Luis Moreno-Ocampo, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré le 2 juin lors d’une conférence de presse à Abidjan que les «pires violences post-électorales» en Côte d’Ivoire ont été commises par les forces du camp de Laurent Gbagbo.
Et ce, malgré le massacre d’au moins 816 personnes à Duékoué, perpétré fin mars 2011 par les forces soutenant le camp d’Alassane Ouattara. Comment interpréter de telles déclarations du procureur de la CPI, qui semblent donner un verdict avant même que le procès ait eu lieu?
En fait, cette prise de position intervient dans le contexte d’une bataille juridique serrée. Le 24 mai, l’avocat international de Laurent Gbagbo, Me Emmanuel Altit, a en effet déposé devant la CPI une «requête en incompétence» de la cour de justice internationale qui repose sur des arguments juridiques solides.
Ce document de 79 pages, public, rappelle notamment que l’arrestation de Laurent Gbagbo et sa détention se sont faites hors de tout cadre juridique. Le 13 avril, trois jours après son arrestation, Laurent Gbagbo est expédié à Korhogo, dans le nord, et placé de manière totalement informelle sous la garde d’un chef militaire rebelle, le commandant Martin Kouakou Fofié. Un homme déjà sanctionné par les Nations unies pour ses atteintes aux droits de l’homme.
Aucun mandat d’arrêt n’est délivré contre le président déchu. Il est déclaré «assigné à résidence» sans aucun document le prouvant, dans une maison appartenant à un proche de Guillaume Soro, le chef des rebelles nordistes et Premier ministre d’Alassane Ouattara, et non à la résidence présidentielle officielle de Korhogo, comme le prétendent les autorités ivoiriennes.
Il n’est conduit dans cette résidence officielle que lors des visites importantes qui lui sont faites, notamment par Desmond Tutu et Choi Young-jin, le chef de la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci).
Il faudra attendre le 18 août 2011 pour que la justice ivoirienne inculpe formellement l’ex-président Laurent Gbagbo, «au mépris des dispositions constitutionnelles et légales ivoiriennes», qui prévoient une procédure particulière pour poursuivre un ancien président.
La defense de Laurent Gbagbo évoque une «détention arbitraire et des actes de tortures» infligés quotidiennement à l’ex-président avant son transfèrement à La Haye.
«Enfermé dans une chambre de trois mètres sur trois, sans pouvoir faire le moindre exercice, sans pouvoir même marcher à l’extérieur de la maison, peu nourri et surtout ne disposant pas des médicaments nécessaires au traitement de ses pathologies, le président Gbagbo s’affaiblit rapidement.
Au bout de quelques semaines, il est méconnaissable et ne peut plus se déplacer sans aide. Malgré les demandes de son médecin, ses geôliers refusent de le soigner de manière décente et même de le faire examiner dans un environnement hospitalier. (…) L’état de santé du président se dégrade à tel point que d’après les quelques rares visiteurs et d’après son médecin (…) la situation devient à partir du mois d’octobre 2011 critique.»
Ces informations sont corroborées par d’autres sources : un ancien proche de Laurent Gbagbo affirme qu’il aurait été transféré aux Pays-Bas en urgence, les autorités ivoiriennes ayant eu peur qu’il ne meure en martyr à Korhogo, privé du droit de visite de sa famille et de ses avocats.
«Il convient de noter qu’à aucun moment, ni les responsables ivoiriens, ni le procureur près la CPI ne semblent avoir agi pour cesser ces atteintes gravissimes aux droits du président Gbagbo», soulignent les avocats de Gbagbo.
Leur client sera transféré le 29 novembre aux Pays-Bas «sans un vêtement de rechange» à la suite d’une procédure judiciaire qualifiée de «parodie». Les avocats insistent sur la collusion entre les autorités ivoiriennes, l’Onuci et le procureur de la CPI dans une procédure de transfèrement qui ne s’est pas déroulée, loin s’en faut, dans les règles de l’art.
Luis Moreno-Ocampo, procureur sur le départ parti chercher des arguments à Abidjan, va laisser à Fatou Bensouda, qui lui succède, un procès qui s’annonce difficile. L’audience de confirmation des charges à l’encontre de Laurent Gbagbo, prévue pour le 18 juin, va devoir tenir compte de la requête déposée par les avocats de la défense, qui marquent des points dans le rapport de force qui s’établit en vue du procès.
Ils ont déjà obtenu en février que le champ d’enquête ne se limite pas à la seule crise post-électorale (du 28 novembre 2010 au 11 avril 2011), mais soit étendu aux évènements qui ont plongé le pays dans une situation de guerre civile larvée, à partir de la rébellion des officiers nordistes de 2002.
A terme, les avocats de Laurent Gbagbo pourraient imposer à la CPI de rendre la justice équitable qui fait toujours défaut en Côte d’Ivoire, en faisant comparaître des responsables de crimes de guerre commis par le camp d’Alassane Ouattara.
Sabine Cessou
SlateAfrique
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