mercredi 27 juillet 2011

Madjo et Meklit Hadero, ces chanteuses métisses qui ont l'Afrique en héritage

Toutes deux invitées au dernier Festival Nuits d'Afrique de Montréal, les chanteuses Madjo et Meklit Hadero racontent leurs racines africaines.



Madjo et Meklit Hadero sur scène durant le Festival Nuits d’Afrique © Stéphanie Trouillard, tous droits réservés.

Avec son nom à l’accent vaguement exotique, on pourrait croire que Madjo est la dernière perle musicale venue d’Afrique. La jolie chanteuse au teint clair et aux bouclettes abondantes est en réalité originaire d’Évian-les-Bains et s’appelle, pour l’état civil, Cécile Grollimunde.

Son nom de scène ne fait pas référence à une lointaine tribu subsaharienne mais à une inscription sur le fronton de la maison familiale, le nom des anciens propriétaires, Madeleine et Joseph.

Née dans la région française de Haute-Savoie, la jeune artiste de 28 ans ne cache pas sa surprise d’avoir été choisie par les programmateurs du Festival International Nuits d’Afrique de Montréal, dont la 25e édition se déroulait du 12 au 24 juillet:

«C’est juste parce qu’il est dit dans les médias que mon grand-père est sénégalais. Mais dans ce cas-là, j’ai autant d’origines sénégalaises que suisses et françaises.»
Refuser l'étiquette

Ce grand-père maternel lui a légué un quart de sang africain mais peu de connaissances sur ses racines:

«Il est arrivé très tôt en France pour faire ses études. Il s’est ensuite séparé de ma grand-mère. Du coup, il n’y a pas forcément eu d’héritage de son passé. Je ne peux pas dire que j’ai écouté des artistes africains ou que mon grand-père me racontait des histoires en wolof. Ce serait faux.»

Malgré ces zones d’ombre, le continent de ses ancêtres a fini par la rattraper. Petite, elle part pendant un an au Kenya pour suivre son père, ingénieur sur des chantiers de forages. Plus tard, la jeune femme fait elle-même la démarche de visiter la terre de ses aïeux, le Sénégal:

«Ça a été un choc. Je suis restée dix jours, j’ai été sidérée autant que j’ai été émue. Je pense que tu récupères beaucoup de ce que tes parents n’ont pas fait. Du coup je suis repartie en pleurant vers la France. Il va falloir que j’apprivoise tout cela.»

Même si cette première visite s’est avérée douloureuse, Madjo espère pouvoir retourner auSénégal très bientôt. Reconnectée avec son histoire, la Savoyarde estime que l’Afrique est désormais en elle, même si elle revendique sa diversité:

«Tout cela est très récent. Cela fait partie de moi, mais je n’aime pas forcément le côté étiquette car je suis un peu métisse et que j’ai les cheveux frisés. J’aime bien brouiller les pistes aussi.»

Sur les titres de son premier album Trapdoor sorti fin 2010, l’artiste à la voix suave s’amuse ainsi avec de nombreuses combinaisons. Une touche de Joni Mitchell, une pincée de Nina Simone ou un soupçon de Fiona Apple, Madjo est une touche-à-tout:

«Je crois que c’est un mélange de pop, de soul et de tout ce que j’ai écouté ou aimé. On est nombreux aujourd’hui à ne pas revendiquer un seul style de musique.»

Cet assemblage original, entre anglais et français, lui vaut aujourd’hui d’être l’une des révélations de ces derniers mois. Élevée dans l’est de la France, Cécile passe maintenant le plus clair de son temps à Paris ou sur les routes en tournée.

Génération MTV

Meklit Hadero, l’autre sensation des Nuits d’Afrique, se sent un peu partout comme à la maison:

«C’est un état d’esprit. New York a toujours fait partie de moi et c’est comme cela partout ailleurs: Seattle, Düsseldorf, Londres, la Floride…»

Sur la scène montréalaise, elle affiche une incroyable décontraction. Le sourire aux lèvres, elle extériorise sa joie d’être présente au programme:

«Je suis intéressée par les histoires, par ce que racontent les artistes. C'est donc vraiment spécial pour moi de faire partie d'un festival panafricain et d'entendre cette diversité. Il y a tellement de choses différentes.»

Née il y a 31 ans en Éthiopie, la chanteuse à l’éternelle fleur dans les cheveux est aujourd’hui à la recherche de ses racines. Au début des années 80, sa famille a dû fuir son pays:

«La révolution était encore récente. Il y avait beaucoup de violence. Ma mère a eu l’opportunité d’avoir une bourse en Allemagne de l’Est. Mes deux parents y sont allés et nous avons fini à Berlin, à Checkpoint Charlie. Puis nous sommes allés jusqu’à l’ambassade américaine, et nous avons pu partir aux Etats-Unis grâce à des associations humanitaires catholiques.»

En plein âge d’or de la chaîne musicale MTV, la jeune réfugiée grandit à l’américaine tout en écoutant les K7 de chanteurs éthiopiens glissées dans ses valises. Même si petite, elle aime fredonner des chansons, ce n’est que sur le tard qu’elle se met à composer:

«J’ai vraiment commencé à écrire des morceaux quand j’ai emménagé à San Francisco. J’ai écrit ma première chanson en 2005 et j’ai débuté sur scène à la fin de la même année.»
Trouver un juste équilibre

Persévérante, Meklit finit par sortir en 2010 un premier album intitulé On A Day Like This. Sur son disque, la chanteuse reprend quelques titres traditionnels de son pays d’origine, mais la plupart de ses morceaux, aux influences jazzy et soul, sont en anglais:

«J’ai essayé d’écrire en amharique [la langue majoritaire en Éthiopie, ndlr], mais la poésie est différente. Ce n’est pas une question de savoir combien je suis éthiopienne ou combien je suis américaine, il s’agit d’exprimer ce que représente ma vie. Elle est un mélange des deux. Je ne choisirai jamais. Je serai toujours quelque part au milieu.»

Bercée par ses deux identités, l’Américano-Ethiopienne essaie de retourner le plus souvent possible sur sa terre maternelle:

«Je vais là-bas pour apprendre sur la culture, pour créer des liens avec des artistes locaux. Mais j’ai aussi besoin d’y aller pour garder à l’esprit ce qui est important dans la vie.»

Elle se rend également chaque année en Ethiopie en compagnie de membres du collectif Arba Minch, dont elle est la fondatrice. Un rassemblement de musiciens américains issus de la diaspora éthiopienne:

«Nous y allons avec l’esprit ouvert. L’idée, c’est de comprendre la culture de là-bas autrement que par les histoires que nous ont apprises nos familles. Tu dois le voir de tes propres yeux car tout le monde voit quelque chose de différent», explique l’artiste militante.

En amharique, Meklit signifie «celle qui connaît l’équilibre des choses». Un nom prédestiné pour une jeune femme qui a réussi à construire un pont entre ses deux cultures.

Stéphanie Trouillard

SlateAfrique

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