dimanche 24 juillet 2011

Analyse de la première mesure d’un futur président

Faisant de la « futurologie politique » dans ses « Questions directes à Etienne Tshisekedi wa Mulumba », le patron de CIC a demandé à celui-ci quelles seraient ses trois premières mesures si jamais il était élu Président de la République Démocratique du Congo le 6 décembre prochain. Réponse: « La première mesure consiste à moraliser la société congolaise. Par un discours moral, je vais exhorter les citoyens à réapprendre à faire la distinction entre le bien et le mal. Depuis l’accession de notre pays à l’indépendance, notre peuple a perdu le sens des valeurs. Notre peuple a perdu ses repères. Notre peuple a perdu la capacité de faire la distinction entre l’intérêt général et l’intérêt particulier. L’intérêt public et l’intérêt privé. J’entends rappeler à la population que l’exercice d’une parcelle de responsabilité est une charge. C’est un service à rendre à la communauté. Quand on est chef de l’État ou ministre, c’est avant tout pour servir la collectivité ».


Baudouin Amba Wetshi a eu le bon réflexe en posant la question qui devrait se trouver sur toutes les lèvres après une telle réponse: « Pensez-vous changer la mentalité des Congolais rien que par une causerie morale? » Réponse: « Il faut bien commencer quelque part. L’UDPS a l’ambition d’exercer le pouvoir afin de réformer la société congolaise ». On croirait entendre Mobutu qui, lui, avait l’honnêteté de reconnaître publiquement qu’une fois devenu Président de la République, il ne savait par où commencer. En effet, Tshisekedi n’a rien dit qui vaille la peine d’être entendu par un peuple qui attend sa rédemption depuis trop longtemps. Tous les partis politiques congolais, à commencer par les plus petits dont le rayonnement ne dépasse guère la sphère familiale du fondateur et propriétaire, ont exactement la même ambition que l’UDPS. Même le PPRD, le PALU et tous les autres partis de l’Alliance pour la Majorité Présidentielle (AMP) qui ont pourtant piteusement échoué! Dans ce cas, ce qui mérite d’être dit et entendu, ce n’est pas l’ambition déclarée, mais comment concrétiser celle-ci. Comment changer alors la mentalité des Congolais?


Par la causerie morale?


Tshisekedi est le patron ou propriétaire d’un parti politique, l’UDPS, qui existe depuis 1982. S’il veut changer la mentalité des Congolais par une causerie morale, il n’a nullement besoin d’attendre qu’il devienne président de la république. L’ultime objectif d’un parti politique est certes d’arriver au pouvoir. Mais dans une démocratie, un parti a également la responsabilité d’animer la vie politique nationale. En près de trois décennies d’existence, combien de causeries morales l’UDPS a-t-elle tenu à travers le territoire national et quel en est le résultat? D’accord, n’accablons pas le Vieux. Il est bien connu que les partis politiques africains n’existent que pour les élections. Entre deux élections, ils disparaissent simplement dans la nature; ce qui devrait normalement disqualifier la construction des démocraties sur cette base.


Parmi les forces vives de la nations congolaise, il en existe qui assument leur responsabilité à éduquer et conscientiser la population. Tel est, par exemple, le cas des églises traditionnelles et même de certains « Binzambi-nzambi », ces petites et moyennes entreprises qui vendent des illusions au peuple. A l’occasion de chaque cérémonie religieuse, les prédicateurs se cassent les cordes vocales pour que les Congolais sachent ce que Tshisekedi se propose de leur apprendre avant tout une fois devenu président de la république. A cela s’ajoutent les brillantes lettres pastorales des évêques qui s’adressent surtout aux élites politiques. Quel en est le résultat? On me rétorquerait sans doute que si les Congolais entendaient ce message de leur président, les choses bougeraient enfin. Aurait-on oublié de si tôt les nombreuses causeries morales de Mobutu Sese Seko et de Laurent-Désiré Kabila? Ce dernier n’est-il pas passé à la vitesse supérieure dans sa volonté de créer une véritable armée nationale, autre chantier prioritaire du candidat Tshisekedi, en enfermant tout bonnement les soldats congolais dans des camps de rééducation où les causeries morales se succédaient les unes après les autres? Pourtant, les mêmes soldats ont gaiement rejoint les envahisseurs rwandais en marchant de la base militaire de Kitona dans le Bas-Congo afin de renverser le « Libérateur » Kabila à Kinshasa. Faut-il encore démontrer la légèreté de la démarche politique consistant à changer la mentalité des Congolais par une causerie morale, même si ce n’est là que la première étape d’un long processus par ailleurs non défini?


Par quoi alors?


Même si le Bon Dieu en personne tenait une causerie morale aux Congolais, cela resterait sans effet. Non pas que les Congolais constituent un monde à part. Mais il n’existe aucun État au monde où les tartines de morale ou de patriotisme servies au peuple réussiraient à anéantir les anti-valeurs que l’on peut observer dans la société congolaise. Partout au monde, ce qui garantit le dénominateur commun sans lequel l’idée même de société serait impossible, c’est-à-dire l’intérêt général, c’est le pacte primordial sur lequel repose philosophiquement toute communauté humaine. En d’autres termes, l’existence de la loi et des mécanismes mis en place de manière à ce que personne ne soit au-dessus d’elle. Quand on veut réformer l’État congolais ou tout autre État africain, ce serait donc perdre son temps que de prononcer un discours moral pour « rappeler à la population que l’exercice d’une parcelle de responsabilité est une charge ». Tout le monde le sait. De même, contrairement à ce que soutient Tshisekedi, le peuple congolais n’a pas du tout « perdu la capacité de faire la distinction entre l’intérêt général et l’intérêt particulier. L’intérêt public et l’intérêt privé ». Tout haut commis de l’État et tout citoyen ordinaire qui détourne les deniers publics sait pertinemment bien qu’il agit en hors-la-loi. Et quand Tshisekedi déclare que « quand on est chef de l’État ou ministre, c’est avant tout pour servir la collectivité », il perd de vue qu’il s’agit là d’un discours alimentant la mystification du pouvoir. La réalité du pouvoir, elle, démontre quotidiennement et clairement que même dans les vieilles démocraties, les chefs d’État et les ministres se remplissent bien les poches au détriment de leurs peuples. Le mouvement des indignés en cours en Espagne, par exemple, valide cette assertion. N’exprime-t-il pas la colère de la population face aux privilèges de la classe politique?


Au sujet de mission de la politique, la différence entre les démocraties occidentales et les régimes africains ne réside pas du tout dans le fait que les dirigeants occidentaux servent leurs populations tandis que ceux d’Afrique se servent. La différence réside dans ce fait curieux qui voudrait, par exemple, que le président le plus puissant au monde, celui des États Unis d’Amérique, puisse à tout moment être traîné devant la justice de son pays alors que les États africains se montrent incapables de traduire leurs petits et minables présidents en justice. Elle réside aussi, autre exemple, dans ce fait tout aussi curieux qui voudrait que la loi belge soit capable de retirer le permis de conduire à un fils du roi pour excès de vitesse tandis que la loi congolaise reste incapable de s’appliquer sur un frère du président qui moleste publiquement un policier réglant le trafic routier à un rond point tout simplement parce qu’il aura changé la direction du trafic au moment où le frère du président qu’il ne pouvait voir et reconnaître au fond de sa voiture aux vitres tintées s’apprêtait à passer. Dès lors, si le futur président Tshisekedi veut réformer la société congolaise, il doit avant tout mettre en place des institutions politiques qui permettraient à l’État de le traduire en justice et de le jeter en prison le cas échéant.


En effet, tant que l’État sera incapable de traduire le président de la république en justice, plusieurs personnes échapperont à celle-ci, clientélisme et confusion entre l’État et la famille obligent. Illustrons ces propos. Les institutions politiques congolaises actuelles ne peuvent aucunement traduire le président Joseph Kabila en justice même en cas de haute trahison avérée. Le patron de la police nationale John Numbi, on le sait, n’est rien d’autre qu’un client de Joseph Kabila. Quand Numbi convoque Floribert Chebeya dans son bureau et que ce dernier se retrouve plus tard assassiné, le premier suspect n’est personne d’autre que Numbi. Comme ce dernier connait plus d’un crime commandité par le chef de l’État, celui-ci ne peut courir le risque de le voir devant les juges. Par ailleurs, le chef de l’État se doit de rassurer ses autres clients. Que fait-il alors? Il couvre Numbi d’une partie de l’impunité dont il jouit lui-même. Et Numbi échappe à la justice. Au vu et au su de toute la nation!


Le clientélisme est un mécanisme qui va du sommet à la base de la pyramide sociale. Les clients du chef de l’État ont à leur tour leurs propres clients et ainsi de suite. Il n’est donc pas surprenant qu’un étudiant, par exemple, assassine un autre sur un campus universitaire et que ce meurtre demeure impuni puisqu’inscrit dans une chaine clientéliste particulière. Moralité, tant que les institutions républicaines ne neutraliseront pas les mécanismes clientélistes, la loi ne sera jamais impersonnelle et opposable à tous. D’où l’impunité endémique et les anti-valeurs auxquelles la nation assiste impuissante. Le parti de Tshisekedi a-t-il déjà réfléchi sur le cadre institutionnel qui permettrait à la loi d’être effective et opposable à tous? Si oui, que son leader donne la bonne réponse à la question posée par Baudouin Amba Wetshi. Et si non, une chose est certaine: avec ou sans l’UDPS au pouvoir, le Congo continuera à patauger dans la boue.

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
© Congoindépendant 2003-2011

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