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois»
Payer au fils du président quelques séances d'UV. Faire appel à un maquilleur de cinéma pour vieillir les traits de son visage. Profiter d’un délestage électrique nocturne pour, dans la pénombre, substituer Karim Wade à son père, pendant que ce dernier part se réfugier en Normandie.

Stratégie 9

Faire disparaître Karim Wade pendant 48 heures et le faire réapparaître en affirmant qu’il a été enlevé par des extraterrestres (tout à fait plausible au regard de la troublante ressemblance de son père avec E.T.). Lui faire lire un message qui explique que l'humanité —Sénégal compris— a été créée en laboratoire par une race d’une autre planète, que Karim est «Celui qui apporte la lumière», que la présidence du Sénégal doit devenir une ambassade qui accueillera les extraterrestres qui seraient très très fâchés de ne pas y être accueillis par «Celui qui apporte la lumière»…

Stratégie 10

Brandir la plus célèbre prophétie de Nostradamus qui indique «Le lyon ieune le vieux surmontera / En champ bellique par singulier duelle / Dans cage d'or les yeux luy creuera / Deux classes vne, puis mourir, mort cruelle». Indiquer que, contrairement à ce qui était compris jusqu’à aujourd’hui, cette prédiction n’annonçait pas la mort d'Henri II, mais avertissait que le «jeune lion» Karim était censé prendre la suite du «vieux lion» Abdoulaye.

Stratégie 11

Inciter la France à recoloniser le Sénégal, arguant qu’à Dakar plus qu’ailleurs, l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. Comme commandant de cercle, suggérer la nomination d’un Français fils de Française, noir-mais-pas-trop-noir, blanc-mais-pas-trop-blanc.
Damien Glez
SlateAfrique

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