dimanche 3 juillet 2011

Agathe Habyarimana se pose en victime devant la justice française

Agathe Habyarimana se pose en victime devant la justice française
 
La cour d'appel de Paris a examiné la demande d’extradition émise par Kigali à l’encontre d’Agathe Habyarimana, la veuve de l’ex-président rwandais. Installée en France depuis 13 ans, elle est accusée d’être l’une des éminences grises du génocide.
Par Perrine MOUTERDE (texte)
 
Agathe Habyarimana est restée impassible. Assise à côté de son avocat, vêtue d’un boubou vert, aucune émotion sur son visage. "Je vous dis sincèrement que tout est faux, a-t-elle simplement déclaré, d’une voix faible, à l’issue des quelques deux heures d’audience. J’aimerais que la justice française se saisisse de mon dossier et vous pourrez alors constater que je suis victime de manipulations et de mensonges."
La Cour d’appel de Paris a examiné, ce mercredi, la demande d’extradition émise par les autorités rwandaises à l’encontre d’Agathe Habyarimana. L’assassinat de son mari, l’ancien président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, a déclenché le génocide qui a fait plus de 800 000 victimes, essentiellement tutsies, en trois mois. Mais Kigali considère que l'ex-première dame est en partie responsable de la tragédie qui a frappé le Rwanda. Selon l’acte d’accusation et le mandat d’arrêt émis par Kigali en 2009, Agathe Habyarimana est accusée, entre autres, de génocide et de crimes contre l’humanité. Les faits qui lui sont reprochés par les autorités rawandaises s'étendent de 1990 à 1994.
Imprécision et prescription
La justice française doit rendre sa décision le 28 septembre. Elle devrait, très vraisemblablement, suivre la requête de l’avocat général et refuser cette extradition.

"Je ne suis pas sereine quant à la décision qui va être rendue", indiquait Dafroza Gauthier, du CPCR, à l'issue de l'audience.
"Il y a un flou artistique concernant les dates des faits qui sont reprochés à Agathe Habyarimana, a plaidé l’avocat général. Il ne figure aucun nom ou élément précis, mais seulement des généralités. Par ailleurs, pourquoi le Rwanda a-t-il attendu 15 ans avant d’émettre ce mandat d’arrêt ? N’y a-t-il pas prescription ?"
L’avocat de l’ancienne première dame, Me Philippe Meilhac, a quant à lui évoqué le principe de la légalité des peines : au moment des faits, il n’existait aucune loi, au Rwanda, condamnant et sanctionnant les crimes de génocide ou contre l’humanité. Plusieurs demandes d’extradition vers Kigali ont d’ailleurs déjà été rejetées par la justice sur ce motif.
"Les conditions d’un procès juste et équitable ne sont absolument pas réunies au Rwanda, a ajouté Me Meilhac. Agathe Habyarimana ne cherche pas à éviter de répondre aux accusations qui sont émises. Au contraire, elle attend avec impatience et sérénité de pouvoir s’expliquer sur les choses horribles qui lui sont reprochées. Mais elle veut le faire dans un cadre légal."
"L’éminence grise du génocide"
Si l’audience de ce mercredi revêtait avant tout un caractère technique, les plaidoiries  ont abordé la dimension politique sous-jacente à cette demande d'extradition de la part de Kigali. Fait exceptionnel, le Rwanda a pour la première fois désigné un avocat français. "Agathe Habyarimana est l’une des pièces maîtresses et des chevilles ouvrières de l’un des pires génocides du XXe siècle, a attaqué Me Gilles Paruelle. Elle était l’éminence grise du premier cercle hutu qui a planifié et organisé ces crimes."
Agathe Habyarimana a été exfiltrée du Rwanda par l’armée française le 9 avril 1994, soit trois jours seulement après le début du génocide. Mais elle est soupçonnée par les autorités rwandaises d’avoir préparé avec son entourage, dès le début des années 1990, les opérations d'épuration ethnique.
Le documentaire "Génocide du Rwanda, des tueurs parmi nous ?", de Manolo d'Arthuys, diffusé la veille de l'audience sur France 2, évoque cette période. Agathe Habyarimana a d'ailleurs tenté d’empêcher la diffusion de ce film, dans lequel une ancienne amie des Habyarimana témoigne. Agathe [Habyarimana] "était derrière tout ça et elle a laissé faire. En tant que voisine et femme du président, elle aurait pu tout arrêter", raconte Florence, qui a été victime du génocide alors qu'elle résidait à côté de la résidence présidentielle.
Selon l’avocat du régime rwandais, ces accusations auraient déjà dû conduire à un procès en France. "Nous faisons moins bien que la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas ou la Finlande, qui ont tous jugé des présumés génocidaires qui se trouvaient sur leurs sols", explique-t-il. Avant de poursuivre : "En France, ils se promènent tranquillement". Aucune des 21 plaintes déposées à l'encontre d'anciens responsables rwandais par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) n’a en effet débouché sur un procès.
Sans statut légal en France
Malgré tout, Me Philippe Meilhac veut voir en Agathe Habyarimana une victime. "Elle est dans le collimateur du régime rwandais depuis qu’elle s’est portée partie civile, en 2004, dans l’affaire de l’attentat contre l’avion présidentiel, affirme-t-il. Le mandat d’arrêt a été émis en 2009 au moment du réchauffement des relations entre Paris et Kigali."
À 69 ans, Agathe Habyarimana est aujourd’hui dans l’illégalité sur le territoire français, la commission de recours des réfugiés lui ayant refusé son titre de séjour. En 2009, le Conseil d’État a également rejeté sa demande d’asile, en raison des soupçons qui pèsent sur son rôle dans l'organisation du génocide. Les avocats de l'ancienne première dame ont lancé une procédure pour qu'elle puisse rester sur le territoire hexagonal.
Installée en France depuis 1998, elle vit dans l’Essonne, en région parisienne, près de ses enfants et petits-enfants. "C’est une femme âgée qui aspire à vivre tranquillement auprès des siens en France, assure son avocat. On lui refuse cela en raison d’un acharnement politique."
Agathe Habyarimana a quitté le Palais de justice en fin de journée ce mercredi, entourée d’une quinzaine de ses proches. Dafroza Gauthier, du CPCR, a elle aussi quitté la salle d’audience. "Je ne suis pas sereine quant à la décision que va rendre la justice en septembre", a-t-elle lâché en partant.

France24

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