Griots blancs, gourous blancs, sorciers blancs… Au Sénégal comme ailleurs, les politiciens africains s’entourent de conseillers (re)venus de loin.
À force de creuser le sol, le géologue Macky Sall semble devenu archéologue. Pour sa campagne électorale, il a déterré une de ces momies en retraite de la politique européenne: Jean-Pierre Pierre-Bloch. Et la momie se serait révélée un filon sous-terrain de bons conseils stratégiques, ceux qui ont permis au maire de Fatick de mettre Abdoulaye Wade en ballottage. “Sorcier Blanc”? J-P P-B, nouveau mentor du leader de l'Alliance pour la République (APR), récuse l’expression.
Agé de 73 ans, Pierre-Bloch est incontestablement un baroudeur professionnel: ancien journaliste, ex-directeur du quotidien France-Soir, ancien secrétaire du chanteur Johnny Hallyday, chargé de mission auprès de l’éphémère président de la République française Alain Poher (par intérim, après le décès de Georges Pompidou), conseiller au ministère du Travail ou encore élu du 18e arrondissement de Paris…
Nomadisme politique et transhumance
L’apparent nomadisme politique qui le conduisit de l’entourage d’Abdoulaye Wade, après des années de fidélité indéfectible, à celui de Macky Sall semble inscrit dans les gênes de sa stratégie de carrière. Fils d’un député socialiste, il sera tour à tour député avec une étiquette du parti giscardien UDF, conseiller de Paris pour Démocratie libérale d’Alain Madelin –grand ami d’Abdoulaye Wade–, puis élu sous l’étiquette de l’UMP, aux côtés du chiraquien Jean Tiberi, avant de rejoindre le Nouveau centre “girouette” d’Hervé Morin.La ligne idéologique, il est vrai, reste peu ou prou cohérente, celle d’un centre-droit libéral. La transhumance se justifie plutôt par le choix des leaders. Et dans la famille libérale sénégalaise, c’est derrière Macky Sall que Jean-Pierre fait aujourd’hui Bloch.
Calcul judicieux, pour l’instant, si l’on observe la fructueuse campagne de l’ancien Premier ministre de Wade, moins obnubilé par l’antiwadisme primaire citadin que par un labourage méthodique des terreaux électoraux provinciaux.
Business et politique ne sont jamais très éloignés
Campagne dont Pierre-Bloch, membre du premier cercle, aurait été une «clé de succès», selon bon nombre d’observateurs. Le septuagénaire aurait fait profiter Sall de sa longue expérience politique, mais aussi des services de son entreprise, “Médiatique”, en fournissant notamment la sonorisation et les écrans géants de la cérémonie d'investiture du candidat de l’APR.Business et politique ne sont jamais très éloignés. Et c’est en accusant Pierre-Bloch de mauvaise gestion des deux milliards de francs cfa qui lui avaient été remis dans le cadre de la communication de la troisième édition du Festival mondial des arts nègres, en 2010, qu’Abdoulaye Wade avait mis le ver dans le fruit d’une amitié de plusieurs décennies. Accusation légitime ou complot?
L’entourage du président sénégalais avait beau jeu de rappeler que, même relaxé, l’ancien politicien français avait été mis en examen, en France, en 2001, pour «recel d’abus de biens sociaux» en lien avec des opérations immobilières de la société de son épouse, puis, en 2002, pour des rémunérations perçues d'une société de Neuilly dans laquelle il n’aurait pas été employé.
Les “marabouts blancs” du pays des marabouts sont-ils toujours blancs comme neige? Abdoulaye Wade ne s’est jamais privé de leurs services. À son arrivée au pouvoir, le chantre du sopi fait appel à Christian Salvy pour relancer la défunte SOTRAC (Société de transport du Cap vert), ressuscitée sous le nom Dakar Dem Dikk. En 2010, suite à une grève générale illimitée des agents de DDD, le président remercie son «ami français».
Autre protégé blanc du sérail d’Abdoulaye Wade, Pierre Aïm, homme d'affaires français, bénéficiera d’un passeport diplomatique et obtiendra la gestion de la société produisant Africa Cola. En 2010, Aïm est traqué par Interpol. Autre proche du régime sénégalais, l’ancien trader Elie Khalil connaîtra des démêlées judiciaires, en France, dans le cadre de l'affaire Elf.
Après la défection de Jean-Pierre Pierre Bloch, le président Sénégalais serait moins friand de conseillers au visage pâle…
“Marabouts blancs” dans les couloirs des palais présidentiels
La présence plus ou moins occulte de “marabouts blancs” dans les couloirs des palais présidentiels n’est pas une spécificité sénégalaise. La partie francophone du continent offre une galerie de portraits croustillants.Lorsque le président de la Commission de l'Union africaine, Alpha Oumar Konaré, dénonçait les «debbascheries» contraires au fonctionnement optimale des institutions démocratiques, il évoquait, par ce néologisme, le juriste et universitaire Charles Debbasch, conseiller du général Eyadéma, artisan de modifications constitutionnelles destinées tantôt à permettre la candidature récurrente du timonier togolais, tantôt à invalider celle de Gilchrist Olympio et tantôt à légaliser l'arrivée au pouvoir du fils Eyadéma, Faure Gnassingbé. Le constitutionnaliste français deviendra le symbole des mercenaires en col blanc.
Chaque “marabout blanc” a sa spécialité: l’aide aux réformes constitutionnelles pour Debbasch; la propagande politique pour Guy Labertit, ancien délégué Afrique du Parti socialiste français qui défendit Laurent Gbagbo contre vents et marées; les relations publiques pour Claude Marti, chef d'entreprise français proche de Michel Rocard, qui modela l’image de monsieur Biya dans les années 80 et celle de madame Biya dans les années 90; le lobbyisme feutré pour Jean Guion, thuriféraire tout-terrain du Burkina Faso de Blaise Compaoré.
Ubuesque Mouammar Kadhafi
Que cherchent les chefs d’Etat africains auprès de ces gourous blancs qui peuvent se révéler des raspoutines? Des trophées exotiques? Des canaux de communication informels avec les pays européens? Une sorte de magie blanche? De talismans porte-bonheur? de gris-gris politiques?Officiellement, une compétence technique dans les domaines juridiques, politiques ou managériaux. Mais est-ce réellement le savoir-faire d’avocat de maître Marcel Ceccaldi, ancien conseiller de Jean-Marie Le Pen, qui intéressait le fantasque Moussa Dadis Camara, le têtu Laurent Gbagbo ou l’ubuesque Mouammar Kadhafi?
Et que cherchent les “marabouts blancs” sur le continent africain? Leur adhésion idéologique affichée est-elle feinte? Bernard Rideau, ancien conseiller en communication de Valery Giscard d'Estaing, n’hésitait pas à dire que «Les Africains sont très généreux». Il savait de quoi il parlait. Il conseilla les présidents Abdoulaye Wade, Omar Bongo, Gnassingbé Eyadéma et Denis Sassou Nguesso.
Et il n’hésita pas à déclarer que la première motivation des conseillers européens des dirigeants africains était financière.
C’est en effet un appât du gain assumé qui a conduit nombre d’Européens sur les routes des palais africains. Et des Européens de tous poils, pas seulement dans les stricts métiers de la politique, comme le décrit le journaliste Vincent Hugeux dans “Les sorciers blancs, Enquête sur les faux amis français de l'Afrique”.
Bob Denard a fait connaître le monde du mercenariat. Robert Bourgi celui des porteurs de valises. Jacques Séguéla, Thierry Saussez ou Jean-Pierre Fleury celui de la communication politique. Jacques Vergès ou Roland Dumas celui des avocats à l’esprit de contradiction.
Mais pour l’Africain “moyen”, le terme de «sorcier blanc» évoque d’abord les sélectionneurs de football! Après tout, on sélectionne les bons footeux comme on sélectionne les bons candidats…
Damien Glez
SlateAfrique
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