lundi 4 juillet 2011

RDC : Le plan de balkanisation est en train de subir un grand revers


image Jacques ATTALI

L’un des grands prophètes de l’effondrement de la RDC, Jacques Attali, vient de faire un revirement spectaculaire. Il considère aujourd’hui que « la constitution d’un Etat en RDC est la clé de l’avenir de l’Afrique toute entière ».
Il est temps que les Congolais prennent conscience du leadership continental de leur pays. L’un des grands prophètes de l’effondrement de la RDC, Jacques Attali, vient de faire un revirement spectaculaire. Lui qui, hier encore, prédisait la disparition du Congo en 2020 dans «Une brève histoire de l’avenir, publié aux éditions Fayard, 2006», considère aujourd’hui que ‘’la constitution d’un Etat en RDC est la clé de l’avenir de l’Afrique toute entière’’. Que ceux qui pensaient comme lui, tant au pays qu’à l’étranger, comprennent que la RDC n’est ni à vendre ni à effacer sur la carte du monde. Le plan de balkanisation est en train de subir un grand revers ; autrement dit : échec et mat.
Jacques Attali est un écrivain et penseur français dont les prises de position sur la RDC sont connues. Dans une interview sur la chaîne de l’Assemblée nationale française, il jette un véritable pavé dans la mare. Lui qui, il y a un temps, prédisait la disparition en 2020 de la République démocratique du Congo en tant qu’Etat, est revenu à la charge en révélant que « l’avenir de l’Afrique » se joue en RDC. Il rappelle tout l’intérêt pour l’Afrique de sauver la RDC du naufrage, pour autant, estime-t-il, que ce pays est le centre névralgique du développement du continent noir.
Son mea culpa est sans pareil. Il pense qu’en ce qui concerne la RDC « tout ce que l’aide internationale peut apporter devrait d’abord se concentrer autour de la constitution d’un Etat ». Aussi, estime-t-il que « La constitution d’un Etat en RDC est la clé de l’avenir de l’Afrique toute entière ». Cette prise de position rappelle celle du Martiniquais Franz Fanon qui, en son temps, a déclaré que l’Afrique avait la forme d’un revolver dont la gâchette se trouvait en RDC. Sa prophétie est en train de prendre corps.
Dans les milieux occidentaux, le langage a complètement changé. Ainsi, même si Jacques Attali reconnaît qu’en RDC l’Etat est « inexistant », un « trou noir au milieu de l’Afrique », il se félicite néanmoins de ce désir du peuple congolais à se reconstituer une identité. « Pour l’instant, c’est un non pays. Mais il y a une nouvelle jeunesse qui a envie de se structurer », souligne l’analyste français. « Il faut beaucoup de choses à faire », pense-t-il, pour que la RDC joue véritablement son rôle. Le plus important, selon lui, est de parvenir d’abord à réunir les attributs d’un Etat. « Tout le monde sait ce qu’il faut faire : il faut d’abord qu’il y ait un Etat dans ce pays ».
Que l’un des grands penseurs de l’effondrement de l’ex-Colonie belge se rétracte aussi publiquement sous-entend que le plan de balkanisation de la RDC est voué à l’échec. Toutefois, le peuple congolais devrait demeurer vigilant et ne pas baisser garde car, les ténors de la partition du pays ne pourraient pas désarmer aussi facilement.
Dans ce cas, l’élite congolaise se trouve interpellée. Elle doit s’assumer, refaire l’identité congolaise en vue de la refondation de l’Etat congolais. Cela passe par plusieurs canons dont la musique. L’écrivain français est d’avis que cet élément culturel demeure un atout nécessaire dans cette grande entreprise de refondations de l’Etat congolais pour avoir su jusqu’à présent sauver l’unité congolaise.
Par ailleurs, Jacques Attali avise que maintenir la RDC dans son statu quo de « trou noir », équivaudrait à hypothéquer le développement de l’Afrique. Aux dirigeants congolais de savoir lire les signes de temps.
L’interview de Jacques Attali.

En 2011, vont avoir lieu en République démocratique du Congo la présidentielle et les législatives. Quel sera le principal enjeu de ces élections dans ce pays qui, finalement, est le théâtre des guerres interminables depuis 1990 ?

Depuis même son indépendance en 1960. C’est un pays pas comme les autres. Il est absolument fondamental. On dit souvent que l’Afrique a un avenir très prometteur. Mais, en effet, l’avenir de ce continent dépend entièrement de celui du Congo. Si le Congo reste ce pays, comme disent certains, au milieu de la carte de l’Afrique, ce trou noir au milieu de l’Afrique, ce continent ne pourra se développer parce que le développement de l’Afrique du Nord et de l’Afrique australe ne pourrait pas se joindre par le milieu. Le développement du Nigeria et de la RDC permettra à toute l’Afrique de se développer. C’est absolument central. D’autre part, le Congo est un pays qui, en effet, a tout pour se développer. Ce qui est un enjeu considérable. C’est un pays de cocagne en termes agricole et miniers, à travers le cobalt, l’uranium, le pétrole, le cuivre et des métaux extrêmement rares et précieux comme le coltan, minerai très particulier sans lequel on ne peut pas fabriquer le téléphone portable. Très peu de pays dans le monde produisent ce minerai. Un autre minerai recherché, c’est le diamant qu’on retrouve dans l’Est du pays. La RDC a un potentiel de développement gigantesque. C’est un pays qui a une population élevée, entre 65 et 70 millions d’habitants. En réalité, c’est un non pays qui connaît un désastre : il n’y a pas d’Etat, pas d’armée ou très peu, pas de police ou très peu, pas de règle au point qu’à l’heure où nous parlons, ce pays a un niveau de vie par habitant de 150 Usd par an, moins de 0,50 Usd/jour. 80% de la population congolaise vivent avec moins de 2 Usd/jour. C’est le pays le plus pauvre de la planète alors qu’il est potentiellement le plus riche.
La RDC est un pays qui connaît un taux de mortalité gigantesque et dans lequel une femme a au moins six enfants et le taux de croissance de la population est de 8% par an. Malgré le faible taux de mortalité, c’est un pays où la moitié de la population a moins de 14 ans et où l’espérance de vie est de 55 ans.

Peut-on compter, à l’avenir, sur cette jeune génération pour mener le pays à devenir ce qu’avait promis le président Kabila quand il avait été élu en 2006, la locomotive de l’Afrique centrale et des Grands Lacs. A-t-il les moyens de le faire ?

Pour ça, il faut beaucoup de choses à faire. Tout le monde sait ce qu’il faut faire : il faut d’abord qu’il y ait un Etat dans ce pays.

Il n’y a pas un Etat de droit ?

Non. Il n’y en a pas. Bah ! Il y a une tentative. Il n’y a pas d’Etat dans le sens de la normalité, c’est-à-dire avoir un système judiciaire, la police, l’armée, etc. Ces deux corps sont tout à fait instables et ne sont pas du tout en situation d’avoir le pouvoir sur des guerres civiles innombrables qui continuent, en particulier dans l’Est du pays, comme les dernières ondes de choc, d’après la tragédie du Rwanda où les Hutus et Tutsi ont continué à s’entre-massacrer.

Après avoir commis le génocide sur les Tutsi, les Hutu se sont réfugiés au Zaïre où ils ont été, à leur tour, massacrés …

Ils ont été pourchassés et massacrés par des milices zaïroises. Par la suite, ils ont été entretenus et aidés par les vainqueurs du régime de M. Kagamé au Rwanda. Tout est mis en place pour la guerre civile qui a déjà fait entre quatre et cinq millions de morts continue et qu’on connaisse des massacres des militaires qui s’accompagnent de ceux de femmes qui sont également violées et d’enfants. Une situation qui entraîne de millions d’orphelins dans la rue et de centaines de milliers d’enfants soldats. La RDC est un non pays qui connaît un désordre extrême.

L’armée n’est-elle pas tenue par le pouvoir en place ?

Si. Mais elle n’est pas encore solide. Chacun sait très bien ce qu’il faudra faire. Les Coréens, les Chinois, les Européens ont fait leurs Plans. Mais, en réalité, …

Mais Joseph Kabila avait mis en place un programme de reconstruction qui ne conduit pas vers …

Le Congo est un pays dont l’héritage de la colonisation belge a été un épouvantail. Elle n’a rien laissé : aucune école, aucune administration, etc. Le pays a d’abord été pillé par le roi des Belges à titre personnel, ensuite par les Belges à titre collectif, puis par les successeurs des Belges de toute nature dans les provinces riche en ressources minières. C’est un pays qui n’a rien : il n’y a pas de routes, pas de chemins de fer, pas d’hôpitaux, pas d’écoles, même si une grande partie de la population est scolarisée, mieux sait lire et écrire. Le taux de la mortalité infantile est extrêmement élevé.

Qui s’approchera du Congo pour financer ces infrastructures puisque ce pays n’a pas les moyens de le faire ?

Le Congo aurait les moyens s’il n’y avait pas de pertes en ligne dans le régime minier. En plus, il paie le prix très lourd du régime précédent. Le malheur a voulu qu’après la colonisation belge, il y a eu un dictateur pillant tout pendant longtemps, qui s’appelait Mobutu, et qui, en mourant, a laissé le Zaïre avec des dettes qu’on continue à réclamer au nouveau pays qui a changé de nom. L’Occident est lui-même coincé par l’exigence de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) de rembourser les dettes de l’ancien régime par ce qu’on appelle le Consensus de Washington, c’est-à-dire les exigences des institutions internationales sont très lourdes et interdisent au pays de repartir sur de nouvelles bases. Ce qui est en train de paraître est très intéressant. A côté du Consensus de Washington, nous avons le Consensus de Pékin, c’est-à-dire le fait que les Chinois, qui ont beaucoup d’argent, n’imposent absolument pas les mêmes contraintes de remise en ordre des finances publiques au pays qu’ils aident mais ils imposent tout simplement de pouvoir bénéficier, piller, diraient certains, des ressources qu’ils achètent en échange de financement d’infrastructures qui aujourd’hui sont, semble-t-il, lancées lors des accords assez confidentiels entre les Chinois et les Congolais. Ce sont de grands projets d’infrastructures tout à fait nécessaires, en particulier les chemins de fer…

Construits par les Chinois ou par les Congolais avec le financement chinois?

Construits essentiellement par les entreprises chinoises, sans doute aussi avec le personnel chinois qui vient sur place construire des chemins de fer, des écoles, des routes, des hôpitaux, tout ce qui est évidemment vital pour que ce pays puisse utiliser d’une façon décente ses matières premières. Car l’avenir du Congo passe par une modernisation de l’agriculture et une intégration du système informel. On pense que 80 % de l’économie congolaise est une économie informelle. On est dans une économie de troc, une économie illégale et criminelle. C’est aussi un pays qui est un grand producteur de cannabis pour la consommation intérieure.
Très largement, c’est vraiment un pays qui connaît de très grandes difficultés mais en même temps un pays extraordinairement prometteur comme l’est le Nigeria. Comme vous le savez, quand on regarde l’avenir, moi, je regarde très souvent la démographie. Le Congo, avec 60 ou 65 millions d’habitants, a une population très jeune et une très forte croissance. Mais il y a un autre secteur que je regarde quand je suis les émissions pour essayer de comprendre l’avenir : c’est la musique. Elle nous dit beaucoup sur l’avenir du Brésil et nous dit aussi beaucoup de choses sur l’avenir du Congo. Car, c’est un pays dans lequel la musique a une vitalité extraordinaire et si on veut comprendre l’avenir du Congo, il faut voir le film qui est déjà visible en France et qui s’appelle « Benda Bilili » qui montre comment les mendiants paraplégiques liés à la maladie de la poliomyélite dans le bas-fond de Kinshasa sont progressivement devenus des musiciens internationalement connus, simplement par leur entraide et leur passion. Cela dit beaucoup sur l’extraordinaire optimisme de ce peuple composé de 700 différentes nationalités, pratiquement autant de langues qui sont parlées en RDC dont le français est la langue officielle. La musique est donc l’un des éléments qui conduisent à être optimistes sur l’avenir du Congo.

Dans ce cas, la musique fait preuve de résilience. Mais pourra-t-elle être utile à tous ces gens qui, en RDC, sont victimes non seulement de violences liées à la guerre mais aussi de maladies dont le Sida qui touche pratiquement 4% de la population ? Ce qui est énorme. Y a-t-il des programmes humanitaires qui sont pris en charge par la communauté internationale pour aider ce pays ?

Il y a des programmes qui sont très importants car, outre la mortalité infantile, il faut ajouter le Sida. La mortalité de jeunes adultes est considérable et détruit les rares élites qui peuvent se constituer mais qui meurent. Il s’agit de jeunes médecins, infirmiers et autres instituteurs. C’est dire qu’il y a un besoin fondamental d’infrastructures de santé et de remise en état, en particulier des femmes. Il n’y a pas d’avenir d’un pays sans les femmes. Or celles-ci sont les grandes traumatisés de ce pays parce qu’elles ont été et sont encore victimes de viol collectif des bandes armées qui circulent un peu partout dans le pays. Donc, remettre l’ordre est la condition sine qua non pour mettre la RDC sur le chemin de développement. Sinon, le Congo va rester plus encore – c’est pour cela que les élections prochaines sont importantes – un non pays dans lequel chacun ira puiser les ressources naturelles.

Les Congolais peuvent-ils défendre leur territoire et demeurer dans une Nation unie dans les conditions dont nous venons de parler ?

Pour l’instant, c’est un non pays. Mais il y a une nouvelle jeunesse qui a envie de se structurer. Le pays a failli exploser en différentes parties à plusieurs reprises quand le Katanga a déclaré son indépendance dans les années 60. Je pense qu’aujourd’hui, son identité est établie.

Un jour, à l’avenir, le Congo pourra-t-il établir une justice ?

Je disais tout à l’heure qu’il faut une justice pour juger …

Pour reconnaître, peut-être, qu’il y a eu un génocide ?

Reconnaître, effectivement, qu’il y a eu des génocides et des massacres divers et mettre en place des tribunaux. Pour qu’il y ait une justice, il faut un tribunal, une police, la prison. Il faut toute une série de choses qui fondent un Etat. Mais on est très loin d’avoir un Etat au Congo. Le système fiscal n’existe pratiquement pas, les ressources publiques quasi inexistantes et la dette publique demeure gigantesque, considérable malgré les richesses dont regorge le pays.
Donc, tout ce que l’aide internationale peut apporter devrait d’abord se concentrer autour de la constitution d’un Etat. La constitution d’un Etat au Congo est la clé de l’avenir de l’Afrique toute entière.

[Le Potentiel]

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