dimanche 24 juillet 2011

Les Zémidjans, taxis-motos empoisonneurs

Au Bénin, les taxis-motos pullulent et l'air est devenu irrespirable. Hormis la question de la pollution, les Zémidjans soulèvent autant de poussière que de problémes politiques et sociaux.

Des «Zémidjans» ou taxis-motos à Cotonou en juin 2010 by Theresac

En Afrique, le Bénin est à l’origine de la naissance des Zémidjans (les taxis-motos) qui écument avec leur livrée jaune, la ville de Cotonou, la capitale économique, et tout le territoire national. Contrairement à ce que beaucoup pensent, le phénomène n’est pas si récent.
Porto-Novo, la capitale administrative du pays, a connu il y a bien des années l’ancêtre du Zémidjan, le taxi-kanan (vélo-taxi) qui servait à transporter les marchandises des commerçantes et surtout l’Akassa (pâte à base de lait de maïs détrempé) qui compose l’une des spécialités culinaires béninoises: le Monyo, un plat préparé à base d’Akassa, de poisson à la  tomate, d’oignon et de piment.
La moto a définitivement remplacé le vélo à la fin des années 1980 avec l’apparition des premiers conducteurs de taxis-motos. Face aux conditions imposées par les Programmes d’ajustement structurels (PAS) de la Banque mondiale, le régime marxiste-léniniste de l’époque a mis fin en 1986 à l’Etat-providence et ses recrutements systématiques dans la fonction publique. Il en a résulté une hausse vertigineuse du taux de chômage. La banqueroute consécutive à la mauvaise gestion des sociétés d’Etat ayant entraîné la cessation de paiement des salaires des fonctionnaires, les Béninois ont décuplé d’ingéniosité pour faire face à la crise économique. La moto est donc devenue une ressource détournée pour fonctionnaires et chômeurs.

Profession: Zémidjan

Difficile de dire qui des chômeurs ou des Agents permanents de l’Etat (APE), comme on les appelait communément, a été le premier à se servir de la moto comme taxi. Toujours est-il que pour survivre ou joindre les deux bouts dans un contexte de crise économique et sociopolitique exceptionnel tel que celui de la fin des années 1980, les taxis-motos ont fait florès à Cotonou. Par la suite, Porto-Novo s’y est mis avant que les principales villes du pays ne prennent rapidement le relais. Aujourd’hui, les taxis-motos ou Zémidjans ont gagné tout le territoire national, même les localités les plus reculées. Certains pays africains comme le Togo, le Niger, le Nigeria, le Cameroun, le Tchad, ou encore l’Ouganda ont aussi emboîté les pas du Bénin.
En langue Fon, la langue la plus parlée au Bénin après le français, Zémidjan signifie «prends-moi vite», c’est-à-dire «dépose-moi vite à destination». Plusieurs facteurs ont contribué à donner le nom «Zémidjan» aux conducteurs de taxis-motos.
A une certaine époque, les Béninois appelaient, non sans humour, leur capitale «Cototrou» au lieu de Cotonou, car il y avait peu de voies bitumées et la plupart étaient parsemées de nids de poule. Ce type de problèmes qui rendent la circulation difficile, surtout en saison des pluies où les inondations, sont monnaie courante. De fait, circuler à moto a vite fait de devenir le moyen le plus pratique et le plus rapide. D’autant plus que les conducteurs de voitures qui servaient de taxis rechignaient à emprunter des ruelles plus connues au Bénin sous le nom de «vons» (voie orientée nord-sud) souvent détrempées. A contrario, le Zémidjan pouvait aller partout et rapidement sans broncher pourvu qu’on soit prêt à payer le prix de la course.
Au fil des années, le nombre de Zémidjans n’a cessé d’augmenter. Le secteur est aujourd’hui le plus grand pourvoyeur d’emplois du pays. Beaucoup de jeunes ont quitté ainsi des zones rurales à destination de la capitale, avec pour seul souci de trouver une moto afin de gagner leur vie. Dans la ville de Cotonou, on enregistre plus de 30.000 conducteurs de taxis-motos. Et il est fort probable que leur nombre dépasse les 100.000 au niveau national.
Le prix d’une course en Zémidjan n’est jamais fixe. Elle varie en fonction de la distance, du poids à transporter et même des obstacles à franchir. Pour un conducteur qui est propriétaire de sa moto, il peut gagner généralement jusqu’à 6.000 francs CFA (soit près 10 euros) ou beaucoup moins dans la journée. Mais celui qui loue une moto est astreint à verser 1500 francs CFA (environ 2 euros) par jour au propriétaire. Toutes proportions gardées, et déductions faites des taxes variables payées aux communes dans lesquelles ils circulent, il peut gagner une somme plus ou moins équivalente au salaire minimum de 31.625 francs CFA (48 euros).

Des militants mobiles de choix

Seulement, depuis que les Zémidjans ont compris qu’ils pouvaient représenter une force pour défendre leurs intérêts, ils ont formé différents syndicats dont certains sont d’ailleurs affiliés à des mouvements politiques. On peut citer notamment le Mouvement des Zémidjans pour un Bénin émergent (MOZEBE) qui soutient le régime du président Boni Yayi, sous la bannière des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE). D’autres soutiennent aussi la Renaissance du Bénin (RB) de Léhady Soglo ou le Parti du renouveau démocratique (PRD) d'Adrien Houngbédji. A travers le pays, les syndicats des Zémidjans poussent comme des champignons, avec des objectifs plus ou moins avoués. Selon la ville d’origine ou selon l’appartenance à tel ou tel syndicat, la livrée des Zémidjans peut aussi être différente.
Depuis quelques années, ce sont généralement des Zémidjans qui ouvrent par des caravanes les campagnes électorales, qu’elles soient municipales, législatives ou présidentielles. Dans leurs activités quotidiennes, ils profitent de leur contact permanent avec les citoyens pour les convaincre à voter comme eux. Nombre d’entre eux, moyennant rétribution, sont connus pour être militants de partis politiques. Ils pensent ainsi se venger des dirigeants politiques qui, une fois les élections terminées, ne songent plus à leur triste sort. Lors de la dernière présidentielle, le tarif était de 2500 francs CFA (environ 4 euros) plus une collation par Zémidjan à chaque participation à un meeting politique.
«Nous avons plusieurs syndicats rien que cette petite ville de Natitingou. Quand les politiciens nous sollicitent, chaque syndicat fait le point de ses adhérents et à la fin de la rencontre, nous nous partageons la recette au prorata du nombre de participants», raconte Hergé Nata.
Au regard de la masse électorale que les Zémidjans constituent, il va sans dire que les différents gouvernements ont tendance à se complaire de l’existence des taxis-motos. Sans pour autant chercher des solutions alternatives viables à leur réinsertion sociale dans d’autres secteurs qui feront courir moins de risques sanitaires et environnementaux aux populations.

Ces épaisses fumées noirâtres aux feux tricolores

Il n’y a certes pas que les Zémidjans qui posent un véritable problème environnemental à Cotonou. Mais leur nombre sans cesse croissant constitue une préoccupation majeure en matière de pollution. Dans les centres hospitaliers, les médecins et autres spécialistes commencent d’ailleurs par tirer la sonnette d’alarme sur certaines maladies jusque-là peu rencontrées.
«Les enquêtes menées en 2007 ont montré que chez les conducteurs de motos, les infections respiratoires aiguës sont les principales maladies pour 76% des cas. 1,6% développent des bronchites chroniques et 8% de l’asthme. A cela, s’ajoute le risque de divers cancers ou des coupures de brins d’ADN, faisant craindre des problèmes génétiques pour les générations futures», selon Imorou Orou-Djeri, directeur adjoint de l’Environnement au ministère de tutelle.
Une deuxième étude intitulée «projet d’appui à la prévention de la pollution de l’air à Cotonou», cofinancée par la coopération danoise et l’Agence béninoise pour l’environnement (ABE) et conduite pendant trois ans, a démontré que «le niveau du monoxyde de carbone dans le sang était un peu plus élevé que la normale». D’après des études complémentaires aux deux premières réalisées de 2000 à 2007 par le professeur Benjamin Fayomi, médecin spécialiste en toxicologie clinique à la Faculté des sciences de la santé de Cotonou, le niveau de benzène dans l’air à Cotonou était déjà «20 fois supérieure à la normale». Ce qui est largement au-dessus de la norme recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Il n’y a qu’à circuler à Cotonou aux heures de pointe pour se convaincre de l’énorme pollution qu’ils occasionnent. Nombreux sont les motocyclistes à Cotonou qui se déplacent maintenant avec un masque sur le nez pour éviter de respirer du gaz carbonique. Les épaisses fumées noirâtres qui se dégagent aux feux tricolores sont révélateurs de la situation de pollution que connaît la ville. Et cette situation ira sans doute en s’aggravant si l’Etat ne prend pas des mesures plus hardies pour y apporter des solutions idoines.
Pour parer au plus pressé, l’Agence française de développement (AFD) a accompagné un projet du gouvernement à travers le ministère de l’Environnement qui vise à renouveler 10% du parc automobile des Zémidjans de Cotonou, soit 10.000 motocyclettes. Il s’agit de remplacer les motos les plus polluantes par celles à quatre-temps. La prime à la casse est de 200.000 francs CFA (près de 305 euros) et comprend la formation au permis de conduire A2 et une assurance à responsabilité civile d’un an. Encore faudrait-il que ce programme soit suivi d’une réorganisation des transports collectifs et d’une réinsertion sociale pour produire des résultats probants.
A ce jour, seul l’ex-président Mathieu Kérékou, avait en son temps essayé de reconvertir les Zémidjans dans l’agriculture, à travers un projet destiné à la production du manioc. D’un montant d’un milliard de francs CFA (1.525.000 euros), le «Projet Manioc» n’a apparemment pas rencontré l’adhésion, le retour à la terre jugé plus difficile que de circuler à moto.
«Si l’Etat nous propose des emplois décents, je suis sûr que beaucoup d’entre nous serons prêts à abandonner ce travail bien plus pénible qu’on ne le pense. On oublie souvent qu’il y a beaucoup de diplômés sans emploi parmi nous. Mais en attendant de trouver mieux, il ne faut pas nous demander de laisser tomber notre gagne-pain pour le travail de la terre avec la houe et la daba», déclare sans ambages Jean Kouagou, conducteur de taxi-moto à Natitingou.
Comme quoi, les Zémidjans ont bel et bien de beaux jours devant eux, en dépit des risques évidents auxquels ils exposent le pays.

Marcus Boni Teiga
SlateAfrique

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